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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 12

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CHAPITRE V
Le tunnel sous la Tamise, La chapelle Saint-Louis de France

Je tenais beaucoup à voir le tunnel de la Tamise, dont j’avais souvent entendu parler par un de mes oncles, qui l’avait traversé en 1844. Je tenais à voir cette chose curieuse; une route passant, non sous la terre, mais sous l’eau. C’est une œuvre, d’une scientifique originalité. De mon wagon de 1re classe, car ce tunnel est maintenant ligne de chemin de fer, je l’ai admiré sans jalousie, et même avec un certain orgueil, en pensant que c’est à un français que revient l’honneur d’avoir exécuté ce travail, d’avoir eu cette idée géniale, de réunir les deux rives de la Tamise, en passant dessous. Il s’appelait Brunel. Son entreprise, protégée par Wellington, subit cependant de grandes difficultés. On y travailla dix-huit ans, de 1825 à 1843, la dépense fut de douze millions et demi de francs. Cinq fois les travaux furent interrompus à la suite d’accidents. Ce tunnel a trois cent soixante-huit mètres de long, il est à cinq mètres, sous le lit du fleuve.

Cette œuvre si remarquable, n’eut aucun succès, au point de vue financier, et ne rapporta jamais un penny à ses actionnaires. Elle était même dans un complet état de délabrement, lorsqu’en 1865, le tunnel fut acheté cinq millions, par l’East-London-Railway.

La route de voitures fut transformée en voie de chemin de fer et, par ce moyen, les lignes du Nord et celles du Sud de Londres furent mises en communication en aval de London-Bridge, ce qui permit de gagner deux heures pour se rendre directement de Douvres ou de Folkestone à Liverpool ou en Ecosse.

J’ai aussi traversé le Tower-Subway vulgairement appelé le Tuyau de Pipe, qui date de 1870. Ce n’est qu’un simple tuyau de fer, n’ayant guère plus de deux mètres de diamètre. Deux personnes seulement peuvent y marcher de front. On accède au tuyau, par un vilain escalier en colimaçon. En bas, on trouve un tourniquet et un gardien auquel on donne un sou, l’on passe, et l’on se trouve dans le tuyau, dont le parquet est formé de trois planches. On y étouffe, on en sort baigné de sueur, tant la chaleur que dégagent les becs de gaz est forte et insupportable. Cependant, on estime à trois mille le nombre des personnes, qui traversent chaque jour la Tamise, dans le Tuyau de Pipe.

Saint-Louis de France, dans Little George Street Portman square, l’un des plus humbles sanctuaires de Londres, m’attirait invinciblement. J’y suis allée faire un pèlerinage. Ah! cette modeste chapelle rappelle de pieux et tristes souvenirs. Hélas! toutes les dynasties qui ont régné sur la France depuis près d’un siècle, sont venues prier là, dans l’exil et la douleur.

L’érection de cette chapelle remonte aux plus mauvais jours de la Révolution française. Elle fut fondée en 1793 par des prêtres, que la Terreur avait chassés de leur patrie. C’était le rendez-vous de tous les émigrés, qui venaient en grand nombre le dimanche, y entendre la messe. On y voyait les princes de la maison de Bourbon et la fleur de l’aristocratie française. Un jour, il fut donné à ces fidèles d’élite, de compter dans le chœur de l’humble chapelle, seize archevêques et évêques. «Lorsqu’arrivait le moment de la prière pour le roi, l’assistance se levait comme un seul homme et chantait le Domine salvum, avec un enthousiasme impossible à décrire.» On espérait alors contre toute espérance…

«Ce fut dans cette chapelle, que les obsèques de la reine, femme de Louis XVIII, furent célébrées sans pompe, mais avec une grande piété. Plus tard, après que la Révolution de 1848 eut envoyé la branche cadette en exil à son tour, ce fut dans la chapelle de Little George Street que le comte de Paris, le duc de Chartres, leurs cousins et leurs cousines firent leur Première Communion. Tous les princes et les princesses de la maison d’Orléans s’y rendaient chaque année pour les exercices de la Semaine Sainte et édifiaient les fidèles par leur recueillement.»

«Puis le vent des révolutions qui souffle périodiquement sur la France, comme le mistral sur les côtes de Provence, renversa l’Empire qui paraissait si fort, et Napoléon III vint avec sa famille demander une seconde fois asile à l’Angleterre. La veille de son départ pour le Zoulouland, d’où il ne devait pas revenir vivant, le prince impérial vint se confesser à la chapelle française de Little George Street. En sortant du Tribunal de la pénitence, il demeura longtemps en prière. On remarqua qu’il était agenouillé devant un tableau, don du roi Louis-Philippe, représentant la mise au tombeau de Notre-Seigneur. Le prince qui semblait animé d’une grande ferveur, ne pouvait détacher les yeux de cette toile. Etait-ce un pressentiment?»

Pauvre jeune prince! il dort maintenant du dernier sommeil à Windsor.

Dans cette petite chapelle, se sont fait entendre, tour à tour, les maîtres de l’éloquence sacrée.

L’abbé Combalot, le P. Milanta, le P. de Ravignan, l’abbé Deplace, le P. Félix, le P. Reculon, le P. Monsabré, le P. Didon, et d’autres encore.

Le consulat et l’ambassade de France y ont des bancs réservés.

Cette chapelle, tout en rappelant l’instabilité des choses de la terre, est pour les cœurs français, comme un reliquaire sacré du passé. Elle évoque les générations évanouies, les couronnes détachées du front royal, les empires disparus. Les trônes sont tombés, mais l’autel est resté debout!

La Religion demeure, avec ses sublimes espérances, et elle plane immortelle sur les ruines accumulées par les hommes et le temps.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame est aux courses. La longue miss m’a procuré une matrone d'âge respectable, quarante-cinq ans (moi je lui accorde le demi-siècle), parlant bien l’anglais et pas mal le français. Fanny Smith, c’est son nom, consent à me piloter moyennant cinq francs par jour, les frais de voiture à ma charge, et la voilà déjà me traitant comme une dame. Je deviens sa maîtresse, c’est moi qui donnerai des ordres. Je vais trouver cela charmant, hein! Deux jours de commandement dans une absolue liberté.

J’ai commencé par Saint-Paul que je voulais voir plus en détail, car pendant les trois jours que Madame m’a fait rouler du matin au soir, je n’ai fait qu’entrevoir Londres. Les rues et monuments, tout cela apparaissait et disparaissait comme dans une lanterne magique.

L’église Saint-Paul est immense, c’est une masse imposante, grandiose, mais encaissée dans un cercle de maisons, elle ne fait aucun effet; il faudrait la contempler de loin et on est arrivé devant elle presqu’avant de l’avoir vue. Je pense qu’elle a bien cent cinquante mètres de long et les piliers de la nef n’ont pas moins de vingt à vingt-cinq mètres de tour. Elle peut contenir treize mille personnes à l’aise. L’intérieur est sévère et nu, j’y ai cependant remarqué quelques statues un peu décolletées pour un lieu de piété, même protestant. La statue de Wellington est, paraît-il, un marbre de grande valeur. Six bas-reliefs en marbre représentant des scènes de la Bible sont également fort beaux.

A mon avis Regents-park est plus agréable que Hyde-park, il a d’aussi beaux arbres, de jolis parterres dans le goût français, des fontaines, où tout le monde peut boire, et d’élégants pavillons où l’on trouve autre chose que de l’eau, des glaces, des pâtisseries et tous les rafraîchissements possibles.

La cité est le quartier qui me plaît le plus – c’est le commerce, le mouvement, l’animation comme à Paris.

La Tamise est bien large et bien sale.

En passant devant la caserne des Horse-guards miss Smith m’a fait entrer dans la cour pour admirer les plus beaux hommes du monde. Ils sont en effet d’une taille gigantesque et leur costume est superbe, culotte blanche, jaquette rouge chamarrée de blanc et or, bottes noires, shako couvert d’un immense panache blanc, avec cela six pieds, bien faits, l’air de le savoir, raides comme des piquets, et pas étonnés du tout qu’on les regarde, ils y sont habitués; à cheval, avec leur cuirasse d’acier et leur casque de même métal, ils ressemblent aux statues équestres de l’antiquité.

L’ambassade française n’est pas une belle demeure, c’est bien petit et il est honteux pour les Anglais de ne pas mieux loger notre ambassadeur. Le Consulat très éloigné de l’ambassade est aussi peu de chose.

Quand la reine est à Londres, ce qui est rare, elle habite le palais de Buckingham, assez grand, mais pas remarquable. Saint-James-park qui se trouve devant est très joli; les horse-guards donnent aussi dans ce park. Saint-James-palace, résidence de la cour, a l’air gai d’une prison. Malborough-palace où demeure le prince de Galles ressemble à une simple maison de particulier. Trafalgar-square est plus ornementé, une belle statue de Nelson en bronze s’élève au milieu, et aux quatre coins quatre lions en bronze plus gros que des éléphants complètent cet ensemble splendide. Là est la galerie nationale renfermant seulement quelques peintures de maîtres, mais je n’y suis pas entrée, il fallait encore payer.

Le British-muséum, est un beau monument, contenant d’intéressants manuscrits enluminés; des lettres d’Henry IV roi de France, d’Elisabeth d’Angleterre, de Marie Stuart, d’Henry VIII, d’Anne de Boleyn, de Marie de Médicis, etc. Les cachets et sceaux des rois anciens, ceux de la reine Victoria. Quelques bronzes, beaucoup de momies égyptiennes, des statues grecques, les têtes en plâtre de Néron, de Caïus-Caligula, de Jupiter, de Junon, de Vénus et une foule d’autres curiosités que l’on voit heureusement pour rien. J’ai repassé devant les ministères qui sont vraiment d’énormes maisons.

En rentrant nous avons rencontré un pauvre garçon qui vendait de la lavande, mais personne ne lui en achetait, par charité, je lui en ai pris deux paquets, il avait l’air si malheureux, sa vue m’a gonflé le cœur. Je voudrais être riche pour pouvoir donner. Un peu plus loin, une jeune fille pleurait de désespoir de ne pouvoir vendre ses fleurs. Achetons-lui un bouquet, m’a dit Miss Smith, cette pauvre fille paraît honnête, elle n’appartient certes pas au cercle des Street-Girls, ces pâles et cyniques pauvresses dont les albums conservent le type si particulier. Ah! les Street-Girls, a continué mon interlocutrice, ce sont elles qui, loqueteuses et malpropres offrent en passant, au coin des rues, les bouquets de violettes salies, ce sont elles aussi que l’on rencontre au crépuscule, dansant la gigue dans les sombres carrefours, au son d’un vieux clavier discord; et la nuit on les heurte parfois du pied sur le pavé, anéanties par les orgies du gin.

Que de misères à Londres; Miss Smith m’assure qu’il y a des maîtresses de piano qui donnent des leçons à quatorze sous l’heure, et quatorze sous en Angleterre ne représentent pas sept sous chez nous. Ce soir nous allons à Covent-Garden, à bon marché, pour vingt-quatre sous. Ah! En voilà une chance! Miss Smith est une débrouillarde, elle a le truc pour dénicher les bonnes occasions. Lorsque la saison théâtrale est finie, on donne, l’été, pendant un ou deux mois des concerts dans cette salle. Je ne verrai pas de représentation, mais je suis bien aise de connaître un des plus beaux théâtres de Londres.

Covent-Garden

Il y avait beaucoup de monde, des hommes graves et des femmes fardées qui n’arrivaient pas à les dérider; tout cela n’était pas une foule de premier choix. Miss Smith m’a glissé à l’oreille que la bonne classe, en Angleterre, ne va pas au théâtre.

La salle est très grande, éclairée par deux énormes lustres et des lampes à la lumière électrique. Les stalles sont blanches et or, mais les tentures sont fanées, aussi bien que les robes des chanteuses. Elles vocalisent délicieusement, mais quelle friperie que leur toilette; ce sont des rossignols que le costumier du théâtre affuble de ses vieux rossignols.

On applaudissait beaucoup, il y avait des nègres habillés en dandys, qui gesticulaient, une canne à pomme d’or en main, et se bouffissaient comme des paons, ils avaient autant de bijoux qu’un homme peut en porter, de grosses bagues aux doigts, une épingle de cravate large comme une broche de dame et une montre d’or avec chaîne et breloques, qui faisaient autant de bruit que d’effet. L’un d’eux, même, avait des boucles d’oreilles. L’attraction irréfléchie pour tout ce qui reluit est, paraît-il, un goût donné aux races noires: les nègres adorent les bijoux d’or et d’argent, le métal qui brille. Eh bien! c’est la même chose chez les corbeaux et les pies, qui sont la race noire des oiseaux.

A dix heures, nous avons été obligées de partir, pour ne pas rentrer trop tard. Il me semblait que nous venions seulement d’arriver.

L’air était doux et le ciel plein d’étoiles; en les regardant, j’ai senti soudain mes yeux se remplir de larmes. Je pensais que sous notre beau ciel de France, ces mêmes étoiles éclairaient ma vieille mère et mes sœurs.

Notre dernière journée avant l’arrivée de Madame a été aussi bien remplie: visite à l’Aquarium, à la Tour de Londres et à Greenwich.

On paie un schelling par personne, à l’entrée de l’aquarium. Je n’y ai pas vu grand chose, des phoques et des plantes vertes très belles. Mais l’aquarium a une autre attraction que je préfère. Au centre se trouve un cirque où l’on fait de la haute école à cheval et des exercices vélocipédiques très remarquables. On voit encore des lions en cage, stylés par un nègre et sautant des barrières; ce spectacle dure deux heures, on en a vraiment pour son argent. Miss Smith m’a fait remarquer l’aiguille de Cléopâtre; dame! celle-là ne se perdrait pas dans une botte de foin: c’est un magnifique monolithe apporté d’Egypte. J’ai croisé un Ecossais, mais trop rapidement, j’aurais voulu voir son costume plus en détail: jupon court plissé vert et noir, jambes nues, écharpe prenant de l’épaule droite rattachée sous le bras gauche et descendant presque jusqu’aux pieds, grand chapeau avec plumes retombantes, sabre au côté, fusil sur l’épaule, l’ensemble est charmant.

La Tour de Londres se compose de bien des tours, mais on n’en visite que deux. Celle qui contient les joyaux de la couronne ne m’a pas émerveillée: il y a peu de bijoux, mais beaucoup de vaisselle d’or, des sallières particulièrement. Les joyaux se composent de trois couronnes dont la plus belle, celle de la reine, est couverte de diamants; la couronne du Prince de Galles m’a paru fort modeste. On nous a montré la chambre très étroite au pied d’un escalier où les enfants d’Edouard ont été tués. Nous parcourons plusieurs salles garnies d’armes et d’armures. On nous fait aussi remarquer une statue de la reine Elisabeth à cheval et le plan en relief du monument que nous visitons, cette fameuse tour de Londres où les souvenirs ne sont pas gais. Nous entrons ensuite dans la tour des personnages célèbres; les murs sont couverts des initiales, noms, et armoiries des malheureux qui ont passé par là. Dans la cour on montre la pierre où furent décapitées Anne de Boleyn, Jeanne Seymour et Catherine Howard, cela donne le frisson; autrefois les favorites des rois payaient bien cher leur triomphe.

Les gardiens ont un costume moyen-âge très chic, le voici: chapeau de velours noir tout froncé et entouré de faveurs rouges, bleues et blanches, pantalon noir et rouge, tunique noire avec plastron de flanelle rouge représentant des fleurs de lys et les lettres V. R., Victoria Reine; cette tunique est serrée à la taille par une ceinture de cuir fermée avec une grosse boucle en cuivre.

Nous avons pris le bateau pour aller à Greenwich, une grande ville sur la Tamise, à deux lieues de Londres; pendant tout ce parcours, les bords de la Tamise sont entièrement livrés au commerce, et la rivière aux bateaux, elle en est littéralement encombrée, c’est un mouvement extraordinaire.

On va voir à Greenwich, 1º le magnifique hôpital des Invalides de la marine, bâti en 1696, sur l’emplacement d’un ancien palais des rois d’Angleterre. 2º l’Observatoire, qui est célèbre; il fut fondé en 1775, par le roi Charles II. Une fabrique d’instruments d’optique et de navigation y est attachée. L’observatoire est très haut perché, dans un parc superbe, dessiné par un Français, Le Nôtre. Nous sommes grimpées jusqu’au haut, bien résolues à tout voir… hélas! on ne peut pénétrer à l’intérieur. Nous avons dû nous contenter de la vue qui de cette hauteur embrasse un vaste horizon. De petites marchandes établies dans le parc nous ont vendu des gâteaux et de la bière. Après nous être restaurées, nous avons visité une salle de peinture, dont Nelson est le héros; on le voit à différents âges et dans toutes les positions, assis et debout, de profil, de trois quarts et de face. Nous avons aussi donné un coup d'œil à la station des yachts royaux. En face, de l’autre côté de la Tamise, se trouvent les docks et chantiers de la Compagnie des Indes.

Après avoir parcouru quelques rues, comme je ne voulais pas m’attarder, à cause de l’arrivée de Madame, nous avons repris la route de Londres.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE VI
Les courses de Newmarket

Il me semble impossible de venir en Angleterre, sans y voir au moins une de ses courses tant vantées. J’aurais bien désiré aller à celles d’Epsom, fondées depuis plus d’un siècle, en 1779, et qui ont un si grand renom, mais nous sommes bien loin du 21 mai, jour où elles ont lieu chaque année, et je suis allée à Newmarket, dont les courses classiques, demi-classiques, les steeples, les handicaps, sont également célèbres.

Newmarket est une petite ville où l’on se rend de Londres, en deux heures, par le chemin de fer Great-Eastern. Les courses y sont organisées sur une grande échelle. Quarante-cinq entraîneurs publics ont sous leur direction deux mille chevaux de courses. Les courses et les régates sont pour l’extérieur les solennités mondaines par excellence, la great attraction des Anglais, c’est leur passion dominante. Les parieurs, les uns pour les chevaux, les autres pour les bateaux, se lancent dans la carrière à fond de train, c’est le cas de le dire; les paris sont insensés!

En définitive, c’est toujours le jeu, le jeu sur un tapis vert de gazon ou d’eau, au lieu d'être sur un tapis de drap. Je me suis fait mettre au courant des principaux termes de la langue chevaline, termes que nous avons empruntés, je me demande pourquoi, car il me semble que le français est une langue assez riche par elle-même, pour se suffire, sans avoir recours aux autres. Il y a plus de deux cents ans qu’Amyot disait: «La langue française n’est plus cette pauvre gueuse à laquelle le grec et le latin faisaient l’aumône» et aujourd’hui nous avons encore moins besoin d’emprunter ailleurs, surtout aux Anglais, qui seront toujours nos voisins sans jamais vouloir être nos amis.

On me répond: c’est la mode, il faut la suivre. Soit, je m’incline, mais non sans faire quelques restrictions. Sport veut dire en anglais divertissement, courses, chasses, gymnastiques, joutes sur l’eau, lawn-tennis: j’admets ce mot, puisqu’il comprend à la fois tous les exercices en plein air.

Mais pourquoi dire: arriver sur le turf (gazon), plutôt que sur le champ ou la piste. Pourquoi dire le ring, littéralement le rond, plutôt que l’enceinte, pour désigner le lieu où se réunissent les grands amateurs et les parieurs forcenés.

Betting signifie tout simplement pari et Starting départ.

Pourquoi appeler steeple-chase cette course hérissée d’obstacles, rivière, palissades, murs, haies, fossés, et dont le vrai nom est course casse-cou.

Dead-heat veut dire que les chevaux arrivent ensemble; quel inconvénient y aurait-il à dire course nulle, où les chevaux sont arrivés tête à tête? Pourquoi ne pas prononcer la tribune au lieu du stand, le concours ou la lutte au lieu du match, le haras au lieu du Stud?

Dame! pourquoi? je répondrai en anglais: That is the question, comme disent ceux qui veulent se donner des airs savants et passer pour connaître Shakespeare par cœur.

Jusqu’ici je n’avais jamais pu lire jusqu’au bout les articles de courses dans nos journaux, cela me faisait un peu l’effet du sanscrit ou du chinois.

Je m’en tenais à la spirituelle boutade de Bernadille sur l’agréable vocabulaire des courses «il faut suivre, dit-elle, la gradation des sentiments qu’il produit sur l’esprit des lectrices qui débutent par l’impatience et finissent par l’horripilation.

«Gentleman-rider les intrigue; un propriétaire qui déclare forfait les inquiète: comment devineraient-elles qu’il s’agit ici d’une amende, d’un dédit, —forfeit.

«Le handicap les étonne, elles ignorent qu’un handicap est une course où l’on admet les chevaux de force et de mérite différents, en égalisant autant que possible par des suppléments de poids les chances de victoire?

«Le stud book les agace; les book makers les irritent; au betting-ring, elles sont rouges de colère, un cheval disqualified leur arrache des cris de désespoir, et la performance des signes d’aliénation mentale.»

Si cela continue, il sera nécessaire d’apprendre l’anglais avant de pouvoir lire certains journaux français.

Il faut voir comme les Anglais, généralement si froids, s’animent sur le turf. Il y a un demi-siècle, quand la société pour l’encouragement et l’amélioration des races de chevaux en France accordait aux vainqueurs des hippodromes douze paniers de vin de Champagne, les courses en Angleterre remuaient déjà un comté tout entier; cependant les Anglais ont encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre à la hauteur des anciens Polonais qui placèrent un jour sur les quatre fers d’un cheval les destinées de leur patrie.

Leur histoire rapporte que, le roi étant mort sans héritier, tous les palatins se montraient prêts à entrer en lutte armée pour conquérir le trône; soudain on décida de s’en remettre au hasard d’une course, celui des Palatins qui arriverait «bon premier» serait couronné roi. Ce procédé peu ordinaire eut les meilleurs résultats, la guerre prête à s’allumer s’éteignit comme par enchantement et la nation eut son roi.

Le cheval de courses en France comme en Angleterre est un patricien qui a son état civil très bien tenu; on pousse même les choses plus loin depuis une quarantaine d’année, on conserve le portrait des grands vainqueurs.

Old England est forte pour les portraits. La reine Victoria n’a-t-elle pas un musée canin renfermant le portrait de tous les petits toutous qu’elle a aimés?

Je ne sais quel sera plus tard le sort des chiens de sa gracieuse Majesté, mais les chevaux passeront à la postérité «leur nom figurera dans le dictionnaire Larousse à côté de Bucéphale dompté par Alexandre, d’Incitatus fait consul par Caligula, de Vaillantif tué sous Roland dans le défilé de Roncevaux, de Bubiéca la cavale du Cid, de Rossinante l’idéal coursier de Don Quichotte. Les chroniqueurs ont négligé de nous transmettre les noms des chevaux des quatre fils Aymon, c’est regrettable! Je termine ici ma liste des chevaux célèbres sur laquelle je pourrais inscrire encore le cheval de Troie qui était en bois, et le cheval de bronze d’Auber qui sera toujours en musique.»

Les courses de Newmarket ont presqu’autant d’importance que celles d’Epsom, elles m’ont vivement intéressée. Je suis revenue très satisfaite de mon excursion et très enthousiasmée des beaux chevaux que j’ai vus, les uns courant sur le turf, du stand où j’étais fort bien placée, les autres au repos, dans le stud que j’ai visité ensuite, Ciel! je m’arrête! aurai-je par hasard des dispositions à devenir une horse women et parler la langue des chevaux.

Ici j’y suis presque obligée, mais en France je ne me le pardonnerais pas. Vive partout, même aux courses, notre belle riche et harmonieuse langue!

JOURNAL DE SUZETTE

Il m’est impossible de décrire tout ce que j’ai vu depuis quelques jours. Tout cela encombre ma mémoire, et danse dans ma tête une sarabande effrénée. Quand de retour au pays, on me demandera des détails sur Londres, je montrerai mon journal à mes amies, aux autres je me bornerai modestement à répondre ceci: Qui n’a pas vu Londres, ne peut se faire une idée de cette ville immense, avec ses millions d’habitants. Elle est plus peuplée que plusieurs Etats d’Europe, tels: la Suisse, la Bulgarie, la Saxe qui n’ont chacune que trois millions d'âmes. Londres a deux fois plus d’habitants que la Grèce, le Danemark et la Norvège qui ne comptent chacun que deux millions d’habitants; et sa population s’accroît chaque année de soixante-dix mille personnes. Ma vanité satisfaite de ces comparaisons et de l’ébahissement de mes auditeurs, j’ajouterai pour finir: Voilà ce qu’est Londres, une ville extraordinaire, sans rivale, la plus grande ville du monde et je la connais!..11

11.Depuis l’époque où ce journal a été écrit (1885), Londres s’est fort agrandi en population et en étendue. On se moque parfois de la statistique, on a tort, elle rend service. Appuyée sur les chiffres et les faits, elle maintient la vérité et donne une juste idée des choses. A l’heure actuelle, voici les renseignements que Le Cosmos donne sur la ville de Londres.
  La surface de Londres est de 441.559 acres anglaises, représentant une étendue de 176.623 hectares 60 ares. Plus grande que celles de Paris, New-York et Berlin réunies!
  Tous les habitants d’Edimbourg pourraient s’asseoir dans les théâtres et cafés-concerts de Londres et il y aurait encore 20.000 sièges de libres.
  La population de Londres est aujourd’hui de 5 millions et demi d’habitants, elle augmente de 105 000 âmes par an, et l’on a calculé que dans 45 ans elle serait de 10 à 12 millions, en progressant chaque année dans les mêmes proportions.
  Il y a 700 abreuvoirs pour les animaux.
  Les restaurants servent 950.000 déjeûners par jour.
  Il y a 1.000 bureaux de poste, 600 hôtels, 7.600 cabarets qui placés côte à côte, iraient de Londres à Portsmouth, 12.000 bateaux de plaisance sur la Tamise, dont la population flottante s’élève à elle seule, à 300.000 personnes.
  La longueur des lignes de trammway atteint 226 kilomètres (et on ne trouve des tramways que dans les quartiers excentriques de la ville); celle des rues mises bout à bout donne le joli chiffre de 11.250 kilomètres.
  Les rues sont éclairées par plus d’un million de réverbères.
  Il passe devant Mansion House, la résidence du lord-maire, 300 omnibus par heure, et dans Cheapside, la rue principale de la Cité, au bout de laquelle se trouve Mansion House, il défile 23.000 chevaux en 12 heures.
  En voulez-vous encore, des chiffres? Voici: 60.000 femmes gratte-papier, 12.000 employés de théâtre, 34 à 35 mille médecins environ, 5.000 dentistes. Hein! 40.000 familles vivant des maladies des autres, sans compter les pharmaciens. C’est assez joli.
  Il naît 400 enfants par 24 heures; il y a 100.000 ouvriers de nuit, 200.000 domestiques; chaque jour il est fumé plus d’un million de cigarettes, et plus de 200.000 cigares. On fabrique 90.000 pianos par an.
  La quantité d’eau bue journellement formerait un lac de 570 mètres de long, de 182 mètres de large et d’une profondeur uniforme de 1m,82.
  On a calculé (comment, les savants vous l’expliqueront), que le vaste nuage de fumée en suspension sur Londres pèse 304.500 kilog. dont 50.750 kil. de poussière de charbon et 253.750 kil. d’hydrocarbure.
  2.200 trains quittent les gares de Londres toute les 24 heures. Entre 10 heures du matin et 11 heures du soir, 1600 trains partent chaque jour, pour les divers terminus de l’intérieur de la ville, ce qui représente plus de 120 trains à l’heure ou 2 trains à la minute, non compris les trains du Métropolitain et du Métropolitain District.
  En chiffres exacts, la capitale de l’Angletere, compte 5.635.332 habitants; plus que le Portugal, autant que la Suède, presque autant que la Belgique.
  Londres a deux fois plus d’habitants que le Canada, qui est grand comme l’Europe entière, et un million d’habitants de plus que l’Australie.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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