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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 13

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WINDSOR

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE VII

Windsor est une petite ville de huit mille âmes qui s’est groupée autour du château royal, séjour préféré de la Reine Victoria. Windsor est donc un magnifique château gothique avec remparts et fossés, bâti sur une élévation d’où la vue s’étend fort loin. Une immense forêt de cent kilomètres de tour fait partie du domaine de Windsor.

Fondé par Guillaume le Conquérant, augmenté par Edouard III et sans cesse embelli par ses successeurs, ce château est vraiment une demeure royale digne de la reine d’Angleterre, impératrice des Indes.

J’ai admiré la chapelle royale et la chapelle Saint-Georges où sont reçus les membres de la Jarretière; la terrasse qui a près de six cents mètres de long est vraiment splendide.

«Madame monte à la tour si haut qu’elle peut monter» c’est ce que j’ai fait. Je suis montée à la plus haute tour de Windsor, pour jouir d’un horizon sans limites. Le regard s’étend sur douze comtés.

Les salons que j’ai visités sont somptueusement meublés. Du reste, des trésors en tous genres, artistiques et autres, s’accumulent ici depuis des siècles. N’est-ce pas à Windsor dans les appartements particuliers de la reine que se trouve le chef-d'œuvre de notre manufacture de Sèvres, un service à dessert, estimé un million deux cent cinquante mille francs.12 Commandé pour Louis XVI, il fut acheté par George IV, alors prince régent. Le fond est gros bleu, avec des dorures merveilleuses, du célèbre Leguay, et des peintures exquises en médaillon, par Dodin.

Cette visite à Windsor, m’a vivement intéressée; je la classe parmi mes meilleurs souvenirs de voyage.

JOURNAL DE SUZETTE

Nous ne sommes pas allées directement de Londres à Oxford, nous avons fait un petit crochet pour visiter Windsor, où nous avons commencé par déjeûner, dans un hôtel de belle apparence. On nous a servi des œufs et du jambon, qu’on mange ensemble ou séparément, à sa guise. C’est le menu invariable et traditionnel du matin, dans la grande Angleterre. Du jambon cuit ou du jambon crû, du jambon aux œufs ou du jambon aux pommes de terre, du jambon toujours; comme c’est agréable pour ceux qui ne l’aiment pas!

Tout cela se mange avec un trident. En France les fourchettes sont à quatre dents, en Angleterre elles n’en ont que trois. Par exemple, on nous a servi un nouveau dessert que nous ne connaissions pas! On nous a servi – Lucullus et tous les cuisiniers des temps anciens – Brillat, Savarin, Vatel, Carême, Trompette, et tous les chefs des temps modernes, voilez-vous la face, – on nous a servi comme dessert sous le nom de croquettes croquantes et dorées de petits morceaux de pain (des restes sans doute) desséchés au four. Hein! jolies croquettes bien réussies et bien goûtées surtout; j’étais indignée. Madame a pris la chose plus philosophiquement et s’est mise à rire. Ma pauvre Suzette, calmez-vous, m’a-t-elle dit, cela me rappelle un mot de Chamfort qui peut s’appliquer ici: «Il y a des gens, écrivait-il, qui ont plus de dîner que d’appétit, alors que d’autres ont plus d’appétit que de dîner.» Ce dernier cas est le nôtre aujourd’hui.

C’est à Windsor que demeure ordinairement la reine, car elle n’aime pas Londres. Son château est très considérable, il a l’aspect d’un château-fort bâti en petites pierres, ce qui n’est pas joli comme la pierre de taille. Nous sommes montées sur la plus haute tour d’où le panorama est splendide. La visite des appartements m’a bien intéressée, surtout la salle du roi Georges où l’on donne les banquets. Sur les murs s’étalent les armes de tous les pairs d’Angleterre. Le grand salon de réception est très beau, le meuble est doré et recouvert en satin rouge broché, le plafond guilloché est blanc et or, plusieurs salles sont tendues en tapisserie des Gobelins, avec des plafonds dorés, c’est même un peu trop chargé. Nous avons visité la chapelle de la reine; le chœur est en chêne sculpté ainsi que les sièges de la famille royale. Très jolie est aussi la chapelle érigée en mémoire du prince Albert, l’époux de la reine. J’ai vu le tombeau où reposent ensemble Henri VIII et Jeanne Seymour. J’ai salué respectueusement le monument élevé au petit prince impérial tué si malheureusement chez les Zoulous.

Les gardes sont des grenadiers habillés de rouge et coiffés d’un chapeau à poil.

En partant, j’ai demandé à un domestique de la reine, tout habillé de noir, à cause de la mort du duc d’Albany, l’heure exacte du train pour Oxford; c’est avec toute la dignité due à son rang qu’il m’a donné ce renseignement, en me tirant son chapeau aussi respectueusement que si j’avais été membre de la famille royale. En voilà des domestiques, dont le sort fait envie… Plus heureux que bien des maîtres!

OXFORD

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE I
Arrivée à Oxford

Mes premiers jours à Oxford ont été consacrés à l’amitié. Il est si doux de parler du temps passé, avec ceux qui l’ont vécu, de parler de la génération qui précéda la nôtre, avec les derniers contemporains de cette génération. Le souvenir de ma mère bien-aimée planait sur tout ce que nous disions, le passé me ressaisissait tout entière. Par instant il me semblait qu’elle était là, que j’allais l’entendre, la voir… Chère bonne mère, elle avait bien placé son affection, et sa vieille amie m’a délicieusement reçue. Chacune de vos lettres m’a-t-elle dit, me donnait du soleil pour toute la journée. La distance disparaissait, mon affection vous évoquait, ma pensée retrouvait la vôtre et j’avais la tendre illusion de me croire près de vous. Aujourd’hui je tiens la réalité, quel bonheur! Quand on est entré dans mon cœur, c’est pour la vie, autrement, l’amitié ne serait ni sincère, ni vraie.

Malgré son existence qui s’écoule en Angleterre, le snobisme britannique ne l’a pas atteinte. Elle est restée bien française par le cœur et par l’esprit. Aujourd’hui, on est un peu brutal dans ses idées, un peu crû dans ses expressions, cela s’appelle du naturalisme, un long mot, que personne ne comprend guère, pas même ceux qui s’en servent le plus.

Mon amie au contraire a gardé des expressions élégantes et choisies, et pratiquant l’art du bien dire, fait tout passer sans choquer personne. Et je suis heureuse de nos causeries, comme elle est heureuse de ma présence. Ah! que j’ai bien fait de venir!

JOURNAL DE SUZETTE

Nous voilà donc arrivées chez l’amie de Madame. Cette amie habite une belle maison, bien confortable, elle a plusieurs domestiques; c’est une vieille dame riche. D’ailleurs ce n’est pas en Angleterre qu’il faut venir habiter lorsqu’on n’a pas de fortune. Au contraire, beaucoup d’Anglais quittent leur pays par raison d’économie, et si nous voyons certaines villes françaises, encombrées d’Anglais, c’est qu’ils y trouvent leur avantage, et vivent bien plus à l’aise chez nous que chez eux.

J’ai une assez jolie chambre, mais ce n’est pas tout dans la vie, et mes débuts ne sont pas heureux. Mauvais sommeil, nuit détestable à digérer laborieusement l’affreux pain pas cuit, qu’on mange ici comme du gâteau. Ah! ces Anglais, ils ont un estomac à rendre des points à toutes les autruches de la création.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE II
La ville d’Oxford, ses collèges, ses musées, ses promenades

Oxford passe à bon droit pour être une des plus jolies villes d’Angleterre.

C’est une ville essentiellement protestante; sur quarante mille habitants il n’y a que quatre cents catholiques.

Oxford possède une fabrique de Bibles, c’est par milliers qu’elles s’en vont chaque jour inonder les colonies et le monde entier, et une Université fondée au commencement du XIIe siècle, disent les uns, dès le Xe siècle, par Alfred Le Grand, disent les autres. En tout cas, cette Université célèbre compte vingt-quatre collèges tous plus beaux les uns que les autres: Saint-John’s, Magdalen, Kable Christ-Church, Trinity, Queen’s, New-Collège, etc. Cette Université est généralement dévouée aux principes des Tory (elle envoie deux députés au Parlement) et à l’église anglicane. Cependant c’est dans son sein qu’a pris naissance le Puseysme, encore une nouvelle secte que ma bonne amie m’a expliquée. Son principal auteur est le docteur Pusey, chanoine de l’église du Christ et professeur d’Hébreu à Oxford. Sauf qu’elle déclare la loi indépendante du pouvoir pontifical elle se rapproche du catholicisme sur les points les plus importants. Elle rétablit la messe, la Confession, la pénitence, le jeûne, l’invocation des saints.

Inquiétés par l’épiscopat anglican qui ne les voyait pas d’un bon œil, la plupart des Puseyistes ont ouvertement embrassé le catholicisme.

Tous les collèges ont des jardins ou des parcs, de sorte qu’il est impossible de trouver une même ville ayant autant de promenades et d’aussi belles.

Oxford possède encore plusieurs halls, édifices pour loger les étudiants, plusieurs bibliothèques parmi lesquelles la Bodléienne, comptant plus de deux cent mille volumes et vingt-cinq mille manuscrits, une belle galerie de tableaux, un musée d’histoire naturelle, un jardin botanique médiocre.

Cette ville fut prise d’assaut en 1067 par Guillaume. Elle devint pendant quelque temps l’une des résidences des Rois; c’est là que furent rédigées en 1258 les Provisions dites d'Oxford. Charles Ier s’y retira pendant la guerre civile.

JOURNAL DE SUZETTE

Ma consolation ici, c’est la gouvernante, Miss Emily, une jersiaise, d’origine bretonne, parlant français. Il est facile de voir que la perfide Albion ne tient aucune place dans son cœur. Elle aime sa maîtresse qu’elle sert fidèlement depuis 30 ans, mais elle n’aime pas les Anglais. Elle a la permission de me montrer la ville et nous faisons de jolies promenades ensemble.

Je désespère de pouvoir faire la description d’Oxford, je ne connais rien à l’architecture, et je crois que lorsque j’aurais dit c’est beau, je ne pourrais que m’arrêter. Cependant je vais faire de mon mieux.

La ville est très grande, bien percée, propre, mais ce qui fait sa gloire ce sont ses nombreux collèges, tous plus beaux les uns que les autres, bâtis dans le genre de nos vieux châteaux français, comme celui de Josselin, par exemple. Tous sont recouverts de lierre, de vignes vierges et entourés de parcs charmants où l’on peut se promener; ces parcs se composent d’allées ombragées de beaux arbres et de pelouses. On ne trouve guère de fleurs que dans les jardins particuliers.

Oxford, malgré sa réputation de jolie ville, manque de gaîté. Jusqu’ici les villes que j’ai vues me paraissent tristes. Les maisons estompées de briques rouges sont ternes. Cela tient sans doute à la couleur grise du ciel, et à celle des pierres couleur du ciel. On ne crépit pas les maisons, on ne les blanchit pas davantage, je trouve qu’on voit trop la carcasse. Oxford compte trois mille étudiants que l’on reconnaît facilement à leur costume très drôle. Ils portent un énorme manteau flottant, et un chapeau, dur comme un morceau de carton, de forme carrée, orné d’un gland, qui leur tombe sur le nez avec toute la grâce imaginable. Si j’en ai le temps, j’habillerai une poupée en étudiant, pour la rapporter en France.

Avant-hier, par curiosité, j’ai accompagné Miss Emily à un service protestant. Un ministre à l’air digne, une baguette de cuivre en main, nous a placées dans un banc.

Il y avait peu de fidèles, mais ils avaient l’air très pénétrés et se tenaient respectueusement.

Quand le ministre jetait les yeux de mon côté, je baissais les miens sur mon livre, une bible imprimée en anglais à laquelle je ne comprenais rien, bien entendu. J’ai trouvé les chants pleins de douceur et de suavité. Il y avait des choristes habillés comme les nôtres, les ministres portaient des espèces de chapes noires bordées d’hermine. J’ai aussi été très édifiée à l’église catholique: les fidèles me semblent plus pieux, plus recueillis qu’en France et pendant les offices restent presque toujours à genoux.

Miss Emily m’a demandé si je voulais visiter les collèges; les collèges, ai-je répondu, je veux bien en visiter un et cela me suffira, car je pense que tous les autres sont à peu près pareils; mais ce que j’ai vu avec plaisir ce sont les grands parcs qui les entourent, celui du collège Keble est particulièrement beau.

Je suis allée voir jouer une partie de lawn-tennis, ce qui m’a bien amusée. Ce jeu fort en vogue a ici détrôné le croquet; c’est la distraction préférée des étudiants. On bataille beaucoup, la raquette en main, on s’amuse, on s’agite, et l’on attrape grand chaud. Ce devrait être le jeu hygiénique de l’hiver pour se réchauffer. Les Anglais sont absolument passionnés pour ce jeu et le Daily-News enregistre leur succès à ce sujet.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE III
Brood-Way, Le Musée, La Mésopotamie

Brood-Way, c’est-à-dire large voie, est une allée plantée d’ormeaux magnifiques, et les plus grands qu’on connaisse; leur réputation est, paraît-il, européenne.

Le musée d’histoire naturelle que je viens de visiter doit être bien intéressant pour les savants et les étudiants en médecine: des pierres, des silex de toutes sortes, richesses minéralogiques, attendent les premiers, les seconds trouvent des cerveaux, des cœurs, des foies conservés dans de l’esprit de vin, des animaux, corps de girafes gigantesques, d’éléphants monstrueux, de baleine immense, où un ménage pourrait se loger à l’aise et s’installer un appartement complet; enfin, sujet profond d’étude, un millier de crânes humains de tous les pays, et on pourrait presque dire de toutes les formes, et quelques squelettes; en contemplant l’ossature humaine effrayante et attristante tout à la fois, ces vers de Victor Hugo, je crois, me revenaient à la mémoire:

 
Squelette, où se trouve ton âme?
Foyer, qu’as-tu fait de ta flamme?
O cage vide qu’as-tu fait,
De ton bel oiseau qui chantait?
 

Nous sommes revenues par la Mésopotamie, cette Mésopotamie ne se trouve pas entre le Tigre et l’Euphrate, quoique entre deux rivières sillonnées de barques pompantes et coquettes traçant leur léger sillon sur les eaux; c’est une promenade. Ses berges étaient garnies de pêcheurs à la ligne gardant une immobilité absolue, raides comme une trique et me faisant penser à ces définitions quelque peu irrévérencieuses et si souvent reproduites de la pêche et des pêcheurs à la ligne.

Dans la rue Magdalen se trouve une croix horizontale qui marque la place où furent tués deux prêtres, sous le règne d’Elisabeth, toujours si cruelle envers les catholiques.

Il paraît qu’ici on voit continuellement surgir de nouvelles religions. Hier, un bonhomme, la vivante image du vieux Christmas, qu’on dessine dans les gravures, cheveux blancs, comme des flocons de neige, immense barbe givrée jusqu’au genoux, pérorait d’une voix enrouée en frappant de toutes ses forces sur une bible. On aurait dit qu’il voulait faire entrer tout ce qu’il débitait, à coups de poings, dans l’esprit de ses auditeurs. Il était très entouré.

On compte, paraît-il, en Angleterre, cent quatre-vingts sectes différentes. Voilà bien des moyens pour arriver au ciel; il me semble même qu’il y en a trop pour qu’ils soient tous bons.

JOURNAL DE SUZETTE

A Oxford aussi les magasins se ferment de bonne heure; il n’y a aucun agrément à se promener le soir dans les rues; ce n’est pas comme en France, où on a l’éblouissement des beaux étalages bien éclairés. Ici le samedi est comme à Jersey très mouvementé, tout le monde fait ses provisions et court les magasins et les marchés. Le dimanche on semble confit en dévotion, tout mouvement cesse, sauf celui des cloches qui carillonnent à vous rompre la tête.

Le grand marché couvert d’Oxford est très intéressant, tout y est beau et de bonne qualité, mais d’un prix!.. La viande, magnifique, un peu grasse, peut-être, mais fort appétissante est bien plus chère qu’en France. Et le poisson donc! Etre planté au milieu de la mer, et payer le cent d’huîtres vingt-cinq francs, c’est raide! Les fruits sont inabordables, beaucoup viennent de France, et on les paie en conséquence. Du reste, c’était bien un peu comme cela à Jersey et à Guernesey, où les habitants tout en n’ayant pas l’air de se croire anglais, se montrent tout aussi grasping que ceux de la mère-patrie. L’eau est mauvaise et empâte la bouche. Je m’abreuve de thé, que j’aime heureusement. Le pain ordinaire est détestable, je l’ai déjà dit. Il y a bien un pain de luxe, le pain viennois, qui est très bon, mais on ne le sert qu’à la table des maîtres.

Miss Emily me fait goûter de tout. Le fameux whisky est détestable à mon goût; en revanche, j’ai trouvé le sherry fort bon. J’ai bu du gin; cette sorte d’eau-de-vie coûte aussi cher que le rhum, ce qui n’empêche pas les femmes du peuple d’en boire jusqu’à l’ivresse. Je ne ferai pas de folies pour le gin. Je ne sais quels ingrédients on y ajoute, mais on y trouve amalgamés ensemble trois parfums bien différents et qui semblent sortir de chez le coiffeur, de chez le pharmacien et de chez le liquoriste, le tout bien sucré. Pour être juste, je dois reconnaître que le goût d’anisette domine. C’est blanc comme de l’eau, et point capiteux du tout. Je pense qu’il faut en boire à haute dose pour se griser. Ce qui est bien meilleur, c’est le cidre de Devonshire, mais il est très cher.

La cuisinière nous a fait manger hier une conserve d’Amérique: une langue de panthère ou de kanguroo, je ne sais plus au juste. C’était détestable! L’indépendante Amérique empoisonne sa petite sœur anglaise de toutes ses conserves de viande et de poisson, tout en les lui faisant payer cher.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE IV
Mœurs anglaises

Mon amie me donne des détails fort intéressants sur la société anglaise, sur les coutumes mondaines et religieuses. Elle m’a même promis des notes prises sur le vif, et écrites par elle, il y a quelques années. Certes, je lui rappellerai sa promesse avant de partir.

Voici donc quelques détails sur l’aristocratie.

La noblesse vient sans doute, à Londres, mais elle habite beaucoup plus ses terres que la ville. La noblesse anglaise est rurale, comme la bourgeoisie anglaise est commerciale. L’amour des voyages existe dans toutes les classes.

La saison brillante de Londres dure trois mois: mai, juin, juillet. Pendant ces trois mois, tout sujet de sa gracieuse majesté, appartenant au grand monde par sa naissance, sa fortune, sa position, se croit absolument obligé de venir dans la capitale, et de s’y montrer, c’est un point d’honneur pour lui.

Cette grande noblesse anglaise, fondée sur la hiérarchie est d’une puissance énorme. Elle n’a point été réduite en poussière comme le fût la nôtre, suivant l’expression énergique du premier Consul Bonaparte.

En ces dernières années cependant, elle s’est laissée entamer par la juiverie. Oui, les juifs sont enfin parvenus, – la force de l’argent est irrésistible, – à pénétrer dans l’aristocratie anglaise, si pleine de morgue et d’orgueil. Il y a maintenant à Londres un lord Rothschild. Quelle révolution sociale et politique dans ce titre rapproché de ce nom! Un demi-siècle a suffi pour l’accomplir. Se douterait-on qu’il y a à peine cinquante ans, il existait encore dans la législation anglaise, un statut tombé en désuétude, il est vrai, un statut qui obligeait les juifs à porter un costume distinctif.

Les gens qui habitaient Londres de 1848 à 1858 se souviennent d’avoir vu le père de lord Rothschild, le baron Lionel, élu député par la Cité de Londres, se présenter chaque année à Westminster pour prendre possession de son siège et chaque fois être repoussé parce qu’il ne pouvait prêter serment «Sur la foi d’un chrétien,» comme l’exigeait la loi.

Enfin, en 1858, on changea la formule, et il put entrer.

Et voici qu’aujourd’hui le fils du député si longtemps relégué à la porte de la Chambre des Communes, est entré dans la Chambre des Lords, l’assemblée la plus fière de l’univers, et qui naguère n’avait pas assez de dédain pour les juifs.

On n’a pas oublié dans les salons de Londres la saillie de M. de Talleyrand, alors ambassadeur de France, qui, remarquant dans une soirée donnée par lui, la présence du duc de Montmorency et celle de M. de Rotschild, que l’empereur d’Autriche venait d’anoblir, s’écria: «Nous avons ici le premier Baron chrétien et le premier Baron juif.» Et cette coutume s’est enracinée, les chrétiens vont danser chez les juifs, séduits et éblouis par le faste de leurs réceptions.

En général, les jeunes Anglais sont fanatiques des exercices corporels. Ils aiment beaucoup la danse, plus même peut-être que les jeunes filles. Le prince de Galles leur donne l’exemple; valseur émérite, il ne dédaigne pas les invitations de la haute noblesse et danse jusqu’à trois et quatre heures du matin, dans les bals qu’il honore de sa présence.

Les énormes fortunes de l’aristocratie, de l’industrie et du haut commerce, donnent des fêtes, des raouts d’un luxe inouï; il n’est pas rare de commander pour douze ou quinze mille francs de fleurs et de plantes vertes, pour une réception d’apparat. Les angles des appartements, les fenêtres, les cheminées, sont remplis de palmiers, fougères, camélias, etc.; les rampes des escaliers, les chambranles des portes, sont enguirlandés de jasmin, de lilas, de mimosa; aux plafonds, se balancent entre les lustres, de grosses lanternes rondes de cristal, éclairées intérieurement et revêtues d’azalées, de clématites, ce qui fait l’effet de boules de fleurs lumineuses. La musique sort de bosquets verdoyants et parfumés et le service, comme élégance et confort, ne laisse rien à désirer. Voilà les fêtes que se donne, pendant la saison, la riche Angleterre.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame m’a donné la permission d’aller avec Miss Emily à deux fêtes du pays, aux régates d’Oxford et au bal champêtre de Wourcester.

Les régates ne m’ont point divertie. Pour s’y rendre, c’était un tohu-bohu effrayant; une foule énorme, bariolée de toutes couleurs, marchait, parlait, gesticulait, mais je ne comprenais rien; je ne connaissais personne, je ne m’intéressais à aucun bateau, et ce n’était guère amusant. Ce dont je me souviens le mieux, c’est qu’on a passé une immense coupe pleine de Champagne, en buvait qui voulait. Il est vrai que nous étions sur un bateau réservé, c’était sans doute une galanterie des personnes qui l’avaient loué. En revanche, j’ai trouvé très à mon goût la fête champêtre.

A six heures nous entrions dans le parc des jeux où nous nous sommes trouvées au milieu d’un grand nombre de jeunes filles toutes habillées de rose, de blanc, de velours, de fourrures, etc., puis, pour faire face à ce bataillon féminin une poignée de jeunes gens à l’air aussi penauds que des renards pris aux pièges.

Dame! leur frayeur se comprend, attendu que les jeunes filles ont à pourvoir seules à leur avenir et dans ce pays-ci le sexe faible étant plus nombreux que le sexe fort attaque celui-ci pour le bon motif, bien entendu.

En thèse générale les hommes sont toujours en garde contre les femmes, ils les fuient dans les rues; car c’est une grande imprudence qu’ils commettent en répondant à une femme qui semble, par exemple, demander un simple renseignement: ça peut être un traquenard, et s’ils lui parlent, elle peut s’écrier qu’il y a injure et demander une somme considérable, cela n’est pas rare.

C’est sans doute une des raisons qui rendent les hommes si peu polis. Ensuite ils ne peuvent pas saluer sans y être autorisés, les femmes font d’abord un petit mouvement de tête, c’est le signal approbateur qui permet aux messieurs de tirer leur chapeau. Autre pays, autres mœurs, mais revenons à la fête.

Jusqu’à sept heures une petite musiquette, ressemblant à celle que l’on joue au cirque, a charmé les oreilles des assistants; puis la danse a commencé. Les jeunes filles étaient obligées en grand nombre de se transformer en cavaliers, car il y avait disette de danseurs. Tout ce monde danse parfaitement et très convenablement; ce qu’on peut reprocher, c’est trop de raideur, cela ôte la grâce et me faisait penser, la musique aidant, aux marionnettes si jolies de France. Vers la nuit, l’animation a commencé un peu; pour tout éclairage, deux grands lampions de chaque côté de la tente des musiciens, le reste du parc était éclairé par la lune. Je crois que les nuages qui la voilaient de temps en temps, faisaient bien l’affaire des amoureux. Une autre tente servait de buvette; c’est là qu’après les danses, on venait se raffraîchir. Tout en promenant et regardant, Miss Emily m’a encore donné d’autres renseignements sur le peuple anglais que j’étais très contente de voir de près.

En Angleterre, la femme est considérée comme inférieure et le mari regarde son épouse comme sa première servante; elle n’a pas comme en France une certaine influence sur son seigneur et maître. Les fils eux-mêmes, en grandissant, n’ont pas le respect que les enfants de France témoignent à leur mère; ils ne l’embrassent jamais. Chez eux les instincts sont développés, mais pas le cœur.

Je ne lâchais pas le bras de Miss Emily, j’aurais eu peur de m’égarer; ensuite je me demandais si dans cette foule compacte il n’y avait pas quelques pickpockets. Rassurez-vous, me disait Miss Emily en riant; on n’entend pas parler de voleurs à Oxford. Saint Patrick a sans doute fait ici à l’égard des voleurs, ce qu’il fit jadis en Irlande, à l’égard des grenouilles… Elles y sont inconnues.

C’est égal, dès qu’on me frôlait, je portais instinctivement ma main à ma poche, pour voir si mon porte-monnaie était bien à sa place.

En revenant, Miss Emily m’a parlé de la fête de Saint Patrice, cet apôtre venu de la Gaule pour convertir l’Irlande, et qui fit de cette dernière une île de Saints.

Partout où ils sont, les enfants d’Erin célèbrent la fête de leur saint patron. La plupart d’entre eux assistent à la messe ce jour-là. On les reconnaît aux rubans verts, dont ils ornent leurs coiffures, ainsi qu’aux touffes de trèfle qu’ils portent, – les hommes à leur boutonnière, les femmes à leur corsage. (On sait que saint Patrice s’était servi d’une feuille de cette plante pour donner aux Irlandais idolâtres une idée du mystère de la Trinité).13

La tradition dit que saint Patrice ayant demandé à Dieu qu’il fît beau le jour de sa fête, afin que tous les Irlandais pussent aller à l’église, sa prière fut exaucée. Il ne pleut jamais en Irlande le 17 mars.

Mais s’il ne tombe pas d’eau, d’autres liquides coulent à flots. L’enthousiasme fait parfois oublier la tempérance, et il arrive que saint Patrice a lieu d'être mécontent de la façon dont certains de ses enfants célèbrent sa fête.

JOURNAL DE MADAME
12.On cite comme venant après ce service, celui du palais impérial de Saint-Pétersbourg, et le service à dessert de Sèvres, de Lord Oxenbridge, qu’on estime 250.000 francs.
13.Dernièrement, le grand juge d’Angleterre (Lord Chief Justice), lord Russell de Killowen, qui est Irlandais et catholique, est entré dans la salle d’audience, portant une magnifique touffe de trèfle sur sa robe rouge fourrée d’hermine.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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