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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 11

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CHAPITRE III
Principaux quartiers de Londres, Ses plus belles rues, Ses monuments, Westminster, quartier excentrique, Le 18 juin à Londres, Portrait de l’Angleterre

On partage Londres en six parties principales: au centre la Cité, la partie la plus ancienne de la ville, siège de tout le commerce, c’est le quartier que je préfère, il me rappelle Paris par son mouvement, ses magasins.

Westminster et West-End, quartiers de la Cour du beau monde, des administrations, du Parlement et des gens de Justice; East-End bâti dans la seconde partie du siècle dernier, consacré surtout au commerce maritime; Southwark et Lambeth, quartiers des manufactures, et enfin le quartier du Nord tout moderne et qui englobe plusieurs villages. La ville est assez régulièrement bâtie, mais les maisons en général ne sont pas très hautes; Londres pouvant s’étendre en surface ne cherche point à s’agrandir en hauteur. Les plus belles rues à mon avis sont: Piccadilly, Oxford, Regent’s-Street, Pall-Mall, Portland, Holborn, le Strand et beaucoup d’autres dont je ne songe pas à faire la fastidieuse énumération, les ponts sont très beaux, on cite particulièrement les ponts de Waterloo, Westminster, Black-Friars, Southwark et le nouveau pont de Londres; le tunnel sous la Tamise m’a fort intéressée. Les docks qui reçoivent vaisseaux et marchandises sont magnifiques. On trouve un grand nombre de squares fort agréables. Les parcs et les jardins sont remarquables par leurs dimensions surtout; les plus beaux sont le parc St-James, Hyde-Park, Régent’s-Park, Green-Park, Pall-Mall, le Vauxhall, le jardin Zoologique. Parmi les monuments, il faut citer la cathédrale de St-Paul, l’abbaye de Westminster bâtie sous Henri III et Edouard Ier, sépulture des rois et Panthéon des grands hommes d’Angleterre, les églises de St-Etienne, St-Georges, St-Martin, St-Jean, l’évangéliste et l’église catholique des Pères de l’Oratoire à l’est de Kensington-Muséum le plus bel édifice de la Renaissance à Londres; le palais de l’Archevêque de Cantorbéry, les palais de St-James, de Buckingham, de Kensington, de Carlton-House, la Tour de Londres, ancienne prison d’Etat qui contient aujourd’hui un musée d’armes et les joyaux de la couronne. Beaucoup d’hôtels: hôtel de la Douane, de la Monnaie, l’hôtel de la Compagnie des Indes, la Banque, la Bourse, le Trésor, les Universités, les hôpitaux, les prisons, les théâtres dont les principaux sont: Drury-Lane, Covent-Garden, l’Opéra italien et le Diorama.

Londres qui est la capitale commerciale du globe, n’était qu’une bourgade sous les Romains. A diverses reprises elle éprouva de grands désastres, une épouvantable famine en 1258, une cruelle épidémie en 1665, et, l’année suivante, un terrible incendie qui consuma trente mille maisons. Cet incendie eut le même résultat que celui de 1620 dans notre vieille capitale bretonne. Comme l’oiseau fabuleux, Rennes et Londres sortirent de leurs cendres plus belles qu’auparavant.

Nous avons pris le chemin de fer souterrain où, entre parenthèse, on ne respire pas très à l’aise, et nous sommes arrivées à Hyde-Park, ce fameux Hyde-Park, dont je m’étais fait une idée magique, m’a causé une désillusion. C’est immense, voilà tout. Les arbres ne sont pas très beaux, et en ce moment les gazons sont brûlés, seul le lac est fort joli, l’allée des cavaliers et des amazones offre aussi un agréable coup d'œil; cependant la partie appelée Kensington au sud du parc est très belle et plantée de beaux arbres, d’ormeaux principalement; c’est dans cette partie que se trouve le palais, d’apparence bourgeoise, qu’occupent les vieilles dames d’honneur de la Reine lorsque l'âge de la retraite a sonné pour elles.

Le monument érigé en mémoire du prince époux est magnifique, il se trouve dans le parc à l’endroit le plus ombreux et le plus favorisé par la végétation. Ce monument représente le prince Albert plus grand que nature, entouré de quatre groupes: l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. Ces statues sont en bois recouvertes de plâtre, aussi sont-elles déjà fort abîmées quoique peu anciennes. Il est regrettable qu’une si belle composition n’ait pas été exécutée avec le granit ou l’airain, elle aurait pu défier les ravages du temps.

Regent’s Park me semble aussi vaste que Hyde-Park et présentant comme lui cette même beauté simple, grandiose, cependant qu’offrent les immenses pelouses d’émeraude et les grands arbres aux épaisses ramures, mais à la longue cela devient un peu monotone.

«L’ennui naquit dit-on de l’informité»

et je leur préfère bien le bois de Boulogne.

Les Anglais possèdent une perle qui, je le crains, n’a pas son égal en France. C’est Westminster-Abbey, un merveilleux palais de dentelle d’une immense étendue, avec accompagnement de tours élevées. Il se divise maintenant en deux parties, l’Abbaye proprement dite et le Parlement d’une splendeur et d’une richesse hors ligne.

On ne voit que chêne sculpté, peintures, tapisseries. La chambre du palais Bourbon paraît bien bourgeoise en comparaison de la chambre des pairs anglais. On ne peut visiter que le samedi, et encore faut-il une carte de lord Chamberlain.

Abbaye et Parlement ont été bâtis par les moines au temps où l’Angleterre était l'île des saints.

L’Abbaye est aussi splendide, c’est là, comme je l’ai dit, que reposent les rois d’Angleterre (sauf Henri VIII qui est à Windsor auprès de Jeanne Seymour) et les grands hommes qui ont illustré leur pays. Toutes les statues des tombeaux sont en marbre, il y a des groupes magnifiques, le chœur est en chêne sculpté à jour. On y voit des drapeaux de bien des pays, à commencer par les bannières des croisés, des armoiries de tous les seigneurs anglais, enfin, tout ce qui peut flatter la vanité humaine, l’orgueil d’un peuple le plus orgueilleux de la terre et qui se croit le premier partout. Quelle erreur! Le veau d’or est son Dieu, et gagner de l’argent est sa seule supériorité; c’est le fruit de son esprit mercantile, et, de ce côté là, je reconnais qu’il est allé très loin, mais sous le rapport des arts il n’est point en avant et sous le rapport de l’élévation des sentiments il est fort en arrière: la bonne foi, la justice, la vraie dignité de l’honneur et de la délicatesse le laissent fort indifférent; l’égoïsme féroce est son guide; pourvu qu’il arrive à son but, faire fortune, tous les moyens sont bons, la réussite les justifie. Il dédaigne toutes les nations, et particulièrement la France. Il faudra certainement qu’un jour ce peuple soit abaissé.

 
Jusques à quand, peuple farouche,
Vivras-tu de haine et de fiel?
 

Comme contraste, j’ai quitté Westminster pour parcourir en voiture un quartier excentrique, un de ces quartiers où jamais millionnaire n’a songé à habiter. A l’extrémité orientale de Londres se trouvent des régions très vastes, très peuplées, très mal connues, et dont la réputation n’est pas bonne.

«Toute cette partie est une métropolis à part – celle du travail manuel – aussi énorme, plus extraordinaire que l’autre, qu’elle fait vivre, qu’elle ignore et qui ne la connaît pas – ou qui la découvre par les divinations intermittentes de la charité privée.

Whitechapel est surtout le quartier du travail. Les métiers surabondent dans le fourré de ruelles qui écoulent sur la grande rue, dans les soirs d’été, une population drue, pullulante, énervée, secouée par des besoins d’espace, d’air, de tapage et de divertissement. Les femmes y portent souvent des chapeaux à plumes avec des caracos d’indienne troués, et c’est d’une esthétique fâcheuse.

A mesure que l’heure s’avance, les retardataires retrouvent les noctambules sur les trottoirs ou dans le ruisseau.

Hommes et femmes se rejoignent dans les tavernes, c’est là qu’ils vont finir la journée et ce spectacle n’a rien de réjouissant ni de rassurant.»

Du côté de la cité il y a aussi des quartiers infects tout ce qu’on peut imaginer de plus horrible, sorte de cour des miracles comme autrefois à Paris. A moins d'être en nombre, les policemen même n’osent pas y aller; un ou deux s’aventurant là n’en reviendraient pas, on les ferait disparaître suivant l’expression de Suzette, comme de simple muscade.

Je trouve que la cuisine laisse fort à désirer. Pour bouillon on vous sert du Liebig qui ressemble à de la colle un peu claire et on vous vend cet empoisonnement quarante-huit sous, et quelle patience il faut: on se met à table à sept heures et l’on mange à huit. Volontiers j’écrirais comme Voltaire qui revenait furieux d’avoir si mal mangé en Angleterre: «C’est à Londres qu’il faut aller pour jeûner, et que penser d’un peuple qui compte quatre-vingt-dix cultes et une seule sauce!» N’est-ce pas M. de Lauraguais qui disait à son retour de Londres: «l’Angleterre, c’est un pays où il n’y a de fruits mûrs que les pommes cuites, et de poli que l’acier, et il ajoutait pour compléter le tableau: à Londres il fait huit mois d’hiver et quatre mois de mauvais temps.» Sans doute ce sont là des boutades fort spirituelles, mais aussi fort exagérées. Il y a eu chez nos voisins progrès dans l’art culinaire comme en toutes choses, cependant le sceptre de la cuisine raffinée reste à la France comme le sceptre de la mode. Pour tout ce qui est futile et charmant à la fois, nous n’avons pas de rivaux.

Aujourd’hui je ne trouve plus exagéré ce qu’un ami m’écrivait de Londres à la date du 18 juin:

«Les Anglais sont en liesse ces jours-ci: ils appellent ces petites fêtes le culte des gloires nationales; en fait de gloires, les Anglais ne sont pas difficiles. Ils célèbrent chaque année l’anniversaire de la défaite de l’Armada, détruite par une tempête en 1588; de plus, ils se sont adapté Waterloo, comme ils se sont adapté les romans, les pièces de théâtre… Leurs histoires ad usum studiosæ juventutis feraient la joie de l’univers si l’on s’amusait à la lire de l’autre côté de la Manche. Ce ne sont que succès, ce ne sont que conquêtes et l’on se garde bien de mentionner qu’on était cent contre un dans ces lâches coalitions décorées du nom de victoires. Parlez-moi de la gloire de l’armée anglaise en Zoulouland, chez les Boers, en Egypte… Voilà de vrais succès, et bien digne de la grande nation désagréable.

«Quant à la bataille d’Yorktown, ce Waterloo anglais, qui, en 1791, a assuré l’indépendance de l’Amérique, les historiens du jingoism daignent à peine en parler… Ce système, du reste, a du bon, puisqu’il donne ici à la jeune génération cette absolue confiance en soi, ce mépris inouï pour le reste du monde, ce souverain dédain pour tout ce qui n’est pas l’Angleterre.»

«Aujourd’hui Waterloo-Day, une trentaine de régiments, les Horse-Guards, les Coldstream Royal Highlanders, etc., etc., ont paradé solennellement; tous leurs drapeaux sont cravatés de guirlandes de laurier. Ce soir, les officiers banquetteront ferme, dans les casernes l’on chantera force couplets patriotiques sur l’air-scie de Ta-ra-ra-Boom! de ay!

Et ces petites fêtes recommencent souvent, il n’y a d’ailleurs pas de raisons pour que cela finisse.

«Le 18 juin il faut absolument que l’Angleterre se gobe. Avec un tact infini, tous les insulaires que j’ai rencontrés aujourd’hui m’ont lancé ce brocart: What about the battle of Waterloo?»

«Il n’y avait qu’une chose à leur répondre: What about the battle of Yorktown? cela ne rate jamais son effet. It is a tit for tat. It shuts them up. Cela leur rive leur clou.»

«L’étranger qui arrive à Londres et qui débarque à Waterloo-station, prend un cab qui traverse Waterloo-Street, Waterloo-Place, Waterloo-Bridge et qui le conduit à Waterloo-Hôtel, Waterloo-Square. Dans l’antichambre ou hall, une réduction du Lion de Waterloo; dans les chambres à coucher, des bustes de Wellington; dans la salle à manger, des tableaux représentant l’armée française en déroute. Au menu du dîner figurent des bombes… glacées à la Waterloo, et si avant de vous coucher vous désirez prendre un verre de vin mousseux, votre stupéfaction ne connaîtra plus de bornes, quand le garçon vous apportera une bouteille revêtue de l’étiquette: Waterloo-Champagne!»

«C’est un vrai cauchemar. On rêve de Waterloo toute la nuit et quand vous vous éveillez le matin, on vous apporte du Waterloo-chocolate, du Waterloo-soap pour vous laver les mains, vous trouvez le plan de la bataille jusque dans les W… – C… et pour comble le chien de l’hôtel a nom… Waterloo! Et il n’est pas muselé!»

«Quelle douce chose que cette confiance en soi, qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas d’armée, une nation forte; qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas de religion, une nation croyante; qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas de mœurs, une nation très morale (à la surface); qui fait de l’Angleterre, qui n’est pas monarchique, une nation essentiellement dévouée à la dynastie victorienne.»

Décidément, Paris et Londres sont deux villes bien différentes et qui ne se copient nullement. Même contraste existe dans le caractère des deux nations: le fond du caractère français est plein de bonhomie, le fond du caractère anglais est plein de morgue. En France, les jeunes filles sont surveillées; en Angleterre, elles sont libres, une fois mariées leur situation respective change, les jeunes femmes françaises deviennent libres, et les jeunes femmes anglaises cessent de l'être.

Le cocher parisien prend sa droite et s’asseoit sur le devant de la voiture, le cocher anglais prend sa gauche et s’asseoit derrière sa voiture pour la conduire.

Paris est une ville agglomérée, Londres est une ville très espacée; l’aspect de Paris, bâti en pierres blanches, est gai; l’aspect de Londres bâti en pierres et briques rouges, est sombre; à Londres les maisons sont basses et habitées par famille, à Paris elles sont hautes et habitées par étages. Les besoigneux de Paris en parlant du Mont-de-Piété disent «ma tante», ceux de Londres disent «mon oncle.»

Les Anglais sont froids mais polis, les gens de service sont bien stylés et les gens du monde surtout lorsque vous leur avez été présentés sont remarquables par leur serviabilité. Ceci est l’Anglais pris individuellement, car, en principes, l’Angleterre est l’ennemie de la France. Elle lui a toujours été contraire et souvent néfaste. C’est elle qui, après avoir ameuté toute l’Europe contre Napoléon Ier se chargea simplement de le mettre en prison à Sainte-Hélène. Sous Louis-Philippe elle témoigna la même hostilité sourde à la France: par exemple elle la trouva bonne pour faire la guerre de Crimée et y dépenser son or, son sang et lui rendre service, mais en 1870 quand elle nous vit écraser par l’Allemagne, elle ne nous accorda pas une seule petite note d’intervention diplomatique; impassible, elle assistait à nos désastres avec calme et sérénité.

«Prendre la défense de la France: Oh! no, no, je n’y ai aucun profit, répondait la juste et tendre Albion. On le sait, d’ailleurs, les Anglais ne se batteront jamais pour un principe, pour une idée chevaleresque; mais, pour leur seul intérêt.

Mettez-vous en avant, mes petits amis, disent les Anglais aux autres peuples, brûlez-vous les doigts pour rôtir et peler les marrons, nous nous trouverons à point pour les manger ensuite.

Gaspard de Saulx-Tavannes écrivait, dès 1546, ce qui suit:

«Les Anglais se sont conservés en troublant leurs voisins. Il y a trente ans qu’ils entretiennent la guerre civile en France et en Flandre, désirant épuiser l’argent de l’un et de l’autre, et voilà trente ans aussi qu’ils meuvent les guerre entre les Espagnols et les Français, sèment, dilatent, embrasent le feu et le sang en la maison d’autruy pour faire prospérer la leur.»

«Trois siècles ont passé sur cette définition de la politique anglaise sans l’affaiblir: voilà ce qu’elle était hier, voilà ce qu’elle est aujourd’hui, voilà ce qu’elle sera demain.»

Je termine mon chapitre par cet autre portrait si vrai de l’Angleterre.

«Le peuple romain fut guerrier, théologien et légiste; le peuple anglais est un peuple de commerçants, de jurisconsultes et de théologiens.

«L’un et l’autre sont esclaves des formules religieuses et des formules légales, à tel point qu’ils n’osent former la plus légère entreprise sans leur appui.

«Mais donnez-leur une formule ou une interprétation même pharisaïque, qui les mette en paix avec leur conscience, et vous les verrez tenter les usurpations les plus prodigieuses, commettre les crimes les plus horribles.

«Pour le peuple anglais, il n’existe que deux races dans le monde: la race humaine et la race anglaise, la première, abjecte, la seconde, très noble.

«Dieu mit la race humaine en possession de tous les continents et de toutes les mers, puis il créa la race anglaise pour la mettre en possession de la race humaine.

«Quand le peuple anglais ouvre la main et prend un empire, comme l’aigle ouvre sa serre et prend une colombe, vous avez beau chercher, vous ne trouverez pas sur sa physionomie la trace que laisse le remords sur la face de l’usurpateur, mais, au contraire, vous y remarquerez le signe de satisfaction d’un homme qui recouvre son bien.

«En entrant dans une ville qu’il met à feu et à sang, le peuple anglais est plus sûr de son droit que la cité même qui se défend contre lui.

«Ce peuple est le symbole de l’égoïsme humain en adoration devant lui-même et élevé par l’extase à sa dernière puissance.

«Et que va faire en Italie ce grand peuple avec son égoïsme gigantesque?

«Il y va faire ce qu’il fait en Portugal, en Espagne, en Grèce9.

«Il va jeter les bases de sa domination sur les ruines des autres dominations.»

Voilà le portrait.

Quel est le peintre?

Donoso Cortès, dans son appréciation du règne de Pie IX.

JOURNAL DE SUZETTE

Les distances sont énormes à Londres; voilà trois jours que nous roulons du matin au soir. Madame appelle cela voir Londres à vol d’oiseau, moi j’appelle cela voir Londres à vol de cab.

Le cab est une petite voiture à deux places, à deux roues, avec capote et siège derrière d’où le cocher conduit.

Dans les hôtels et restaurants, le service se fait fort lentement. On attend des petits quarts d’heure qui finissent par faire une heure. Notre impatience française est mise à rude épreuve, les Anglais attendent fort calmes devant leur assiette vide; leur soupe ici est une affreuse colle qu’il est impossible d’avaler, ils ignorent la saveur agréable et bienfaisante d’un bon consommé. Au second potage de ce genre, Madame a juré sur la soupière de n’en jamais redemander; par exemple, le rôti de bœuf est excellent, les cuisiniers indigènes feraient bien de s’en tenir là, ils n’ont aucune idée de ce qui est associable en cuisine, ni des mélanges savoureux, et je ne serais pas étonnée de voir un morceau de lard ayant mijoté pendant douze heures dans une purée d’oignons et de groseilles vertes se présenter ensuite entouré d’une ceinture de gelée d’abricots.

Même assemblage aussi ridicule dans les toilettes robe blanche en mousseline et pèlerine de fourrure. Les petites bourgeoises s’en vont ainsi costumées au marché, comme on le voit, l’été et l’hiver, promener continuellement bras dessus bras dessous. Malgré leurs chapeaux patagoniens, les femmes pour la plupart sont jolies.

Beaucoup de vieilles Anglaises, celles qui ont abdiqué toute coquetterie, portent les cheveux courts, coupés en brosse. C’est commode, mais ce n’est pas seyant. En somme, on voit plus de femmes jolies qu’en France, mais elles ont moins de physionomie et moins d’élégance, il leur manque la grâce, plus belle encore que la beauté.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE IV
Mariage salutiste

Aujourd’hui, repos complet; en ma qualité d’étrangère, la maîtresse d’hôtel pensant m'être agréable m’a offert une place pour assister à un mariage salutiste, je n’ai eu garde de refuser. Un mariage salutiste est un friand morceau qu’il n’est pas donné à tout le monde de savourer.

Voici dans tous ses détails cette cérémonie d’un nouveau genre.

«L’armée du Salut s’est mobilisée en masse, pour assister à la bénédiction du mariage de deux de ses hauts dignitaires.

Dès deux heures et demie, il n’y a même plus un petit banc de disponible au quartier général.

La maréchale Booth préside, assistée du commissaire général Clibborn, son époux dans le Seigneur. La salle est brillamment pavoisée d’étendards de tous les pays; Anglais, Russes, Américains, Français, Suisses, etc., tout l’état-major salutiste est là.

On entonne la Marseillaise du Salut… avec accompagnement de cimbales et de grosse caisse… Zim, boum, boum…

Le général Clibborn se lève, invoque Jésus et fait l’éloge des nouveaux époux. Le héros de la cérémonie, le marié porte le jersey rouge sans ornements.

A côté de la maréchale, se tient une toute jeune fille, au long visage pâle, mystique, encadré d’une chevelure brune; son pur profil, d’une candeur pensive, rappelle les vierges d’Overbeck. Elle est vêtue d’une robe noire en fourreau, tête nue; sur sa poitrine brille, en lettres d’or cette devise: De progrès en progrès.

Le sermon de Monsieur Clibborn, coupé de «vive Jésus» et d'«Amen», chaque fois que la chute des périodes amène le nom du Christ, alterne avec des cantiques sur des airs connus et les sons éclatants des cuivres sacrés. C’est d’une gaieté qui exclut toute solennité et ramène forcément l’esprit aux souvenirs des parades foraines.

Mais voici l’instant décisif. Le général Clibborn invite les époux unis dès le matin devant la loi profane, à s’approcher. Il fait subir à chacun d’eux un petit interrogatoire sur ses devoirs de salutiste, reçoit leur engagement de se consacrer perpétuellement à l'œuvre commune, puis les laisse seul à seule.

Le capitaine passe au doigt de sa fiancée l’anneau nuptial et échange avec elle de mystérieuses paroles.

Tout est consommé:

 
A toi, notre reconnaissance,
A toi, Jésus, nos cœurs,
Nous te devons la délivrance,
La paix et le bonheur.
 

La maréchale Booth appelle la bénédiction d’en haut sur le couple. Mais, les hautes envolées de l’inspiration piétiste ne l’empêchent pas de penser aux réalités terrestres. Son discours se termine par un appel de fonds; il manque mille cinq cents francs pour dégager la signature du capitaine. Le Seigneur, qui est au milieu des fidèles, les procurera.

– Amen, répond le chœur.

On attendait avec curiosité le «témoignage» que, suivant le rite, devaient rendre les nouveaux époux. Le capitaine a remercié le Seigneur des bienfaits qu’il lui accordait, précieux encouragement à persévérer dans le bien. Mais tout le succès de la séance a été pour sa jeune femme; elle a parlé avec un aplomb ingénu qui désarmait le rire, et les applaudissements ont éclaté lorsque, résumant les sentiments qui l’animaient, elle a dit: «Le mariage n’est pour moi qu’une étape du salut. Le capitaine et moi nous sommes liés l’un à l’autre à la façon de ces Gaulois qui s’attachaient pour combattre et mourir ensemble.»

Et les psaumes de reprendre, et l’orchestre de faire tapage; en avant la musique! zim, boum, boum!! La cérémonie est terminée.10

JOURNAL DE SUZETTE

Pendant que madame était à son mariage salutiste, la longue miss m’a emmenée à Sydenham voir le Palais de Cristal. Je m’attendais donc à un palais j’ai vu plutôt un immense serre renfermant des statues en petit nombre, des pianos, des dentelles, des tapisseries, des brimborions comme on en voit à tous les étalages, enfin une infinité de choses qu’il me serait impossible d’énumérer.

L’exposition chinoise est intéressante, ce qui est exotique attire toujours. Il y avait beaucoup de fils du ciel, ce sont des gens à figure jaune, yeux obliques, cheveux nattés comme une mèche de fouet; Miss a parlé avec un Chinois et un Turc qui brodait assis à la mode de son pays. Ensuite nous avons vu une reproduction délicieuse d’une habitation de Grenade, c’est ce que j’ai trouvé de plus beau; nous avons parcouru une galerie renfermant des animaux empaillés dont quelques-uns habillés en homme et en femme, c’était comme une petite représentation des animaux peints par eux-mêmes.

Madame parle d’aller aux courses de Newmarket, moi je resterai à l’hôtel et j’aurai deux jours pour me promener à ma guise. J’en profiterai pour voir Londres plus tranquillement.

JOURNAL DE MADAME
9.Nous dirions aujourd’hui: au Transvaal, en Arménie, en Egypte.
10.Hélas! ces beaux jours sont passés; la maréchale Booth est morte depuis et ce fut un évènement. On lut à cette époque dans les journaux:
  Une dépêche de Londres nous annonce la mort de Madame Booth, femme du «général» chef de l’Armée du salut.
  C’est en 1865 que le révérend William Booth, père de la maréchale, né à Nottingham le 10 avril 1829, eut l’idée de fonder, en prenant modèle sur l’organisation militaire, l’association chrétienne qui, grâce à l’énergie de son fondateur, obtint une si rapide extension.
  Madame Booth, avec beaucoup d’enthousiasme, seconda puissamment les efforts de son père. Elle publia plusieurs brochures qui furent répandues dans tous les pays.
  Madame Booth, accompagnée de son mari dans ses «campagnes» réchauffait le zèle des prosélytes «officiers et soldats.»
  On fait de grands préparatifs en vue de ses funérailles:
  La veille un service divin sera célébré à Olympia, où l’on a placé vingt-quatre mille chaises. Tous les soldats de l’armée du salut présents porteront un brassard en signe de deuil.
  Le cercueil sera surmonté de la croix de l’Armée du salut et portera cette inscription: «Catherine Booth, mère de l’armée du salut. Née le 17 janvier 1829, morte le 4 octobre 1890. Plus que victorieuse!»
  Pauvre femme! Son orgueil de prêtresse nouvelle confinait à la folie. Elle officiait solennellement, mariait et baptisait ses disciples. Elle n’était plus une simple prédicante, elle s’était instituée le grand-prêtre, le pontife suprême de son église.
  Que Dieu ait pitié de son âme.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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