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Читать книгу: «La comédie de la mort», страница 7

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Romance

I
 
Au pays où se fait la guerre,
Mon bel ami s’en est allé;
Il semble à mon coeur désolé
Qu’il ne reste que moi sur terre!
En partant, au baiser d’adieu,
Il m’a pris mon âme à ma bouche.
Qui le tient si longtemps? mon Dieu!
Voilà le soleil qui se couche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J’attends encore son retour.
 
II
 
Les pigeons, sur le toit, roucoulent,
Roucoulent amoureusement,
Avec un son triste et charmant;
Les eaux sous les grands saules coulent.
Je me sens tout près de pleurer;
Mon coeur comme un lis plein s’épanche
Et je n’ose plus espérer.
Voici briller la lune blanche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J’attends encore son retour.
 
III
 
Quelqu’un monte à grands pas la rampe,
Serait-ce lui, mon doux amant?
Ce n’est pas lui, mais seulement
Mon petit page avec ma lampe.
Vents du soir, volez, dites-lui
Qu’il est ma pensée et mon rêve,
Toute ma joie et mon ennui.
Voici que l’aurore se lève,
Et moi, toute seule en ma tour,
J’attends encore son retour.
 

Le Spectre de la Rose

 
Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal,
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.
O toi, qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser,
Toutes les nuits mon spectre rose
A ton chevet viendra danser:
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe ni De Profundis;
Ce léger parfum est mon âme,
Et j’arrive du paradis.
Mon destin fut digne d’envie;
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poëte, avec un baiser,
Écrivit: Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser.
 

Lamento – La Chanson du Pêcheur

 
Ma belle amie est morte,
Je pleurerai toujours;
Sous la tombe elle emporte
Mon âme et mes amours.
Dans le ciel, sans m’attendre,
Elle s’en retourna;
L’ange qui l’emmena
Ne voulut pas me prendre.
Que mon sort est amer;
Ah, sans amour, s’en aller sur la mer!
La blanche créature
Est couchée au cercueil;
Comme dans la nature
Tout me paraît en deuil!
La colombe oubliée,
Pleure et songe à l’absent,
Mon âme pleure et sent
Qu’elle est dépareillée.
Que mon sort est amer;
Ah, sans amour, s’en aller sur la mer!
Sur moi la nuit immense
S’étend comme un linceul;
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah! comme elle était belle
Et comme je l’aimais!
Je n’aimerai jamais
Une femme autant qu’elle.
Que mon sort est amer;
Ah, sans amour, s’en aller sur la mer!
 

Dédain

 
Une pitié me prend quand à part moi je songe
A cette ambition terrible qui nous ronge,
De faire parmi tous reluire notre nom,
De ne voir s’élever par-dessus nous personne,
D’avoir vivant encor le nimbe et la couronne,
D’être salué grand comme Goëthe ou Byron.
C’est là le grand souci qui tous, tant que nous sommes,
Dans cet âge mauvais, austères jeunes hommes,
Nous fait le teint livide et nous cave les yeux;
La passion du beau nous tient et nous tourmente,
La sève sans issue au fond de nous fermente,
Et de ceux d’aujourd’hui bien peu deviendront vieux.
De ces frêles enfants, la terreur de leur mère,
Qui s’épuisent en vain à suivre leur chimère,
Combien déjà sont morts, combien encor mourront!
Combien au beau moment, gloire, ô froide statue,
Gloire que nous aimons et dont l’amour nous tue,
Pâles, sur ton épaule, ont incliné le front!
Ah! chercher sans trouver et suer sur un livre,
Travailler, oublier d’être heureux et de vivre;
Ne pas avoir une heure à dormir au soleil;
A courir dans les bois sans arrière-pensée,
Gémir d’une minute au plaisir dépensée,
Et faner dans sa fleur son beau printemps vermeil!
Jeter son âme au vent et semer sans qu’on sache
Si le grain sortira du sillon qui le cache,
Et si jamais l’été dorera le blé vert;
Faire comme ces vieux qui vont plantant des arbres,
Entassant des trésors et rassemblant des marbres,
Sans songer qu’un tombeau sous leurs pieds est ouvert.
Et pourtant chacun n’a que sa vie en ce monde,
Et pourtant du cercueil la nuit est bien profonde,
Ni lune, ni soleil: c’est un sommeil bien long;
Le lit est dur et froid; les larmes que l’on verse
La terre les boit vite; et pas une ne perce,
Pour arriver à vous, le suaire et le plomb.
Dieu nous comble de biens, notre mère nature
Rit amoureusement à chaque créature;
Le spectacle du ciel est admirable à voir;
La nuit a des splendeurs qui n’ont pas de pareilles;
Des vents tout parfumés nous chantent aux oreilles;
Vivre est doux, et pour vivre il ne faut que vouloir.
Pourquoi ne vouloir pas? pourquoi? pour que l’on dise
Quand vous passez: «C’est lui.» Pour que dans une église,
Saint-Denis, Westminster, sous un pavé noirci,
On vous couche à côté de rois que le ver mange,
N’ayant pour vous pleurer qu’une figure d’ange
Et cette inscription: «Un grand homme est ici.»
 

Ce Monde-ci et l’autre

 
Vos premières saisons à peine sont écloses,
Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses
Qu’un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau;
Tout ce que la nature a de grand et de beau,
Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles,
Les deux mondes ensemble avec tout leurs miracles:
Que n’avez-vous pas vu? les montagnes, la mer,
La neige et les palmiers, le printemps et l’hiver,
L’Europe décrépite et la jeune Amérique:
Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique,
Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus,
S’est faite presque blanche à nos étés frileux.
Votre enfance joyeuse, a passé comme un rêve
Dans la verte savane et sur la blonde grève;
Le vent vous apportait des parfums inconnus;
Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus,
Et comme une nourrice, au seuil de sa demeure,
Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure,
Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous
Ses coquilles de moire et son murmure doux.
Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes
Ecartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes;
Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris;
Vous aviez pour jouer des nids de colibris;
Les papillons dorés vous éventaient de l’aile,
L’oiseau-mouche valsait avec la demoiselle;
Les magnolias penchaient la tête en souriant;
La fontaine au flot clair s’en allait babillant;
Les bengalis coquets, se mirant à son onde,
Vous chantaient leur romance, et, seule et vagabonde,
Vous marchiez sans savoir par les petits chemins,
Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains!
Aux heures du midi, nonchalante créole,
Vous aviez le hamac et la sieste espagnole,
Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit,
Chassant les moucherons d’auprès de votre lit.
Vous aviez tous les biens, heureuse créature,
La belle liberté dans la belle nature:
Et puis un grand désir d’inconnu vous a pris,
Vous avez voulu voir et la France et Paris;
La brise a du vaisseau fait onder la bannière,
Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière,
Et courbant devant vous sa tête de lion
Sur son épaule bleue avec soumission,
Vous a jusques aux bords de la France vantée,
Sans rugir une fois, fidèlement portée.
Après celles de Dieu les merveilles de l’art
Ont étonné votre âme avec votre regard.
Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises,
Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises,
Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus,
Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus,
Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,
Où chaque maison dresse une gueule qui fume.
Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil!
Vous toute brune encor de son baiser vermeil.
La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,
Et triste entre vos soeurs au foyer réunies,
En entendant pleurer les bûches dans le feu,
Vous avez regretté l’Amérique au ciel bleu,
Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames,
Qui se brodent d’argent et chantent sous les rames;
Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,
Les mangliers traînant leurs bras irrésolus;
Toute cette nature orientale et chaude,
Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude,
Et vous avez souffert, votre coeur a saigné,
Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris, baigné
D’une vapeur étrange et d’un brouillard de houille;
Vers ces arbres chargés d’un feuillage de rouille,
Et vous avez compris, pâle fleur du désert,
Que loin du sol natal votre arôme se perd,
Qu’il vous faut le soleil et la blanche rosée
Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée;
Les baisers parfumés des brises de la mer,
La place libre au ciel, l’espace et le grand air,
Et pour s’y renouer, l’hymne saint des poëtes,
Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes;
Au choeur mélodieux votre voix put s’unir;
Le prisme du regret dorant le souvenir
De cent petits détails, de mille circonstances,
Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances.
Chaque larme furtive échappée à vos yeux
Se condensait en perle, en joyau précieux;
Dans le rhythme profond, votre jeune pensée
Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée;
Vous avez pénétré les mystères de l’art;
Aussi, tout éplorée, avant votre départ,
Pour vous baiser au front, la belle poésie
Vous a parmi vos soeurs avec amour choisie:
Pour dire votre coeur vous avez une voix,
Entre deux univers Dieu vous laissait le choix;
Vous avez pris de l’un, heureux sort que le vôtre!
De quoi vous faire aimer et regretter dans l’autre.
 

Versailles

Sonnet
 
Versailles, tu n’es plus qu’un spectre de cité;
Comme Venise au fond de son Adriatique,
Tu traînes lentement ton corps paralytique,
Chancelant sous le poids de ton manteau sculpté.
Quel appauvrissement, quelle caducité!
Tu n’es que surannée et tu n’es pas antique,
Et nulle herbe pieuse, au long de ton portique,
Ne grimpe pour voiler ta pâle nudité.
Comme une délaissée à l’écart, sous ton arbre,
Sur ton sein douloureux, croisant tes bras de marbre,
Tu guettes le retour de ton royal amant.
Le rival du soleil dort sous son monument;
Les eaux de tes jardins à jamais se sont tues,
Et tu n’auras bientôt qu’un peuple de statues.
 

La Caravane

Sonnet
 
La caravane humaine au Zaharah du monde,
Par ce chemin des ans qui n’a pas de retour,
S’en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,
Et buvant sur ses bras la sueur qui l’inonde.
Le grand lion rugit et la tempête gronde;
A l’horizon fuyard, ni minaret, ni tour;
La seule ombre qu’on ait, c’est l’ombre du vautour,
Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde.
L’on avance toujours et voici que l’on voit
Quelque chose de vert que l’on se montre au doigt,
C’est un bois de cyprès, semé de blanches pierres.
Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps,
Comme des oasis, a mis les cimetières.
Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.
 

Destinée

Sonnet
 
Comme la vie est faite, et que le train du monde
Nous pousse aveuglément en des chemins divers;
Pareil au juif maudit, l’un, par tout l’univers,
Promène sans repos sa course vagabonde;
L’autre, vrai docteur Faust, baigné d’ombre profonde,
Auprès de sa croisée étroite, à carreaux verts,
Poursuit de son fauteuil quelques rêves amers,
Et dans l’âme sans fond laisse filer la sonde.
Eh bien! celui qui court sur la terre, était né
Pour vivre au coin du feu; le foyer, la famille,
C’était son voeu; mais Dieu ne l’a pas couronné.
Et l’autre, qui n’a vu du ciel que ce qui brille
Par le trou du volet, était le voyageur;
Ils ont passé tous deux à côté du bonheur.
 

Notre-Dame

I
 
Las de ce calme plat où d’avance fanées,
Comme une eau qui s’endort, croupissent nos années;
Las d’étouffer ma vie en un salon étroit,
Avec de jeunes fats et des femmes frivoles,
Echangeant sans profit de banales paroles;
Las de toucher toujours mon horizon du doigt.
Pour me refaire au grand et me rélargir l’âme,
Ton livre dans ma poche, aux tours de Notre-Dame;
Je suis allé souvent, Victor,
A huit heures, l’été, quand le soleil se couche,
Et que son disque fauve, au bord des toits qu’il touche,
Flotte comme un gros ballon d’or.
Tout chatoie et reluit; le peintre et le poëte
Trouvent là des couleurs pour charger leur palette,
Et des tableaux ardents à vous brûler les yeux;
Ce ne sont que saphirs, cornalines, opales,
Tons à faire trouver Rubens et Titien pâles;
Ithuriel répand son écrin dans les cieux.
Cathédrales de brume aux arches fantastiques;
Montagnes de vapeurs, colonnades, portiques,
Par la glace de l’eau doublés,
La brise qui s’en joue et déchire leurs franges,
Imprime, en les roulant, mille formes étranges
Aux nuages échevelés.
Comme, pour son bonsoir, d’une plus riche teinte,
Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,
Ébauchée à grands traits à l’horizon de feu;
Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,
Semblent les deux grands bras que la ville en prière,
Avant de s’endormir, élève vers son Dieu.
Ainsi que sa patronne, à sa tête gothique,
La vieille église attache une gloire mystique
Faite avec les splendeurs du soir;
Les roses des vitraux, en rouges étincelles,
S’écaillent brusquement, et comme des prunelles,
S’ouvrent toutes rondes pour voir.
La nef épanouie, entre ses côtes minces,
Semble un crabe géant faisant mouvoir ses pinces,
Une araignée énorme, ainsi que des réseaux,
Jetant au front des tours, au flanc noir des murailles,
En fils aériens, en délicates mailles,
Ses tulles de granit, ses dentelles d’arceaux.
Aux losanges de plomb du vitrail diaphane,
Plus frais que les jardins d’Alcine ou de Morgane,
Sous un chaud baiser de soleil,
Bizarrement peuplés de monstres héraldiques,
Éclosent tout d’un coup cent parterres magiques
Aux fleurs d’azur et de vermeil.
Légendes d’autrefois, merveilleuses histoires
Écrites dans la pierre, enfers et purgatoires,
Dévotement taillés par de naïfs ciseaux;
Piédestaux du portail, qui pleurent leurs statues,
Par les hommes et non par le temps abattues,
Licornes, loups-garous, chimériques oiseaux,
Dogues hurlant au bout des gouttières; tarasques,
Guivres et basilics, dragons et nains fantasques,
Chevaliers vainqueurs de géants,
Faisceaux de piliers lourds, gerbes de colonnettes,
Myriades de saints roulés en collerettes,
Autour des trois porches béants.
Lancettes, pendentifs, ogives, trèfles grêles
Où l’arabesque folle accroche ses dentelles
Et son orfèvrerie, ouvrée à grand travail;
Pignons troués à jour, flèches déchiquetées,
Aiguilles de corbeaux et d’anges surmontées,
La cathédrale luit comme un bijou d’émail!
 
II
 
Mais qu’est-ce que cela? lorsque l’on a dans l’ombre
Suivi l’escalier svelte aux spirales sans nombre
Et qu’on revoit enfin le bleu,
Le vide par-dessus et par-dessous l’abîme,
Une crainte vous prend, un vertige sublime
A se sentir si près de Dieu!
Ainsi que sous l’oiseau qui s’y perche, une branche
Sous vos pieds qu’elle fuit, la tour frissonne et penche,
Le ciel ivre chancelle et valse autour de vous;
L’abîme ouvre sa gueule, et l’esprit du vertige,
Vous fouettant de son aile en ricanant voltige
Et fait au front des tours trembler les garde-fous,
Les combles anguleux, avec leurs girouettes,
Découpent, en passant, d’étranges silhouettes
Au fond de votre oeil ébloui,
Et dans le gouffre immense où le corbeau tournoie,
Bête apocalyptique, en se tordant aboie,
Paris éclatant, inoui!
Oh! le coeur vous en bat, dominer de ce faîte,
Soi, chétif et petit, une ville ainsi faite;
Pouvoir, d’un seul regard, embrasser ce grand tout,
Debout, là-haut, plus près du ciel que de la terre,
Comme l’aigle planant, voir au sein du cratère,
Loin, bien loin, la fumée et la lave qui bout!
De la rampe, où le vent, par les trèfles arabes,
En se jouant, redit les dernières syllabes
De l’hosanna du séraphin;
Voir s’agiter là-bas, parmi les brumes vagues,
Cette mer de maisons dont les toits sont les vagues;
L’entendre murmurer sans fin;
Que c’est grand! que c’est beau! les frêles cheminées,
De leurs turbans fumeux en tout temps couronnées,
Sur le ciel de safran tracent leurs profils noirs,
Et la lumière oblique, aux arêtes hardies,
Jetant de tous côtés de riches incendies
Dans la moire du fleuve enchâsse cent miroirs.
Comme en un bal joyeux, un sein de jeune fille,
Aux lueurs des flambeaux s’illumine et scintille
Sous les bijoux et les atours;
Aux lueurs du couchant, l’eau s’allume, et la Seine
Berce plus de joyaux, certes, que jamais reine
N’en porte à son col les grands jours.
Des aiguilles, des tours, des coupoles, des dômes
Dont les fronts ardoisés luisent comme des heaumes,
Des murs écartelés d’ombre et de clair, des toits
De toutes les couleurs, des résilles de rues,
Des palais étouffés, où, comme des verrues,
S’accrochent des étaux et des bouges étroits!
Ici, là, devant vous, derrière, à droite, à gauche,
Des maisons! des maisons! le soir vous en ébauche
Cent mille avec un trait de feu!
Sous le même horizon, Tyr, Babylone et Rome,
Prodigieux amas, chaos fait de main d’homme,
Qu’on pourrait croire fait par Dieu!
 
III
 
Et cependant, si beau que soit, ô Notre-Dame,
Paris ainsi vêtu de sa robe de flamme,
Il ne l’est seulement que du haut de tes tours.
Quand on est descendu tout se métamorphose,
Tout s’affaisse et s’éteint, plus rien de grandiose,
Plus rien, excepté toi, qu’on admire toujours.
Car les anges du ciel, du reflet de leurs ailes,
Dorent de tes murs noirs les ombres solennelles,
Et le Seigneur habite en toi.
Monde de poésie, en ce monde de prose,
A ta vue, on se sent battre au coeur quelque chose;
L’on est pieux et plein de foi!
Aux caresses du soir, dont l’or te damasquine,
Quand tu brilles au fond de ta place mesquine,
Comme sous un dais pourpre un immense ostensoir;
A regarder d’en bas ce sublime spectacle,
On croit qu’entre tes tours, par un soudain miracle,
Dans le triangle saint Dieu se va faire voir.
Comme nos monuments à tournure bourgeoise
Se font petits devant ta majesté gauloise,
Gigantesque soeur de Babel,
Près de toi, tout là-haut, nul dôme, nulle aiguille,
Les faîtes les plus fiers ne vont qu’à ta cheville,
Et, ton vieux chef heurte le ciel.
Qui pourrait préférer, dans son goût pédantesque,
Aux plis graves et droits de ta robe Dantesque,
Ces pauvres ordres grecs qui se meurent de froid,
Ces panthéons bâtards, décalqués dans l’école,
Antique friperie empruntée à Vignole,
Et, dont aucun dehors ne sait se tenir droit.
O vous! maçons du siècle, architectes athées,
Cervelles, dans un moule uniforme jetées,
Gens de la règle et du compas;
Bâtissez des boudoirs pour des agents de change,
Et des huttes de plâtre à des hommes de fange;
Mais des maisons pour Dieu, non pas!
Parmi les palais neufs, les portiques profanes,
Les parthénons coquets, églises courtisanes,
Avec leurs frontons grecs sur leurs piliers latins,
Les maisons sans pudeur de la ville païenne;
On dirait, à te voir, Notre-Dame chrétienne,
Une matrone chaste au milieu de catins!
 

Magdalena

 
J’entrai dernièrement dans une vieille église;
La nef était déserte, et sur la dalle grise,
Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,
Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.
Comme je m’en allais, visitant les chapelles,
Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,
Dans un coin du jubé j’aperçus un tableau
Représentant un Christ qui me parut très-beau.
On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge;
Leurs chairs, d’un ton pareil à la cire de cierge,
Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,
A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,
Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires;
Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,
S’allongeaient tout d’un jet de leur nuque à leurs pieds;
Ainsi faits, l’on eût dit qu’ils fussent copiés
Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,
D’un vieux maître Pisan, artiste catholique,
Tant l’on voyait reluire autour de leur beauté,
Le nimbe rayonnant de la mysticité,
Et tant l’on respirait dans leur humble attitude,
Les parfums onctueux de la béatitude.
Sans doute que c’était l’oeuvre d’un Allemand,
D’un élève d’Holbein, mort bien obscurément,
A vingt ans, de misère et de mélancolie,
Dans quelque bourg de Flandre, au retour d’Italie;
Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,
Un rêve de soleil par une nuit d’hiver.
Je restai bien longtemps dans la même posture,
Pensif, à contempler cette pâle peinture;
Je regardais le Christ sur son infâme bois,
Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix;
Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,
Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,
La blessure livide et béante à son flanc;
Son front d’ivoire où perle une sueur de sang;
Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,
Me faisaient naître au coeur des pitiés nompareilles,
Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,
Comme dut en verser la Mère de Douleurs.
Dans l’outremer du ciel les chérubins fidèles,
Se lamentaient en choeur, la face sous leurs ailes,
Et l’un d’eux recueillait, un ciboire à la main,
Le pur sang de la plaie où boit le genre humain;
La sainte vierge, au bas, regardait: pauvre mère
Son divin fils en proie à l’agonie amère;
Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix
Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,
Plus dégouttants de pleurs qu’après la pluie un arbre,
Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.
C’était, certe, un spectacle à faire réfléchir,
Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir
Sous le vent que faisait l’aile de ma pensée,
Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.
Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,
Et je pris mon menton dans le creux de ma main,
Et je me dis: «O Christ! tes douleurs sont trop vives;
Après ton agonie au jardin des Olives,
Il fallait remonter près de ton père, au ciel,
Et nous laisser à nous l’éponge avec le fiel;
Les clous percent ta chair, et les fleurons d’épines
Entrent profondément dans tes tempes divines.
Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort
Recule épouvantée à ce sublime effort;
Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,
Sachant qu’après trois jours il la lui faudra rendre,
Et qu’un ange viendra, qui, radieux et beau,
Lèvera de ses mains la pierre du tombeau;
Mais tu n’en as pas moins souffert ton agonie,
Adorable victime entre toutes bénie;
Mais tu n’en a pas moins avec les deux voleurs,
Étendu tes deux bras sur l’arbre de douleurs.
O rigoureux destin! une pareille vie,
D’une pareille mort si promptement suivie!
Pour tant de maux soufferts, tant d’absynthe et de fiel,
Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel?
La parole d’amour pour compenser l’injure,
Et la bouche qui donne un baiser par blessure?
Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,
Pour nous bénir encor de se sentir aimé,
Et tu n’as pas, Jésus, traversé cette terre,
N’ayant jamais pressé sur ton coeur solitaire
Un coeur sincère et pur, et fait ce long chemin
Sans avoir une épaule où reposer ta main,
Sans une âme choisie où répandre avec flamme
Tous les trésors d’amour enfermés dans ton âme.
Ne vous alarmez pas, esprits religieux,
Car l’inspiration descend toujours des cieux,
Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,
De son bouclier d’or ne l’a pas repoussée.
C’est l’heure de l’extase où Dieu se laisse voir,
L’Angelus éploré tinte aux cloches du soir;
Comme aux bras de l’amant, une vierge pâmée,
L’encensoir d’or exhale une haleine embaumée;
La voix du jour s’éteint, les reflets des vitraux,
Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,
Et l’on entend courir, sous les ogives frêles,
Un bruit confus de voix et de battements d’ailes;
La foi descend des cieux avec l’obscurité;
L’orgue vibre; l’écho répond: Eternité!
Et la blanche statue, en sa couche de pierre,
Rapproche ses deux mains et se met en prière.
Comme un captif, brisant les portes du cachot,
L’âme du corps s’échappe et s’élance si haut,
Qu’elle heurte, en son vol, au détour d’un nuage,
L’étoile échevelée et l’archange en voyage;
Tandis que la raison, avec son pied boiteux,
La regarde d’en-bas se perdre dans les cieux.
C’est à cette heure-là que les divins poëtes,
Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.
O mystère d’amour! ô mystère profond!
Abîme inexplicable où l’esprit se confond;
Qui de nous osera, philosophe ou poëte,
Dans cette sombre nuit plonger avant la tête?
Quelle langue assez haute et quel coeur assez pur,
Pour chanter dignement tout ce poëme obscur?
Qui donc écartera l’aile blanche et dorée,
Dont un ange abritait cette amour ignorée?
Qui nous dira le nom de cette autre Éloa?
Et quelle âme, ô Jésus, à t’aimer se voua?
Murs de Jérusalem, vénérables décombres,
Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,
O palmiers du Carmel! ô cèdres du Liban!
Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean?
Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,
Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d’années,
Parmi les souvenirs des choses d’autrefois,
Conservé leur mémoire et le son de leur voix;
Parlez et dites-nous, ô forêts! ô ruines!
Tout ce que vous savez de ces amours divines!
Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,
Et quels soupirs ardents de leurs coeurs s’élançaient!
Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,
Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,
Et que le ciel semait sa face de plus d’yeux,
Que n’en traîne après lui le paon tout radieux;
Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,
Glisser en se parlant avec des voix plus douces
Que les roucoulements des colombes de mai,
Que le premier aveu de celle que j’aimai;
Et dans un pur baiser, symbole du mystère,
Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.
Les échos sont muets, et le flot du Jourdain
Murmure sans répondre et passe avec dédain;
Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,
Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance
Au milieu des parfums dans les bras du palmier,
Le chant du rossignol et le nid du ramier.
Frère, mais voyez donc comme la Madeleine
Laisse sur son col blanc couler à flots d’ébène
Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,
Mélancoliquement, se tournent vers les cieux!
Qu’elle est belle! Jamais, depuis Ève la blonde,
Une telle beauté n’apparut sur le monde;
Son front est si charmant, son regard est si doux,
Que l’ange qui la garde, amoureux et jaloux,
Quand le désir craintif rôde et s’approche d’elle,
Fait luire son épée et le chasse à coups d’aile.
O pâle fleur d’amour éclose au paradis!
Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,
Comment donc as-tu fait, ô fleur! pour qu’il te reste
Une couleur si fraîche, une odeur si céleste?
Comment donc as-tu fait, pauvre soeur du ramier,
Pour te conserver pure au coeur de ce bourbier?
Quel miracle du ciel, sainte prostituée,
Que ton coeur, cette mer, si souvent remuée,
Des coquilles du bord et du limon impur,
N’ait pas, dans l’ouragan, souillé ses flots d’azur,
Et qu’on ait toujours vu sous leur manteau limpide,
La perle blanche au fond de ton âme candide!
C’est que tout coeur aimant est réhabilité,
Qu’il vous vient une autre âme et que la pureté
Qui remontait au ciel redescend et l’embrasse,
comme à sa soeur coupable une soeur qui fait grâce;
C’est qu’aimer c’est pleurer, c’est croire, c’est prier;
C’est que l’amour est saint et peut tout expier.
Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,
Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,
Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs;
Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs;
La voyant si coupable et prenant pitié d’elle,
Pour qu’on lui pardonnât, tu l’as faite plus belle,
Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,
A promené longtemps ses baisers pleins d’amour;
Elle est plus belle encor que la vierge Marie,
Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,
Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,
Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.
O sainte pécheresse! ô grande repentante!
Madeleine, c’est toi que j’eusse pour amante
Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,
Tout le rayonnement de la virginité,
Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,
Ne sauraient m’émouvoir, ô femme vraiment femme,
Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,
Ineffable rosée à faire envie aux cieux!
Jamais lis de Saron, divine courtisane,
Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,
N’eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums;
Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,
Laisse voir, au travers de ta peau transparente,
Le rêve de ton âme et ta pensée errante,
Comme un globe d’albâtre éclairé par dedans!
Ton oeil est un foyer dont les rayons ardents
Sous la cendre des coeurs ressuscitent les flammes;
O la plus amoureuse entre toutes les femmes!
Les séraphins du ciel à peine ont dans le coeur,
Plus d’extase divine et de sainte langueur;
Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,
Comme d’un manteau d’or la nudité du monde!
Toi seule sais aimer, comme il faut qu’il le soit,
Celui qui t’a marquée au front avec le doigt,
Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,
Et qui pour s’essuyer avait ta chevelure;
Celui qui t’apparut au jardin, pâle encor
D’avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort;
Et, pour te consoler, voulut que la première
Tu le visses rempli de gloire et de lumière.
En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,
N’est-ce pas? ce penser comme à moi t’est venu,
Et que ta rêverie a sondé ce mystère,
Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire?
O poëtes! allez prier à cet autel,
A l’heure où le jour baisse, à l’instant solennel,
Quand d’un brouillard d’encens la nef est toute pleine.
Regardez le Jésus et puis la Madeleine;
Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit
Que font en s’éployant les ailes de la nuit;
Peut-être un chérubin détaché de la toile,
A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,
Et dans un long soupir l’orgue murmurera
L’ineffable secret que ma bouche taira.
 
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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