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Chant du Grillon I

 
Souffle, bise! tombe à flots, pluie!
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent;
En attendant que l’hiver fuie,
Je reste au coin du feu, rêvant.
C’est moi qui suis l’esprit de l’âtre!
Le gaz, de sa langue bleuâtre,
Lèche plus doucement le bois;
La fumée, en filet d’albâtre,
Monte et se contourne à ma voix.
La bouilloire rit et babille;
La flamme aux pieds d’argent sautille
En accompagnant ma chanson;
La bûche de duvet s’habille;
La sève bout dans le tison.
Le soufflet au râle asthmatique,
Me fait entendre sa musique;
Le tourne-broche aux dents d’acier
Mêle au concerto domestique
Le tic-tac de son balancier.
Les étincelles réjouies,
En étoiles épanouies,
vont et viennent, croisant dans l’air,
Les salamandres éblouies,
Au ricanement grêle et clair.
Du fond de ma cellule noire,
Quand Berthe vous conte une histoire,
Le Chaperon ou l’Oiseau bleu,
C’est moi qui soutiens sa mémoire,
C’est moi qui fais taire le feu.
J’étouffe le bruit monotone
du rouet qui grince et bourdonne;
J’impose silence au matou;
Les heures s’en vont, et personne
N’entend le timbre du coucou.
Pendant la nuit et la journée,
Je chante sous la cheminée;
Dans mon langage de grillon,
J’ai, des rebuts de son aînée,
Souvent consolé Cendrillon.
Le renard glapit dans le piége;
Le loup, hurlant de faim, assiége
La ferme au milieu des grands bois;
Décembre met, avec sa neige,
Des chemises blanches aux toits.
Allons, fagot, pétille et flambe;
Courage, farfadet ingambe,
Saute, bondis plus haut encor;
Salamandre, montre ta jambe,
Lève, en dansant, ton jupon d’or.
Quel plaisir! prolonger sa veille,
Regarder la flamme vermeille
Prenant à deux bras le tison;
A tous les bruits prêter l’oreille;
Entendre vivre la maison!
Tapi dans sa niche bien chaude,
Sentir l’hiver qui pleure et rôde,
Tout blême et le nez violet,
Tâchant de s’introduire en fraude
Par quelque fente du volet.
Souffle, bise! tombe à flots, pluie!
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent;
En attendant que l’hiver fuie
Je reste au coin du feu, rêvant.
 

Chant du Grillon II

 
Regardez les branches,
Comme elles sont blanches;
Il neige des fleurs!
Riant dans la pluie,
Le soleil essuie
Les saules en pleurs,
Et le ciel reflète
Dans la violette,
Ses pures couleurs.
La nature en joie
Se pare et déploie
Son manteau vermeil.
Le paon qui se joue,
Fait tourner en roue,
Sa queue au soleil.
Tout court, tout s’agite,
Pas un lièvre au gîte;
L’ours sort du sommeil.
La mouche ouvre l’aile,
Et la demoiselle
Aux prunelles d’or,
Au corset de guêpe,
Dépliant son crêpe,
A repris l’essor.
L’eau gaîment babille,
Le goujon frétille,
Un printemps encor!
Tout se cherche et s’aime;
Le crapaud lui-même,
Les aspics méchants;
Toute créature,
Selon sa nature:
La feuille a des chants;
Les herbes résonnent,
Les buissons bourdonnent;
C’est concert aux champs.
Moi seul je suis triste;
Qui sait si j’existe,
Dans mon palais noir?
Sous la cheminée,
Ma vie enchaînée,
Coule sans espoir.
Je ne puis, malade,
Chanter ma ballade
Aux hôtes du soir.
Si la brise tiède
Au vent froid succède;
Si le ciel est clair,
Moi, ma cheminée
N’est illuminée
Que d’un pâle éclair;
Le cercle folâtre
Abandonne l’âtre:
Pour moi c’est l’hiver.
Sur la cendre grise,
La pincette brise
Un charbon sans feu.
Adieu les paillettes,
Les blondes aigrettes;
Pour six mois adieu
La maîtresse bûche,
Où sous la peluche,
Sifflait le gaz bleu.
Dans ma niche creuse,
Ma natte boiteuse
Me tient en prison.
Quand l’insecte rôde,
Comme une émeraude,
Sous le vert gazon,
Moi seul je m’ennuie;
Un mur, noir de suie,
Est mon horizon.
 

Absence

 
Reviens, reviens, ma bien-aimée,
Comme une fleur loin du soleil;
La fleur de ma vie est fermée,
Loin de ton sourire vermeil.
Entre nos coeurs tant de distance;
Tant d’espace entre nos baisers.
O sort amer! ô dure absence!
O grands désirs inapaisés!
D’ici là-bas, que de campagnes,
Que de villes et de hameaux,
Que de vallons et de montagnes,
A lasser le pied des chevaux!
Au pays qui me prend ma belle,
Hélas! si je pouvais aller;
Et si mon corps avait une aile
Comme mon âme pour voler!
Par-dessus les vertes collines,
Les montagnes au front d’azur,
Les champs rayés et les ravines,
J’irai, d’un vol rapide et sûr.
Le corps ne suit pas la pensée;
Pour moi, mon âme, va tout droit,
Comme une colombe blessée,
T’abattre au rebord de son toit.
Descends dans sa gorge divine,
Blonde et fauve comme de l’or,
Douce comme un duvet d’hermine,
Sa gorge, mon royal trésor;
Et dis, mon âme, à cette belle,
«Tu sais bien qu’il compte les jours,
O ma colombe! à tire d’aile,
Retourne au nid de nos amours.»
 

Au Sommeil

Hymne antique
 
Sommeil, fils de la nuit et frère de la mort;
Écoute-moi, Sommeil: lasse de sa veillée,
La lune, au fond du ciel, ferme l’oeil et s’endort
Et son dernier rayon, à travers la feuillée,
Comme un baiser d’adieu, glisse amoureusement,
Sur le front endormi de son bleuâtre amant,
Par la porte d’ivoire et la porte de corne.
Les songes vrais ou faux de l’Érèbe envolés,
Peuplent seuls l’univers silencieux et morne;
Les cheveux de la nuit, d’étoiles d’or mêlés,
Au long de son dos brun pendent tout débouclés;
Le vent même retient son haleine, et les mondes,
Fatigués de tourner sur leurs muets pivots,
S’arrêtent assoupis et suspendent leurs rondes.
O jeune homme charmant! couronné de pavots,
Qui tenant sur la main une patère noire,
Pleine d’eau du Léthé, chaque nuit nous fais boire,
Mieux que le doux Bacchus, l’oubli de nos travaux;
Enfant mystérieux, hermaphrodite étrange,
Où la vie, au trépas, s’unit et se mélange,
Et qui n’as de tous deux que ce qu’ils ont de beau;
Sous les épais rideaux de ton alcôve sombre,
Du fond de ta caverne inconnue au soleil;
Je t’implore à genoux, écoute-moi, sommeil!
Je t’aime, ô doux sommeil! et je veux à ta gloire,
Avec l’archet d’argent, sur la lyre d’ivoire,
Chanter des vers plus doux que le miel de l’Hybla;
Pour t’apaiser je veux tuer le chien obscène,
Dont le rauque aboiement si souvent te troubla,
Et verser l’opium sur ton autel d’ébène.
Je te donne le pas sur Phébus-Apollon,
Et pourtant c’est un dieu jeune, sans barbe et blond,
Un dieu tout rayonnant, aussi beau qu’une fille;
Je te préfère même à la blanche Vénus,
Lorsque, sortant des eaux, le pied sur sa coquille,
Elle fait au grand air baiser ses beaux seins nus,
Et laisse aux blonds anneaux de ses cheveux de soie
Se suspendre l’essaim des zéphirs ingénus;
Même au jeune Iacchus, le doux père de joie,
A l’ivresse, à l’amour, à tout divin sommeil.
Tu seras bienvenu, soit que l’aurore blonde
Lève du doigt le pan de son rideau vermeil,
Soit, que les chevaux blancs qui traînent le soleil
Enfoncent leurs naseaux et leur poitrail dans l’onde,
Soit que la nuit dans l’air peigne ses noirs cheveux.
Sous les arceaux muets de la grotte profonde,
Où les songes légers mènent sans bruit leur ronde,
Reçois bénignement mon encens et mes voeux,
Sommeil, dieu triste et doux, consolateur du monde!
 

Terza Rima

 
Quand Michel-Ange eut peint la chapelle Sixtine,
Et que de l’échafaud, sublime et radieux,
Il fut redescendu dans la cité latine,
Il ne pouvait baisser ni les bras ni les yeux;
Ses pieds ne savaient plus comment marcher sur terre;
Il avait oublié le monde dans les cieux.
Trois grands mois il garda cette attitude austère;
On l’eût pris pour un ange en extase devant
Le saint triangle d’or, au moment du mystère.
Frère, voilà pourquoi les poëtes, souvent,
Buttent à chaque pas sur les chemins du monde;
Les yeux fichés au ciel ils s’en vont en rêvant;
Les anges, secouant leur chevelure blonde,
Penchent leur front sur eux et leur tendent les bras,
Et les veulent baiser avec leur bouche ronde.
Eux marchent au hasard et font mille faux pas;
Ils cognent les passants, se jettent sous les roues,
Ou tombent dans des puits qu’ils n’aperçoivent pas.
Que leur font les passants, les pierres et les boues;
Ils cherchent dans le jour le rêve de leurs nuits,
Et le feu du désir leur empourpre les joues.
Ils ne comprennent rien aux terrestres ennuis,
Et quand ils ont fini leur chapelle Sixtine,
Ils sortent rayonnants de leurs obscurs réduits.
Un auguste reflet de leur oeuvre divine
S’attache à leur personne et leur dore le front,
Et le ciel qu’ils ont vu, dans leurs yeux se devine.
Les nuits suivront les jours et se succéderont,
Avant que leurs regards et leurs bras ne s’abaissent,
Et leurs pieds, de longtemps, ne se raffermiront.
Tous nos palais sous eux s’éteignent et s’affaissent;
Leur âme, à la coupole, où leur oeuvre reluit,
Revole, et ce ne sont que leurs corps qu’ils nous laissent.
Notre jour leur paraît plus sombre que la nuit;
Leur oeil cherche toujours le ciel bleu de la fresque,
Et le tableau quitté les tourmente et les suit.
Comme Buonarotti, le peintre gigantesque,
Ils ne peuvent plus voir que les choses d’en haut,
Et que le ciel de marbre où leur front touche presque.
Sublime aveuglement! magnifique défaut!
 

Montée sur le Brocken

 
Lorsque l’on est monté jusqu’au nid des aiglons,
Et que l’on voit, sous soi, les plus fiers mamelons
Se fondre et s’effacer au flanc de la montagne,
Et, comme un lac, bleuir tout au fond la campagne,
On s’aperçoit enfin qu’on grimperait mille ans,
Tant que la chair tiendrait à vos talons sanglants,
Sans approcher du ciel qui toujours se recule,
Et qu’on n’est, après tout, qu’un Titan ridicule.
On n’est plus dans le monde, on n’est pas dans les cieux,
Et des fantômes vains dansent devant vos yeux.
Le silence est profond; la chanson de la terre
Ne vient pas jusqu’à vous, et la voix du tonnerre
Qui roule sous vos pieds, semble le bâillement
Du Brocken, ennuyé de son désoeuvrement.
Votre cri, sans trouver d’écho qui le répète,
S’éteint subitement sous la voûte muette;
C’est un calme sinistre, on n’entend pas encor
Les violes d’amour et les cithares d’or,
Car le ciel est bien haut et l’échelle est petite;
Votre guide, effrayé, redescend et vous quitte,
Et, roulant une larme au fond de son oeil bleu,
La dernière des fleurs vous jette son adieu.
La neige cependant descend silencieuse,
Et, sous ses fils d’argent, la lune soucieuse
Apparaît à côté d’un soleil sans rayons;
Le ciel est tout rayé de ses pâles sillons,
Et la mort, dans ses doigts, tordant ce fil qui tombe,
Vous tisse un blanc linceul pour votre froide tombe.
 

Le premier Rayon de Mai

 
Hier j’étais à table avec ma chère belle,
Ses deux pieds sur les miens, assis en face d’elle,
Dans sa petite chambre; ainsi que dans leur nid
Deux ramiers bienheureux que le bon Dieu bénit.
C’était un bruit charmant de verres, de fourchettes,
Comme des becs d’oiseaux, picotant les assiettes;
De sonores baisers et de propos joyeux.
L’enfant, pour être à l’aise, et régaler mes yeux,
Avait ouvert sa robe, et sous la toile fine
On voyait les trésors de sa blanche poitrine;
Comme les seins d’Isis, aux contours ronds et purs,
Ses beaux seins se dressaient, étincelants et durs,
Et, comme sur des fleurs des abeilles posées,
Sur leurs pointes tremblaient des lumières rosées;
Un rayon de soleil, le premier du printemps,
Dorait, sur son col brun, de reflets éclatants;
Quelques cheveux follets, et de mille paillettes
D’un verre de cristal allumant les facettes,
Enchâssait un rubis dans la pourpre du vin.
Oh! le charmant repas! oh! le rayon divin!
Avec un sentiment de joie et de bien-être
Je regardais l’enfant, le verre et la fenêtre;
L’aubépine de mai me parfumait le coeur,
Et, comme la saison, mon âme était en fleur;
Je me sentais heureux et plein de folle ivresse,
De penser qu’en ce siècle, envahi par la presse,
Dans ce Paris bruyant et sale à faire peur,
Sous le règne fumeux des bateaux à vapeur,
Malgré les députés, la Charte et les ministres,
Les hommes du progrès, les cafards et les cuistres,
On n’avait pas encor supprimé le soleil,
Ni dépouillé le vin de son manteau vermeil;
Que la femme était belle et toujours désirable,
Et qu’on pouvait encor, les coudes sur la table,
Auprès de sa maîtresse, ainsi qu’aux premiers jours,
Célébrer le printemps, le vin et les amours.
 

Le Lion du Cirque

 
Tout beau, fauve grondeur, demeure dans ton antre,
Il n’est pas temps encor; couche-toi sur le ventre;
De ta queue aux crins roux flagelle-toi les flancs,
Comme un sphinx accroupi dans les sables brûlants,
Sur l’oreiller velu de tes pattes croisées
Pose ton mufle énorme, aux babines froncées;
Dors et prends patience, ô lion du désert;
Demain, César le veut, de ton cachot ouvert,
Demain tu sauteras dans la pleine lumière,
Au beau milieu du Cirque, aux yeux de Rome entière,
Et de tous les côtés les applaudissements
Répondront comme un choeur à tes grommèlements.
On te tient en réserve une vierge chrétienne,
Plus blanche mille fois que la Vénus païenne;
Tu pourras à loisir, de tes griffes de fer,
Rayer ce dos d’ivoire et cette belle chair;
Tu boiras ce sang pur, vermeil comme la rose:
Ne frotte plus ton nez contre la grille close,
Songe, sous ta crinière, au plaisir de ronger
Un beau corps tout vivant, et de pouvoir plonger
Dans le goufre béant de ta gueule qui fume,
Une tête où déjà l’auréole s’allume.
Le Belluaire ainsi gourmande son lion,
Et le lion fait trève à sa rébellion.
Mais toi, sauvage amour, qui, la prunelle en flamme,
Rugis affreusement dans l’antre de mon âme,
Je n’ai pas de victime à promettre à ta faim,
Ni d’esclave chrétienne à te jeter demain;
Tâche de t’apaiser, ou je m’en vais te clore
Dans un lieu plus profond et plus sinistre encore;
A quoi bon te débattre et grincer et hurler?
Le temps n’est pas venu de te démuseler.
En attendant le jour de revoir la lumière,
Silencieusement, à l’angle d’une pierre,
Ou contre les barreaux de ton noir souterrain,
Aiguise le tranchant de tes ongles d’airain.
 

Lamento

 
Connaissez-vous la blanche tombe,
Où flotte avec un son plaintif
L’ombre d’un if?
Sur l’if, une pâle colombe,
Triste et seule, au soleil couchant,
Chante son chant.
Un air maladivement tendre,
A la fois charmant et fatal,
Qui vous fait mal,
Et qu’on voudrait toujours entendre;
Un air, comme en soupire aux cieux
L’ange amoureux.
On dirait que l’âme éveillée
Pleure sous terre, à l’unisson
De la chanson,
Et, du malheur d’être oubliée,
Se plaint dans un roucoulement
Bien doucement.
Sur les ailes de la musique
On sent lentement revenir
Un souvenir;
Une ombre de forme angélique
Passe dans un rayon tremblant,
En voile blanc.
Les belles de nuit, demi-closes,
Jettent leur parfum faible et doux
Autour de vous,
Et le fantôme aux molles poses
Murmure en vous tendant les bras:
Tu reviendras!
Oh! jamais plus, près de la tombe
Je n’irai, quand descend le soir
Au manteau noir,
Ecouter la pâle colombe
Chanter, sur la branche de l’if,
Son chant plaintif!
 

Barcarolle

 
Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler!
L’aviron est d’ivoire,
Le pavillon de moire,
Le gouvernail d’or fin;
J’ai pour lest une orange,
Pour voile, une aile d’ange;
Pour mousse, un séraphin.
Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler!
Est-ce dans la Baltique?
Sur la mer Pacifique,
Dans l’île de Java?
Ou bien dans la Norvége,
Cueillir la fleur de neige,
Ou la fleur d’Angsoka?
Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler!
Menez-moi, dit la belle,
A la rive fidèle
Où l’on aime toujours.
—Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours.
 

Tristesse

 
Avril est de retour.
La première des roses,
De ses lèvres mi-closes,
Rit au premier beau jour;
La terre bienheureuse
S’ouvre et s’épanouit;
Tout aime, tout jouit.
Hélas! j’ai dans le coeur une tristesse affreuse.
Les buveurs en gaîté,
Dans leurs chansons vermeilles,
Célèbrent sous les treilles
Le vin et la beauté;
La musique joyeuse,
Avec leur rire clair,
S’éparpille dans l’air.
Hélas! j’ai dans le coeur une tristesse affreuse.
En deshabillés blancs,
Les jeunes demoiselles
S’en vont sous les tonnelles,
Au bras de leurs galants;
La lune langoureuse
Argente leurs baisers
Longuement appuyés.
Hélas! j’ai dans le coeur une tristesse affreuse.
Moi, je n’aime plus rien,
Ni l’homme, ni la femme,
Ni mon corps, ni mon âme,
Pas même mon vieux chien.
Allez dire qu’on creuse,
Sous le pâle gazon,
Une fosse sans nom.
Hélas! j’ai dans le coeur une tristesse affreuse.
 

Qui sera Roi?

I.

Béhémot

 
Moi, je suis Béhémot, l’éléphant, le colosse.
Mon dos prodigieux, dans la plaine, fait bosse
Comme le dos d’un mont.
Je suis une montagne animée et qui marche:
Au déluge, je fis presque chavirer l’arche,
Et quand j’y mis le pied, l’eau monta jusqu’au pont.
Je porte, en me jouant, des tours sur mon épaule;
Les murs tombent broyés sous mon flanc qui les frôle
Comme sous un bélier.
Quel est le bataillon que d’un choc je ne rompe?
J’enlève cavaliers et chevaux dans ma trompe,
Et je les jette en l’air sans plus m’en soucier!
Les piques, sous mes pieds, se couchent comme l’herbe
Je jette à chaque pas, sur la terre, une gerbe
De blessés et de morts.
Au coeur de la bataille, aux lieux où la mêlée
Rugit plus furieuse et plus échevelée,
Comme un mortier sanglant, je vais gâchant les corps.
Les flèches font sur moi le pétillement grêle,
Que par un jour d’hiver font les grains de la grêle
Sur les tuiles d’un toit.
Les plus forts javelots, qui faussent les cuirasses,
Effleurent mon cuir noir sans y laisser de traces,
Et par tous les chemins je marche toujours droit.
Quand devant moi je trouve un arbre, je le casse;
A travers les bambous, je folâtre et je passe
Comme un faon dans les blés.
Si je rencontre un fleuve en route, je le pompe,
Je dessèche son urne avec ma grande trompe,
Et laisse sur le sec ses hôtes écaillés.
Mes défenses d’ivoire éventreraient le monde,
Je porterais le ciel et sa coupole ronde
Tout aussi bien qu’Atlas.
Rien ne me semble lourd; pour soutenir le pôle;
Je pourrais lui prêter ma rude et forte épaule.
Je le remplacerai quand il sera trop las!
 
II
 
Quand Béhémot eut dit jusqu’au bout sa harangue,
Léviathan, ainsi, répondit, en sa langue.
 
III

Léviathan

 
Taisez-vous, Béhémot, je suis Léviathan;
Comme un enfant mutin je fouette l’Océan
Du revers de ma large queue.
Mes vieux os sont plus durs que des barres d’airain,
Aussi Dieu m’a fait roi de l’univers marin,
Seigneur de l’immensité bleue.
Le requin endenté d’un triple rang de dents,
Le dauphin monstrueux, aux longs fanons pendants,
Le kraken qu’on prend pour une île,
L’orque immense et difforme et le lourd cachalot,
Tout le peuple squameux qui laboure le flot,
Du cétacé jusqu’au nautile;
Le grand serpent de mer et le poisson Macar,
Les baleines du pôle, à l’oeil rond et hagard,
Qui soufflent l’eau par la narine;
Le triton fabuleux, la sirène aux chants clairs,
Sur le flanc d’un rocher, peignant ses cheveux verts
Et montrant sa blanche poitrine;
Les oursons étoilés et les crabes hideux,
Comme des coutelas agitant autour d’eux
L’arsenal crochu de leurs pinces;
Tous, d’un commun accord, m’ont reconnu pour roi.
Dans leurs antres profonds, ils se cachent d’effroi
Quand je visite mes provinces.
Pour l’oeil qui peut plonger au fond du gouffre noir,
Mon royaume est superbe et magnifique à voir:
Des végétations étranges,
Éponges, polypiers, madrépores, coraux,
Comme dans les forêts, s’y courbent en arceaux,
S’y découpent en vertes franges.
Le frisson de mon dos fait trembler l’Océan,
Ma respiration soulève l’ouragan
Et se condense en noirs nuages;
Le souffle impétueux de mes larges naseaux,
Fait, comme un tourbillon, couler bas les vaisseaux
Avec les pâles équipages.
Ainsi, vous avez tort de tant faire le fier;
Pour avoir une peau plus dure que le fer
Et renversé quelque muraille;
Ma gueule vous pourrait engloutir aisément.
Je vous ai regardé, Béhémot, et vraiment
Vous êtes de petite taille.
L’empire revient donc à moi, prince des eaux;
Qui mène chaque soir les difformes troupeaux
Paître dans les moites campagnes;
Moi témoin du déluge et des temps disparus;
Moi qui noyai jadis avec mes flots accrus
Les grands aigles sur les montagnes!
 
IV
 
Léviathan se tut et plongea sous les flots;
Ses flancs ronds reluisaient comme de noirs îlots.
 
V

L’oiseau Rock

 
Là bas, tout là bas, il me semble
Que j’entends quereller ensemble
Béhémot et Léviathan;
Chacun des deux rivaux aspire,
Ambition folle, à l’empire
De la terre et de l’Océan.
Eh quoi! Léviathan l’énorme,
S’asseoirait, majesté difforme,
Sur le trône de l’univers!
N’a-t-il pas ses grottes profondes,
Son palais d’azur sous les ondes?
N’est-il pas roi des peuples verts?
Béhémot, dans sa patte immonde,
Veut prendre le sceptre du monde
Et se poser en souverain.
Béhémot, avec son gros ventre,
Veut faire venir à son antre,
L’Univers terrestre et marin.
La prétention est étrange
Pour ces deux pétrisseurs de fange,
Qui ne sauraient quitter le sol.
C’est moi, l’oiseau Rock, qui dois être,
De ce monde, seigneur et maître,
Et je suis roi de par mon vol.
Je pourrais, dans ma forte serre,
Prendre la boule de la terre
Avec le ciel pour écusson.
Créez deux mondes; je me flatte
D’en tenir un dans chaque patte,
Comme les aigles du blason.
Je nage en plein dans la lumière,
Et ma prunelle sans paupière
Regarde en face le soleil.
Lorsque, par les airs, je voyage,
Mon ombre, comme un grand nuage,
Obscurcit l’horizon vermeil.
Je cause avec l’étoile bleue
Et la comète à pâle queue;
Dans la lune je fais mon nid;
Je perche sur l’arc d’une sphère;
D’un coup de mon aile légère,
Je fais le tour de l’infini.
 
VI

L’homme

 
Léviathan, je vais, malgré les deux cascades
Qui de tes noirs évents jaillissent en arcades;
La mer qui se soulève à tes reniflements,
Et les glaces du pôle et tous les éléments,
Monté sur une barque entr’ouverte et disjointe,
T’enfoncer dans le flanc une mortelle pointe;
Car il faut un peu d’huile à ma lampe le soir,
Quant le soleil s’éteint et qu’on n’y peut plus voir.
Béhémot, à genoux, que je pose la charge
Sur ta croupe arrondie et ton épaule large;
Je ne suis pas ému de ton énormité;
Je ferai de tes dents quelque hochet sculpté,
Et je te couperai tes immenses oreilles,
Avec leurs plis pendants, à des drapeaux pareilles
Pour en orner ma toque et gonfler mon chevet.
Oiseau Rock, prête-moi ta plume et ton duvet,
Mon plomb saura t’atteindre, et, l’aile fracassée,
Sans pouvoir achever la courbe commencée,
Des sommités du ciel, à mes pieds, sur le roc,
Tu tomberas tout droit, orgueilleux oiseau Rock.
 
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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