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Читать книгу: «La comédie de la mort», страница 9

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Compensation

 
Il naît sous le soleil de nobles créatures,
Unissant ici-bas tout ce qu’on peut rêver,
Corps de fer, coeur de flamme, admirables natures;
Dieu semble les produire afin de se prouver;
Il prend, pour les pétrir, une argile plus douce,
Et souvent passe un siècle à les parachever.
Il met, comme un sculpteur, l’empreinte de son pouce
Sur leurs fronts rayonnants de la gloire des cieux,
Et l’ardente auréole en gerbes d’or y pousse.
Ces hommes-là s’en vont, calmes et radieux,
Sans quitter un instant leur pose solennelle,
Avec l’oeil immobile et le maintien des dieux.
Leur moindre fantaisie est une oeuvre éternelle,
Tout cède devant eux; les sables inconstants,
Gardent leurs pas empreints, comme un airain fidèle.
Ne leur donnez qu’un jour ou donnez-leur cent ans,
L’orage ou le repos, la palette ou le glaive,
Ils mèneront à bout, leurs destins éclatants.
Leur existence étrange est le réel du rêve;
Ils exécuteront votre plan idéal,
Comme un maître savant le croquis d’un élève.
Vos désirs inconnus, sous l’arceau triomphal,
Dont votre esprit en songe, arrondissait la voûte,
Passent assis en croupe au dos de leur cheval.
D’un pied sûr, jusqu’au bout, ils ont suivi la route,
Où, dès les premiers pas, vous vous êtes assis,
N’osant prendre une branche au carrefour du doute.
De ceux-là, chaque peuple en compte cinq ou six,
Cinq ou six, tout au plus, dans les siècles prospères,
Types toujours vivants dont on fait des récits.
Nature avare; ô toi! si féconde en vipères,
En serpents, en crapauds tout gonflés de venins;
Si prompte à repeupler tes immondes repaires;
Pour tant d’animaux vils, d’idiots et de nains,
Pour tant d’avortements et d’oeuvres imparfaites,
Tant de monstres impurs échappés de tes mains;
Nature, tu nous dois encor bien des poëtes!
 

Chinoiserie

 
Ce n’est pas vous, non, madame, que j’aime,
Ni vous non plus, Juliette; ni vous,
Ophélia, ni Béatrix, ni même
Laure la blonde, avec ses grands yeux doux.
Celle que j’aime, à présent, est en Chine;
Elle demeure, avec ses vieux parents,
Dans une tour de porcelaine fine,
Au fleuve jaune où sont les cormorans.
Elle a des yeux retroussés vers les tempes,
Un pied petit, à tenir dans la main,
Le teint plus clair que le cuivre des lampes,
Les ongles longs et rougis de carmin.
Par son treillis elle passe sa tête,
Que l’hirondelle, en volant, vient toucher;
Et, chaque soir, aussi bien qu’un poëte,
Chante le saule et la fleur du pêcher.
 

Sonnet

 
Pour veiner de son front la pâleur délicate,
Le Japon a donné son plus limpide azur,
La blanche porcelaine est d’un blanc bien moins pur
Que son col transparent et ses tempes d’agate.
Dans sa prunelle humide un doux rayon éclate;
Le chant du rossignol près de sa voix est dur,
Et quand elle se lève, à notre ciel obscur,
On dirait de la lune en sa robe d’ouate.
Ses yeux d’argent bruni roulent moëlleusement;
Le caprice a taillé son petit nez charmant;
Sa bouche a des rougeurs de pêche et de framboise;
Ses mouvements sont pleins d’une grâce chinoise,
Et près d’elle, on respire autour de sa beauté,
Quelque chose de doux comme l’odeur du thé.
 

A deux beaux yeux

 
Vous avez un regard singulier et charmant;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment;
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant;
Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal.
 

Le Thermodon

I
 
J’ai, dans mon cabinet, une bataille énorme
Qui s’agite et se tord comme un serpent difforme,
Et dont l’étrange aspect arrête l’oeil surpris;
On dirait qu’on entend, avec un sourd murmure,
La gravure sonner comme une vieille armure,
Et le papier muet semble jeter des cris.
Un pont, par où se rue une foule en démence,
Arc-en-ciel de carnage, ouvre sa courbe immense,
Et, d’un cadre de pierre, entoure le tableau;
A travers l’arche, on voit une ville enflammée,
D’où montent, en tournant, de longs flots de fumée,
Dont le rouge reflet brille et tremble sur l’eau.
Une barque, pareille à la barque des ombres,
Glisse sinistrement au dos des vagues sombres,
Portant, triste fardeau, des vaincus et des morts;
Une averse de sang pleut des têtes coupées;
Des mains, par l’agonie, éperdument crispées,
Avec leurs doigts noueux s’accrochent à ses bords.
Pour recevoir le corps, mort ou vivant, qui tombe,
Le grand fleuve a toujours toute prête une tombe;
Il le berce un moment, et puis il l’engloutit;
Les flots toujours béants, de leurs gueules voraces,
Dévorent cavaliers, chevaux, casques, cuirasses,
Tout ce que le combat jette à leur appétit.
Ici c’est un cheval qui s’effare et se cabre,
Et se fait, dans sa chute, une blessure au sabre
Qu’un mourant tient encor dans son poing fracassé;
Plus loin, c’est un carquois plein de flèches, qui verse
Ses dards en pluie aiguë, et dont chaque trait perce
Un cadavre déjà de cent coups traversé.
C’est un rude combat! chevelures, crinières,
Panaches et cimiers, enseignes et bannières,
Au souffle des clairons volent échevelés;
Les lances, ces épis de la moisson sanglante,
S’inclinent à leur vent en tranche étincelante,
Comme sous une pluie on voit pencher des blés.
Les glaives dentelés font d’affreuses morsures;
Le poignard altéré, plongeant dans les blessures,
Comme dans une coupe, y boit à flots le sang;
Et les épieux, rompant les armes les plus fortes,
Pour le ciel ou l’enfer, ouvrent de larges portes
Aux âmes qui des corps sortent en rugissant.
Quelle férocité de dessin et de touche,
Quelle sauvagerie et quelle ardeur farouche!
Qui signa ce poëme étrange et véhément?
C’est toi, maître suprême, à la main turbulente,
Peintre au non rouge, roi de la couleur brûlante,
Divin Néerlandais, Michel-Ange flamand!
C’est toi, Rubens, c’est toi, dont la rage sublime,
Pencha cette bataille au bord de cet abîme,
Qui joignis ses deux bouts comme un bracelet d’or,
Et lui mis pour camée un beau groupe de femmes,
Si blanches, que le fleuve aux triomphantes lames,
S’apaise et n’ose pas les submerger encor!
 
II
 
Car ce sont, ô pitié! des femmes, des guerrières
Que la mêlée étreint de ses mains meurtrières.
Sous l’armure une gorge bat;
Les écailles d’airain couvrent des seins d’ivoire,
où, nourrisson cruel, la mort pâle vient boire
Le lait empourpré du combat.
Regardez! regardez! les chevelures blondes
Coulent en ruisseaux d’or se mêler sous les ondes,
Aux cheveux glauques des roseaux.
Voyez ces belles chairs, plus pures que l’albâtre,
Où, dans la blancheur mate, une veine bleuâtre
Circule en transparents réseaux.
Hélas! sur tous ces corps à la teinte nacrée,
La mort a déjà mis sa pâleur azurée;
Ils n’ont de rose que le sang.
Leurs bras abandonnés trempent, les mains ouvertes,
Dans la vase du fleuve, entre les algues vertes,
Où l’eau les soulève en passant.
Le cheval de bataille à la croupe tigrée,
Secouant dans les cieux sa crinière effarée,
Les foule avec ses durs sabots.
Et le lâche vainqueur, dans sa rage brutale,
Sur leur ventre appuyant sa poudreuse sandale,
Tire à lui leurs derniers lambeaux.
Bientôt, du haut des monts, les vautours au col chauve,
Les corbeaux vernissés, les aigles à l’oeil fauve;
L’orfraie au regard clandestin;
Les loups se balançant sur leurs échines maigres,
Les renards, les chakals, accourront tout allègres,
Prendre leur part au grand festin;
Ce splendide banquet réparera leurs jeûnes;
O misère! ô douleur! tous ces corps frais et jeunes,
Ces beaux seins, d’un si pur contour,
Faits pour les chauds baisers d’une amoureuse bouche,
Fouillés par le museau de l’hyène farouche,
Piqués par le bec du vautour!
Cessez de vains efforts, ô braves amazones!
A quoi vous sert d’avoir, ainsi que des Bellones,
Le casque grec empanaché,
La cuirasse de fer, de clous d’or étoilée,
Si votre main trop faible, au fort de la mêlée,
Lâche votre glaive ébréché!
Votre armure faussée, entre ces bras robustes,
Comme un mince carton s’aplatit sur ces bustes,
Où le poil pousse en plein terrain;
Avec ces forts lutteurs, les plus puissantes armes,
O guerrières! seraient les appas et les charmes
Cachés sous vos corsets d’airain.
S’ils n’étaient repoussés par les rudes écailles,
Par les mailles d’acier qui hérissent vos tailles,
Les bras se suspendraient autour;
Si vous aviez voulu, douce et modeste gloire,
Vous auriez, sans combat, remporté la victoire,
Car la force cède à l’amour.
Penchez-vous sur le col de vos promptes cavales
Qui volent, de la brise et de l’éclair rivales.
Fuyez sans vous tourner pour voir,
Et, ne vous arrêtez qu’en des retraites sûres,
Où se trouve un flot clair pour laver vos blessures
Et du gazon pour vous asseoir!
 
III
 
C’est la nécessité! c’est la règle fatale!
Toujours l’esprit le cède à la force brutale;
Et quand la passion, aux beaux élans divins,
Avec le positif veut en venir aux mains,
Ardente, et n’écoutant que le feu qui l’anime,
Engage le combat sur le pont de l’abîme;
Elle ne peut tenir, avec ses mains d’enfant,
Contre ces grands chevaux à forme d’éléphant,
Cabrés et renversés sur leurs énormes croupes,
Contre ces forts guerriers et ces robustes troupes
Aux bras durs et noueux comme des chênes verts,
Aux musculeux poitrails, de buffle recouverts;
Toujours le pied lui manque, et de flèches criblée,
Elle tombe en hurlant dans l’onde flagellée,
Où son corps va trouver les caïmans du fond.
Cependant, les vainqueurs, sur la crète du pont,
Sans donner une plainte aux victimes noyées,
Passent, tambours battants, enseignes déployées.
Cette planche, gravée en six cartons divers,
Par Lucas Vostermann, d’après Rubens, d’Anvers,
Femmes, au coeur hautain, pâles cariatides,
Qui ployez à regret des têtes moins timides
Sous le fronton pesant des devoirs et des lois,
Et qui vous refusez à porter votre croix,
De votre destinée est l’effrayant symbole
Et je l’y vois écrite en sombre parabole:
Comme vous, autrefois, folles de liberté,
Des femmes au grand coeur, à la mâle beauté,
Se brûlèrent un sein, et mirent à la place
La Méduse sculptée au coeur de la cuirasse;
Elles laissèrent là l’aiguille et les fuseaux,
La navette qui court à travers les réseaux,
Les travaux de la femme et les soins du ménage,
Pour la lance et l’épée, instruments de carnage;
Négligeant la parure, et n’ayant pour se voir
Qu’un bouclier d’airain, fauve et louche miroir;
Au Thermodon, qu’enjambe un pont d’une seule arche,
Leur troupe rencontra la grande armée en marche;
Ce fut un choc terrible, et sur le pont, longtemps
Incertaine marée, on vit les combattants,
Les chevelures d’or où bien les têtes brunes,
Femmes, soldats, suivant leurs diverses fortunes,
Pousser et repousser leur flux et leur reflux,
Et longtemps la victoire, aux pieds irrésolus,
Mesurant le terrain et supputant les pertes,
Erra d’un camp à l’autre avec ses palmes vertes.
De fatigue à la fin, les bras frêles et blancs
Laissèrent, tout meurtris, choir leurs glaives sanglants
Trop faibles ouvriers pour de si fortes âmes;
Et, dans l’eau, jusqu’au soir, il plut des corps de femmes!
 

Élégie

 
J’ai fait une remarque hier en te quittant.
Sans doute j’ai mal vu; mais quand on aime tant,
On a peur; on se fait, avec la moindre chose,
Un sujet de tourments. On veut savoir la cause
De chaque effet. Un mot, un geste, une ombre, un rien,
La plus folle chimère, un souvenir ancien
Qui dormait dans un coin du coeur et qui s’éveille,
Tout vous effraie. On dit qu’infortune pareille,
Ne s’est pas encor vue et que l’on en mourra;
L’on n’en meurt pas; demain peut-être on en rira.
Vous veniez pour vous plaindre; un baiser, un sourire,
Et vous ne savez plus ce que vous veniez dire.
Quand tu liras ces vers, sans doute tu diras
Que mon idée est folle et tu m’embrasseras,
Et puis, j’oublierai tout, excepté que je t’aime
Et que je t’aimerai toujours. Fais-en de même.
Or, voici ma remarque. Il m’a semblé cela.
Je voudrais oublier toutes ces choses-là.
Mais je ne puis. Hier tu paraissais distraite,
Et ce n’est pas ainsi, certes, que Juliette
Laisse aller Roméo qui part. En ce moment
Où mon âme pamée à chaque embrassement,
S’élançait sur ta bouche au-devant de ton âme,
Où ma prunelle en pleurs baignait ma joue en flamme,
Où mon coeur éperdu, sur ton coeur qu’il cherchait,
Vibrait comme une lyre au toucher de l’archet,
Où mes deux bras noués, comme ceux d’un avare
Qui tient son or et craint qu’un larron s’en empare,
Te tenaient enfermée et t’enchaînaient à moi.
Toi, tu ne disais rien; tu n’écoutais pas, toi;
Mes baisers s’éteignaient sur ta lèvre glacée;
Je ne te sentais pas sentir; ta main pressée
N’entendait pas la mienne et ne répondait rien.
J’étais là, devant toi, comme un musicien,
Tourmentant le clavier d’un clavecin sans cordes.
O mon âme! pourquoi faut-il, quand tu débordes,
Comme un lis rempli d’eau que le vent fait pencher,
Que l’âme où tout en pleurs tu voudrais t’épancher,
Se ferme et te repousse et te laisse répandre
Tes plus divins parfums sans en vouloir rien prendre?
J’ai cherché vainement pourquoi cette froideur,
Après tant de baisers vivants et pleins d’ardeur,
Après tant de serments et de douces paroles,
Tant de soupirs d’ivresse et de caresses folles;
Je n’ai rien pu trouver autre chose, sinon
Qu’on était fou d’avoir au fond du coeur un nom
Que l’on ne dira pas, et que c’était chimère
D’aimer une autre femme au monde que sa mère.
Rousseau dit quelque part:—Regardez votre amant
Au sortir de vos bras. Il a raison vraiment.
Lorsque, le désir mort, naît la mélancolie,
Que l’amour satisfait se recueille et s’oublie,
Comme au sein de sa mère un enfant qui s’endort;
Que l’ennui vient d’entrer et que le plaisir sort,
Le moment est venu de regarder en face
L’amant qu’on s’est choisi. Quoi qu’il dise ou qu’il fasse,
Vous lirez sur son front son amour tel qu’il est.
Le mot sans doute est beau, mais ce qui m’en déplaît,
C’est qu’il s’adresse à l’homme et non pas à la femme.
Quand le corps assouvi laisse en paix régner l’âme,
Qu’on s’écoute penser et qu’on entend son coeur,
Et que dans la maîtresse on embrasse la soeur,
La première lassée est la femme. La honte
D’avoir été vaincue, au fond d’elle surmonte
Le bonheur d’être aimée; elle hait son amant,
Comme on hait un vainqueur, et, certe, en ce moment
Les choses sont ainsi; s’il est quelqu’un au monde
Qu’elle haïsse bien et de haine profonde,
C’est lui, car c’est son maître et son seigneur; il peut
Divulguer tout; il peut la perdre s’il le veut;
Il ne le voudra pas, mais il le peut. La crainte
A remplacé l’amour; une froide contrainte
Succède aux beaux élans de folle liberté.
Adieu l’enivrement, le rire et la gaîté.
La femme se repent et l’homme se repose,
Il a touché son but, il a gagné sa cause;
C’est le triomphateur, le vainqueur, le César,
Qui, la couronne au front, au devant de son char,
Malgré tout son amour, s’il peut la prendre vive,
Traînera sans pitié Cléopâtre captive.
Aspic, dresse ton col tout gonflé de venin!
Sors du panier de fleurs, siffle et mord ce beau sein.
César attend dehors! il lui faut Cléopâtre,
Pour suivre le triomphe et paraître au théâtre.
Il faut que sur leurs bancs les chevaliers romains
Disent:—Heureux César! et lui battent des mains.
La femme sait cela que de reine et maîtresse,
Elle devient esclave et que son pouvoir cesse;
Mais le sceptre qu’hier, dans l’oubli du plaisir,
Elle a laissé tomber, aujourd’hui le désir
Le lui remet en main et la fait souveraine.
Il faut que son amant à ses genoux se traîne
Et lui baise les pieds et demande pardon.
Mais elle maintenant, froide et sans abandon,
Avec un double fil nouant son nouveau masque,
Ainsi qu’un chevalier à l’abri sous son casque,
Guette à couvert l’instant où, faible et désarmé,
Se livre à son poignard l’amant qu’on croit aimé.
Mon ange, n’est-ce pas qu’une telle pensée
N’eût pas dû me venir et doit être chassée,
Et que je suis bien fou de douter d’un amour
Dont personne ne doute, et prouvé chaque jour.
J’ai tort; mais que veux-tu? ces angoisses si vives,
Ces haines, ces retours et ces alternatives,
Ces désespoirs mortels suivis d’espoirs charmants,
C’est l’amour, c’est ainsi que vivent les amants.
Cette existence-là c’est la mienne, la nôtre;
Telle qu’elle est, pourtant, je n’en voudrais pas d’autre.
On est bien malheureux, mais pour un tel malheur
Les heureux volontiers changeraient leur bonheur.
Aimer! ce mot-là seul contient toute la vie.
Près de l’amour, que sont les choses qu’on envie?
Trésors, sceptres, lauriers, qu’est tout cela, mon Dieu!
Comme la gloire est creuse et vous contente peu!
L’amour seul peut combler les profondeurs de l’âme,
Et toute ambition meurt aux bras d’une femme!
 

La bonne Journée

 
Ce jour, je l’ai passé ployé sur mon pupitre,
Sans jeter une fois l’oeil à travers la vitre.
Par Apollo! cent vers; je devrais être las,
On le serait à moins; mais je ne le suis pas;
Je ne sais quelle joie intime et souveraine
Me fait le regard vif et la face sereine,
Comme après la rosée une petite fleur;
Mon front se lève en haut avec moins de pâleur;
Un sourire d’orgueil sur mes lèvres rayonne,
Et mon souffle pressé plus fortement résonne.
J’ai rempli mon devoir comme un brave ouvrier.
Rien ne m’a pu distraire; en vain mon lévrier,
Entre mes deux genoux posant sa longue tête,
Semblait me dire:—En chasse! en vain d’un air de fête
Le ciel tout bleu dardait, par le coin du carreau,
Un filet de soleil jusque sur mon bureau;
Près de ma pipe, en vain, ma joyeuse bouteille
M’étalait son gros ventre et souriait vermeille;
En vain ma bien-aimée, avec son beau sein nu,
Se penchait en riant de son rire ingénu;
Sur mon fauteuil gothique, et dans ma chevelure
Répandait les parfums de son haleine pure.
Sourd comme saint Antoine à la tentation,
J’ai poursuivi mon oeuvre avec religion;
L’oeuvre de mon amour qui mort me fera vivre,
Et ma journée ajoute un feuillet à mon livre.
 

L’Hippopotame

 
L’hippopotame au large ventre
Habite aux Jungles de Java,
Où grondent, au fond de chaque antre,
Plus de monstres qu’on n’en rêva.
Le boa se déroule et siffle,
Le tigre fait son hurlement;
Le bufle en colère renifle;
Il dort en paix tranquillement.
Il ne craint ni kriss ni zagaies;
Il regarde l’homme sans fuir,
Et rit des balles des cypaies
Qui rebondissent sur son cuir.
Je suis comme l’hippopotame;
De ma conviction couvert,
Forte armure que rien n’entame,
Je vais sans peur par le désert.
 

Villanelle rhythmique

 
Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids,
Tous les deux, nous irons, ma belle,
Pour cueillir le muguet au bois;
Sous nos pieds égrenant les perles,
Que l’on voit au matin trembler,
Nous irons écouter les merles
Siffler.
Le printemps est venu, ma belle,
C’est le mois des amants béni,
Et l’oiseau, satinant son aile,
Dit des vers au rebord du nid.
Oh! viens donc sur le banc de mousse,
Pour parler de nos beaux amours,
Et dis-moi de ta voix si douce:
Toujours!
Loin, bien loin, égarant nos courses,
Faisons fuir le lapin caché,
Et le daim au miroir des sources
Admirant son grand bois penché;
Puis, chez nous, tout joyeux, tout aises,
En panier, enlaçant nos doigts,
Revenons rapportant des fraises
Des bois.
 

Le Sommet de la Tour

 
Lorsque l’on veut monter aux tours des cathédrales,
On prend l’escalier noir qui roule ses spirales,
Comme un serpent de pierre au ventre du clocher.
L’on chemine d’abord dans une nuit profonde,
Sans trèfle de soleil et de lumière blonde,
Tâtant le mur des mains, de peur de trébucher;
Car les hautes maisons voisines de l’église
Vers le pied de la tour versent leur ombre grise,
Qu’un rayon lumineux ne vient jamais trancher.
S’envolant tout à coup, les chouettes peureuses
Vous flagellent le front de leurs ailes poudreuses,
Et les chauve-souris s’abattent sur vos bras.
Les spectres, les terreurs qui hantent les ténèbres,
Vous frôlent en passant de leurs crêpes funèbres;
Vous les entendez geindre et chuchoter tout bas.
A travers l’ombre on voit la chimère accroupie
Remuer, et l’écho de la voûte assoupie
Derrière votre pas suscite un autre pas.
Vous sentez à l’épaule une pénible haleine,
Un souffle intermittent, comme d’une âme en peine
Qu’on aurait éveillée et qui vous poursuivrait.
Et si l’humidité fait des yeux de la voûte,
Larmes du monument, tomber l’eau goutte à goutte,
Il semble qu’on dérange une ombre qui pleurait.
Chaque fois que la vis, en tournant, se dérobe,
Sur la dernière marche un dernier pli de robe,
Irritante terreur, brusquement disparaît.
Bientôt le jour filtrant par les fentes étroites,
Sur le mur opposé trace des lignes droites,
Comme une barre d’or sur un écusson noir.
L’on est déjà plus haut que les toits de la ville,
Edifices sans nom, masse confuse et vile,
Et par les arceaux gris le ciel bleu se fait voir.
Les hiboux disparus font place aux tourterelles,
Qui lustrent au soleil le satin de leurs ailes
Et semblent roucouler des promesses d’espoir.
Des essaims familiers perchent sur les tarasques,
Et, sans se rebuter de la laideur des masques,
Dans chaque bouche ouverte un oiseau fait son nid.
Les guivres, les dragons et les formes étranges
Ne sont plus maintenant que des figures d’anges,
Séraphiques gardiens taillés dans le granit,
Qui depuis huit cents ans, pensives sentinelles,
Dans leurs niches de pierre, appuyés sur leurs ailes,
Montent leur faction qui jamais ne finit.
Vous débouchez enfin sur une plate-forme
Et vous apercevez, ainsi qu’un monstre énorme,
La Cité grommelante accroupie alentour.
Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires,
Elle mord l’horizon de ses mille dents noires,
Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour.
A travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre,
Elle souffle dans l’air son haleine bleuâtre,
Que dore par flocons un chaud reflet de jour.
Comme sur l’eau qui bout monte et chante l’écume,
Sur la ville toujours plane une ardente brume,
Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus.
Ce sont les tintements et les grêles volées
Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées,
Chantant, à plein gosier, dans leurs beffrois touffus;
C’est le vent dans le ciel et l’homme sur la terre;
C’est le bruit des tambours et des clairons de guerre,
Où des canons grondeurs sonnant sur leurs affuts;
C’est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne
File comme une étoile à travers l’ombre terne,
Emportant un heureux aux bras de son désir;
Le soupir de la vierge, au balcon accoudée,
Le marteau sur l’enclume et le fait sur l’idée;
Le cri de la douleur ou le chant du plaisir.
Dans cette symphonie au colossal orchestre,
Que n’écrira jamais musicien terrestre,
Chaque objet fait sa note impossible à saisir.
Vous pensiez être en haut, mais voici qu’une aiguille,
Où le ciel découpé par dentelles scintille,
Se présente soudain devant vos pieds lassés.
Il faut monter encor dans la mince tourelle,
L’escalier qui serpente en spirale plus frèle,
Se pendant aux crampons de loin en loin placés.
Le vent, d’un air moqueur, à vos oreilles siffle,
La goule étend sa griffe et la guivre renifle;
Le vertige alourdit vos pas embarrassés.
Vous voyez loin de vous, comme dans des abîmes,
S’aplanir les clochers et les plus hautes cimes;
Des aigles les plus fiers vous dominez l’essor.
Votre sueur se fige à votre front en nage;
L’air trop vif vous étouffe: allons, enfant, courage!
Vous êtes près des cieux; allons, un pas encor!
Et vous pourrez toucher, de votre main surprise,
L’archange colossal que fait tourner la brise,
Le saint Michel géant qui tient un glaive d’or;
Et si, vous accoudant sur la rampe de marbre,
Qui palpite au grand vent, comme une branche d’arbre,
Vous dirigez en bas un oeil moins effrayé;
Vous verrez la campagne à plus de trente lieues,
Un immense horizon, bordé de franges bleues,
Se déroulant sous vous comme un tapis rayé;
Les carrés de blé d’or, les cultures zébrées,
Les plaques de gazon, de troupeaux noirs tigrées;
Et, dans le sainfoin rouge, un chemin blanc frayé;
Les cités, les hameaux, nids semés dans la plaine,
Et partout, où se groupe une famille humaine,
Un clocher vers le ciel, comme un doigt s’allongeant.
Vous verrez dans le golfe, aux bras des promontoires,
La mer se diaprer et se gauffrer de moires,
Comme un kandjiar turc damasquiné d’argent;
Les vaisseaux, alcyons balancés sur leurs ailes,
Piquer l’azur lointain de blanches étincelles
Et croiser en tous sens leur vol intelligent.
Comme un sein plein de lait gonflant leurs voiles ronde,
Sur la foi de l’aimant, ils vont chercher des mondes,
Des rivages nouveaux sur de nouvelles mers!
Dans l’Inde, de parfums, d’or et de soleil pleine,
Dans la Chine bizarre, aux tours de porcelaine,
Chimérique pays peuplé de dragons verts;
Ou vers Otaïti, la belle fleur des ondes,
De ses longs cheveux noirs tordant les perles blondes,
Comme une autre Vénus, fille des flots amers!
A Ceylan, à Java, plus loin encor peut-être,
Dans quelque île déserte et dont on se rend maître;
Vers une autre Amérique échappée à Colomb!
Hélas! et vous aussi, sans crainte, ô mes pensées!
Livrant aux vents du ciel vos ailes empressées,
Vous tentez un voyage aventureux et long.
Si la foudre et le nord respectent vos antennes,
Des pays inconnus et des îles lointaines
Que rapporterez-vous? de l’or, ou bien du plomb?…
La spirale soudain s’interrompt et se brise.
Comme celui qui monte au clocher de l’église,
Me voici maintenant au sommet de ma tour.
J’ai planté le drapeau tout au haut de mon oeuvre.
Ah! que depuis longtemps, pauvre et rude manoeuvre,
Insensible à la joie, à la vie, à l’amour.
 

Pour garder mon dessin avec ses lignes pures, J’émousse mon ciseau contre des pierres dures, Élevant à grand’peine une assise par jour!

 
Pendant combien de mois suis-je resté sous terre,
Creusant comme un mineur ma fouille solitaire,
Et cherchant le roc vil pour mes fondations!
Et pourtant le soleil riait sur la nature;
Les fleurs faisaient l’amour, et toute créature
Livrait sa fantaisie au vent des passions.
Le printemps dans les bois faisait courir la sève,
Et le flot, en chantant, venait baiser la grève;
Tout n’était que parfum, plaisir, joie et rayons!
Patient architecte, avec mes mains pensives,
Sur mes piliers trapus inclinant mes ogives,
Je faisais sous l’église un temple souterrain.
Puis, l’église elle-même, avec ses colonnettes,
Qui semble, tant elle a d’aiguilles et d’arêtes,
Un madrépore immense, un polypier marin;
Et le clocher hardi, grand peuplier de pierre,
Où gazouillent, quand vient l’heure de la prière,
Avec les blancs ramiers, des nids d’oiseaux d’airain.
Du haut de cette tour avec peine achevée,
Pourrais-je t’entrevoir, perspective rêvée;
Terre de Chanaan où tendait mon effort?
Pourrais-je apercevoir la figure du monde,
Les astres, dans le ciel, accomplissant leur ronde,
Et les vaisseaux quittant et regagnant le port?
Si mon clocher passait seulement de la tête
Les toits et les tuyaux de la ville, ou le faîte
De ce donjon aigu, qui du brouillard ressort;
S’il était assez haut pour découvrir l’étoile
Que la colline bleue avec son dos me voile;
Le croissant qui s’écorne au toit de la maison;
Pour voir au ciel de smalt les flottantes nuées,
Par le vent du matin mollement remuées,
Comme un troupeau de l’air secouer leur toison;
Et la gloire, la gloire, astre et soleil de l’âme,
Dans un océan d’or, avec le globe en flamme,
Majestueusement monter à l’horizon!
 
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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