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Читать книгу: «La comédie de la mort», страница 6

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A un jeune Tribun

 
Ami, vous avez beau, dans votre austérité,
N’estimer chaque objet que par l’utilité,
Demander tout d’abord à quoi tendent les choses
Et les analyser dans leurs fins et leurs causes;
Vous avez beau vouloir vers ce pôle commun
Comme l’aiguille au nord faire tourner chacun;
Il est dans la nature, il est de belles choses,
Des rossignols oisifs, de paresseuses roses,
Des poëtes rêveurs et des musiciens
Qui s’inquiètent peu d’être bons citoyens,
Qui vivent au hasard et n’ont d’autre maxime,
Sinon que tout est bien pourvu qu’on ait la rime,
Et que les oiseaux bleus, penchant leurs cols pensifs,
Écoutent le récit de leurs amours naïfs.
Il est de ces esprits qu’une façon de phrase,
Un certain choix de mots tient un jour en extase,
Qui s’enivrent de vers comme d’autres de vin
Et qui ne trouvent pas que l’art soit creux et vain;
D’autres seront épris de la beauté du monde,
Et du rayonnement de la lumière blonde;
Ils resteront des mois assis devant des fleurs,
Tâchant de s’imprégner de leurs vives couleurs;
Un air de tête heureux, une forme de jambe,
Un reflet qui miroite, une flamme qui flambe,
Il ne leur faut pas plus pour les faire contents.
Qu’importent à ceux-là les affaires du temps
Et le grave souci des choses politiques!
Quand ils ont vu quels plis font vos blanches tuniques
Et comment sont coupés vos cheveux blonds ou bruns
Que leur font vos discours, magnanimes tribuns!
Vos discours sont très-beaux, mais j’aime mieux des roses.
Les antiques Vénus, aux gracieuses poses,
Que l’on voit, étalant leur sainte nudité,
Réaliser en marbre un rêve de beauté,
Ont plus fait, à mon sens, pour le bonheur du monde,
Que tous ces vains travaux où votre orgueil se fonde;
Restez assis plutôt que de perdre vos pas.
Le lis ne file pas et ne travaille pas;
Il lui suffit d’avoir la blancheur éclatante,
Il jette son parfum et cela le contente.
Dans sa coupe il réserve aux voyageurs du ciel,
Une perle de pluie, une goutte de miel,
Et la sylphide, au bal d’Oberon invitée,
Se taille dans sa feuille une robe argentée.
Qui de vous osera lui dire, paresseux!
Parce qu’il ne fait pas de chemises pour ceux
Qui grelotant de froid, et, les chairs toutes rouges,
Se cachent en hiver sous la paille des bouges,
Et qu’il ne pétrit pas de ses doigts blancs du pain
A tous les malheureux qui vont criant la faim?
Qui donc dira cela: que toute chose belle,
Femme, musique ou fleur ne porte pas en elle
Et son enseignement et sa moralité?
Comment pourrons-nous croire à la divinité
Si nous n’écoutons pas le rossignol qui chante,
Si nous n’en voyons pas une preuve touchante
Dans la suave odeur qu’envoie au ciel, le soir,
La fleur de la vallée avec son encensoir?
Qui douterait de Dieu devant de belles femmes?
Ah! veillons sur nos coeurs et fermons bien nos âmes,
Laissons tourner le monde et les choses aller;
Sans que nous la poussions, la terre peut rouler,
Et nous pouvons fort bien retirer notre épaule,
Sans faire choir le ciel et déranger le pôle;
Se croire le pivot de la création
Est une erreur commune à toute ambition;
L’on est persuadé qu’on est indispensable
Et l’on ne pèse pas le poids d’un grain de sable
Aux balances d’airain des grands événements.
L’on tombe chaque jour en des étonnements
A voir quel peu d’écume, au torrent de l’abîme,
Fait un homme jeté de la plus haute cime,
Et comme en peu de temps pour grand qu’il ait passé,
Par le premier qui vient on le voit remplacé.
Nos agitations ne laissent pas de trace:
C’est la bulle sur l’eau qui crève et qui s’efface;
En vain l’on se raidit. Toujours d’un flot égal,
Le fleuve à travers tout court au gouffre fatal,
Et dans l’éternité mystérieuse et noire
Entraîne ce gravier que l’on nomme l’histoire.
Quand votre nom serait creusé dans le rocher,
L’intarissable flot qui semble le lécher,
Ainsi qu’un chien soumis qui veut flatter son maître,
De sa langue d’azur le fera disparaître,
Et, si profondément qu’ait fouillé le ciseau,
Le rocher à coup sûr durera moins que l’eau;
Et vous, mon jeune ami, tête sereine et blonde,
A la fleur de vos ans pourquoi tenter une onde
Qui jamais n’a rendu le vaisseau confié?
Où retrouverez-vous le temps sacrifié,
Et ce qu’a de votre âme emporté sur son aile
Des révolutions la tempête éternelle?
Pourquoi, tout en sueur, sous le soleil de plomb,
Le siroco soufflant, suivre un chemin si long,
Et traverser à pied ce grand désert de prose,
Quand le ciel est d’un bleu d’outremer, quand la rose
Offre candidement sa bouche à vos baisers,
A l’âge où les bonheurs sont tellement aisés,
Que c’en est un déjà d’être au monde et de vivre?
De ses parfums ambrés le printemps vous enivre,
La fleur aux doux yeux bleus vous lorgne avec amour;
Les oiseaux de leurs nids vous donnent le bonjour,
Et la fée amoureuse, afin de vous séduire,
Se baigne devant vous dans la source, et fait luire
A travers les roseaux, sous le flot argentin,
Son épaule de nacre et son dos de satin.
Mais, sourd à tout cela comme un anachorète,
Vous foulez sans pitié la pauvre violette;
La fée en soupirant rattache ses cheveux,
Rouge d’avoir pour rien fait les premiers aveux,
Et reprend tristement ses habits sur les branches.
Si vous aviez voulu, quatre licornes blanches,
Au pays d’Avalon vous auraient emporté;
Dans les tourelles d’or d’un palais enchanté
Vous auriez pu passer votre vie en doux rêves;
Mais non; sur les cailloux, sur les sables des grèves,
Sur les éclats de verre et les tessons cassés,
A travers les débris des trônes renversés,
Vous avez préféré, faussant votre nature,
Pieds nus et dans la nuit, marcher à l’aventure;
Vous avez oublié les sentiers d’autrefois,
Et vous ne suivez plus la rêverie au bois:
Tout ce qui vous charmait vous semble choses vaines;
Vous fermez votre oreille au babil des fontaines
Et diriez volontiers: silence! au rossignol,
Le front tout soucieux et penché vers le sol,
Vous passez sans répondre au gai salut des merles;
Où donc est-il ce temps où vous comptiez les perles
Et les beaux diamants aux éclairs diaprés,
Que répand le matin sur le velours des prés?
Avec un soin plus grand que pour des pierres fines,
Vous enleviez aux fleurs les gouttes argentines,
Et prenant pour cordon un brin de ce fil blanc,
Que la vierge des cieux laisse choir en filant,
Vous composiez avec, enfantines merveilles,
Des colliers à trois rangs et des pendants d’oreilles.
Quel crime ont donc commis ces chers coquelicots,
Qui, passant leur front rouge entre les blés égaux,
Au revers du sillon, de leurs petites langues,
Vous faisaient autrefois de si belles harangues?
De votre négligence ils sont tout attristés
Et se plaignent au vent de n’être plus chantés.
C’est en vain que juillet les convie à sa fête;
Ainsi que des vieillards ils vont courbant la tête,
Et s’ils pouvaient noircir ils se mettraient en deuil.
Les bluets désolés ont tous la larme à l’oeil,
Car ils vous pensent mort et ne peuvent pas croire.
Que vous avez perdu si vite la mémoire
Des entretiens naïfs et des charmants amours
Que vous aviez ensemble au midi des beaux jours!
Ami, vous étiez fait pour chanter sous le hêtre,
Comme le doux berger que Mantoue a vu naître,
La blonde Amaryllis en couplets alternés.
De sauvages odeurs vos vers tout imprégnés,
Sentent le serpolet, le thym et la frambroise;
A vos molles chansons le bouvreuil s’apprivoise,
Et, tout émerveillé, du sommet des ormeaux,
Descend de branche en branche et vient sur vos pipeaux.
Ne faites pas sortir le tonnerre des Gracques,
D’une bouche formée aux chants élégiaques;
Laisser cette besogne aux orateurs braillards,
Qui, le pied sur la borne et les cheveux épars,
Jurent à six gredins, tout grouillants de vermine,
Qu’ils ont vraiment sauvé Rome de la ruine.
Rome se sauvera toute seule, très-bien;
Ses destins sont écrits et nous n’y ferons rien;
Qui pourrait enrayer la fortune et sa roue?
Que le char de l’état s’enfonce dans la boue,
Ou, par les rangs pressés de ce bétail humain,
S’ouvre, en les écrasant, un plus large chemin;
Nous trouverons toujours dans l’ombre et sur la mousse
Quelque petit sentier, par une pente douce,
Regagnant le sommet d’un coteau séparé,
D’où l’oeil se perd au fond d’un lointain azuré;
Et nous attendrons là que notre jour arrive,
Voyant de haut la mer se briser à la rive,
Et les vaisseaux là-bas palpiter sous le vent.
La mort n’a pas besoin que l’on aille au devant;
Marchands, hommes de guerre, orateurs et poëtes,
La Mort, de tout cela, fait de pareils squelettes;
Pour sa gerbe elle prend l’épi comme la fleur,
Et ne respecte rien, ni forme, ni couleur;
Elle va, du coupant de sa courbe faucille,
Jetant bas le vieillard avec la jeune fille;
Elle fauche le champ de l’un à l’autre bout,
Et dans son grenier noir elle serre le tout.
A quoi bon s’efforcer jusques à perdre haleine,
Courir à droite, à gauche, et prendre tant de peine,
Quand peut-être le fer, près de notre sillon,
Se balance et fait luire un sinistre rayon.
Quelle chose est utile en ce monde où nous sommes?
Et quand la vieille a mis en tas ses gerbes d’hommes,
Qui peut dire lequel était Napoléon,
Ou l’obscur amoureux des roses du vallon?
Qui le décidera? L’existence est un songe
Où rien n’est sûr, sinon que le même ver ronge
Le corps du citoyen utile et positif
Et le corps du rêveur et du poëte oisif.
Entre la fleur qui s’ouvre et le cerveau qui pense,
Entre néant et rien quelle est la différence?
 

Choc de Cavaliers

 
Hier il m’a semblé, sans doute j’étais ivre,
Voir sur l’arche d’un point, un choc de cavaliers
Tout cuirassés de fer, tout imbriqués de cuivre
Et caparaçonnés de harnais singuliers.
Des dragons accroupis grommelaient sur leurs casques,
Des Méduses d’airain ouvraient leur yeux hagards
Dans leurs grands boucliers, aux ornements fantasque,
Et des noeuds de serpents écaillaient leurs brassards.
Par moment, du rebord de l’arcade géante,
Un cavalier blessé, perdant son point d’appui;
Un cheval effaré, tombait dans l’eau béante;
Gueule de crocodile entr’ouverte sous lui.
C’était vous, mes désirs, c’était vous, mes pensées,
Qui cherchiez à forcer le passage du pont,
Et vos corps tout meurtris, sous leurs armes faussées,
Dorment ensevelis dans le gouffre profond.
 

Le Pot de fleurs

 
Parfois un enfant trouve une petite graine,
Et tout d’abord, charmé de ses vives couleurs,
Pour la planter il prend un pot de porcelaine,
Orné de dragons bleus et de bizarres fleurs.
Il s’en va. La racine en couleuvres s’allonge,
Sort de terre, fleurit et devient arbrisseau;
Chaque jour, plus avant, son pied chevelu plonge
Tant qu’il fasse éclater le ventre du vaisseau.
L’enfant revient; surpris, il voit la plante grasse,
Sur les débris du pot brandir ses verts poignards,
Il la veut arracher, mais la tige est tenace;
Il s’obstine, et ses doigts s’ensanglantent aux dards.
Ainsi germa l’amour dans mon âme surprise;
Je croyais ne semer qu’une fleur de printemps:
C’est un grand aloës dont la racine brise
Le pot de porcelaine aux dessins éclatants.
 

Le Sphinx

 
Dans le Jardin Royal où l’on voit les statues,
Une chimère antique entre toutes me plaît;
Elle pousse en avant deux mamelles pointues,
Dont le marbre veiné semble gonflé de lait.
Son visage de femme est le plus beau du monde,
Son col est si charnu que vous l’embrasseriez;
Mais quand on fait le tour, on voit sa croupe ronde.
On s’aperçoit qu’elle a des griffes à ses pieds.
Les jeunes nourrissons qui passent devant elle,
Tendent leurs petits bras et veulent avec cris,
Coller leur bouche ronde à sa dure mamelle;
Mais quand ils l’ont touchée, ils reculent surpris.
C’est ainsi qu’il en est de toutes nos chimères,
La face en est charmante et le revers bien laid.
Nous leur prenons le sein; mais ces mauvaises mères
N’ont pas pour notre lèvre une goutte de lait.
 

Pensée de minuit

 
Une minute encor, madame, et cette année
Commencée avec vous, avec vous terminée
Ne sera plus qu’un souvenir.
Minuit: voilà son glas que la pendule sonne,
Elle s’en est allée en un lieu d’où personne
Ne peut la faire revenir.
Quelque part, loin, bien loin, par delà les étoiles,
Dans un pays sans nom, ombreux et plein de voiles,
Sur le bord du néant jeté;
Limbes de l’impalpable, invisible royaume
Où va ce qui n’a pas de corps ni de fantôme,
Ce qui n’est rien ayant été;
Où va le son, où va le souffle; où va la flamme,
La vision qu’en rêve, on perçoit avec l’âme,
L’amour de notre coeur chassé;
La pensée inconnue éclose en notre tête;
L’ombre qu’en s’y mirant dans la glace on projette;
Le présent qui se fait passé.
Un à-compte d’un an pris sur les ans qu’à vivre
Dieu veut bien nous prêter; une feuille du livre
Tournée avec le doigt du temps;
Une scène nouvelle à rajouter au drame;
Un chapitre de plus au roman dont la trame
S’embrouille d’instants en instants;
Un autre pas de fait dans cette route morne
De la vie et du temps, dont la dernière borne
Proche ou lointaine est un tombeau,
Où l’on ne peut poser le pied qu’il ne s’enfonce,
Où de votre bonheur toujours à chaque ronce,
Derrière vous reste un lambeau.
Du haut de cette année avec labeur gravie,
Me tournant vers ce moi qui n’est plus dans ma vie
Qu’un souvenir presque effacé,
Avant qu’il ne se plonge au sein de l’ombre noire,
Je contemple un moment, des yeux de la mémoire,
Le vaste horizon du passé.
Ainsi le voyageur, du haut de la colline,
Avant que tout à fait le versant qui s’incline
Ne les dérobe à son regard,
Jette un dernier coup d’oeil sur les campagnes bleues
Qu’il vient de parcourir, comptant combien de lieues
Il a fait depuis son départ.
Mes ans évanouis à mes pieds se déploient
Comme une plaine obscure où quelques points chatoient
D’un rayon de soleil frappés.
Sur les plans éloignés qu’un brouillard d’oubli cache
Une époque, un détail nettement se détache
Et revit à mes yeux trompés.
Ce qui fut moi jadis m’apparaît: silhouette
Qui ne ressemble plus au moi qu’elle répète;
Portrait sans modèle aujourd’hui;
Spectre dont le cadavre est vivant; ombre morte
Que le passé ravit au présent qu’il emporte,
Reflet dont le corps s’est enfui.
J’hésite en me voyant devant moi reparaître;
Hélas! et j’ai souvent peine à me reconnaître
Sous ma figure d’autrefois.
Comme un homme qu’on met tout à coup en présence
De quelque ancien ami dont l’âge et dont l’absence
Ont changé les traits et la voix.
Tant de choses depuis, par cette pauvre tête,
Ont passé; dans cette âme et ce coeur de poëte,
Comme dans l’aire des aiglons,
Tant d’oeuvres que couva l’aile de ma pensée,
Se débattent heurtant leur coquille brisée,
Avec leurs ongles déjà longs.
Je ne suis plus le même, âme et corps tout diffère,
Hors le nom, rien de moi n’est resté; mais qu’y faire?
Marcher en avant, oublier.
On ne peut sur le temps reprendre une minute,
Ni faire remonter un grain après sa chute
Au fond du fatal sablier.
La tête de l’enfant n’est plus dans cette tête,
Maigre, décolorée, ainsi que me l’ont faite
L’étude austère et les soucis.
Vous n’en trouveriez rien sur ce front qui médite
Et dont quelque tourmente intérieure agite
Comme deux serpents les sourcils.
Ma joue était sans plis, toute rose, et ma lèvre
Aux coins toujours arqués, riait; jamais la fièvre
N’en avait noirci le corail.
Mes yeux, vierges de pleurs, avaient des étincelles
Qu’ils n’ont plus maintenant, et leurs claires prunelles,
Doublaient le ciel dans leur émail.
Mon coeur avait mon âge, il ignorait la vie,
Aucune illusion, amèrement ravie,
Jeune, ne l’avait rendu vieux;
Il s’épanouissait à toute chose belle,
Et dans cette existence encor pour lui nouvelle,
Le mal était bien, le bien mieux.
Ma poésie, enfant à la grâce ingénue,
Les cheveux dénoués, sans corset, jambe nue,
Un brin de folle avoine en main
Avec son collier fait de perles de rosée,
Sa robe prismatique au soleil irisée,
Allait chantant par le chemin.
Et puis l’âge est venu qui donne la science,
J’ai lu Werther, René son frère d’alliance;
Ces livres, vrais poisons du coeur,
Qui déflorent la vie et nous dégoûtent d’elle,
Dont chaque mot vous porte une atteinte mortelle;
Byron et son don Juan moqueur.
Ce fut un dur réveil, ayant vu que les songes
Dont je m’étais bercé n’étaient que des mensonges,
Les croyances, des hochets creux.
Je cherchai la gangrène au fond de toute et comme
Je la trouvai toujours, je pris en haine l’homme
Et je devins bien malheureux.
La pensée et la forme ont passé comme un rêve;
Mais que fait donc le temps de ce qu’il nous enlève?
Dans quel coin du chaos met-il
Ces aspects oubliés comme l’habit qu’on change,
Tous ces moi du même homme, et quel royaume étrange
Leur sert de patrie ou d’exil?
Dieu seul peut le savoir, c’est un profond mystère;
Nous le saurons peut-être à la fin, car la terre
Que la pioche jette au cercueil
Avec sa sombre voix explique bien des choses,
Des effets, dans la tombe, on comprend mieux les causes.
L’éternité commence au seuil.
L’on voit… mais veuillez bien me pardonner, madame,
De vous entretenir de tout cela. Mon âme,
Ainsi qu’un vase trop rempli,
Déborde, laissant choir mille vagues pensées,
Et ces ressouvenirs d’illusions passées,
Rembrunissent mon front pâli.
Eh! que vous fait cela, dites-vous, tête folle,
De vous inquiéter d’une ombre qui s’envole?
Pourquoi donc vouloir retenir
Comme un enfant mutin sa mère par la robe,
Ce passé qui s’en va? de ce qu’il vous dérobe,
Consolez-vous par l’avenir.
Regardez; devant vous l’horizon est immense,
C’est l’aube de la vie et votre jour commence;
Le ciel est bleu, le soleil luit.
La route de ce monde est pour vous une allée
Comme celle d’un parc, pleine d’ombre et sablée;
Marchez où le temps vous conduit.
Que voulez-vous de plus, tout vous rit, l’on vous aime:
Oh! vous avez raison, je me le dis moi-même,
L’avenir devrait m’être cher;
Mais c’est en vain, hélas! que votre voix m’exhorte;
Je rêve, et mon baiser à votre front avorte,
Et je me sens le coeur amer.
 

La Chanson de Mignon

 
Ange de poésie, ô vierge blanche et blonde,
Tu me veux donc quitter et courir par le monde;
Toi, qui, voyant passer du seuil de la maison
Les nuages du soir sur le rouge horizon,
Contente d’admirer leurs beaux reflets de cuivre,
Ne t’es jamais surprise à les désirer suivre;
Toi, même au ciel d’été, par le jour le plus bleu,
Frileuse Cendrillon, tapie au coin du feu,
Quel grand désir te prend, ô ma folle hirondelle!
D’abandonner le nid et de déployer l’aile.
Ah! restons tous les deux près du foyer assis,
Restons, je te ferai, petite, des récits,
Des contes merveilleux, à tenir ton oreille
Ouverte avec ton oeil tout le temps de la veille.
Le vent râle et se plaint comme un agonisant;
Le dogue réveillé hurle au bruit du passant;
Il fait froid: c’est l’hiver; la grêle à grand bruit fouette
Les carreaux palpitants; la rauque girouette,
Comme un hibou criaille au bord du toit pointu.
Où veux-tu donc aller?
O mon maître, sais-tu,
La chanson que Mignon chante à Wilhem dans Goëthe:
«Ne la connais-tu pas la terre du poëte,
La terre du soleil où le citron mûrit,
Où l’orange aux tons d’or dans les feuilles sourit;
C’est là, maître, c’est là qu’il faut mourir et vivre,
C’est là qu’il faut aller, c’est là qu’il faut me suivre,
«Restons, enfant, restons: ce beau ciel toujours bleu,
Cette terre sans ombre et ce soleil de feu,
Brûleraient ta peau blanche et ta chair diaphane.
La pâle violette au vent d’été se fane;
Il lui faut la rosée et le gazon épais,
L’ombre de quelque saule, au bord d’un ruisseau frais.
C’est une fleur du nord, et telle est sa nature.
Fille du nord comme elle, ô frêle créature!
Que ferais-tu là-bas sur le sol étranger?
Ah! la patrie est belle et l’on perd à changer.
Crois-moi, garde ton rêve.
«Italie! Italie!
Si riche et si dorée; oh! comme ils t’ont salie!
Les pieds des nations ont battu tes chemins;
Leur contact a limé tes vieux angles romains,
Les faux dilettanti s’érigeant en artistes,
Les milords ennuyés et les rimeurs touristes,
Les petits lords Byrons fondent de toutes parts
Sur ton cadavre à terre, ô mère de Césars;
Ils s’en vont mesurant la colonne et l’arcade;
L’un se pâme au rocher et l’autre à la cascade:
Ce sont, à chaque pas, des admirations,
Des yeux levés en l’air et des contorsions:
Au moindre bloc informe et dévoré de mousse,
Au moindre pan de mur où le lentisque pousse,
On pleure d’aise, on tombe en des ravissements
A faire de pitié rire les monuments.
L’un avec son lorgnon collant le nez aux fresques,
Tâche de trouver beaux tes damnés gigantesques,
O pauvre Michel-Ange, et cherche en son cahier
Pour savoir si c’est là qu’il doit s’extasier;
L’autre, plus amateur de ruines antiques,
Ne rêve que frontons, corniches et portiques,
Baise chaque pavé de la Via-Lata,
Ne croit qu’en Jupiter et jure par Vesta.
De mots italiens fardant leurs rimes blêmes,
Ceux-ci vont arrangeant leur voyage en poëmes,
Et sur de grands tableaux font de petits sonnets:
Artistes et dandies, roturiers, baronnets,
Chacun te tire aux dents, belle Italie antique,
Afin de remporter un pan de ta tunique!
«Restons, car au retour on court risque souvent
De ne retrouver plus son vieux père vivant,
Et votre chien vous mord ne sachant plus connaître
Dans l’étranger bruni celui qui fut son maître:
Les coeurs qui vous étaient ouverts se sont fermés,
D’autres en ont la clef, et dans vos mieux aimés,
Il ne reste de vous qu’un vain nom qui s’efface.
Lorsque vous revenez vous n’avez plus de place:
Le monde où vous viviez s’est arrangé sans vous,
Et l’on a divisé votre part entre tous.
Vous êtes comme un mort qu’on croit au cimetière,
Et qui, rompant un soir le linceul et la bière,
Retourne à sa maison croyant trouver encor
Sa femme tout en pleurs et son coffre plein d’or;
Mais sa femme a déjà comblé la place vide,
Et son or est aux mains d’un héritier avide;
Ses amis sont changés, en sorte que le mort
Voyant qu’il a mal fait et qu’il est dans son tort,
Ne demandera plus qu’à rentrer sous la terre
Pour dormir sans réveil dans son lit solitaire.
C’est le monde. Le coeur de l’homme est plein d’oubli:
C’est une eau qui remue et ne garde aucun pli.
L’herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe
Qu’un autre amour dans l’âme, et la larme qui tombe
N’est pas séchée encor, que la bouche sourit,
Et qu’aux pages du coeur un autre nom s’écrit.
«Restons pour être aimés, et pour qu’on se souvienne
Que nous sommes au monde; il n’est amour qui tienne
Contre une longue absence: oh! malheur aux absents!
Les absents sont des morts et comme eux impuissants,
Dès qu’aux yeux bien aimés votre vue est ravie,
Rien ne reste de vous qui prouve votre vie;
Dès que l’on n’entend plus le son de votre voix,
Que l’on ne peut sentir le toucher de vos doigts,
Vous êtes mort; vos traits se troublent et s’effacent
Au fond de la mémoire et d’autres les remplacent.
Pour qu’on lui soit fidèle il faut que le ramier
Ne quitte pas le nid et vive au colombier.
Restons au colombier. Après tout, notre France
Vaut bien ton Italie, et, comme dans Florence,
Rome, Naple ou Venise, on peut trouver ici
De beaux palais à voir et des tableaux aussi.
Nous avons des donjons, de vieilles cathédrales
Aussi haut que Saint-Pierre, élevant leurs spirales;
Notre-Dame, tendant ses deux grands bras en croix,
Saint Severin, dardant sa flèche entre les toits,
Et la Sainte-Chapelle aux minarets mauresques,
Et Saint-Jacques, hurlant sous ses monstres grotesques;
Nous avons de grands bois et des oiseaux chanteurs,
Des fleurs embaumant l’air de divines senteurs,
Des ruisseaux babillards dans de belles prairies,
Où l’on peut suivre en paix ses chères rêveries;
Nous avons, nous aussi, des fruits blonds comme miel,
Des archipels d’argent aux flots de notre ciel;
Et, ce qui ne se trouve en aucun lieu du monde,
Ce qui vaut mieux que tout, ô belle vagabonde,
Le foyer domestique, ineffable en douceurs,
Avec la mère au coin et les petites soeurs,
Et le chat familier qui se joue et se roule,
Et pour hâter le temps, quand goutte à goutte il coule,
Quelques anciens amis causant de vers et d’art,
Qui viennent de bonne heure et ne s’en vont que tard.»
 
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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