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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 16

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La Perse

La Perse a sa mosquée des plus élégantes où s’étalent, à côté des produits naturels du pays, des sabres effrayants, des tapis d’un moëlleux et d’un coloris remarquables, des châles d’une telle finesse que pliés ils passeraient dans le cercle d’un bracelet. Puis, à côté de ces produits modernes, des objets anciens, vieilles étoffes, vieilles faïences, vieux cuivres, aussi beaux que curieux.

Je regrette seulement que le Shah n’ait pas laissé quelques unes de ses tiares qui ont tant ébloui les Parisiens pendant son séjour. L’exposition eut été complète.

Le Siam

Le Pavillon du Siam encombré de mille choses est construit dans le style le plus pur du pays. Le roi seul a fait tous les frais de cette exposition. Il a envoyé des palanquins, des instruments de musique profane et sacrée, des vêtements de soie couverts de broderies d’or et d’argent, des défenses d’éléphants, des fleurs conservées, des bois merveilleusement sculptés. Tout cela nous initie à des mœurs bien différentes des nôtres et à des travaux que nos artistes ignorent.

A propos de Siam, voici les noms et prénoms du souverain de ce royaume:

Pra-Bat-Samdath-Pra-Paramadis-Maha-Tschulas-Loucorn-Pra-Tschula-Tchau-Reao-Tchau-Yu-Hua!

Il paraît que, là-bas, cela se prononce sans respirer10.

Le Maroc

Le Maroc nous présente avec son pavillon impérial une tente marocaine, un grand bazar et un café-restaurant. L’architecture marocaine ou plutôt celle des Maures d’Espagne se retrouve là moins pure cependant que dans l’Alcazar et la Merquitta de Cordoue qui restent le type de la perfection, mais c’est toujours une profusion de colonnes d’ouvertures ogivales, de nefs surbaissées et de cintres rétrécis à la base en forme de croissant.

Le pavillon impérial est rempli de belles choses qui ne sont point à vendre; heureusement que le grand bazar est là pour satisfaire l’envie des visiteurs qui retrouvent à peu près les mêmes objets: armes damasquinées, plats de cuivre ciselés, étoffes de laine et de soie, sparterie en écorce, en paille, en jonc, en feuilles; broderies d’or et d’argent, et enfin des maroquins bien authentiques du pays même où le maroquin a pris naissance, d’où son nom. On voit ici en exemplaires de premier choix tout ce que comporte l’industrie des pays orientaux.

Le restaurant vous sert sa cuisine et sa musique marocaines, ce n’est ni très bon à manger ni très agréable à entendre, mais on retrouve là une saveur toute particulière, celle de la couleur locale au plus haut degré.

L’Egypte et la rue du Caire

Cette pittoresque rue, comme il s’en trouvait tant autrefois dans la vieille ville égyptienne, cette rue qui apporte à Paris en plein XIXe siècle un spécimen de l’art arabe des khalifes est tout ce qu’on peut voir de plus curieux et de plus intéressant. A elle seule, elle personnifie pour moi toute l’Egypte. Ses nombreux bazars sont remplis de tous les produits orientaux les plus connus, tapis, étoffes voyantes, bibelots de toutes sortes et bijoux assez remarquables en filigrane.

On voit donc dans cette rue unique, beaucoup de boutiques, beaucoup de marchands, beaucoup de promeneurs et les plus drôles sont ceux qui circulent sur de petits ânes conduits par des guides indigènes.

Tout cet ensemble forme un spectacle qui vaut bien la peine d’être regardé.

C’est à Monsieur Delort de Gléon, premier député de la nation française au Caire que revient l’honneur de cette création saisissante au plus haut point. Son but était de donner à Paris un spécimen de l’art arabe des khalifes, si élégant et si différent de l’art brutal de l’Algérie et de la Tunisie et aussi de l’art surchargé d’ornements et de dentelles que les Maures ont importé en Espagne; il fallait surtout être sincère et faire vrai.

C’est le problème qui a été résolu, les murs ont l’aspect brut des crépissages du Caire, toutes les boiseries sont authentiques et proviennent des anciennes maisons des siècles passés. Les Moucharabiés, ces ingénieux grillages en bois qui s’avancent en balcon sur la rue, permettant aux femmes de voir sans être vues, ont été collectionnés dans les quartiers démolis; les portes ont de 200 à 300 ans.

«La rue du Caire du Champ de Mars n’est donc point tout à fait une restitution exacte des rues actuelles; il n’y a plus au Caire, ni dans aucune autre ville égyptienne, de rues qui soient aussi vierges de toute construction moderne; la pluie, les tremblements de terre, le temps surtout ont eu raison des anciennes maisons. Quand on parcourt un vieux quartier du Caire, on trouve la plupart des façades éboulées et raccommodées tant bien que mal. Si le quartier est commerçant, elles sont rebâties à la franque, c’est-à-dire dans le plus mauvais goût.

Ici, nous avons une rue ancienne absolument complète, ayant conservé tout son caractère. La monotonie des maisons est rompue par des motifs d’architecture: deux mosquées, une école qui sert de commissariat, un minaret, trois portes. Comme je l’ai dit plus haut, ces portes sont authentiques et datent des XVe, XVIe et XVIIe siècles. Quant au Minaret, c’est une reproduction d’une parfaite exactitude, car il eut été impossible de transporter un Minaret authentique du Caire à Paris, celui-ci est le frère cadet du célèbre Minaret de Kaïd-Bey.

La maison située à côté et qui sert de café est du XVIIIe siècle. Le Louis XV arabe, c’est bien moins élégant que le Henri II du minaret. L’influence turque s’est fait sentir, mais l’exactitude commandait le mélange des styles tel qu’il existe réellement.

Tous les ornements plaqués sur les murailles: les crocodiles, les sphinx, les enseignes, ont été apportés d’Egypte, de même que les faïences anciennes. Ces faïences, arrachées du cylindre d’une coupole et que l’indolence orientale n’a pas eu le courage de replacer, ont été recueillies et utilisées. C’est presque un musée de céramique égyptienne.

Comme population, on a fait venir cent soixante Arabes, pas des Arabes des Batignoles, des vrais Arabes, arrivés avec les matériaux égyptiens. Ils parlent fort peu français, mais c’est leur affaire, leur baragouin ne fait que corser la couleur locale. Il faut qu’en entrant dans la rue du Caire, on soit bien au Caire et non pas dans une Egypte d’opéra-comique.

Ces habitants sont divisés en trois catégories: les ouvriers, les marchands et les âniers. Ouvriers orfèvres, tisserands, potiers, tourneurs, incrusteurs, ciseleurs, confiseurs, etc., marchands de bibelots, de soieries, de vieilles broderies… il y a même un fripier, – on a songé aux peintres, qui probablement, seront très heureux de se procurer des costumes véritables – un café avec musique arabe, des débitants de pâtisserie, de nougats et de confitures, de roatloukoum, retenez bien le mot pour avoir l’air de comprendre déjà la langue du pays.

Le seul moyen de transport qu’on connaisse au Caire, ce sont les ânes, de petits ânes blancs qui trottent comme des pur-sang. M. Delort en a fait venir cent, avec leurs âniers et tout le personnel d’ouvriers qui en découle, tondeurs, maréchaux-ferrants, selliers, bourreliers, etc… Ces ânes font le bonheur des enfants, car la promenade n’occasionne aucun danger, l’ânier ne quitte jamais la bête qu’il conduit, il court à côté d’elle, réglant son pas sur le sien et guettant sans cesse le cavalier novice: si celui-ci perd l’équilibre, le conducteur est là pour le recevoir dans ses bras.

Donc, pour le visiteur, l’illusion est complète; sur les portes, les marchands indigènes étalent leurs produits, les ouvriers travaillent, le forgeron bat le fer sur son enclume, le potier tourne avec le pied la roue qui fait mouvoir l’argile qu’il modèle sans autre outil que ses mains, le tisserand est attelé à son métier antique, qu’à aucun prix il n’a voulu changer depuis des siècles. Au fond du café, les guzlas, les tambourins et les tarboucks retentissent, du haut du minaret le muezzin appelle à la prière. Avec un peu de bonne volonté, on peut se figurer que derrière les moucharabiés, les femmes du sérail vous observent.»

Mercredi 23 Octobre 1889.

Possessions françaises

Nos colonies font honneur à la mère patrie. En première ligne l’Algérie et la Tunisie, la Cochinchine, l’Annam, le Tonkin, présentent chacune leur palais. Celui de l’Algérie avec son dôme, son minaret, ses décors de faïence franche et brillante, sa grande galerie ornée de vitraux est des plus séduisants; à l’intérieur, trois grandes salles représentent les trois départements d’Alger, d’Oran et de Constantine. Le jardin qui entoure le palais contient les plus belles plantes d’Algérie et quantité de bazars tenus par des indigènes. Tous les ouvriers sont là à l’ouvrage, travaillant chacun selon son métier; en voilà qui tournent, d’autres qui brodent, d’autres qui travaillent les métaux; voilà des bibelots de toute espèce et des bijoux sans fin; les colliers de sequins sont fort élégants.

Il y a foule dans la rue d’Alger, c’est un mouvement, un va-et-vient tout à fait réjouissant, distrayant. Les uns vont au café Maure pour prendre cet excellent café où l’on trouve tout à la fois à boire et à manger et pour voir les belles danseuses mauresques. Les autres vont à la maison Kabyle admirer les méharis pur sang, chameaux coureurs; ces vaisseaux (ship) du désert, suivant l’expression pittoresque des Anglais. Le désert lui-même n’a pas été oublié, une grande toile peinte nous donne l’illusion de ces espaces infinis, arides et désolés: au centre, jaillit un puits bouillonnant avec une oasis qui se détache agréablement sur le sable éternellement jaune et le ciel éternellement bleu.

Le palais tunisien a copié ses façades, dôme, véranda, mosquée sur les meilleurs modèles des Palais de Tunisie et de la cité sainte de Kérouan; tout cet ensemble est plein de caractère et de couleur. Sous notre ciel un peu terne rayonne l’orient lumineux. Voici un intérieur arabe qui semble très animé; ce ne sont cependant que des mannequins, hommes et femmes revêtus des riches costumes du pays.

Le souk ou bazar dans ses vingt-six boutiques offre un spécimen de toutes les industries de Tunis; ici le fabricant de chéchias, plus loin les brodeurs en or et argent, le bijoutier, le parfumeur, le barbier, le peintre sur poterie, le damasquineur, le menuisier, le cafetier, le confiseur, le tourneur, le tisserand, le sculpteur d’arabesques, l’écrivain; ils sont là, travaillant sous de belles voûtes blanches, soutenues par des colonnes bariolées de rouge, couleur favorite de tout bon musulman. Ah! le beau tapis de Kérouan et les belles soies de Tunis, les beaux burnous de Djeriet et les belles couvertures de Djerba.

La Tunisie a, comme l’Algérie, des forêts de chênes-liège, des chênes, des eucalyptus et des dattiers dont on compte deux cent cinquante variétés.

Nous voyons encore figurer ici le Sénégal, le Gabon, le Congo, l’île de la Réunion, Madagascar, Mayotte, les Comores, l’Inde française, Pondichéry, Chandernagor, Mahé, la Nouvelle-Calédonie, les îles du Pacifique, la Guyane française, le Cambodge; chaque peuple, chaque contrée a envoyé ses meilleurs produits, et l’on dit que les Français ne sont pas colonisateurs! Allons donc! toutes ces possessions prouvent le contraire. Nous avons un vaste empire colonial et c’est dans le palais central qu’on peut s’en rendre compte du haut des galeries surtout. – Voyage facile qu’on fait en s’accoudant aux balustrades.

Que d’admirables choses, dont l’énumération est impossible, dues à la nature d’abord, au travail patient, au génie inventif de l’homme. Je citerai cependant la pyramide des dieux soudiens, une pyramide de ces dieux Bouddha comme les gravures nous les représentent depuis des siècles et que l’Asie adore toujours, ils s’abritent sous un bouquet d’énormes bambous et cet ensemble frappe vivement par son étrangeté. Devant le palais central se trouve une jolie pièce d’eau avec son pont cintré tonkinois et ses sampans ou barques anamites, et maintenant parcourons les villages indigènes; voici les grandes cases Onolof de St-Louis, habitations des gens qui n’ont pas le moyen d’avoir des maisons. Les cases de bois coûtent de cinq à six cents francs et finissent généralement par un incendie; il y a des cases encore plus modestes, celles des pêcheurs de St-Louis, elles ne coûtent que deux cents francs, celles-là flambent un peu plus vite, voilà tout.

Mais en voilà bien d’autres, celles des Toucouleurs aux murailles et au mobilier en terre sèche.

Case bambara copiée aux environs de Batrel, case du Cayor, maison de chef Gourbi de Souls (pasteurs), habitation rudimentaire de nomades, tente de Maure Trarza, tente d’homme de qualité, enfin tente des captifs en vieille cotonnade bleue où vivent les esclaves des Maures.

Examinons le Bambal Soulouron, haut fourneau primitif des forgerons du Fouta-Djallon, pays riche en minerais. Le Sak ou grenier à miel et le poste du gardien du Lougan, espèce de mirador d’où le garde agite un épouvantail pour chasser les oiseaux qui viennent picoter les semailles.

Toutes ces choses qui nous révèlent des pays lointains, inconnus sont bien curieuses et très attachantes. Pendant quelques instants, on oublie les civilisations outrées de la vieille Europe pour ne voir que les primitifs auxiliaires des peuples à demi sauvages.

La tour de Saldé est un modèle remarquable des postes construits par le général Faidherbe au Sénégal.

Ce genre de forteresse est imprenable par un ennemi non muni de canon; c’est ainsi que la tour de Médine avec son commandant et 25 hommes a soutenu quatre mois le siège de vingt mille noirs. En vis-à-vis se trouve le Tata de Kedougou (Soudan français), la fortification des noirs, de là aussi ils défendent et tuent les blancs; toujours la guerre on la retrouve partout en permanence.

Donnons un coup d’œil au pavillon de Madagascar, à l’habitation malgache, et sans transition passons au restaurant anamite où Dieu merci on ne mange pas du poisson pourri, d’œufs couvés et des côtelettes de chien domestique.

Les théâtres anamites à coups de tam-tam appellent les spectateurs; j’aime autant me reposer dans les serres coloniales. Ah! les beaux palmiers, les énormes fougères, les incomparables orchidées! Décidément, c’est bien le pays du soleil que nous visitons. Quelle magie, quel rayonnement dans les couleurs. Je crois l’avoir déjà dit, n’est-ce pas charmant de voir sans cesse le Nord et le Midi se tenir par la main? Les quatre points cardinaux voisinent ensemble et fraternisent dans la plus touchante intimité.

Voilà le pavillon de la Guadeloupe avec son joli modèle d’usine à sucre et à rhum.

Ceci c’est une factorerie française du Gabon absolument exacte; cette case est celle d’un colon concessionnaire de la Guyane française, ces colons-là en général sont les forçats.

Nous nous arrêtons volontiers dans le village cochinchinois; mais nous traversons hâtivement le village canaque, ces indigènes-là, c’est comme le bloc enfariné de la Fontaine, ils ne nous disent rien qui vaille, les avons-nous vraiment corrigés de leur anthropophagie et ont-ils bien perdu l’habitude de festoyer d’un blanc? chassez le naturel…

Le palais de la Cochinchine est du plus pur style annamite c’est-à-dire d’architecture chinoise, le bois y joue un grand rôle. La Cochinchine possède d’immenses forêts de bois durs très résistant à l’humidité comme aux insectes; les charpenteries et menuiseries de ce palais authentique ont été exécutées à Saïgon par 300 ouvriers annamites et chinois.

La porte d’entrée supportée par 4 colonnes finement sculptées donne accès dans une cour intérieure, ornée de vases en porcelaine et de dragons en faïence. Cette cour est le complément obligé de toute demeure anamite; cela m’a rappelé l’atrium des maisons de Pompéï avec leur bassin comme ici.

Le palais de l’Annam et du Tonkin est construit sur une place carrée avec une cour centrale en partie occupée par un riche baldaquin abritant un magnifique Bouddha, celui d’Hanoï, une œuvre capitale de fondeurs indo-chinois.

Ce palais est très remarquable, beau bois sculpté, faïences, peintures l’embellissent à l’envie, ainsi que deux grandes terrasses décorées d’écran à jour de balustres de vases contenant des arbustes rares. Ces terrasses font partie des riches maisons tonkinoises et font grand effet.

Ici, comme dans le palais de la Cochinchine on voit des bateaux, des armes, des instruments, des laques, des incrustations de nacre, des bronzes, des soieries, des nattes, des porcelaines, des statues, le bambou dans toutes ses applications industrielles, des meubles admirables, des coffrets, des cercueils; ce meuble essentiel dont personne ne peut se passer et que les fils en signe d’affection s’empressent d’offrir à leurs parents. Les Annamites sont d’industrieux ouvriers, mais mon Dieu qu’ils sont donc laids avec leur petite taille, leur face glabre, leurs dents noircies et rongées par le bétel et leur posture accroupie, c’est leur manière de s’asseoir – pas élégante il faut en convenir.

L’exposition cambodgienne a rassemblé ses envois dans la fameuse pagode d’Angkor-Wât, le nom de pagode d’Angkor-Wât n’est pas juste en ce sens que l’étrange construction que nous avons-là sous les yeux n’est qu’une des portes d’angle de ce temple fameux extraordinaire, un des monuments les mieux conservés de ceux laissés par les Khmers ce grand peuple disparu d’où les Cambodgiens prétendent descendre.

La région d’Angkor renferme des constructions absolument merveilleuses, des ruines respectées des âges et découvertes au XVIe siècle par des missionnaires français.

Qu’étaient les Khmers? ce peuple d’une haute culture intellectuelle, ces incomparables architectes dont quelques monuments remontent au IIIe ou IIe siècle avant J. – C.?

Bien des civilisations et vingt races ont disparu depuis et l’esprit se suspend en point d’interrogation devant cette architecture d’une beauté inouîe et d’un luxe extravagant.

Le véritable sanctuaire d’Angkor-Wât occupait une surface de près de 6000 mètres. Le fossé qui l’entourait avait 200 mètres de largeur et le rectangle qu’il englobait ne mesurait pas moins de 827 mètres de largeur, la tour centrale avait 80 mètres. Voilà quel était ce monument unique – ce que nous voyons ici n’en est donc qu’un diminutif bien amoindri; le principal motif de sa façade est la tour partagée en nombreux étages simulant une accumulation de parasols, abritant la partie occupée par l’image de la divinité. Sur chaque face, des frontons formés d’un encadrement représentant un serpent à cent têtes, décorent les étages. Les 40 mètres de cette tour extraordinaire sont ornés de la sorte et n’ont rien de lourd ni d’inexact tout en rappelant un monument, qui, reconstitué tel qu’il était dans les temps anciens, couvrirait à lui seul le champ de Mars tout entier sans souffrir de l’écrasant voisinage de la colonne Eiffel.

Le visiteur n’a pas le temps de philosopher et de méditer sur ce passé plein de grandeur.

D’autres merveilles l’appellent encore et il marche, marche toujours comme Isaac Laquedem.

Jeudi 24 Octobre 1889.

Repos et Repas

Quand je dis repos, c’est une manière de parler. Oui, repos l’après-midi dans le salon de ma cousine, mais le matin j’ai joliment trotté à faire des commissions.

Ce n’est déjà pas amusant pour soi, mais pour les autres c’est tout ce qu’il y a de plus ennuyeux!

On craint de se tromper, de ne pas bien faire la chose, on se donne une peine infinie et l’on ne contente pas toujours cette clientèle improvisée.

«Vous allez à Paris, achetez-moi donc ceci, rapportez-moi cela». Comme vous seriez aimable si vous pouviez me rassortir cette étoffe, il m’en faut 3 mètres, je l’avais prise au Bon-Marché.

– Mais, chère amie, c’était l’hiver dernier, la pièce doit être épuisée depuis longtemps.

– Peut-être que non, informez-vous; vous me rendrez service.

«En passant au Louvre, prenez un béret pour mon petit garçon. Ils sont pour rien ces bérets et charmants, je les ai vus dans le catalogue.»

«Madame si j’osais… je vous chargerais aussi d’une commission, d’une seule.

– Laquelle?

– Permettez-moi de vous demander d’aller place Louvois chez M. Feuardent, le grand numismate, et de lui remettre la note suivante, il vous confiera quelques médailles que vous aurez la complaisance de me rapporter».

Ah! provinciaux mes amis, faites donc vous mêmes vos commissions. Plume en main, demandez ce qu’il vous faut, la poste et les catalogues ne sont pas faits pour les chiens, comme disait Voltaire en parlant des hôpitaux. – Servez-vous en et cessez de recourir à des personnes que vous embarrassez beaucoup et auxquelles vous prenez le plus bénévolement du monde leur temps et… leur argent. Sans doute vous les rembourserez au retour, mais c’est à Paris qu’on a besoin pour soi de son porte-monnaie et qu’il n’est pas agréable de le vider pour les autres.

Après ce préambule mettons-nous en route.

Je vais au Bon-Marché chercher la fameuse étoffe, j’avais un échantillon. Le commis me regarde avec des yeux tout ronds comme si j’étais un phénomène. «Ce lainage de fantaisie est de l’an dernier, c’est passé de mode.» Ce mot, il l’avait prononcé d’un ton de suprême dédain, on aurait dit que je lui demandais une étoffe du règne de Louis-Philippe, et je reprends timidement: Si vous vouliez avoir la complaisance de chercher quelque chose s’assortissant… Bien entendu on ne trouve rien, j’avais perdu une bonne demi-heure. En sortant, je me trouve face à face avec une ancienne amie devenue parisienne, nous causons.

«Ah! me dit-elle, vous faites des commissions pour les autres? grand bien vous fasse. Il y a belle lurette que je n’en fais plus pour personne.

– Et pourquoi, vous que j’ai connue si empressée?

– Pourquoi? je vais vous conter cela, vous pouvez bien me donner quelques instants, allons-nous asseoir dans le square du Bon-Marché.

«Au commencement de mon mariage, une mienne cousine bretonne bretonnante me pria d’aller au Printemps le jour de l’Exposition lui acheter un châle en dentelle espagnole article d’exposition offert à 50 % de rabais, ce jour-là seulement. J’avais une visite à faire rue du Havre; je m’habille en conséquence enchantée de pouvoir faire en même temps visite et commission. J’entre au Printemps, c’était une cohue épouvantable, une bousculade indescriptible. C’est un flot humain qui vous porte et qu’il faut suivre. J’y entre bravement, j’achète la dentelle, après un quart d’heure de remous je parviens à m’esquiver. Je vais faire ma visite, la dame est chez elle; elle me complimente sur ma toilette, sur ma jolie broche. Je conviens qu’elle est aussi fort de mon goût et j’ajoute: J’ai le bracelet pareil, c’est ma parure de noce, et je tends mon bras droit pour le montrer – rien – je crois m’être trompée, je regarde mon bras gauche – rien! plus de bracelet!!! une cruelle inquiétude me traverse l’esprit. Je me lève nous inspectons le salon, le vestibule, l’escalier. Ou j’avais perdu mon bracelet, ou on me l’avait volé. Je retourne au Printemps, je cours au bureau des réclamations. On me répond: Madame vous venez de formuler la 43e réclamation de la journée, mouchoirs de poche, en-cas, porte-monnaie. Il y a même une dame qui a perdu son soulier et une autre son enfant…

– Et vous n’avez jamais retrouvé votre bracelet?

– Jamais! ce petit service où j’économisais six francs pour ma cousine m’a coûté cher; mon bracelet, perte sèche de 800 francs, 2 courses de voiture, plus une scène de mon mari furieux, suivie d’une bouderie de plusieurs jours.

– Voilà qui n’est pas encourageant, ai-je murmuré.

– Non, aussi personne, entendez-vous bien, fut-ce le grand Turc lui-même ou le Czar de toutes les Russies, personne ne me rattrapera à faire des commissions.»

Du Bon-Marché je me suis précipitée au Louvre pour chercher le béret, là ça marchera tout seul, pensai-je.

J’ai été reçue par de jeunes factrices, dédaigneuses, mises comme des gravures de mode, ces petites plébéiennes jouant à la grande Dame et se prenant au sérieux m’ont paru cocasses.

«Nous n’avons pas ce béret, et l’on m’a renvoyée à 2 ou 3 comptoirs.

– Je suis certaine que vous avez ce béret bleu marine dans vos catalogues.

«Il fallait le dire tout de suite, nous ne nous occupons pas ici des articles de province, écrivez pour le demander.

Hein! «écrivez pour le demander.» ce n’était donc pas la peine de me déranger pour venir le prendre.

Et puis allez donc raconter cela à la maman qui attend le béret, elle ne vous croira pas et se plaindra bien-haut que vous n’avez même pas voulu entrer au Louvre pour lui faire cette petite commission. Je vais à la Belle-Jardinière, au Pont-Neuf, à la Samaritaine, impossible de trouver un béret conforme à celui dont j’ai la description. J’ai déjà une heure et demie de voiture, il est bientôt 10 heures, je me fais conduire place Louvois et je congédie mon cocher, je prendrai l’omnibus pour revenir.

Place Louvois je monte au premier étage et je me trouve devant une porte hermétiquement close.

Je sonne, un grand flandrin de domestique vient m’ouvrir – «M. Feuardent?

– M. Feuardent n’est pas encore arrivé.

«Ah! il est cependant 10 heures.

– Oui, mais Monsieur ne vient généralement qu’après son déjeuner, vers 11 heures ½.

«Alors j’attendrai, et je fais un pas pour franchir la porte.

– Pardon, Madame, on n’entre pas.

– Comment, on ne peut pas attendre là dans ce vestibule?

– Personne ne peut entrer ici avant l’arrivée de mon maître, cette mesure a été prise à la suite d’une tentative de vol commise justement par un individu qui, pendant une demi-heure qu’il avait attendu M. Feuardent avait eu le temps de prendre l’empreinte de plusieurs serrures.»

Fallait-il attendre ou m’en retourner? j’hésitai un instant; revenir me prendrait encore plus de temps.

Je n’avais plus qu’à m’asseoir sur une marche de l’escalier ou à faire les cent pas dans la rue.

Je descends, en face de moi, rue Richelieu, je vois écrit en gros caractère: Bibliothèque Nationale.

Voilà mon affaire pensai-je aussitôt, je vais pouvoir lire pendant une heure et calmer mon impatience; plusieurs personnes entraient en ce moment je les suis et je m’engage avec elles dans un long corridor. Soudain j’entends une grosse voix qui crie: «Hé! là-bas, avez-vous votre carte? Je ne devine pas tout d’abord que cette demande s’adresse à moi et la grosse voix devenue plus rogue reprend: «Avez-vous votre carte, répondez-donc, Madame, c’est à vous que je parle.

– Je croyais qu’une bibliothèque nationale c’était comme un musée national et qu’on pouvait y entrer sans formalités.

– C’est ce qui vous trompe. Il faut une carte personnelle. Que diable, on doit se conformer aux règlements.

Je cours encore. – De guerre lasse, je suis allée m’asseoir dans le joli square Louvois où j’ai contemplé tout à mon aise la belle fontaine d’un goût si pur de Visconti. Les quatre figures en bronze qui l’ornent sont de Klagmann. Elles représentent la Seine, la Loire, la Saône et la Garonne. Tout en regardant mélancoliquement l’eau tomber je pensais que ce joli square si plein de calme, de verdure et de fraîcheur occupe l’emplacement de la salle d’opéra, où fut assassiné le duc de Berry, le 13 février 1820. Tout change et se transforme, seul le souvenir et l’espérance subsistent. Le Souvenir qui est le passé et l’Espérance qui est l’avenir. – C’est donc avec le Souvenir que se pétrit l’histoire.

A onze heures et demie je sonnais de nouveau chez M. Feuardent auquel je remettais la lettre de mon digne ami. Les médailles demandées obligeaient M. Feuardent à quelques recherches, les désirait-on en or ou en argent…? encore une question à laquelle je ne pouvais répondre qu’après avoir écrit au pays. Je vis avec effroi que les choses ici ne marcheraient ni plus vite, ni plus facilement11.

Il était midi passé quand je suis sortie. Après l’angelus le mouvement des omnibus se ralentit. Entre midi et une heure les cochers dînent, c’est un moment de repos. Bref, je n’ai pu revenir que par l’omnibus d’une heure pour le déjeuner de midi.

Voilà qui est décidé je n’accepterai plus de commissions pour personne à moins de les faire comme le curé de mon village les faisait il y a 40 ans. A cette époque il fut obligé d’aller à Paris; il ne fit pas son testament avant de partir, comme cela se pratiquait au commencement du siècle alors qu’on mettait 8 jours pour aller de Nantes à Paris, mais enfin il songea à son voyage plus d’un mois à l’avance, en parla, et ses paroissiens, mis au courant de ses projets, arrivèrent en foule pour le charger de leurs petites commissions – des commissions ridicules. – Que répondre, comment refuser à ses chères ouailles de rapporter aux unes des aiguilles perfectionnées, des flanelles irrétrécissables; aux autres une lampe carcel dernier genre, un pot de la fameuse pommade du Lion qui ferait pousser des cheveux sur un caillou, une marmite otoclave qui cuit la soupe toute seule, etc., etc., et chacun d’ajouter: Je ne sais pas trop ce que cela coûte, je vous rembourserai au retour. – Le curé partit le porte-feuille plus bourré d’adresses que de billets de banque.

Deux personnes seulement avaient eu la délicatesse d’envelopper dans leur liste de commissions l’argent nécessaire pour les faire.

Le curé revient au bout de quelques jours; tous les intéressés se précipitent à la cure. Le pasteur a pris un air solennel. «Mes chers paroissiens, dit-il, je n’ai pu faire vos commissions sauf deux pourtant (les figures s’allongent), et j’en suis bien marri. Il faisait très chaud; en arrivant à l’hôtel, j’ai ouvert la fenêtre de ma chambre, devant cette fenêtre se trouvait une table, j’y ai posé, pour les classer, tous les petits papiers ou vous aviez inscrit vos commissions, un coup de vent a passé soudain et toutes vos feuilles légères se sont envolées par la fenêtre, sauf, comme je vous l’ai dit, celles qui contenaient de l’argent.»

La seconde partie de la journée a été plus agréable, le jeudi est donc le jour hebdomadaire où ma cousine reçoit des visites l’après-midi et le soir ses amis à dîner.

Causeries très animées – mais vraiment ces Parisiens m’amusent: Ils sont extrêmement fiers de leur Paris, extrêmement fiers de l’habiter et les ¾ le connaissent moins bien que les provinciaux.

L’ayant sans cesse sous la main ils pensent qu’ils auront le temps de le visiter quand ils voudront. Ils attendent les occasions qui ne viennent pas toujours, paraît-il. Les Parisiens ne sont donc pas curieux, moi qui les croyaient même badauds. J’ai connu jadis une dame qui refusa d’aller passer la Semaine Sainte à Rome, alors que les fêtes de Pâques avaient tant de solennité dans la capitale chrétienne, parce que c’était l’époque de sa grande lessive bi-annuelle, et qu’on dise après cela que les femmes sont frivoles et qu’elles ne savent pas s’occuper de leur maison. Cette dame est le modèle parfait de la femme de ménage et je la cite en exemple aux générations futures. Je connais à l’heure actuelle une autre dame qui a vécu 16 ans à Paris, deux expositions ont eu lieu pendant ce laps de temps. Et elle n’a même pas pris la peine d’y aller. – Et qu’on dise après cela que les femmes sont curieuses! On me demande mes impressions, on me questionne aimablement: Vous avez été à Montmartre? Oui: Vous avez visité l’hôtel de Ville? Oui: Vous vous êtes promenée dans les catacombes? Certainement et permettez que je vous le dise, il y a vraiment des gens qui ne sont pas dignes d’habiter Paris, puisqu’ils ne cherchent même pas à le connaître.

10.Les plaisants qui n’ont pu en retenir un traître mot offrent 500 fr. à la personne capable de les retenir après dix minutes d’étude.
11.En effet j’ai dû écrire à mon estimable ami; retourner une seconde fois chez M. Feuardent, et enfin une troisième et dernière pour prendre la livraison des dites médailles, en un mot cela m’a coûté 5 heures de temps et 3 courses de voiture.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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