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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 17

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Ah! mais je compte bien quelque jour visiter l’Hôtel de Ville et l’église du Sacré-Cœur, quand elle sera plus avancée, quant à visiter les catacombes, j’en serais bien fâchée.

– C’est une des curiosités de votre capitale.

– Je le sais, mais si l’on pensait souvent à ce qu’il y a sous Paris on ne vivrait plus tranquille dessus.

– C’est un sol machiné.

– Oui à croire qu’il va s’effondrer – on ne marche que sur des abîmes, écoutez cela: Il y a donc d’abord les catacombes, excavations, immenses de plus de mille hectares, puis les égouts dont les principaux sont larges comme des rivières – les conduits d’eau propre qui alimentent les fontaines – les tuyaux du gaz, les fils du télégraphe et ceux du téléphone, les tubes pour les lettres. Maintenant on songe à creuser la voie des câbles électriques qui doivent fournir la lumière. Le gaz devient rococo et l’électricité s’apprête à user envers lui des procédés qu’il eut jadis pour l’huile.

– Vous discertez éloquemment… et mon interlocutrice a continué d’un air sérieux et d’un ton grave:

– Je me demande ce que Paris deviendrait entre tous ces fluides, si ceux du ciel attirés par leurs semblables de la terre, essayaient de les rejoindre! Voyez-vous des nuages pleins de foudre crevant sur la grande ville, et atteignant ses foyers d’électricités! quelle commotion, quel cataclysme! et j’ajouterai que les électriciens, si sûrs cependant de leurs succès, n’aiment pas qu’on les questionne là-dessus. Est-ce que cela ne vous effraie pas, moi j’ai froid jusqu’au fond des moëlles.

– Je prends les choses moins au tragique, ai-je répondu, et je dois même vous prévenir que votre beau discours n’aurait rien changé à mes projets.»

Vendredi 25 Octobre 1889.

Le Mexique, la République Argentine, le Brésil, le Nicaragua, le Guatemala. – Républiques de l’Equateur, Dominicaine, du Salvador, la Bolivie, le royaume d’Hawaï

Le petit chemin de fer Decauville qui parcourt environ une lieue de l’Esplanade des Invalides au palais des Machines est peut-être actuellement la ligne la plus fréquentée du monde entier puisqu’il transporte toute la journée dix mille voyageurs par heure.

Je commence à me reconnaître à l’Exposition et à en comprendre l’organisation. Le ticket donne certainement le droit d’entrer, mais il faut quand même avoir souvent la main à la poche pour pouvoir circuler partout. On paie pour voir l’Exposition des aquarellistes, celle des pastellistes, celle du globe terrestre. On paie pour voir le Pavillon de la mer, le panorama du Tout-Paris, l’exposition de la Compagnie Transatlantique, etc., etc.; enfin l’ascension complète de la fameuse tour coûte au minimum 5 francs chaque fois.

Ajoutons que lorsqu’on est fatigué les pousse-pousse tentateurs vous prennent encore quelques francs, les théâtres et les restaurants aussi… et les souvenirs donc! On augmente chaque jour sa liste d’acquisitions.

Il ne faut pas oublier la famille, les amis, les serviteurs, tous ceux qui n’ont pu visiter cette grande exhibition universelle.

Je rapporte un stock de tours Eiffel sous toutes les formes.

On croirait que l’on doit trouver sous la main tous les moyens de réfection et qu’on ne doit manquer de rien, pas du tout les restaurants exotiques, les bouillons Duval, les comptoirs de dégustation, de pâtisserie, les bars, les brasseries, les cafés etc., sont assiégés il faut attendre et pour cela s’armer d’une robuste patience.

L’Exposition est vraiment une ville unique ayant des bureaux pour la poste, le télégraphe, le téléphone. Un service médical avec salle de secours pour les blessés et les indisposés; des cabinets de toilette et autres. Des salons de lecture et correspondance, des bureaux de change pour l’argent, des bureaux de police pour les réclamations, des bureaux de tabac, et le bureau des interprètes parlant toutes les langues.

Le Mexique

Le Mexique aussi a fait grandement les choses. Il s’est construit un magnifique palais dans le style ancien du pays, avant sa découverte par les Européens; le palais est l’un des plus beaux. Au centre de cette construction, reluit le Temple du Soleil, symbole des croyances primitives. Produits naturels et industriels se groupent autour de l’astre Roi on pourrait même dire de l’astre dieu. Si l’on me demandait ce qui m’a frappée dans l’exposition mexicaine, je répondrais sans hésiter, les chapeaux masculins – Ah! quels monuments et comme ils doivent être lourds à porter – rien que de les voir me donne mal à la tête. Ces chapeaux très ornés, très artistement faits, coûtent fort cher. Si j’avais eu 150 francs à perdre, j’aurais acheté un de ces chapeaux là pour l’offrir au musée de ma ville natale. Dans le pays, c’est bien une autre affaire cela devient un luxe insensé. Certains Mexicains ont leurs chapeaux garnis de pierres précieuses, de diamants. C’est toute une fortune que ce couvre-chef, l’adroit filou qui parviendrait à le dérober sans être pris pourrait ensuite vivre de ses rentes. Voilà des chapeaux bien tentants mais il paraît qu’au Mexique les indigènes sont tentés par tout ce qu’ils voient. L’Evangile dit tout homme est né menteur et voleur, ce dernier qualificatif convient surtout aux Mexicains. On est obligé dans les églises d’enchaîner aux marches de l’autel la sonnette dont se sert le choriste qui répond la messe, sans cela il l’emporterait… par mégarde.

Au repas, que donnait jadis l’infortuné empereur Maximilien, l’argenterie subissait un rude assaut. Au moment où les convives se levaient de table les serviteurs rejetaient promptement les pans de la nappe sur le couvert qui se trouvait ainsi caché autrement les invités eussent glissé l’argenterie dans leurs poches… par distraction.

Honneur aux deux palais de La République Argentine et du Brésil, celui-ci avec sa tour de dix mètres, ses galeries, sa terrasse, son jardin et sa serre vous retient longtemps. La serre est ornée de merveilleuses fleurs toujours épanouies, et le jardin renferme un échantillon des arbustes et des plantes remarquables du Brésil. On y rencontre les orchidées les plus rares et les plus extraordinaires; il y a là pour quatre cent mille francs de fleurs et de plantes valeur marchande.

Le bassin dont l’eau est chauffée à trente degrés de chaleur contient la Victoria regia de l’Amazone. Cette magnifique plante atteint des proportions incroyables. Elle peut facilement porter un petit enfant sur une seule de ses larges feuilles blanches auxquelles les indigènes donnent le nom de «Bancs des Uanapés», et à propos de l’Amazone une mention à son palais remarquable, aussi avec ses urnes et ses vases anciens dignes représentants de l’art primitif, des potiers de l’Amazone, c’est-à-dire de l’Ile de Marajo, une île grande comme le Portugal et qui se trouve à l’embouchure de ce fleuve gigantesque.

Le palais de la République Argentine, avec ses cinq coupoles, sa large galerie promenoir du premier étage coûte modestement un million deux cent mille francs! C’est dire le luxe qu’on y a déployé. Il est tout en fer et fonte, et construit de manière à pouvoir être remonté à Buenos-Ayres. Un grand soleil couronne cet édifice majestueux. On l’aperçoit de très loin.

Est-ce comme république, comme civilisation, ou comme richesse que ce pays se compare au soleil? That is the question. «En tout cas c’est une république qui fait les choses princièrement.»

L’intérieur du palais est orné d’un millier de cabochons de verre qui s’illuminent à la lumière électrique et lui donnent un aspect positivement féerique. Son exposition se compose principalement de produits naturels comme nous en avons déjà vu beaucoup et auxquels nous n’avons jeté qu’un coup d’œil en passant.

Nicaragua

Le Nicaragua se distingue par ses productions naturelles. Il nous présente particulièrement des collections de plantes rares et d’oiseaux superbes. Ah! ces oiseaux des tropiques, de quel merveilleux plumage ils sont vêtus; que de grâce dans leur délicate structure, quel éclat dans leur étincelant coloris, c’est à se demander si ce sont des oiseaux ou des papillons. Leur plumage a le châtoiement des pierres précieuses et quelle variété depuis le colibri, un saphir volant jusqu’au quetzal dont le plumage dépasse en beauté celui de l’oiseau de paradis.

Charmant, le pavillon du Guatémala; le rez-de-chaussée renferme une collection très complète d’oiseaux et d’insectes du pays. Cette collection appartient à un Français. Au 1er étage, une grande peinture panoramique représente des animaux qu’on ne serait pas rassuré de rencontrer, – serpents, tigres, chacals, tapirs sont plus agréables à voir en image qu’en réalité.

Le pavillon de la république de l’Equateur ne se rencontrerait pas partout aujourd’hui. C’est la reproduction aussi fidèle que possible de l’un des temples que les Incas consacraient au Soleil. Le mobilier d’une grande richesse, cristal et or, se détache sur des tentures pourpre d’un grand effet. Dans son exposition figurent principalement «les industries extractives» telles que celle du café, du sucre, du coton, des plantes médicinales: quinquina, cochenille, ivoire végétal ou noix de Corozo, cristal de roche; puis enfin des tissus de laine, de fil et de coton, des broderies et des dentelles.

La petite république Dominicaine brille aussi par ses produits naturels, ses bois des îles et ses minerais, son café, son cacao, son sucre, son tabac et sa cire, puis elle présente quelques produits fabriqués, tels que savons, rhums, alcools. Même genre d’exposition dans le pavillon du Salvador, une heureuse république dont les finances sont si prospères qu’elle n’a pas de dettes. Ce pavillon est original. Son style où se mélange agréablement l’architecture arabe et espagnole doit donner une idée assez exacte des belles constructions du pays.

La Bolivie

Le pavillon de la Bolivie est fort joli avec ses quatre tours et son architecture bizarre. C’est un bon spécimen des constructions modernes de Bolivie. Il est rempli des principales productions du pays, parmi lesquelles figurent au 1er rang les minerais d’argent et de cuivre qui s’extraient paraît-il de mines inépuisables.

L’Exposition du royaume d’Hawaï ou des îles Sandwich occupe aussi un coquet pavillon, rempli des produits naturels du pays, café, sucre, tabac, riz. Les Hawaïens font d’assez jolis meubles mosaïques; des nattes et ce qui leur est tout à fait propre, des manteaux de plumes d’oiseaux, plumes de coq principalement; avec ces plumes multicolores et brillantes on forme des dessins superbes. Mais mon Dieu, a-t-il fallu en tuer de ces pauvres gallinacés pour faire de leurs plumes des vêtements entiers.

Le Chili, le Paraguay, l’Uruguay, le Vénézuela ont aussi leurs palais. Ah! si l’on voulait tout voir, tout approfondir, les six mois que dure l’exposition ne suffiraient pas et la voilà qui touche à sa fin; bientôt je vais lui dire adieu.

Samedi, 26 Octobre 1889.

Je me suis délassée toute la journée en savourant mes souvenirs, en rangeant mes bibelots et en commençant l’emballage de toutes ces jolies choses. Ma caisse ne suffit plus, j’aurai de l’excédent. Depuis six semaines que je marche comme le juif-errant, voilà franchement un repos bien gagné. Je ne suis plus la diligente mère Jeanne, debout la première pour veiller à la maison. Il y a longtemps que mon réveil-matin habituel, que le roi de ma basse-cour a lancé aux échos sa fanfare guerrière, lorsque je me lève à présent. Mon Dieu oui, je fais la grasse matinée comme une petite maîtresse; d’ailleurs, on se couche si tard ici, que minuit est encore plus animé à Paris que midi chez nous.

Après dîner, nous sommes allées au Musée Grévin; un musée d’un nouveau genre rempli de personnages… en cire; c’est la ressemblance étonnante, la reproduction parfaite du modèle, dit-on. Nous avons vu la reine d’Angleterre fort laide, l’empereur d’Allemagne et son jeune fils, Bismark, nos gouvernants actuels, très ressemblants, Carnot que chacun reconnaît, tous ces personnages fort bien groupés, les uns debout semblant marcher, les autres assis semblant causer. Quelques personnes, bien vivantes celles-là, s’amusent à garder une immobilité complète, si bien qu’à la fin on ne sait plus quels sont les gens vrais ou faux. Tout en allant demander un renseignement à quelque joli mannequin, on écrase le pied d’une élégante personne que l’on prenait pour une statue.

Puis on descend un sombre escalier qui conduit à des sous-sols faiblement éclairés; là on a la vision de scènes lugubres entrevues dans une demi obscurité. Tout cela prend alors un air de vérité qui saisit vivement. Nous assistons aux touchants adieux de Louis XVI à sa famille, à l’arrestation douloureuse de Marie-Antoinette, la voilà dans sa chambre à la Conciergerie. Donnons aussi un coup d’œil à Lafayette, à Bailly, à Rouget de l’Isle, avant ou après la Marseillaise, peu importe.

Si ce n’était les employés de l’établissement qui crient de temps à autre: «Méfiez-vous des voleurs, il y a des pick-pockets ici,» et qui vous rappellent que ce spectacle n’est qu’une fiction on serait joliment impressionné.

Voici la série des célèbres criminels, expressions mauvaises, visages ignobles pour la plupart. Cette triste exhibition se termine par l’exécution d’un condamné à mort. Voilà les bois de justice, le bourreau, le condamné couché sur la fatale machine. Dame! j’ai fermé les yeux; ce n’était qu’une image, mais j’en avais assez.

On est bien aise de remonter à la lumière et d’entendre la musique des dames hongroises. Le soir entre onze heures et minuit nous sommes revenues sur l’un de ces grands omnibus qui atteignent la hauteur des entre-sols.

Tout en roulant à la lueur du gaz et des étoiles mon esprit philosophait un peu en pensant au philosophe Pascal qui le premier eut l’idée d’installer des voitures au service du public avec itinéraire tracé d’avance. Son ami le marquis de Roanne s’empara de son idée et obtint en 1672 le droit de faire circuler les dits véhicules qui furent d’abord de vieux carrosses défraîchis vendus par leurs propriétaires. On payait 5 sols la place. Mais ce ne fut qu’en 1819 que parut le premier omnibus.

J’ai trouvé ce petit voyage assez pittoresque, mais je n’aimerais pas à le recommencer souvent il y a toujours un peu de cohue pour monter et descendre et les accidents sont si vite arrivés.

Si, du fond de la Bretagne, ma famille, plongée dans le sommeil, m’avait vue perchée, ainsi passer en rêve, je crois qu’elle se serait mise à se frotter les yeux et que ce rêve l’aurait tout-à-fait réveillée.

Dimanche, 27 Octobre 1889.

Grand’messe à la Madeleine. – L’après-midi promenade aux jardins des Tuileries, et du palais Royal

L’Eglise de la Madeleine fut commencée sous Louis XIV. C’est Mademoiselle de Montpensier qui en posa la première pierre.

Sous Napoléon Ier, elle n’était point encore achevée et ce grand conquérant rêva d’en faire un temple à sa gloire et à celle des armées françaises. Des tables d’or devaient former les pages des annales de l’Empire… Mais les conquérants passent vite parfois et la Restauration fit mieux en rendant ce bel édifice à sa première destination: Au culte de Dieu.

Le perron a 28 marches et le péristyle 52 colonnes avec 34 statues dans des niches carrées.

Les portes de bronze ont de superbes bas-reliefs. Le fronton, œuvre de Lemaire, représente le Jugement dernier.

La Madeleine a le style d’un temple grec, c’est fort beau, mais quand il s’agit des églises, je préfère bien le style gothique avec ses fenêtres ogivales, dont les vitraux de couleurs répandent de si douces et mystérieuses clartés.

L’intérieur est somptueux, on y officie comme dans toutes les grandes églises de Paris avec beaucoup de solennité.

Le jardin des Tuileries évoque bien des souvenirs plus tristes que gais. Où est-il ce beau palais commencé sous Catherine de Médicis et qui depuis Louis XV fut la résidence habituelle de nos rois. Ils se plurent à l’embellir, Napoléon III particulièrement. Le peuple devait en avoir raison et le détruire un jour, du reste, dans tous les temps d’émeutes et de révolutions, c’est toujours le palais des Tuileries que le peuple attaque d’abord: en 1792, il s’en empare et massacre les Suisses fidèles, même scène en 1830, et en 1848, il en est le maître; en 1871 le peuple a progressé il ne se contente plus du pillage et du vol, la torche incendiaire de la Commune passe partout et le réduit en cendres.

Quelle honte! quelle tache incrustée au front de Paris, que ces ruines… aussi s’est-on empressé de les faire disparaître et de remplacer les beautés de l’art par celles de la nature.

On a donc créé un nouveau jardin qui cache sous ses arbustes et ses fleurs l’emplacement même du palais des Tuileries.

Sous Louis XIV, le jardin primitif renfermait une vaste volière, un étang, une ménagerie, une orangerie.

En 1665, Le Nôtre dessina un nouveau plan avec les deux belles terrasses que l’on admire encore aujourd’hui: la terrasse du Bord de l’eau donnant sur la Seine et la terrasse des Feuillants dont le monastère avoisinait les Tuileries.

Sur l’emplacement même du manège des Tuileries on éleva en 1790 une salle où l’Assemblée constituante termina sa session, où l’Assemblée législative tint la sienne et où la Convention délibéra jusqu’en 1793. Le Conseil des Cinq Cents y siégea aussi jusqu’en 1798. – Rien ne manque aujourd’hui à la décoration de ce vaste jardin de 30 hectares, grands arbres ombreux, massifs d’arbustes, parterres de fleurs, bassins d’eau vive, terrasses de l’Orangerie et du Jeu de Paume, pelouses verdoyantes. Ajoutons que toutes ces délicieuses choses de la nature sont encore embellies par de nombreuses statues et des groupes de marbre et de bronze dûs à nos meilleurs maîtres français.

Nous avons promené au jardin des Tuileries avec une dame, amie de ma cousine qui nous a raconté un fait bien touchant arrivé dernièrement devant elle à la gare de l’Est.

Deux femmes et une petite fille guettaient anxieusement l’arrivée du train de Strasbourg. La grand’mère attendait son mari qui venait aussi lui voir l’Exposition.

«Grand-mère, disait l’enfant, va-t-il bientôt arriver.

– Oui, chérie, prends patience, répondait l’aïeule.

Soudain le sifflement aigu de la locomotive se fait entendre, une porte s’ouvre, le flot des voyageurs s’écoule par cette grande baie un instant trop étroite.

– Le voilà, le voilà! crie la petite fille.

Un petit vieux, sec, cassé, simplement mais proprement vêtu apparaît. D’une main, il s’appuie sur un parapluie et de l’autre, il brandit un bouquet de fleurs et avant d’avoir embrassé sa femme, sa fille et sa petite-fille, il leur a tendu le bouquet.

Cela vient de là-bas… dit-il simplement. La petite fille sourit, mais en contemplant ces fleurs qui avaient poussé sur la terre arrachée à la France, l’aïeule et la mère fondirent en larmes: Ce souvenir si vibrant encore après dix-neuf années prouve au plus haut degré la force et la durée des sentiments inspirés par l’amour de la patrie. Le jardin du Palais Royal est fort attrayant avec ses grands arbres, son bassin, ses parterres, ses statues. Ce beau jardin ne fut pas toujours ce lieu tranquille où les promeneurs viennent entendre de la musique. Sa longue existence a connu des périodes agitées. Beaucoup plus vaste d’abord qu’il ne l’est aujourd’hui, il s’y tenait une foire permanente.

Sous la révolution il devint le club en plein vent où péroraient les exaltés. Au centre se trouvait alors un cirque, amusement de ceux qui ne faisaient pas de politique. Le feu détruisit ce cirque en 1798.

Ma cousine m’a fait remarquer dans l’un des parterres le canon que le soleil fait partir à midi précis.

Ces superbes jardins, au centre même de Paris sont fort appréciés de ses habitants, aussi y a-t-il toujours beaucoup de promeneurs. C’est le lieu favori des bonnes d’enfants… et des militaires.

Après cette charmante flânerie, au milieu de la verdure et des fleurs, il m’est arrivé une petite aventure qui aurait pu mal finir; elle s’est terminée d’une manière aussi heureuse qu’inattendue.

Vers 5 heures, je devais me rendre seule, ma cousine préférant rentrer, à une matinée musicale donnée par un grand professeur de piano.

En sortant ma cousine m’avait dit: Aujourd’hui dimanche tu ne feras aucune acquisition, ne prends pas ta bourse, c’est toujours plus sûr, j’ai la mienne pour payer l’omnibus. A 5 heures moins un quart nous entrions au bureau de l’omnibus que nous venions d’apercevoir dans le lointain. Hélas, il était bondé, un monsieur d’un certain âge et un jeune Saint-Cyrien venaient d’y monter; il ne restait plus qu’une place à prendre. Vite, dépêche-toi, me crie ma cousine, ça m’est égal d’attendre, mais toi, tu arriverais trop tard. Je me précipite et je me trouve assise au fond de la voiture, le monsieur à ma droite et le jeune homme en face de moi. Au moment où l’omnibus s’ébranlait, je me souviens, pensée terrible, que je n’ai pas d’argent. Un ah! involontaire s’échappe presque de mes lèvres, je me sens rougir jusqu’à la racine des cheveux. Quel ennui, quelle humiliation! L’employé a ouvert sa saccoche et reçoit les places, il s’avance… c’est le quart d’heure ou plutôt la minute de Rabelais. Que dire! Que faire! on va me laisser là, c’est certain. Depuis quelques semaines les compagnies sont devenues intraitables sous ce rapport, ayant depuis le commencement de l’exposition perdu plus de 20.000 fr. de places non payées. Aujourd’hui pas d’argent… pas de place et il faut obéir à cet impérieux commandement: descendez. Que vais-je devenir dans ces quartiers qui me sont complètement inconnus? j’en frissonne. L’employé est arrivé devant le vieux monsieur: «Vos places!

– Nous vous les avons payées en montant, rappelez-vous. C’est mon fils qui vous a donné l’argent.

– Oui, oui, c’est vrai!» et l’employé tourne sur ses talons et va sur l’impériale faire sa collecte.

Pendant ce colloque j’avais pris un air de belle indifférence. J’écoutais impassible… j’étais sauvée. L’employé m’avait sans doute prise pour la femme et la mère de ces messieurs.

Le lendemain je suis allée au bureau des omnibus de l’Odéon pour payer ma place. L’employé m’a répondu franchement:

Cette restitution nous causerait plus d’ennuis que cela ne vaut, ne vous en préoccupez pas; c’est le roulement; et j’ai déposé dans le tronc d’une église le montant de ma place. J’ajouterai même que je l’ai triplé pour remercier la Providence de m’avoir tirée si gentiment de ce mauvais pas.

A sept heures et demie je suis rentrée charmée de la bonne musique que je venais d’entendre et des jolies compositions de Chaminade, parfaitement interprétées. J’ai changé de robe à la hâte, car ma cousine réunissait ses amis en mon honneur.

C’était mon dîner d’adieu. Parmi ses invités figurait une très élégante jeune femme qui habite aux Champs-Elysées, dame! avoir une villa délirante ou un hôtel somptueux aux Champs-Elysées c’est un rêve. Beaucoup de personnes se contentent des rues adjacentes, mais cela s’appelle quand même habiter les Champs-Elysées; et ça vous pose tout de suite.

Les Parisiens sont ébouriffés de la vie que mènent à Paris les Provinciaux, avides de tout voir et de tout connaître.

Deux choses sont absolument nécessaires pour visiter notre belle capitale, de la patience et de l’argent et même en bien des circonstances, la première l’emporte sur l’autre, l’argent ne peut remplacer la patience.

Je regrette beaucoup de n’avoir pu aller au Théâtre Français. Sans doute le grand Opéra est une belle chose, mais j’aime à comprendre ce que j’entends, et ceux qui n’y vont pas souvent en reviennent plus qu’étonnés, ils en reviennent ahuris, abasourdis. C’est une série de roulades, de vocalises, de trilles, et de ha! à perte de vue et d’haleine, on chante indéfiniment sur deux mots par exemple: Partons, hâtons-nous, remplissent presque un chœur. Ce départ se chante pendant plus d’un quart d’heure et le public ne peut s’empêcher de se dire que pour des gens pressés, ils y mettent le temps. Bref le public est bon enfant, il écoute sans s’impatienter il y aurait de quoi cependant. Je ne pousse pas le dédain de l’Opéra au point de ce vieux provincial y allant pour la première fois. «C’était beau, n’est-ce pas, lui dit-on? – «Beau! ils m’ont assourdi les oreilles; la moitié des personnages jouaient et chantaient en même temps, sans doute pour gagner plus vite leur salaire, quant à ceux qui chantaient seuls, que vous dirais-je! j’en fais autant tous les matins quand je me gargarise.»

Parlez-moi du Théâtre Français, on y comprend tout ce qui s’y dit. Le génie si clair, si harmonieux de notre belle langue s’y développe dans toute sa magnificence. Pour ma part je trouve que la Comédie Française et l’Opéra Comique sont les deux genres qui conviennent le mieux au tempérament français. Pour s’émouvoir, s’enthousiasmer, il me semble que les seuls plaisirs des yeux et des oreilles ne suffisent pas, il faut encore y joindre ceux de l’esprit. Je regrette donc bien de n’avoir pu voir le plus ancien théâtre de France réellement fondé en 1680. Il est considéré comme le premier théâtre du monde entier. Tous les véritables chefs-d’œuvre de l’esprit français y ont été mis à la scène. On l’appelait souvent la «Maison de Molière». Mais il était aussi la maison de Corneille et de Racine.

C’est en 1689 que, par ordre de Louis XIV, «l’Hôtel des Comédiens du roi», entretenus par Sa Majesté, prit le nom de «Comédie Française».

N’est-ce pas après la mort de Corneille que l’on adressa ce joli distique aux Comédiens.

 
«Puisque Corneille est mort, qui vous donnait du pain
«Faut vivre de Racine ou bien mourir de faim.»
 

«Corneille était mort en 1684, et Molière en 1673, ils ont donc précédé la constitution de ce théâtre, et c’est à l’Hôtel de Bourgogne, situé alors rue Turbigo, que leurs œuvres sauf quelques-unes, (jouées à Versailles, devant la Cour seule) ont été offertes au public. Ces deux grands hommes sont pourtant considérés comme les véritables créateurs de ce théâtre, dont Napoléon Ier a dit un jour: «Le Théâtre Français est l’orgueil de la France, l’Opéra n’en est que la vanité.»

En 1770, les artistes de la Comédie-Française furent, avec la permission du roi, s’installer aux Tuileries et y restèrent jusqu’en 1782, à cette date, ils allèrent dans une nouvelle salle élevée sur l’emplacement de l’Hôtel de Condé, salle reconstruite plus tard et devenue l’Odéon. – C’est là qu’en 1784 fut joué pour la première fois le Mariage de Figaro, véritable prologue de la Révolution. Là aussi en 1787 débuta Talma, qui, plus tard, devait jouer à Erfurt devant le «parterre de rois» que lui avait promis l’empereur.

«Sous l’Empire, les artistes suivent l’empereur à Saint-Cloud, à Fontainebleau, à Trianon, à Compiègne, à la Malmaison. Ils le suivent en Allemagne, à Dresde, à Erfurt. Ils étaient désignés sous le nom de «Comédiens ordinaires de S. M. l’empereur et roi».

«On a gardé souvenir de la fameuse soirée du 22 octobre 1852 à laquelle assistait le prince Louis-Napoléon, président de la République. On y joua Cinna. On y entendit une ode d’Arsène Houssaye: L’empire c’est la paix et un proverbe d’Alfred de Musset: Il ne faut jurer de rien. Le prince président y fut fêté avec un indescriptible enthousiasme, et quand il remonta en voiture pour retourner à Saint-Cloud, les cris de: «Vive l’empereur!», partirent tout seuls».

Cette nouvelle dynastie impériale qui allait se fonder si florissante, si durable semblait-il n’existe plus. En 40 ans, le père et le fils sont morts. Vraiment le monde n’a de stable que son instabilité!

Lundi 28 Octobre 1889.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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