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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 14

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Le Jardin d’Acclimatation

Le Jardin d’Acclimatation, établi dans le Bois de Boulogne, est un parc délicieux de vingt hectares.

L’arrivée est charmante sous bois, dans des voitures découvertes courant sur rails à travers les allées. On se croirait assis sur un banc de jardin qui soudain se met en marche entraîné par un cheval endiablé!

Oui, le Jardin d’Acclimatation m’est apparu comme une miniature du Paradis terrestre. Tout le monde doit l’envisager ainsi. Paradis des grands, soit que ceux-ci s’égarent dans les parties ombreuses et solitaires, soit qu’ils aillent rêver des tropiques dans la grande serre centrale ou regarder les caravanes exotiques.

Toutes les races humaines ont campé sous le ciel du Bois de Boulogne: Nubiens, Esquimaux, Fuégiens, Galibis, Cynghalais, Araucaniens, Kalmoucks, Peaux-Rouges, Achantis, Hottentots, Circassiens, Lapons norwégiens et tutti quanti.

Paradis des petits, qui s’en vont chevaucher sur les dromadaires, se faire traîner en voiture par une autruche ou les petits zèbus (bœufs trotteurs) monter dans le palanquin de l’éléphant, assister au repas des phoques. Du reste, il n’y a pas que les enfants à monter en palanquin. Le samedi, jour où on se marie le plus à Paris, on y voit les épousées d’un certain monde dans leurs blanches toilettes. Cette promenade est, paraît-il, la distraction favorite inscrite au programme des noces ouvrières.

Les serres avec ruisselets tranquilles et grottes mystérieuses sont des palais de fleurs, où toutes les plantes frileuses de la création se donnent rendez-vous: il en est de même des animaux remarquables. Ils ont ici leurs représentants: tapirs, sangliers, zèbres domestiques, rennes, chamois, isards, antilopes, daims, cerfs, sans oublier le cerf nain de la Chine, qui pèse environ douze livres. Comme antithèse, je citerai Juliette (Roméo est mort en 1886), l’éléphant offert par le feu roi Victor-Emmanuel. Juliette et Roméo avaient succédé à Castor et Pollux, vendus vingt-sept mille francs à la boucherie parisienne pendant le siège; du reste ils ne furent pas les seuls animaux du Jardin d’Acclimatation que les Parisiens dévorèrent. On mangea alors des côtelettes d’antilopes, des biftecks d’ours, des rôtis d’éléphants, des filets d’hippopotames.

A la suite de tous ces désastres, la ville de Paris dut dépenser cent quatre-vingt mille francs pour remplacer les victimes et repeupler le Jardin d’Acclimatation. Ces beaux animaux doivent être heureux, ils ont tout à souhait, sauf là liberté, et pour ceux qui l’aiment, c’est peut-être manquer de tout.

Les singes ont un palais revêtu à l’extérieur comme à l’intérieur de plaques de faïences pour empêcher les murs de s’imprégner de mauvaises odeurs, les ouistitis sont charmants ainsi que les écureuils gris, ces jolis écureuils qui fournissent la fourrure dite petit-gris ou vair.

Il y a des moutons et des chèvres de tous les pays: de Russie, d’Egypte, de Chine, d’Afrique; la petite chèvre naine de ce dernier pays est un vrai joujou vivant, moins grande que la plupart de celles qu’on achète chez les marchands de jouets.

Je me suis arrêtée longtemps devant le palais des kanguroos: peu gracieux, mais très drôles ces animaux, avec leur grande poche sous le ventre pour élever leurs petits. Ils ont les membres postérieurs très développés, et en s’aidant de leur queue qui leur sert tour à tour de point d’appui dans le repos, de tremplin au départ, de balancier pour la course, ils franchissent d’un seul bond des distances énormes. Les espèces de kanguroos sont très nombreuses, et presque toutes représentées ici.

Très intéressant encore les lamas qui sont les chameaux du Nouveau-Monde et fournissent ces riches toisons dont on fait de si beaux tissus et même de la dentelle maintenant. La vacherie possède les meilleures laitières et pas mal de petites vaches bretonnes. J’en ai été toute fière. La laiterie est auprès, et pour les Parisiens c’est une régalade de pouvoir boire une tasse de lait tout chaud, tout écumeux, il y a des jours où il s’en débite mille tasses.

Les variétés infinies de la race canine se retrouvent en offrant aux regards charmés des amateurs les types les plus purs. Voilà des sujets qui ont toutes les qualités requises pour satisfaire les plus difficiles, le rude chasseur ou la petite maîtresse.

On peut en dire autant des chevaux dont la collection est des plus complètes, depuis le percheron pur-sang, le cheval de trait breton jusqu’au cheval d’Arabie.

Et les poneys! en voilà de tous les pays: de Java, de Siam, de Cochinchine, d’Ecosse, d’Islande, de Russie, de Corse, des Landes, de Navarre, de l’Ile d’Yeu, de Pologne, de Finlande. Ils ont de jolies robes, des formes élégantes, ce sont de mignons petits chevaux, mais en général ils n’ont pas l’air commode.

J’ai admiré en face des écuries le sequoïa gigantea, le sapin géant de la Californie, qui ne croît naturellement que sur un seul point, dans la vallée de Calaveras, donné il y a vingt ans par Monsieur Leroy d’Angers.

Il est autrement beau que celui que je possède à la campagne, mais cela n’est pas étonnant, le mien a été la victime d’une aventure extraordinaire, il commence une seconde vie… Donc cet arbre, déjà fort beau pour ses quinze ans, vivait tranquille et solitaire sur le bord d’une allée qu’il fallait élargir. Je regrettais bien le sacrifice, c’était devenu nécessaire: l’arrêt fatal fut prononcé. Le séquoia est arraché, scié au bas du tronc, et les racines qui formaient un gros bloc, jetées sur un tas de bois à brûler. Ceci se passait au printemps. Tout l’été la pauvre souche resta exposée au grand soleil. Plusieurs fois, je dis à mon cordon bleu: «Mais brûlez donc cette souche, c’est une bûche toute faite pour cheminée de cuisine».

Au fond cela m’agaçait de voir en l’air les racines de mon pauvre séquoia, de mon unique. Et chaque fois la cuisinière me répondait: «Il n’est pas sec.

– Par exemple!

– Il lui pousse sans cesse de petites branches vertes tout autour, que Madame vienne voir».

Je fus voir et la souche du pauvre arbre mutilé se montrait toujours verdoyante. J’en eus pitié. La racine fut remise en terre et les petites branches se mirent à pousser vigoureusement. La première année, nos voisins, des agriculteurs entendus, me disaient: «C’est impossible que cet arbre reprenne vie… C’est un peu de sève restée dans la souche qui fait son dernier jet». Je le craignais, mais non, depuis trois ans mon cher séquoia continue de les démentir. On dirait même qu’il veut rattraper le temps perdu et dépasser ses congénères qui poussent d’un mètre par an et qui atteignent jusqu’à cent dix mètres, deux fois la hauteur des tours Notre-Dame.9

Mais revenons au Jardin d’Acclimatation.

Les gallinacées sont un monde où se retrouvent les espèces les plus rares comme les plus communes. Impossible de les énumérer, je dirais cependant que les petites nègres blanches soie, les padoues dorées et les campines proprettes, plus que les grosses espèces qui leur sont comme rendement très supérieures, m’ont séduite. Les faisans sont aussi légion. Ah! les beaux et séduisants plumages, que de reflets, que de bigarrures, d’étincellements, dans ces couleurs plus chatoyantes et plus variées que celles du prisme. Quant aux pigeons, il faut venir ici pour en voir la plus complète collection qui ait été jamais réunie. Le colombier est merveilleusement installé. C’est une élégante construction en briques et fer formant une tour de trente mètres de hauteur sur six mètres de diamètre, divisée en quatre étages; quatre cents couples de pigeons peuvent nicher là. Tout le service se fait à l’aide d’un ascenseur, ce qui simplifie les choses. Les combles de la toiture, en forme de champignon, abrite la nuit les pigeons en liberté. Parfois le vol d’une troupe nombreuse tournoyant autour du colombier produit un sifflement sonore, ce bruit étrange provient de gros sifflets en courge ou bambou attachés sur les plumes de la queue et qui sont d’un usage général en Chine pour effrayer les oiseaux de proie. Nous avons salué au passage les pigeons-voyageurs dont on n’a pas oublié les hauts faits pendant le siège de Paris. Il en est qui franchirent à plusieurs reprises les lignes prussiennes porteurs de ces dépêches microscopiques photographiées sur des feuilles de collodion si légères, que les cent quinze mille dépêches reçues pendant le siège, ne dépassèrent pas à elles toutes le poids d’un gramme, c’est du moins ce qui nous a été dit.

Voilà deux pavillons très bien habités, celui-ci par les grands-ducs qui appartenaient à Gustave Doré, celui-là par un harfang de Norwège ou chouette des neiges, cet oiseau très rare remplace celui qui fut tué méchamment en 1884 par un Anglais, lequel poursuivi devant le tribunal correctionnel fut sévèrement condamné, comme il le méritait d’ailleurs.

Très intéressant le parc des échassiers, hérons, cigognes, flamands, ibis communs et celui des grues qui viennent de tous les points du globe. Très beaux les casoars et les autruches, ravissants les ibis d’espèces rares, roses et rouges, quel magnifique plumage; on dirait des bouquets de roses ou de flammes qui marchent. Cette beauté qui parle aux yeux explique le culte que certains peuples avaient autrefois pour l’ibis, dont ils avaient fait l’oiseau sacré. Les Egyptiens le vénéraient comme une divinité bienfaisante, son apparition coïncidait avec les inondations du Nil. Lorsque les ibis entretenus dans les temples mouraient, on ne les empaillait pas, mais on les embaumait et on les enfermait ensuite dans des nécropoles dont Hermopolis était la principale.

Excessivement curieuse, la pêche qu’on fait faire aux cormorans tous les jours et à heure fixe. Le cou de ces pêcheurs emplumés est entouré d’un anneau qui les empêche d’élargir leur gorge et de pouvoir avaler le poisson qu’ils sont allés capturer au fond de l’eau.

La pêche du cormoran était un sport fort apprécié des anciens rois de France. Pendant longtemps abandonné, on ne le pratiquait plus qu’en Chine. Aujourd’hui il reprend faveur en France et particulièrement chez les Anglais, grands amateurs de tous les genres de sports. Ces animaux peuvent arriver à un dressage parfait. Oui, ces oiseaux pêcheurs de poissons lâchés en liberté s’en vont plonger au loin puis reviennent à tire d’aile vers leur maître déposer entre ses mains le butin conquis et recevoir ensuite la récompense méritée par leurs efforts.

Nous avons pu assister au repas des phoques et des otaries, ou lions de mer des glaces polaires. Ces animaux connaissent très bien l’heure du repas, on les voit alors s’agiter, nager vivement, se dresser hors de l’eau, comme pour dire que l’heure de la réfection est arrivée. Les otaries, par leurs formes étranges font penser aux grands animaux antédiluviens, ils n’ont que des nageoires dont ils se servent comme les quadrupèdes de leurs membres et leur agilité contraste avec la marche lente des phoques qui se traînent sur le ventre.

Les otaries sont d’une docilité extraordinaire; au commandement de leur gardien, ils montent en quelques bonds au sommet du rocher qui surplombe leur grand bassin et se jettent dedans la tête la première. Ils ressemblent alors à des sirènes, bondissent comme des poissons volants et décrivent les courbes les plus gracieuses au milieu de la blanche écume qu’ils font jaillir autour d’eux.

Les oiseaux de volières, parleurs et chanteurs, ramagent dans tous les tons. C’est un concert un peu bruyant, mais on leur pardonne, ils sont si jolis, depuis le perroquet vert, le cacatois huppé, jusqu’aux bengalis, jusqu’aux délicieux oiseaux-mouches. Ah! si les ibis ont l’air de bouquets qui marchent, les colibris ressemblent à des pierres précieuses qui voltigent. Les oiseaux d’eau habitent la rivière qui traverse tout le jardin. Ah le joli lieu pour s’ébattre, se baigner et vivre dans la plus douce quiétude. Nous avons admiré les canards de toutes les espèces, des cygnes majestueux et un grand pélican qui heureusement

 
Ne se perçait pas le flanc
Pour nourrir de son sang
Ses petits enfants
Blancs.
 

L’aquarium est encore un palais, le palais d’Amphitrite, aurait dit ma grand’mère.

Cet aquarium m’a remis en mémoire la petite aventure arrivée à un de mes voisins, le plus honnête homme de la terre, mais campagnard jusqu’aux moelles, c’est-à-dire un peu naïf, souvent étonné et pas débrouillard du tout. Paris a toujours été l’objectif des gens qui ne voyagent guère; aller à Paris, c’est le rêve des jeunes fiancés qui projettent d’y passer le premier quartier de leur lune de miel. C’est ce que fit mon voisin après son mariage, il vint visiter la capitale plaçant au nombre de ses principales curiosités le Jardin d’Acclimatation, de création récente alors, et l’aquarium.

Il le visita dans ses plus grands détails, s’intéressa à tout, s’extasia devant les plantes et les animaux, épuisa tous les termes admiratifs du vocabulaire et quand il fut sorti glissa tout bas à l’oreille de sa jeune épousée: «Eh bien là, franchement, j’ai tout vu, sauf la chose que je tenais le plus à voir.

– Et quoi donc?

– Mais la croix Riome, et mon voisin fulmina ainsi son mécontentement, la croix si admirable du dénommé Riome. Est-ce un savant, un explorateur, un martyr de la science, qu’est-ce qui l’a rendu célèbre, on ne nous l’a seulement pas dit?».

L’aquarium compte dix grands bassins d’eau de mer et quatre d’eau douce. Ces bassins ou bacs, sortes de caisse en ardoise, ont une paroi garnie d’une glace mesurant un mètre quatre-vingts sur quatre-vingts centimètres, ils reçoivent la lumière seulement par en haut, de telle sorte que le visiteur étant dans un demi-jour, voit très bien les objets placés dans l’eau derrière la glace. Ce système très simple, est partout adopté aujourd’hui.

Chacun des bacs est un petit océan où s’agitent les êtres les plus étranges: «les pieuvres promènent en tous sens leurs huit tentacules et fixent le visiteur de leur œil vitreux, les crevettes voltigent comme des papillons sur le devant des bacs et se poursuivent en bondissant sur le sable, formant des ballets fantastiques, auxquels leurs corps transparents donnent une apparence spectrale. Les Bernard l’Ermite sont des Diogènes sybarites vivant dans un tonneau parfaitement approprié à leur taille, c’est-à-dire dans une coquille dont ils ont remplacé le légitime propriétaire. L’anémone parasite se fixe sur la coquille habitée par le Bernard l’Ermite, comme le vieillard de la mer sur les épaules de Simbad, dans les contes des mille et une nuits.»

«Des hippocampes ou chevaux marins peuplent un des bassins et l’on distingue facilement les mâles à la poche abdominale où ils recueillent les œufs pondus par les femelles et abritent leurs petits comme les kanguroos. On peut voir les spinachis ou les épinoches construire leur nid d’algues et de vase, tandis que les macropodes ou les poissons arc-en-ciel de la Chine établissent à la surface d’un bac plein d’eau douce un plafond de bulles d’air au centre duquel ils déposent leurs œufs comme dans un radeau d’écume et dont ils empêchent les jeunes de s’éloigner pendant les premiers jours. Si on examine le sol sablonneux de certains compartiments, on est surpris de le voir constellé d’yeux qui regardent en tous sens; les soles, les plies, les turbots sont là, ensevelis sous une légère couche de sable, juste assez pour cacher le corps en laissant l’œil dépasser.»

Plusieurs poissons s’apprivoisent d’une façon étonnante et connaissent leurs gardiens; telles sont particulièrement les anguilles de mer et les trigles, qui viennent manger dans la main du gardien et le reconnaissent quand il passe.

Derrière l’aquarium existe le pavillon de la pisciculture dans lequel se trouve réunie une collection très complète des poissons d’eau douce et les appareils de pisciculture les plus perfectionnés. Les visiteurs peuvent suivre les opérations de fécondation artificielle et d’élevage qui se font sous leurs yeux.

Si on ajoute à toutes ces choses si curieuses et si intéressantes l’excellent buffet-restaurant, le cabinet de lecture avec bibliothèque et le kiosque de la musique, où se fait entendre un orchestre parfait, on conviendra que le Jardin d’Acclimatation est pour les Parisiens l’oasis délicieuse où ils peuvent venir se reposer et oublier les exigences de leur vie enfièvrée.

Nous sommes revenues perchées sur l’un de ces matadors d’omnibus qui contiennent quarante personnes. Rien de plus amusant entre six et sept heures du soir que cette promenade sur les grands boulevards noirs de monde et de voitures; simples fiacres, coupés de maîtres, colosses d’omnibus, camions, fardiers s’enlacent et serpentent dans tous les sens, s’enchevêtrent et se désenchevêtrent avec une adresse extraordinaire.

L’impériale d’un omnibus, disait Victor Hugo, c’est un balcon ambulant, et en effet, de ce balcon on découvre mille choses nouvelles dans cette immense ville où tout est un sujet d’observation.

Jeudi, 17 Octobre 1889.

La Messe rouge. – La Sainte-Chapelle.
Le Palais de Justice.
2me Visite au Musée de Cluny. – Carmen, Sigurd

Nous avons pu assister à la messe solennelle de rentrée des Cours. Nous autres, provinciaux, nous disons la Messe rouge, à cause des grandes robes rouges fourrées d’hermine que portent la plupart des magistrats. C’est l’abbé de Beuvron, chanoine de Notre-Dame, qui célébrait la messe. La cérémonie est fort belle, le défilé très imposant. Le garde-meuble prête pour la circonstance de belles vieilles tapisseries pour orner les corridors et l’entrée. La Sainte-Chapelle est un peu petite ce jour là, mais quelle admirable perle de l’art gothique. Je regrette bien que ce délicieux joyaux soit dans un vilain écrin, une cour du Palais de Justice où il est trop caché. Les hommes ont besoin d’air et les monuments aussi, il leur faut l’horizon et l’espace. La Sainte-Chapelle bâtie par saint Louis en 1242, comprend une chapelle basse et une chapelle haute. On remarque dans la chapelle basse ses quarante colonnes, ses clefs de voûte en bois de chêne sculpté et la grande rose du pignon. Dans la chapelle haute on remarque les magnifiques vitraux de seize mètres d’élévation et ses statues des douze apôtres, l’autel et le baldaquin ogival en bois sculpté. La chapelle haute était autrefois réservée au roi et à la reine; on y voit la place où se tenait Saint Louis, à gauche et en face la place de Blanche de Castille. Louis XII y avait une petite logette où sans être vu il pouvait surveiller l’officiant. En 1630, un incendie détruisit la charpente des combles. La flèche en tombant effondra la voûte de l’escalier dû à Louis XII. C’est sur cet escalier en ruine, que Boileau a transporté le théâtre de son lutrin. Pendant la Révolution, la Sainte-Chapelle fut profanée et transformée en club et en magasin. Ce n’est qu’en 1837 qu’on commença à la restaurer. Les travaux ont duré trente ans.

Nous nous sommes promenées dans la salle des pas perdus du Palais de Justice. C’est dans cette salle que les clercs de la Basoche jouaient les mystères de la Passion, des farces, des moralités, des sotties, c’était l’enfance du théâtre.

Nous avons visité quelques pièces seulement, descendu des escaliers magnifiques dans la partie récemment construite qu’occupe la Cour de Cassation. Ce palais est tout un monde et que de souvenirs il renferme!

Le Palais de Justice est le plus ancien monument de la Cité; il a soutenu deux sièges contre les Normands. Robert le Pieux en fit son château. Saint Louis son palais. Philippe le Bel l’agrandit, Louis XII le restaura, Louis le Gros y mourut et Philippe Auguste s’y maria. Quand le Palais de Justice cessa d’être la résidence officielle des rois de France, elle devint celle du Parlement. Quatre tours couronnent ce beau monument. La tour carrée de l’horloge, la tour sinistre des Oubliettes, la tour d’Argent où le roi renfermait ses trésors et la tour crénelée de César, élevée dit-on sur l’emplacement d’un fort construit par cet empereur.

La Cour d’honneur forme un cadre digne du tableau. Ce que j’ai visité avec le plus d’intérêt c’est la Conciergerie, non loin des anciennes cuisines de saint Louis qui servent de prison. Cette conciergerie est devenue tristement célèbre depuis; elle rappelle les massacres de septembre, Marie-Antoinette, sa belle-sœur Elisabeth, Madame Rolland quittèrent la Conciergerie pour monter à l’échafaud. Les girondins Danton, Robespierre, Saint-Just, Camille-Desmoulins et tant d’autres scélérats révolutionnaires passèrent de la Conciergerie à la guillotine, juste retour des choses d’ici-bas.

L’après-midi, pendant que ma cousine recevait ses visites, je suis retournée au Musée de Cluny, comme je le désirais depuis ma première station «au plus exquis des musées français».

Oui, ce joyau d’architecture du XVme siècle est un chef-d’œuvre et peut-être le monument le plus complet de la transition de l’art ogival à l’art de la Renaissance.

Originairement construit vers 1360, il avait été complètement réédifié, vers 1492, par Jacques d’Amboise, frère du ministre de Louis XII. Les abbés de Cluny l’habitèrent rarement, ils y donnèrent le plus souvent l’hospitalité à de hauts personnages. Marie d’Angleterre, veuve de Louis XII, l’occupa et aussi Jacques d’Ecosse, le cardinal de Lorraine, le légat du pape.

Lorsque le musée s’ouvrit au public, il comprenait deux mille objets catalogués, aujourd’hui le nombre s’augmentant d’acquisitions nouvelles et de dons généreux a plus que doublé. Sauf le musée de Naples, unique aussi dans son genre, aucun musée, fut-ce celui de Munich et la maison Plantin d’Anvers, ne peuvent lui être comparés; il y a là des objets sans prix, aussi bien comme valeur intrinsèque que comme valeur artistique ou historique, d’une indéniable authenticité. Telle l’éblouissante collection d’ivoires du IIIe au XVIIe siècle, que j’étais avide de revoir; tels l’admirable jeu d’échecs de saint Louis, en cristal de roche, enrichi de pierreries, le lit de François Ier, dont le dôme est supporté par des guerriers en chêne sculpté, plus grands que nature; le prie-Dieu de la reine Blanche, et le miroir de Venise, que les Médicis apportèrent à la cour de France; l’épée damasquinée de Lahire, le vaillant capitaine. Voici plus loin la colossale armure de François Ier, et les gants énormes qu’il avait, dit-on, à Marignan, le jour même où Bayard eut l’honneur de lui donner l’accolade et de le faire chevalier. Quelle prison pour les mains que ces gants, et comment les doigts pouvaient-ils s’y mouvoir. Mais la main enfermée là devenait une arme terrible, et d’un seul coup, le guerrier ainsi ganté pouvait terrasser ou même occire net son ennemi. Cet objet pointu n’est pas une arme, ceci est une fourchette, la première qui ait paru sur une table royale, et datant de Henri III.

Et sous les vitrines, quelles merveilles de bijouterie et d’orfèvrerie, sans compter les petites vierges de plomb que Louis XI priait si dévotement, par précaution, avant de commettre un crime, ou par repentir, après l’avoir commis.

Mon Dieu! que de choses, que de belles choses!

En sortant j’ai remarqué dans la cour deux énormes pierres datant du XIVe siècle, l’une représente, gravée en creux, l’effigie de Jehan de Sarthenay, provincial de la collégiale de Cluny; l’autre celle de Simon de Gillans, abbé de Cluny en 1394.

Puis j’ai donné un dernier regard au jardin servant de cadre au musée de Cluny et aux Thermes de Julien, oasis fleurie, ombrageant la ruine romaine et le vieil hôtel français.

J’ai donc entendu Carmen samedi et Sigurd hier. Je suis revenue ravie de Carmen, mais ce n’est pas à une première audition qu’on peut juger cette musique très difficile, étrange, brillante, originale, pleine de contraste, de douceur et de feu. Carmen est le chef-d’œuvre de Georges Bizet, la preuve, c’est que cette pièce, donnée pour la première fois au mois de mars 1875, en était arrivée à sa quatre centième représentation le mois dernier.

Sigurd a de fort beaux passages, c’est une musique savante et compliquée qui vous surprend d’abord, aussi me faudrait-il l’entendre plusieurs fois avant de me permettre de l’apprécier.

Je fais une simple réflexion: autrefois quand on venait d’entendre la Favorite, Lucie, la Dame blanche, le Comte Ory, Guillaume Tell et tous les chefs-d’œuvre des maîtres de cette époque, on fredonnait en quittant le théâtre, les jolis airs dont ils sont remplis, aujourd’hui il serait bien difficile en sortant de fredonner quoi que ce soit, on ne peut rien retenir.

Sigurd, pour lequel les Parisiens se pâment à présent, a dormi vingt longues années avant de voir le jour au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. Notre vie est un vrai tourbillon, nous sommes toujours en l’air, toujours en mouvement, sous le sceptre du Plaisir agitant ses grelots. Ah! si cet aimable fou nous rencontrait dans les rues, il nous saluerait certainement comme étant de sa famille.

Vendredi, 18 Octobre 1889.

Je suis très contente de ma visite aux Catacombes. Après avoir vu le dessus de Paris qui est tout ce qu’il y a de plus brillant, j’ai pris intérêt à voir son dessous. Les Catacombes de Paris ne remontent point à une haute antiquité, ce sont tout simplement les carrières de pierres et de plâtre qui ont servi à bâtir en partie la capitale. Plus tard, par mesure sanitaire, l’administration ayant fait disparaître les cimetières qui entouraient les églises, on résolut de déposer tous ces ossements dans les excavations du sous-sol.

On commença par le cimetière des Innocents supprimé en 1786.

La bénédiction de cette nécropole eut lieu la même année. En 1787, les ossements des cimetières Saint-Eustache et Saint-Etienne-des-Grès y furent également transportés. Sous l’ère révolutionnaire, on y déposa les corps des individus tués pendant les troubles; ces carrières contiennent actuellement les restes de plus de six millions de personnes. Au siècle dernier, des affaissements s’étant produits à différentes reprises, on dût en 1776 procéder à un examen minutieux de ces immenses excavations, le péril était redoutable et le travail de consolidation offrait de grandes difficultés. Un groupe d’ingénieurs s’en chargea. On créa des galeries, correspondant aux rues du dessus et portant le numéro de chaque maison. Malgré ces travaux considérables de soutènement, on est tenté de se demander comment Paris tient debout. On estime à cent trente kilomètres le développement des galeries de circulation, soit maçonnées, soit conservées dans les remblais. Les catacombes demandent une grande surveillance; la solidité du dessus dépend beaucoup de l’entretien du dessous.

Il y a une quarantaine d’années on visitait facilement les catacombes, mais plusieurs accidents s’étant produits, l’administration en a interdit l’entrée permanente; il faut une autorisation.

Le principal escalier par lequel on descend est situé dans le pavillon ouest de l’ancienne barrière d’Enfer et avant de franchir le seuil de sa lourde porte on aperçoit les premières marches sombres et étroites. Chaque visiteur reçoit une bougie allumée qu’il devra tenir en main pendant toute l’exploration. Le gardien compte ses visiteurs, si quelque téméraire allait s’égarer… Cette entrée dans les catacombes n’a rien de réjouissant. Il faut descendre, descendre encore jusqu’à vingt mètres dans le sol, là on s’engage dans une galerie voûtée et maçonnée des deux côtés. Cette galerie est très longue, très étroite, on n’y peut marcher deux personnes de front. Elle se dirige vers la plaine de Montsouris et mène à un caveau qui renferme tous les ossements. C’est un long chemin dans lequel on rencontre parfois un ouvrier solitaire et silencieux qui ressemblerait à une ombre qui passe, si ce n’était la lueur vacillante de la petite lanterne qui l’éclaire.

Les ossements sont rangés symétriquement dans plusieurs galeries dont ils tapissent tous les murs. Les tibias et autres gros os alternent avec des cordons de crânes. Cela rappelle avec moins de fantaisie le cimetière des capucins à Rome. Tout cet ensemble est d’un lugubre achevé, l’air humide qu’on respire vous oppresse et la vue de ces choses sinistres vous angoisse. Je n’ai point éprouvé cette impression pénible aux catacombes de Rome.

Là il semblait que l’auréole éclatante de ces saints, de ces martyrs rayonnait jusque sur leurs ossements. On sent que cette terre est bénie et qu’il s’en échappe les plus nobles souvenirs et les plus grands enseignements.

Les principales curiosités rencontrées dans cette excursion macabre sont: la Fontaine de la Samaritaine, le tombeau de Gilbert, les Cloches de Fontis.

La Seine et la Bièvre divisent les carrières de Paris en trois groupes distincts et n’ayant aucune communication entre eux. Les carrières de Chaillot occupent une étendue de quatre cent vingt-deux mille mètres carrés, celles du faubourg Saint-Marceau cinq cent quatre-vingt-dix mille mètres carrés. Sous les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Germain elles forment un polygone très irrégulier de trois millions quatre cent sept mille mètres carrés ou un peu plus de trois cent quarante hectares. Les catacombes m’ont suffi; je n’ai pas demandé à visiter les égouts, presque tous de date récente; les plus anciens remontent à 1750. Au commencement du siècle leur développement atteignait vingt-cinq kilomètres. C’est l’ingénieur Belgrand qui conçut en 1854 le réseau d’égouts collecteurs auquel Paris doit en partie ses conditions de salubrité. Sur les sept mille huit cents hectares que renferme l’enceinte de Paris, six mille huit cent soixante-dix sont desservis par ce réseau.

Paris renferme des légions de rats. Je ne parle pas des rats à deux pattes qui grignottent si gentiment les fortunes les plus solides, mais simplement des rats à quatre pattes. Ah! j’en ai appris de belles sur leur compte!

Les égouts sont leurs demeures favorites et les halles leur quartier général d’approvisionnements.

Le rat parisien, descendant du surmulot ou rat d’Asie est souvent gros comme un chat et d’une force peu commune. Des escouades de chiens sont dressées à leur faire la chasse. Ce sont des combats homériques où vainqueurs et vaincus se déchirent à belles dents. Parfois les assaillants succombent sous le nombre toujours croissant de leurs redoutables adversaires.

9.Voilà neuf ans que j’écrivais ces lignes, mon séquoia est redevenu arbre. Je livre aux savantes méditations des arboriculteurs ce cas de puissante végétation absolument exceptionnelle.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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