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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 13

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L’Exposition. – Europe. – La Grèce. – L’Espagne. – Le Portugal. – La Suisse

Le Palais grec construit dans l’ancien style du pays, ne s’élance point en dôme, campanile, clochetons; il reste droit, sévère, régulier. Sur les deux murs qui s’étendent à droite et à gauche de l’entrée principale, on aperçoit de grandes peintures qui représentent la Grèce ancienne et la Grèce moderne. D’un côté l’Acropole, de l’autre les usines du Laurium.

La même idée se poursuit à l’intérieur. D’un côté, on a inscrit le nom des quatre villes les plus importantes de la Grèce antique: Athènes, Corinthe, Sparte et Thèbes, de l’autre les premières villes de la Grèce moderne: Le Pirée, Syracuse, Corfou et Patras.

Les tissus de soie faits à la main par les femmes d’Athènes et de Corinthe, les broderies soie sur soie et les tapis également tissés à la main, sont d’une perfection hors-ligne.

Les échantillons de marbre sont nombreux et magnifiques, les verts sont de toute beauté, les colonnes de Sainte-Sophie à Constantinople, ont été taillées dans des marbres pareils. On remarque beaucoup un morceau de marbre inconnu jusqu’ici, rouge veiné de bleu et noir, il a été ramassé dans l’île de Chio. Une suite de photographies du plus haut intérêt reproduisent les statues trouvées dans ce pays pétri par les arts et dont plusieurs sont antérieures à Périclès.

On retrouve l’Espagne dans les salons de peinture où ses artistes exposent de superbes tableaux qui font le plus grand honneur à son école moderne, au Palais des Industries diverses où elle prend un salon, et au Palais des Arts libéraux où elle occupe une grande galerie, ce qui ne l’empêche pas d’avoir en outre plusieurs pavillons et kiosques pour l’exposition de ses colonies et la dégustation de ses excellents vins.

Le grand pavillon espagnol des produits alimentaires rappelle les monuments historiques de style muzarabe que l’on voit en Espagne principalement à Tolède. Très beau aussi le Pavillon des colonies espagnoles tout rempli des richesses de ces terres fortunées. On pourrait dire que Cuba est le sucrier du monde et quel est le fumeur qui ne recherche pas les cigares de la Havane?

Le Pavillon du Portugal avec sa tour de trente-six mètres de hauteur fait grand effet. Le style général de ce pavillon est le Louis XV portugais avec des ornements copiés sur les monuments de Bélem notamment du cloître. Les vins portugais sont paraît-il comme les vins espagnols réputés chez les gourmets: j’ai mieux aimé m’arrêter aux faïences émaillées et terres cuites genre Bernard Palissy qui m’ont paru très décoratives.

La Suisse

La Suisse est une vaillante nation, son exposition le démontre. Très remarquables les soieries de Zurich et les broderies d’Appenzell; excellent le chocolat Suchard et le fromage de gruyère. La Suisse est la patrie des fromages comme l’Italie est la patrie des pâtes. Après cela le grand triomphe de la Suisse c’est l’horlogerie. Cette branche si remarquable occupe à elle seule deux cent cinquante mètres avec cent soixante exposants. On y voit tous les modèles connus de montres, pendules, horloges et même des modèles inconnus. Je suis restée en extase devant une montre de vingt-cinq mille francs.

Je viens de consulter une petite personne qui ne me quitte guère, mais cependant se montre à ses heures capricieuse à l’égal d’une jolie femme. Elle est brillante, pimpante, élégante, comme une beauté à la mode. Elle ne marche qu’avec des rubis, des joyaux, s’il vous plaît comme une raffinée du jour. Elle fait entendre incessamment son petit babil et trahit parfois des mouvements d’une regrettable indépendance. Il lui arrive même de bouder.

Quoique très maîtresse d’elle-même comme vous le voyez, elle porte une chaîne comme un prisonnier ou un esclave.

Je dis que c’est une petite personne très libre dans ses mouvements, car sortant presque toujours avec moi il arrive qu’elle marche encore lorsque je m’arrête ou qu’elle s’arrête lorsque je marche. Cette organisation délicate, fantasque, difficile à discipliner qui subit les influences de la gelée et de la chaleur, comme une sensitive lady, vous l’avez déjà deviné, n’est-ce pas? C’est Mademoiselle ma montre.

Voilà comment Leo Lespès parlait jadis si spirituellement de la sienne. Alors les montres coûtaient cher, parce qu’elles étaient bonnes et on les soignait en conséquence, aujourd’hui qu’elles sont pour rien on n’y fait plus attention, et cependant cette gentille personne est ni plus ni moins qu’une merveille.

Je l’ai bien compris après les renseignements curieux qui m’ont été donnés sur le degré de perfection atteint par ces mécanismes minuscules aussi remarquables que ceux de n’importe quelle machine. Quelques chiffres sont nécessaires.

Le ressort moteur entraîne le barillet; son mouvement est transmis par trois roues à l’échappement dont la roue frappe l’ancre ou le cylindre du balancier, à raison d’une moyenne de huit mille coups par heure (avec des différences de trois mille à quatre mille suivant les systèmes); en chemin, un autre engrenage ralentit dans le rapport de douze à un le mouvement qui est transmis à l’aiguille des heures. Tous les mouvements de la montre sont discontinus, et s’exécutent par petits sauts égaux dont le nombre dépasse deux cent millions par an pour certaines montres.

Les personnes soucieuses de conserver leur montre la font nettoyer tous les deux ans, c’est-à-dire après trois cent à quatre cent millions de chocs. Au bout d’une vingtaine d’années, une montre bien faite et qui n’a pas été détruite prématurément, doit subir le changement de quelques pignons; mais c’est après plusieurs milliards de ces petits sauts dont nous parlons, et après que la roue d’échappement a exécuté des dizaines de millions de tours.

Si l’on ajoute à cela des complications telles que chronographe, quantièmes, répétitions à minutes, on reste émerveillé de leur possibilité. Quant au chemin décrit à l’extérieur par le balancier, il est si inattendu qu’on ne peut admettre le résultat qu’après avoir refait le calcul. Le balancier d’une montre dix-neuf lignes mesure, en moyenne, dix-sept millimètres de diamètre sur les vis de réglage; il fait par seconde cinq oscillations d’un tour et demi, soit trois cent quatre-vingt-quinze millimètres de chemin parcouru par seconde, trente-quatre kilomètres par jour, douze mille cinq cents kilomètres par an en nombres ronds; or, les montres à quantième perpétuel, portent une roue qui exécute un tour en quatre ans; pendant ce temps, le balancier aurait fait le tour du monde.

Désormais, je ne toucherai plus à ma montre qu’avec un certain respect et mille précautions.

Dimanche, 13 Octobre 1889

"L’Ode triomphale" d’Augusta Holmès. – "Excelsior"

L’Ode triomphale d’Augusta Holmès, qui déifie la République, a eu lieu à deux heures de l’après-midi, ce qui a permis de faire l’économie de l’éclairage, soit huit mille francs; c’est bien quelque chose.

On a beaucoup parlé de cette fête des fêtes, exécutée aux frais de l’Etat et de la Ville de Paris, qui dépensent trois cent mille francs pour cette représentation, et l’on dira encore que la République n’est pas prodigue! Elle a sans doute pensé que pour consacrer sa gloire elle ne dépenserait jamais trop d’argent. L’ensemble est des plus grandiose!

La scène a soixante mètres de long sur trente de large. Au fond de la scène s’étale une peinture panoramique représentant des villes et des campagnes, montagnes, forêts, rivières, cela représente la France. Au centre de la scène se dresse un autel très élevé et de forme ancienne ombragé d’un voile d’or. Au pied de l’autel brûlent quatre trépieds remplis de parfums; devant l’autel un large escalier orné de trophées d’armes, de drapeaux et de fleurs; au-dessous, une vaste plate-forme sur laquelle défile le cortège en costume symbolique.

Les Arts précédés par le Génie.

Les Sciences précédées par la Raison.

Les corps de Métiers précédés par le Travail et l’Industrie. Les vignerons suivent le Vin que représente un pavois couvert de pampres verts et de grappes vermeilles. Les moissonneurs suivent la Récolte représentée par des gerbes de blé enguirlandées de fleurs des champs. Ils chantent:

 
Forts et rénovés,
Mangez et buvez,
Fils du rire et de la vaillance,
Le pain et le vin,
Sans quoi tout est vain
La chaire et le sang de la France.
 

Quand ils ont fini, ils vont se ranger en haut de la vaste scène, où iront successivement s’étager les autres chœurs. Les soldats suivent la Guerre que représente un amoncellement de boucliers entourés de palmiers, de lauriers, et de colonnes chargées de trophées.

Les marins suivent la Mer, que représente des monceaux de coraux et de plantes marines. Ils chantent la France. Les soldats disent:

 
Nous voulons mourir en l’aimant
Car c’est vivre immortellement
Que de mourir pour la Patrie.
 

A quoi les marins répondent:

 
A toi la conquête féconde,
A toi l’or et la perle ronde,
Qu’importe les morts
Si par nos efforts
La France obtient les richesses du Monde!
 

Puis viennent les jeunes gens précédés par l’Amour, et les jeunes filles par la Jeunesse. Les jeunes filles offrent des fleurs et les jeunes gens des palmes de myrte. Leurs chants sont poétiques et harmonieux. Les enfants terminent le défilé. Ils apparaissent sur un char traîné par des bêtes féroces. Ils chantent aussi des vers symboliques et parfois très beaux.

Cette première partie de l’œuvre de Mme Holmès est d’une grande puissance et d’une haute inspiration.

A ce moment la scène s’obscursit, l’orchestre fait entendre des roulements sinistres. Il entame une marche funèbre. Soudain surgit une femme voilée de noir, chargée de chaînes, aux longs cheveux blonds épars. Elle se dirige vers l’autel les bras tendus.. L’Amour et la Jeunesse se sont séparés pour la laisser passer. Cette figure douloureuse, c’est la France blessée qui a perdu ses provinces.

Le peuple va la secourir en appelant la République à son aide.

C’est une sorte de litanie avec le réponse

 
Apparais, déesse, apparais.
 

Alors des plis du drapeau déployé sur l’autel surgit «la terrible, clémente, triomphante et fière République» qui se présente ainsi:

 
O peuple me voici, du haut de l’Empyrée
Où je règle à jamais tes destins glorieux,
Je viens à ton appel, et de flammes entourée
J’apparais à tes yeux.
Venez à moi vous qui souffrez pour la Justice
Pauvres, déshérités, martyrs suivez ma loi,
Il faut que le clairon terrible retentisse!
La Justice, c’est moi!
 

On est empoigné… Quelle belle république ce serait. Malheureusement… celle que nous avons, hélas, ne lui ressemble guère…

Cette représentation comprend douze cents acteurs. M. Colonne, de son bâton de maëstro, dirigeait trois cents instrumentistes et neuf cents choristes; tout a marché à ravir, l’ensemble a été magnifique, mais trop païen, digne des temps mythologiques. C’est ainsi que se faisaient autrefois les fêtes de l’Être suprême, chères à Robespierre et les grotesques cérémonies présidées par la déesse Raison. La Troisième République voudrait-elle, comme sa grand’mère, substituer le culte païen au culte chrétien?

Croyances pour croyances, j’aime mieux les anciennes. Autel pour autel, je préfère celui devant lequel priaient nos aïeux, avant d’aller mourir pour la Patrie, pour Dieu et le Roi.

Après dîner, nous sommes allées à l’Eden-Théâtre, voir Excelsior, une féerie d’un autre genre.

En un jour, c’est beaucoup, mais nous avions des billets. Excelsior est un ballet monstre en six parties et douze tableaux. Six cents personnes en costume ad hoc dansent, défilent, s’agitent sur la scène aux sons d’un orchestre bien nourri, de cent musiciens. Tout cela brille, ruisselle, étincelle, et se retrace bien mieux sous les yeux que sous la plume.

Lundi, 14 Octobre 1889.

Les Bouquinistes

Nous avons flâné aujourd’hui, admiré les beaux étalages et bouquiné du Pont-Royal au Pont St-Michel. C’est là le marché des volumes en plein vent. Les marchands étalent sur les parapets les boîtes où sont jetés pêle-mêle les vieux livres, et cela m’a beaucoup amusée de fureter dans toutes ces boîtes. Ces modestes étalages sont une tentation permanente pour bien des gens.

On jette un coup d’œil en passant sur cette bibliothèque au grand air.

Un titre plaît, on prend le livre, on le feuillette, on en lit des passages, cela n’engage à rien, s’il convient on l’achète, s’il ne convient pas on le remet à sa place et l’on poursuit son chemin. La clientèle est très variée: savants, prêtres, étudiants, petites ouvrières, artistes, stationnent devant ces étalages que le propriétaire laisse complaisamment prendre en main, regarder et lire, dans l’espérance d’une vente à bref délai.

Autrefois, plus d’un collectionneur trouva là des occasions merveilleuses, mais ces heureuses trouvailles sont rares maintenant. Les bouquinistes ne se laissent plus attraper, ils connaissent généralement aujourd’hui la valeur de leur marchandise. Sans doute, ils achètent des lots de livres à l’hôtel des ventes, mais tous les livres de prix ont été préalablement enlevés par les libraires et les collectionneurs, et cette chasse au livre rare si pleine d’imprévus, de surprises agréables autrefois, n’existe plus, cependant le bouquiniste ne vend pas moins, puisque tout le monde achète des livres. On ne trouve plus la qualité, mais on trouve la quantité. Jadis, le roi des bouquinistes était M. Achaintre, un savant, un grand latiniste tombé dans la misère, et qui plus d’une fois donna son avis à des littérateurs sur un passage de Virgile ou un vers d’Horace. Sans doute il y a des collectionneurs raisonnables, respectueux du bien d’autrui, mais il y en a d’envieux, avides de posséder seuls le trésor convoité, et pour lesquels tous les moyens sont bons, même les plus mauvais.

On connaît l’histoire de ce bibliophile, riche de science, mais pauvre d’argent, tous les jours à l’étalage il reluquait un livre rarissime de grand prix; d’abord il l’avait regardé, puis il l’avait feuilleté, enfin il s’était mis à en lire des passages, et chaque fois la tentation plus forte faisait son œuvre, et une idée diabolique hantait son cerveau.

Le marchand, qui ne se doutait de rien, le laissait faire, rêvant au contraire une vente avantageuse et prochaine. Un jour en effet le savant se décide. Vous demandez cent francs de cet ouvrage, dit-il?

C’est le minimum que je puisse le vendre, répond le marchand.

Vous assurez qu’il est complet?

Je l’assure, et je ne diminuerai pas un liard sur ce prix.

Le savant se mit pour la centième fois peut-être à feuilleter le livre.

Soudain il s’arrête, son regard brille d’une joie immense: Marchand, s’écrie-t-il, vous me trompiez, il manque deux pages, voyez-vous-même, de la page 113 on passe à la page 116.

Le marchand reste atterré, son livre a perdu la moitié de sa valeur, et cependant il était sûr, oh! mais bien sûr qu’il était complet. Bref, après une heure de marchandage, le savant triomphe et obtient pour quarante francs l’ouvrage si longtemps désiré. Huit jours après, le savant réunissait ses amis, pour leur montrer le rarissime ouvrage très complet qu’il venait d’acheter, le feuillet manquant avait été habilement recollé à sa place.

C’était l’astucieux bibliophile lui-même qui l’avait subtilisé un jour que le marchand entouré d’acheteurs lui tournait le dos.

Les âmes élastiques se rassurent en se disant: «après tout, les choses d’art n’ont qu’une valeur de convention».

Les âmes honnêtes appellent cet acte indélicat, voler, et elles sont dans le vrai. Je connais une dame qui a fini par se monter une jolie bibliothèque avec les volumes qu’on lui a prêtés; de même qu’il y a différentes catégories d’emprunteurs, il y a aussi différentes catégories de prêteurs. Il y a ceux qui ne tiennent guère aux livres qu’ils ont et les prêtent volontiers; ceux qui oublient à qui ils les ont prêtés, ceux enfin qui n’osent pas les réclamer. Ces gens-là sont tout ce qu’il y a de plus commode à dévaliser. Aux personnes d’ordre qui réclamaient leur bien, la digne dame répondait: «Patientez un peu, je n’ai pas fini la lecture intéressante de vos ouvrages, ou, ils sont si jolis que je les ai prêtés moi-même, mais soyez sans inquiétude, on ne tardera pas à me les rendre. Et le temps passait, et si plus tard le propriétaire hasardait une nouvelle réclamation, la dame prenait un air des plus surpris et s’écriait: «Vous faites erreur, je vous les ai rendus dans le temps, vous les aurez prêtés à d’autres». Mon Dieu, elle était peut-être de bonne foi, et à force d’emprunter des livres et de les mêler aux siens, elle finissait par ne plus s’y reconnaître… Concluons qu’il est plus facile de retenir les livres que ce qu’il y a dedans. C’est ce que disait déjà Helvétius, il y a cent ans. Je compte visiter les catacombes, je suis en instance pour cela.

Mardi, 15 Octobre 1889.

Musée de Minéralogie et Géologie. – Musée du Louvre – Dîner en famille avec une nouvelle arrivée

Temps froid, avec soleil et ciel bleu; d’ailleurs on peut aller par n’importe quel temps à l’Exposition, ses palais, ses galeries, ses arcades et ses vélums sont là pour vous protéger.

Nous avons visité ce matin un musée où ma cousine et moi nous nous sommes trouvées seules! Cela m’a paru tout à fait drôle, puisque partout il y a foule compacte. Provinciaux des villes et même des campagnes continuent de donner avec un entrain qui stupéfie les Parisiens. Cela prouve qu’il n’y a pas qu’eux à savoir se débrouiller.

Oui, nous avons visité à Paris, en temps d’Exposition, d’immenses salles ouvertes au public… où il n’y avait personne!

Nous étions boulevard Saint-Michel, à l’Ecole des Mines, qui contient le Musée de minéralogie et de géologie.

Des peintures murales représentent les lieux minéralogiques les plus remarquables. Au premier étage sont les collections minéralogiques et géologiques groupées pour la France par départements. Nous ne sommes point montées au second étage qui contient une collection paléontologique de grande valeur et dont tous les spécimens sont étiquetés. Ce sanctuaire d’une science qui n’est pas à la portée de tout le monde ne peut intéresser que des savants.

Nous avons donc vu au premier des pierres de toutes sortes, mais nous ne nous sommes arrêtées que devant les pierres précieuses et nous avons également admiré les œuvres de la nature et celles du travail humain. Les diamants fabriqués ont la pureté et la dureté des diamants naturels, malheureusement, ils sont très petits, on n’est pas encore arrivé à produire de gros diamants, les autres pierres précieuses, saphirs, rubis, émeraudes, sont aussi des poussières comparées à la grosseur des pierres naturelles, les émeraudes surtout qu’on trouve aux Monts Ourals en blocs énormes.

J’ai été éblouie par toutes les merveilleuses peintures et sculptures que renferme le Musée du Louvre. Mais il faudrait y passer des semaines, le catalogue en main pour le voir et l’admirer à son aise. Je n’ai donc fait que passer de galerie en galerie, de travée en travée, de salle en salle: salle ronde, salle carrée, salle des Sept Mètres, etc., etc.

C’est une incomparable réunion de chefs-d’œuvre dans un cadre digne du tableau. En effet, le Louvre, par ses magnifiques proportions, la beauté de son style antique s’unissant à celui de la Renaissance l’extrême élégance de sa décoration, est considéré comme le plus beau Palais de l’Europe, et ses collections artistiques en sont les plus riches et les plus précieuses.

Mais les musées restent, l’Exposition passe, donc il faut consacrer son temps à cette dernière.

Ce soir après dîner, Mathilde, la jeune parente de ma cousine nous a raconté ses déconvenues depuis trois jours. Ses lamentations nous ont fort diverties, ô noirceur du cœur humain. Voici sa navrante odyssée:

Je n’ai pas de chance, nous a-t-elle dit.

En 1867, j’étais toute jeune fille, un de mes oncles, vieux célibataire, m’offre un voyage à Paris, je n’avais garde de refuser. J’étais joyeuse comme un oiseau le matin du départ, nous arrivons dans les meilleures dispositions et nous voilà, du matin au soir, visitant tous les deux Paris et surtout l’Exposition. Malheureusement, nous n’avions nullement les mêmes goûts. Mon oncle s’attardait devant tous les produits gastronomiques, les vins vénérables, les eaux-de-vie de la Comète, les foies-gras de Strasbourg; les armes et les machines l’intéressaient aussi beaucoup. Moi, je n’aurais voulu m’arrêter que devant les beaux meubles, les bijoux, les dentelles et les soieries. Celles de Lyon étaient éblouissantes. Il y avait entr’autre une robe de soie blanche sur la traîne de laquelle s’épanouissait, tissée dans l’étoffe, la queue d’un paon faisant la roue. Cette robe destinée à une souveraine, me fascinait; mais mon oncle n’entendait pas qu’on s’arrêtât à ces babioles.

Nous passions rapidement, ne stationnant que devant les vitrines favorites de mon oncle. Je déplorais, tout bas, ma jeunesse et ma dépendance. Etre libre quand on a quinze ans, quel rêve!

Les années ont passé… je suis mariée et je viens à Paris avec mon mari et mes deux enfants: Yvan, sept ans, Anne, cinq ans, pour voir cette incomparable merveille, dont les oreilles me tintent depuis tantôt six mois. J’espère cette fois la voir à ma guise; mais la femme propose et le mari et les enfants disposent.

Nous arrivons le soir fort tard à l’hôtel, très fatigués d’un long voyage et nous nous couchons vers dix heures ayant vraiment besoin de repos.

Avant minuit nous sommes réveillés par ce cri sinistre: au feu! au feu! Yvan, les yeux hagards, s’est déjà jeté hors de son lit. Des lueurs blafardes passent devant notre fenêtre, les cris d’angoisse redoublent, ils sortent de la chambre contiguë à la nôtre. A peine vêtus, ma fille dans mes bras, mon fils tenant la main de son père, nous descendons l’escalier affolés et nous faisons irruption dans la salle-à-manger de l’hôtel, où plusieurs voyageurs se trouvaient déjà. Les pompiers avaient été prévenus. Voici ce qui était arrivé. Une vieille demoiselle, notre voisine de chambre, avait l’habitude de se faire enfermer et sa domestique qui logeait aux mansardes emportait la clé. Cette demoiselle en frisant ses papillotes, avait mis le feu aux rideaux et l’on juge de son angoisse, ne pouvant sortir. Voilà ce qui avait rendu ses cris si déchirants et effrayé toute la maison. Les pompiers en quelques jets d’eau, eurent bientôt éteint l’incendie et chacun, vers deux heures du matin, put regagner ses appartements; mais comment dormir après de telles émotions?

Nous nous levons tard et sortons aussitôt le déjeuner pour faire quelques commissions; place Saint-Michel nous nous trouvons au milieu d’un encombrement de voitures, Yvan tirait à droite, Anne tirait à gauche, et peu s’en est fallu que nous ne fussions tous les quatre écrasés. J’étais toute frissonnante de peur et mon mari très pâle. Ma chère amie, me dit-il, nous ne sommes pas ici dans nos rues tranquilles de province, il est impossible de se tirer d’affaire avec des enfants de cet âge-là, prenons une voiture. Nous leur avons promis depuis longtemps une visite au Jardin d’Acclimatation, voilà le moment venu. Oui, oui, me suis-je écriée, sauvons-nous à la campagne. Mon mari a souri, comment, à peine arrivée à Paris le but de tous tes désirs, tu songerais à le quitter!

Les enfants ont vite oublié le danger, ravis de rouler en voiture, en attendant la promenade en palanquin sur le dos d’un éléphant.

Le fiacre est à peine arrêté devant l’entrée du Bois de Boulogne que les deux bambins sont à terre, je me précipite pour les suivre et mon mari aussi. Cinq minutes après nous nous apercevons que leurs manteaux et nos deux parapluies sont restés dans le fiacre qui était reparti de suite, et comme en naïfs provinciaux que nous sommes, nous n’avions pas songé à prendre le numéro, nos manteaux et parapluies ne se retrouveront jamais. Nous ne sommes pas les seuls à oublier ces objets, la statistique assure qu’il est perdu environ cinq mille parapluies chaque année à Paris. Nous avons donc bien des compagnons d’infortune, mais ce n’est pas une consolation.

Cette fois, nous rentrons satisfaits de notre promenade, et nous promettant bien de passer le lendemain, qui était hier, une délicieuse journée à l’Exposition. De bonne heure, nous nous y rendons tous les quatre avec les deux sœurs de ma mère qui, vous le savez, habitent Paris depuis longtemps.

Je m’intéresse à beaucoup de choses que mon mari ne regarde même pas.

J’avoue que je suis un peu ébouriffée de tout ce que je vois, on le serait à moins, nous marchons, trottons, circulons et finalement mon mari qui s’arrêtait d’un côté, moi et mes tantes d’un autre, nous finissons par nous perdre, et nous voilà nous cherchant mutuellement et perdant une grande heure à cet agréable exercice. Yvan adore son père, et le voilà tout en larmes. Papa est perdu! Papa est perdu!

– Mais non, mon chéri, calme-toi, nous allons le retrouver.

Anne très fatiguée commençait déjà à faire la grimace; son chagrin éclate à son tour, mais il ne s’agit que d’elle.

– Maman, je suis lassée…

– Ma petite fille, nous cherchons ton papa, tout à l’heure tu vas te reposer.

– C’est maintenant que je veux me délasser; je veux m’asseoir.

Et nous prenons des chaises, qu’entre parenthèse on nous fait payer deux fois. On ne peut pas discuter pour quelques centimes.

Au bout d’un quart d’heure, Anne en avait assez et Yvan pleurait toujours. Anne n’était plus lassée, elle avait faim.

– Je voudrais un gâteau.

– Mais, ma petite, il n’y en a pas ici, nous irons en chercher plus tard.

– Je veux un gâteau, j’ai faim…

Nous nous dirigeons vers une pâtisserie. – Allons, Yvan, ne pleure plus, veux-tu un bonbon?

– C’est pas un gâteau que je veux, c’est papa.

Les enfants mangent des brioches, et j’espère avoir enfin la paix.

Mais généralement quand on a eu faim, on a également soif, et quand on a mangé, il faut boire, et nous voilà à la recherche d’un bock, mais c’est bien une autre affaire, Anne ne veut ni bière ni vin, elle veut de l’eau et c’est justement ce que les limonadiers n’aiment pas à vendre. Yvan refuse énergiquement de boire. Je ne veux pas boire, je veux papa.

Anne a donc bu et mangé consciencieusement, elle éprouve un troisième besoin sur lequel je n’appuie pas, et nous voilà courant jusqu’au diable vert pour trouver le dit pavillon… et Yvan pleurait toujours. Tout cela avait pris beaucoup de temps, et nous étions véritablement tous très fatigués.

J’ajouterai même que mes bonnes tantes qui n’ont jamais eu d’enfants étaient positivement atterrées. Nous retrouvons mon mari maussade et de mauvaise humeur, me reprochant de l’avoir perdu, et moi à mon tour me révoltant d’être restée seule à subir la corvée des enfants.

Nous prenons le petit decauville qui nous conduit au pied de la célèbre tour. Je n’aurais pas mieux demandé que de me promener, de voir, d’admirer mais j’avais mes deux terribles boulets, non aux pieds, mais aux mains et cela paralysait mon enthousiasme.

Nous dînons à l’Exposition pour prendre les premiers nos places aux fontaines lumineuses. Anne baîllait et Yvan avait fini par dormir sur les genoux de son père. Nous sommes rentrés vers onze heures, harassés. C’était à se demander si nous avions fait vingt-cinq lieues à pied.

Nous nous couchons, mais mon fils très fatigué est pris de fièvre, et nous avons passé la nuit dans l’inquiétude mon mari et moi. De grand matin nous avons fait venir un médecin qui nous a complètement rassurés. Ce n’est que de la fatigue et de l’émotion. C’est pourquoi vous me voyez seule aujourd’hui.

Je viens vous embrasser en courant, dit-elle à ma cousine, et vais relever mon mari qui, assurément, en venant à l’Exposition, ne s’attendait pas à remplir le rôle de garde-malade.

Espérons que notre voyage s’achèvera mieux qu’il n’a commencé.

C’est la grâce que je te souhaite, a murmuré ma cousine en l’embrassant.

MORALITÉ
 
Laissons la tendre fleur qui pousse,
La rose à l’abri du buisson,
Les oiseaux dans leurs nids de mousse,
Et les enfants à la maison.
 
Mercredi, 16 Octobre 1889.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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