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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 9

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CHAPITRE II
Plages rocheuses de St-Pierre-le-Port, La baie du moulin Huet; Les deux villas St-Georges et Roseinheim

Tout en admirant la belle étendue de mer qu’on a sous les yeux, on songe à se baigner. Je comptais prendre un ou deux bains, mais il n’y a pas, à proprement parler, de plage à St-Pierre. La côte est rocailleuse, et il serait dangereux de se baigner; il faudrait aller chercher ailleurs quelque crique favorable, j’y renonce.

De loin, Guernesey se développe en éventail fleuri. De près: c’est une montagne qu’il faut toujours gravir ou descendre.

J’ai fait une charmante promenade à la baie du moulin Huet, où je n’ai pas vu trace de moulin. Cette baie splendide donne le frisson quand on arrive, la mer y fait un fracas épouvantable, elle a des airs de colère qui font peur; de plus, il y a des rochers si étrangement découpés par le temps que l’on croit voir des bateaux sombrant et des naufragés s’accrochant pour ne pas périr.

J’ai aussi visité deux villas remarquables: St-Georges, l’une des plus jolies de l'île, et, dans la paroisse St-André, Roseinheim, avec des serres étonnantes et une décoration toute orientale; aspect très fantaisiste, plein de soleil et de couleur.

Les jardins sont ornés de vasques, de statues, les bosquets garnis de coussins multicolores, et superposés les uns sur les autres avec cordelières autour et glands aux quatre coins: ils semblent inviter au repos. Défiez-vous, ils sont un peu durs; en revanche, ils ne craignent ni la pluie ni le soleil: ils sont en faïence.

Les serres sont remplies de grappes vermeilles dont on ferait volontiers un repas.

C’est une tentation à laquelle il faut résister, sans que la morale du renard soit une consolation. Non, ces raisins ne sont pas verts; non, ces raisins ne sont pas pour des goujas, ils seront mangés par des princes.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame est partie pour Sercq; que j’ai bien fait de rester ici à me promener, me divertir! J’ai eu une nouvelle représentation de la Salvation.

Un meeting Salvationniste: La maréchale Booth qui prêche à Paris, et qui est la fille aînée de l’inventeur de cette religion, honorait Guernesey de sa présence. Aussi me suis-je précipitée sur ses pas. C’est une vraie prêtresse, maigre, décharnée, et une fort bonne comédienne. La représentation m’a beaucoup amusée, et je me suis avancée jusqu’à l’estrade, à la fin de la cérémonie, pour demander aux fidèles ce qu’ils croyaient.

Un postulant m’a répondu qu’ils croyaient comme les protestants, seulement qu’ils ne buvaient pas de liqueurs et ne fumaient pas, parce que J. – C. avait dit qu’il fallait garder son corps pur. C’est pourquoi les jeunes salutistes sont élevées au grade de cantinières spirituelles de cette armée sans pareille: au lieu de spiritueux, elles versent la parole sainte dans l’oreille des assistants.

Ensuite, il arrive un moment où le néophyte se sent sauvé; j’en ai vu cinq ou six qui l’étaient. Alors ils ont l’air de possédés du diable, et ressemblent un peu aux aboyeuses de Josselin, cela dure un quart d’heure; ils font des contorsions, tapent des coups de poing par ci par là et tombent presqu’en faiblesse; il y a des hommes et des femmes qui roulent les uns sur les autres, c’est effrayant. Au bout d’un certain temps, ils reviennent à eux et pérorent chacun à leur tour. Pendant ce temps là, l’assistance prie.

Betzy, la seconde femme de chambre de l’hôtel, était avec moi; elle parle français, et nous avons bien ri. Elle disait: je m’amuse comme à Noël, c’est le moment des fêtes en Angleterre, et ce jour là John Bull dévore, et mistress John Bull prend plus d’un night cape (bonnet de nuit)7.

En effet, ce jour là règnent le gui, le houx, les sapins, le plum-pudding, le roast-beef, les liqueurs, la musique et la danse. Malheureusement nous sommes en été, et je n’aurai pas le plaisir d’assister à cette bacchanale gigantesque.

La Salvation Army est une religion de fous qui se démènent dans les rues. Il n’y a en fait de fidèles que des gens du peuple, mais ils sont fort nombreux, et je ne serais pas étonnée qu’à Guernesey seulement il y en eût quatre ou cinq cents. Général, officiers, soldats du ciel, prêcheuses, tous ces gens font des sermons, chantent dans les rues et s’y promènent avec des drapeaux rouges; c’est une armée de possédés. Ils appellent ceux qui ne font pas partie de leur secte des démons, et sont eux-même endiablés pour convertir tout le monde. Voici deux de leurs affiches que la dame de l’hôtel, qui parle aussi le français, m’a complaisamment traduites.

«Le capitaine Condy, la tambourineuse américaine des guerriers mâles et femelles avec l’armée des soldats de sang et de feu, marcheront aujourd’hui à travers la ville.

A six heures du matin, exercice des genoux et du mouchoir; à dix heures arrivée du Saint-Esprit; à deux heures, enclouage des canons de l’ennemi; à six heures du soir, incendie sur toute la ligne; à huit heures, galop d’action de grâces (alleluia gallop).

Le lendemain, à deux heures trente, la tambourineuse américaine chantera et parlera au nom de Jésus, avec d’autres officiers; à six heures trente, les soldats se réuniront à la caserne pour la parade en grande tenue.

Mouchoirs et jaquettes rouges, tabliers blancs, chapeaux noirs, alleluia de rigueur.

On offrira aux rebelles des conditions de paix. Le chirurgien de l’armée donnera ses soins aux blessés. Ce aujourd’hui, etc.

Par ordre du roi Jésus et du capitaine,

CADMAN.

Le jour des régates, on lisait:

«Salvation Army

Réunion gigantesque. A onze heures, réception du Saint-Esprit; à midi, départ de la caserne, et marche triomphale à travers le camp de l’ennemi; à deux heures, grande bataille.

On se réunira à deux heures trente dans la forteresse, d’où l’on tirera l’évangile à boulets rouges dans les rangs des esclaves du diable (Ici il faut entendre les paisibles promeneurs qui devaient aller voir les régates).

N. B. – Un grand médecin (Jésus-Christ) sera présent, et prodiguera ses soins aux malades et aux blessés.»

La ville de Guernesey est bâtie en amphithéâtre, il faut toujours monter ou dévaler.

Le pays est très beau, très boisé et le climat délicieux. Jersey est moins joli, moins pittoresque, moins fleuri que Guernesey, mais il a de nombreuses baies pour prendre des bains, tandis qu’ici il n’y en a guère. Si les plages sont désertes, en revanche, les maisons me semblent encombrées de jeunes habitants: tout cela crie la nuit, tapage le jour; cette marmaille est à l'âge agréable où les enfants peuvent être considérés comme de petits fléaux.

La ville est très propre, les ruisseaux qui courent en pente comme les rues nettoient tout en passant rapidement. Les promenades sont charmantes, le long de la mer; un tramway en côtoie les bords. Je suis montée sur une éminence attirée par la vue d’un grand monument en forme d’aiguille élevé là en souvenir d’un seigneur du pays, le baron Saumarez qui, paraît-il, a fait beaucoup de belles et bonnes choses.

J’ai visité les deux églises catholiques; rien de saillant. A neuf heures et demie du soir on tire un coup de canon: serait-ce pour remplacer le couvre-feu et inviter les habitants à rentrer chez eux? Non, cela ne regarde que les militaires, c’est l’appel qui doit les ramener tous à la caserne.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE III
L’Ile de Sercq

Je tiens absolument à voir l'île de Sercq avec ses aspects effrayants, sa mer sauvage, dont les lames puissantes écrêtent la roche dure et minent le granit. Cette île ne connaît guère les douceurs et les caresses de la vague, alanguie des flots somnolents, elle n’entend que leurs clameurs quand, déferlant avec furie ils montent à l’assaut de ses falaises inébranlées et formidables.

Suzette très dolente encore demande pourquoi Madame est si fort emballée pour cette excursion.

Pourquoi, Suzette? Parce que je ne crains pas une heure de mal de mer pour voir «ce morceau de France tombé à la mer et ramassé par l’Angleterre,» suivant la belle expression de Victor-Hugo.

L'île de Sercq a tenu toutes ses promesses; je n’ai eu aucune déception et j’ai eu beaucoup de plaisir à visiter cette roche curieuse, bouquet de fleurs et de fruits dans une corbeille de granit; mais je ne dis pas pour cela que j’aimerais à l’habiter. L’histoire de Sercq est fort intéressante. Pendant longtemps, cette île microscopique parut sans valeur, et nul ne songeait à l’occuper.

Un jour, sous le règne de Henri II, un marin français, Poullain de la Garde vint y planter notre drapeau. Il aborda l'île à la tête de onze galères et s’en empara.

A quelque temps de là Poullain, d’humeur aventurière, tenta un coup de main sur Guernesey et sur Jersey, cette tentative extravagante n’ayant point réussi, Poullain revint sur ses pas, s’empara chemin faisant d’un navire anglais dont la cargaison le dédommagea de son échec et rentra dans son île. Mais Sercq n’était point un lieu enchanteur, l’inaction pesait au corsaire; il en remit le commandement à son lieutenant de Breuil et reprit la mer. Dès ce moment, les Anglais qui avaient toujours dédaigné Sercq comme un rocher inutile changèrent de manière de voir. Sercq par sa situation particulière, ses falaises escarpées, sa petite garnison et les trois forts qu’elle avait édifiés était devenue un nid d’aigle impossible à aborder; cela chiffonnait beaucoup les Anglais.

Un capitaine hollandais (la Hollande était alors l’alliée de l’Angleterre), comprenant leurs regrets d’avoir laissé cet îlot leur échapper, proposa de les tirer d’embarras.

Ce Hollandais avait certainement lu l’Illiade, car il eut recours au moyen inventé par Ulysse roi d’Ithaque; seulement au lieu d’un cheval de bois ce fut un cercueil dont il se servit.

Le capitaine hollandais vient donc jeter l’ancre devant Sercq. Un marin est dépêché près du lieutenant de Breuil pour lui annoncer la mort du capitaine de navire et lui demander la permission de l’enterrer dans l'île, puis il ajoute: Pendant que l’équipage accomplira la triste cérémonie, les habitants de l'île pourront visiter notre navire, ils y seront reçus cordialement.

La petite garnison qui n’avait aucune distraction sur sa roche perdue accepta avec empressement, sauf quelques soldats et de Breuil qui crut de son devoir d’accompagner le capitaine défunt à sa dernière demeure.

Deux heures après, le tour était joué.

C’est le capitaine hollandais qui reçut lui-même aimablement les Français en les faisant prisonniers à son bord. Pendant ce temps là, presque tout l’équipage entré à Sercq, ouvrait le cercueil et y trouvait toutes les armes dont il avait été rempli. De Breuil et ses quelques hommes, incapables de résister, furent obligés de se rendre.

L’histoire rapporte que Marie Tudor, indignée de ce procédé, refusa le prix de la trahison; ce sentiment de générosité n’était vraiment pas anglais.

Les fortifications françaises furent rasées, et l'île rentra dans l’abandon.

Plus tard, un sire de Glatigny, d’origine normande, réédita l’aventure de Poullain de la Garde; les détails manquent, mais il est à croire qu’il ne fut pas plus heureux que lui. Et Sercq restait toujours une île solitaire et déserte, la cité inviolable des oiseaux de mer qui s’y abattaient par bandes énormes. En 1563, un habitant de Jersey, Hélier Carteret dont le nom est devenu historique, forma le projet de se fixer à Sercq.

C’était le descendant de seigneurs normands qui, avant la confiscation de leurs biens par Phillippe-Auguste, possédaient en Normandie le fief de Carteret. Hélier Carteret s’installa avec toute sa famille, persuadé que si l’on voulait s’en donner la peine, la petite île de Sercq deviendrait aussi fertile que ses grandes sœurs, Jersey et Guernesey.

On ne parla plus marine ni fortifications, mais terre et charrue; neuf ans après, en 1572, l'île était défrichée, habitée et fertilisée.

Ce moyen de conquête valait mieux que celui du capitaine hollandais; la reine qui régnait alors, Elisabeth, le trouva de son goût, et nomma Hélier Carteret seigneur de Sercq. Voilà les débuts de cette île si florissante aujourd’hui.

En relisant mes notes, avant de les envoyer à l’impression, je trouve dans le Petit Journal le plus joli et le plus intéressant des articles sur la petite Sercq des temps modernes. Je ne pourrais rien dire d’aussi bien, ni de plus complet, voici cet article:

L'île de Sercq 8

Au milieu du détroit semé d’écueils qui sépare Jersey de Guernesey, un haut plateau rocheux dresse ses parois abruptes de granit, tombant perpendiculairement dans la mer: cette petite terre, formidable d’aspect, est l'île de Sercq.

Percée, pour ainsi dire, de part en part de grottes, de gouffres, d’excavations plus ou moins profondes, ses falaises s’élèvent en murs verticaux de soixante mètres de hauteur au-dessus des flots qui affouillent le rivage et se brisent en moutons blancs sur les innombrables rochers du large. L’accès de Sercq est si peu commode qu’il y a quarante ans l’escadre anglaise, relevant l’archipel, fit le tour de l'île sans apercevoir de communication du rivage avec l’intérieur, et n’y débarqua point.

En effet, c’est par un tunnel qu’on aborde cette île enchantée. Le vapeur qui franchit en moins d’une heure la distance entre Guernesey et Sercq dépose ses passagers dans une crique étroite, hémicycle de sable et de galets que dominent de toutes parts de grandes parois grises couvertes d’une herbe maigre, et continuées au large par des roches dénudées aux formes fantastiques, sur lesquelles s’ébattent des nuées de goëlands.

On regarde autour de soi et l’on ne voit rien, si ce n’est la jetée de pierres, les barques entre le quai et la roche âpre et nue, l’eau clapotante, au loin la confusion de la mer et du ciel. Une sensation de vertige et de terreur vous prend: si le navire allait s’éloigner et vous abandonner sur cette rive solitaire et stérile!..

Rassurez-vous: l'île n’est pas aussi inabordable qu’elle le paraît. Au bout du quai, dans ce mur rocheux, d’apparence inaccessible et impénétrable un trou béant s’ouvre, un tunnel noir, presque sinistre; on s’y engage, et cette porte digne de la plume de Dante et du crayon de Doré aboutit soudain à un décor d’une idyllique fraîcheur: le tunnel débouche dans un vallon vert, boisé, charmant, avec des prairies semées de primevères, des ruisselets murmurants, des bosquets touffus, des ramures pleines d’oiseaux, d’où s’échappent des notes mélodieuses. Une belle route monte au centre de l'île où se trouvent l’église anglicane et le presbytère, les écoles et la seigneurie, avec son magnifique parc planté de conifères.

De toutes parts, au-delà des champs entourés de haies et de maisons proprettes dont plusieurs ont conservé l’antique toit de chaume, s’aperçoit la mer bleue, avec son chapelet d'îles: Brechou ou l’Isle des Marchands, dépendance et satellite de Sercq; Herm, séparé de Sercq par le passage ou chenal du Grand-Ruau; Guernesey, la «Grande Terre» des Sercquais; Jersey, dont la côte septentrionale très découpée, s’estompe dans la brume et là-bas, par delà le funèbre passage de la Déroute, se dresse une blanche muraille: c’est la côte de Normandie, mère patrie de toutes ces îles devenues anglaises, c’est le cap de Flamanville, la baie de Diélette, notre Cotentin français.

Paysage admirable, panorama idéal et si bien composé qu’il faut aller jusqu’en Grèce pour trouver un spectacle de mer digne de lui être comparé: telle est Sercq la belle, Sercq la charmante, aimée des peintres et des poètes, Sercq que les Anglais ont justement appelée the gem of the channel islands, la perle des îles du Canal.

Longue de cinq mille cent mètres du Nord au Sud, sur une largeur maxima de deux mille cinq cent mètres, avec une superficie de cinq cent dix hectares, dont deux cents en culture, l'île se divise en deux parties, le Grand Sercq et le Petit Sercq, reliées par l’isthme de la Coupée, chaussée large de deux mètres à peine et longue de cent quatre-vingts mètres, élevée de quatre-vingt-dix mètres au-dessus de la mer et des deux côtés de laquelle s’ouvre des abîmes. Ce passage est terrifiant; par les grandes tempêtes il est dangereux de s’y aventurer et les deux parties de Sercq sont alors privées de toute communication.

Dans ce plateau de granit se creusent d’adorables dépressions, des plis de terrains profonds, de courtes et belles vallées boisées qui, toutes, aboutissent à quelque baie retraitée; là, dans des nids de verdure, au bord du ruisseau qui jacasse sur les cailloux, protégées des vents, à l’ombre sous les grands arbres, se blottissent de ravissantes et coquettes chaumières, asile en été des amoureux et des peintres.

L'île de Sercq n’est pas seulement curieuse comme paysage, elle est intéressante à étudier pour son organisation féodale qui constitue à notre époque un véritable anachronisme. Bien que judiciairement rattachée au baillage de Guernesey, Sercq en est complètement indépendante au point de vue politique et administratif. Elle forme un petit Etat féodal à part, gouverné sous la suzeraineté de l’Angleterre par son seigneur, qui est censé propriétaire de l'île en vertu de la charte de la reine Elisabeth (1563) concédant Sercq en fief de haubert (fief qui ne pouvait être possédé que par un chevalier) à Hélier de Carteret pour être divisé en quarante tenanciers dont chacun devait fournir un homme armé pour la défense de l'île. A cette occasion, la grande Elisabeth fit don au seigneur de six canons, cinquante boulets et deux cents livres de poudre; dans la cour de la seigneurie, on voit encore un de ces canons, portant l’inscription suivante: Don de la royne Elisabeth au seigneur de Sercq, 1578.

Les quarante domaines ainsi créés, légalement indivisibles, transmissibles en entier seulement par vente ou par héritage, avec l’assentiment du seigneur sont encore aujourd’hui possédés par quarante tenanciers qui paient la dîme au seigneur. En cas de décès sans héritiers de l’un des quarante tenanciers, le seigneur entre en possession de ses biens. Le droit d’aînesse le plus absolu règne dans l'île.

Les «chefs-plaids», tenus trois fois par an, le premier lundi après Pâques, après la Saint-Michel, après Noël, forment à Sercq l’unique pouvoir législatif. Ces chefs-plaids qui en sont autre chose que l'«assemblée des leudes et barons» des anciens rois normands, sont composés du sénéchal, président, et du prévôt de l'île, nommés à vie par le seigneur, du greffier, du député du seigneur, et des quarante tenanciers.

Les lois ou ordonnance sont votées par ces derniers seulement; mais elles doivent être soumises à la sanction du seigneur.

L’organisation judiciaire de Sercq est tout aussi curieuse. Un sénéchal, nommé par le seigneur, statue comme juge unique; il juge en première instance tous les procès civils, sauf appel devant la cour royale de Guernesey. Au correctionnel, il peut infliger des amendes jusqu’à trois livres tournois (cinq francs quinze), et, au plus, trois jours d’emprisonnement. Les délits graves sont directement portés devant la cour de Guernesey.

Hâtons-nous de dire que, quoique Normands, les Sercquais ne sont pas d’humeur bien processive. Quant à la prison, elle est généralement vide.

Il y a quelques années, une femme de Sercq ayant été condamnée à un jour de prison pour un infime larcin demanda à purger sa peine toutes portes ouvertes, tant l’effrayait la perspective d'être enfermée. Le prévôt y consentit de fort bonne grâce; et, on vit successivement, après l’internement de la coupable, on vit pénétrer dans le farouche édifice toutes les femmes de Sercq, munies de tabourets, de vivres et de leur tricot; elles se relayèrent pour tenir compagnie à la prisonnière, qui ne fut pas un instant seule.

Sercq est la seule des îles de la Manche où l’instruction soit obligatoire au premier degré; elle est la seule aussi, et c’est par ce côté que cette petite île mérite de nous intéresser, la seule où l’enseignement soit donné en français.

Notre langue est l’idiome de tout l’archipel normand; mais, tandis qu’elle tend à disparaître de Jersey, de Guernesey ou d’Aurigny, où les campagnards mêmes ne lui restent pas tous fidèles, elle est demeurée à Sercq le langage du foyer, à ce point que deux familles de pêcheurs anglais, établies dans l'île depuis quelques années, parlent aujourd’hui couramment le français ou plutôt un patois normand qui rappelle de très près celui des environs de Cherbourg.

Il est à craindre malheureusement que cela ne dure pas toujours.

Beaucoup de Sercquais, mus par l’intérêt, apprennent l’anglais, le font apprendre à leurs enfants.

Et ce ne sera peut-être l’affaire que d’une ou deux générations pour que l’anglais devienne la base de l’enseignement.

On le voit, la petite sœur est maintenant l’égale de ses aînées, sinon comme étendue, du moins comme richesse de culture, intelligence et activité.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame arrive enchantée de son excursion à Sercq, mais un peu fatiguée; elle a eu le mal de mer en revenant. Ce matin, pendant qu’elle se reposait, je suis allée visiter le cimetière, un lieu charmant. Il y a des plantes d’eau dont la feuille ressemble un peu à celle d’acanthe. Elles sont d’une telle grandeur qu’on se croirait dans ces forêts d’Amérique, dont les voyageurs font des descriptions enthousiastes; les rhododendrons, les camélias sont de vrais pommiers, les fushias ne sont plus des fleurs, mais des arbustes. On aurait presque la tentation de mourir dans cette jolie île, pour être enterré dans cet étonnant cimetière; on aurait d’autant plus de facilité pour cela, que l’enterrement de première classe ne coûte que huit francs; ce n’est pas la peine de s’en passer, et vraiment, si comme les chats j’avais neuf vies à dépenser, je me permettrais cette petite distraction.

C’est demain dimanche; ce saint jour se présente aux yeux d’un Anglais sous la physionomie d’un énorme plat de viande en permanence sur la table, et de quelques bouteilles de porto ou de xérès, à moins que ces messieurs et ces dames ne soient dans la confrérie du ruban bleu ou du ruban vert, ce qui change alors le porto ou tout autre spiritueux en thé, dont on use et abuse à perpétuité. Quand on a fini de manger, on digère péniblement ou pas, cela dépend des facultés de l’estomac, mais enfin on digère, et quand on a digéré, on recommence à manger; ensuite on va au temple entendre l’office, puis on rentre, on mange, et on va se coucher, plus ou moins impressionné. C’est une journée si bien remplie que l’on peut bien être un peu fatigué le soir. Les ladies elles-mêmes sont tellement accablées qu’elles perdent parfois leur centre de gravité. Je dois dire que ceci je ne l’ai jamais vu, seulement je l’ai entendu dire.

On est très Hugolâtre à Guernesey, que le grand poète habita plusieurs années et où il écrivit, m’a-t-on dit, ses Contemplations, aussi voit-on son buste, sa photographie et ses autographes à la devanture de toutes les librairies, comme on voit des homards chez tous les marchands de comestibles.

Les homards sont peut-être encore plus abondants à Guernesey qu’à Jersey. On les pêche ici avec des banâtres, panier en forme de mannequin renversé. Homards et langoustes font vivre beaucoup de familles de pêcheurs, c’est leur seul métier. C’est très amusant quand la mer baisse, de voir toutes les petites barques, qui sautent sur les vagues, laitées d’écume, comme de petites mouettes s’en aller lever les banâtres ou casiers comme nous disons en France.

C’est encore avec la bonne de l’hôtel que je suis allée voir le départ de cette microscopique flotille, mais nous n’étions pas seules, elle avait son amoureux.

Me voilà arrivée à vingt-cinq ans, et je ne suis pas si avancée que Betzy qui n’en a que dix-huit. Ah! c’est ici que les jeunes filles sont heureuses! Dès quinze ou seize ans elles ont un bon ami, un sweet heart (doux cœur), qui marche avec elles suivant l’expression pittoresque du pays, c’est-à-dire qu’il se trouve à point pour les escorter dans leurs courses et promenades. Betzy appelle son amoureux Sam: tous ces amoureux là se nomment Peter, Samuel, Abraham, Jacob; à Guernesey on affectionne les noms bibliques. Il y a des jeunes filles qui avant de se marier en ont eu quatre ou cinq. On commence un flirt avec celui-ci, qu’on continue avec celui-là, ça ne tire pas à conséquence, jusqu’à ce qu’on ait enfin trouvé celui avec lequel on désire marcher toute la vie.

JOURNAL DE MADAME
7.Expression correspondante à notre expression française, avoir un coup sous le bonnet.
8.Extrait du Petit Journal.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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