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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 8

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La Religion Salutiste

Nous n’avons pas eu besoin d’aller au théâtre royal pour voir un spectacle des plus divertissants et pas banal du tout. J’ai assisté à une réunion de l’Armée du Salut. Cela s’est passé le soir, dans une grande salle dépourvue de tout ornement, faiblement éclairée, remplie de bancs de bois et de quelques chaises. Dans le fond de la scène se trouvait l’autel élevé de trois marches. Là, les lieutenants et les lieutenantes en jersey rouge paradant de leur mieux ont d’abord entonné des chants de circonstance pour appeler l’esprit saint au milieu de nous; puis le plus révérend de cette fameuse société a pris la parole dans le but évident de nous convertir. Il a rappelé avec émotion quelques passages des discours de la maréchale Booth qui pleure, qui gémit sur les crimes et les désordres de Ninive, et de Babylonne, lisez Londres et Paris. Après avoir péroré quelque temps, deux ou trois vieillards pénétrés d’onction ont senti l’esprit s’agiter en eux. A cet appel pressant le plus âgé, tout à fait emballé, s’est mis à faire sa confession tout haut. Une capitaine – dans l’armée salutiste, les grades n’ont pas de sexe, ils appartiennent indifféremment aux hommes et aux femmes, – édifiée de son repentir, est allée le prendre par la main et l’a amené sur l’estrade, c’est-à-dire à l’autel en lui disant ou à peu près: «Recueillez-vous, rentrez en vous-même, Jésus touché de votre humilité vous remplit de ses grâces, c’est le salut.» Le bonhomme a marmotté quelques mots que je n’ai pas entendus. De nouveaux chants, alternant avec les trompettes sacrées, se sont fait entendre. La cérémonie est terminée, il est dix heures. Ces représentations évangéliques accompagnées de quelques coups de tamtam se renouvellent souvent, mais une fois suffit pour les curieux.

Comme il n’y avait guère que des gens du peuple, les salutistes nous ont vite aperçues. De temps en temps ils nous lançaient des regards, tantôt scrutateurs pour fouiller dans nos impressions, tantôt bienveillants, pour nous inviter à grossir leurs rangs. A la sortie, ils n’ont pu s’empêcher de nous interpeller en nous tendant leur escarcelle pour les besoins de l'œuvre. «Ces dames sont-elles satisfaites? vous reviendrez, n’est-ce pas?» et comme je souriais d’un air incrédule, on m’a murmuré à l’oreille: «La grâce vous touchera, revenez seulement. Oh revenez!» et l’on m’a glissé une petite brochure dans la main.

Il paraît que ces brochures imprimées en beaucoup de langues sont principalement distribuées à des pauvres hères qui, ne comprenant rien au figuré, croient à la réalité des phrases comme celles-ci.

«Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive.»

Venez vous joindre à l’armée du Christ pour montrer par votre exemple quelle est la force de la «parole divine qui féconde et désaltère

«O vous tous qui êtes altérés, venez aux eaux! Et vous qui n’avez point d’argent, venez, achetez, sans argent et sans aucun prix, du vin et du lait.»

Et quantité de malheureux, séduits par ces belles maximes, s’imaginant qu’il n’y a plus qu’à tendre la main pour prendre et à ouvrir la bouche pour boire et manger s’enrôlent sous la bannière salutiste. Ah les povres! voici un entrefilet fort instructif à ce sujet:

Les officiers de l’armée du Salut peuvent-ils vivre avec cinq livres (cent vingt-cinq fr.) par an? Le général Booth et le commissaire Jucker disent: oui; les officiers répondent: non. Et leur réponse paraît sincère, car ils meurent comme des moutons.

Depuis 1882, «l’armée» a envoyé dans l’Inde deux cent vingt-cinq officiers. Sur ce nombre, cent ont quitté le pays ou sont morts, morts de faim. Le général veut que ses hommes vivent de la même manière que les indigènes, il leur alloue un salaire d’un schelling (un franc vingt-cinq) par mois, et ils doivent se procurer le reste de l’argent nécessaire à leur subsistance par d’autres moyens. Ce système est simplement meurtrier. Peut-être M. Booth, avant de parler des misères de Londres, devrait-il songer aux pauvres gens qu’il envoie mourir dans l’Inde?

Les époux Booth ont parcouru toute l’Europe et l’Amérique. On n’a pas oublié le petit speech du maréchal à Paris. Le voici:

«Sur une estrade, un vieillard qu’on pourrait prendre pour M. Naquet, étale aux regards des auditeurs un superbe gilet rouge.

Ce vieillard, c’est le général Booth lui-même.

Au fur et à mesure qu’il parle – en anglais, – un interprète, le vice-général Clibborn traduit ses paroles en français.

Le général raconte qu’un Anglais l’a aidé une année de nombreux chèques, et souhaite qu’un autre Anglais surtout aussi riche se trouve dans la salle et dans les mêmes dispositions, car, dit-il, ce n’est qu’une habitude à prendre, après on donne par coutume, de génération en génération, sans savoir pourquoi.

Le moment est venu de mettre cette théorie en pratique.»

En entendant l’annonce d’une collecte, toujours pour les besoins de l'œuvre, l’auditoire se leva et disparut comme par enchantement.

Les processions extérieures manquent quelquefois de charme. De temps en temps ces pauvres salutistes reçoivent des horions dans les rues; c’est le revers de la médaille, c’est le mauvais côté de leur propagande effrénée; la procession est interrompue, et bagarre s’en suit. Ces petits intermèdes, provoqués par quelques mauvais plaisants, font la joie du public qui n’a jamais pris les salutistes au sérieux.

Le protestantisme florissait sous trente-cinq formes à Jersey. Les salutistes viennent d’y ajouter la trente-sixième. Je ne saurais énumérer tous les noms qu’elles portent, mais on m’a cité les Méthodistes nouveaux et anciens, les Baptistes, les Indépendants, les Bryanistes, les Bethell Quakers, les vrais Parfaits, les sectaires de Swedemborg. Toutes ces sectes sont une aberration de l’esprit. Les Français ont la folie politique, les Anglais ont la folie religieuse.

JOURNAL DE SUZETTE

Voilà la fameuse religion qui vient de passer sous nos fenêtres; elle se compose d’une douzaine d’hommes habillés en rouge portant sur leur poitrine un écriteau où sont inscrits ces mots: «Read the war cry» et de sept ou huit femmes se donnant le bras: quand la musique cesse, elles chantent je ne sais quoi. En tête est un drapeau rouge, avec des signes incompréhensibles. Tout le monde suit ce singulier cortège, et un policeman, ou garde de police, marche en même temps qu’eux, afin de protéger la liberté du culte. Le chef ou prêtre, possesseur d’une grande barbe noire et d’une physionomie peu rassurante, doit être italien. Il paraît qu’en Suisse ils ont fait de la propagande dans ce genre-ci, mais on les a emprisonnés, de sorte qu’ils mettent les prisonniers au nombre de leurs martyrs; ils pourront bientôt avoir un calendrier. C’est une vraie comédie, et je ne peux pas croire qu’il y ait des gens qui prennent cela au sérieux. Leur nom est la Milice de la Guerre ou Soldats du Saint. Ce sont, je crois, des possédés pour la plupart, Dieu veut ainsi humilier les Anglais qui se sont séparés de la véritable église, en les laissant descendre malgré leur gravité apparente et leur intelligence, au dernier degré de l’aberration! C’est l’avis de Madame.

JOURNAL DE MADAME
La grève de Lecq,. Les rochers de Plémont

La côte septentrionale de l'île est découpée de plusieurs baies, dont la principale est celle de Lecq. Les rochers de Plémont aux grottes mystérieuses et profondes sont avec la baie de Lecq les deux promenades les plus en vogue et le rendez-vous du high-life parisien et londonien. Les grottes ou caves de Lecq sont très curieuses à visiter. Il faut autant que possible y venir à mer basse et prendre un guide, car il serait imprudent de s’y aventurer seul.

Le chemin pour y descendre ne manque pas de pittoresque, c’est un sentier abrupte qui contourne la montagne, relié çà et là par des petits ponts suspendus, jetés au-dessus des criques.

Ces grottes superbes, ces cavernes profondes qui entourent l'île sont le travail incessant de la mer pendant des siècles. Retenues dans leur élan et toujours en fureur, les vagues ont fini par entamer, par creuser, par trouer les côtes et y former des voûtes souterraines d’une élévation majestueuse, des cavités étranges aux configurations pleines de saillies et de creux. Avec de l’imagination, – l’imagination, cette fée puissante et créatrice, – ces rochers bizarres vous apparaissent comme des ombres humaines, des silhouettes d’animaux, des maisons fantastiques dentellées d’ogives, des pitons élancés, des aiguilles plus longues que celle de Cléopâtre, des pyramides; enfin on peut y voir tout ce qu’on veut.

Nous sommes revenues par la charmante vallée de St-Laurent, et nous sommes allées aux grottes de Plémont par la non moins charmante vallée de St-Pierre, l’une des plus jolies de Jersey.

De la pointe de Plémont, la vue est très étendue: à gauche, les îles de Guernesey, Jethou, Herm et Sercq; en face, un petit groupe de rochers appelés «Pater noster»; à droite, les Ecréhous qui connaissent les naufrages et qui font trop souvent hélas! tristement parler d’eux; enfin la France, toujours la France qui devrait encore posséder ces îles qui sont si loin de l’Angleterre. Un pont de bois conduit aux grottes et à la cascade de Plémont, le câble sous-marin qui relie Jersey à l’Angleterre s’enfonce en mer sous la cascade. Les rochers sont d’une hauteur énorme. Les moins élevés sont bizarrement découpés; ici, c’est un long piton qui se dresse comme un géant devant une grotte; là, ce n’est plus un géant qui garde l’entrée de celle-ci, c’est un moine à genoux, recouvert de son capuchon.

Il y a bien d’autres baies à citer, la baie de Ste-Catherine, la baie du Boulay semée de cailloux de nuances très variées, la coquette baie de Rozel, la baie de St-Ouen avec ses bords accidentés, la baie de St-Brelade, la magnifique baie de St-Aubin.

La grève du Boulay, située au nord de l'île entre le château Mont-Orgueil et la grève de Lecq offre aux regards charmés un beau panorama. Du reste, de toutes les hauteurs de l'île, les vues sont ravissantes: la nature étale avec complaisance ses beautés, végétation puissante, bois ombreux, fleurs embaumées, et puis la mer, la mer infinie. Mais ces délicieuses promenades, mais ces sites enchanteurs s’achètent toujours par quelques fatigues! les descentes rapides à travers les rochers, sur des pentes raides, des herbes glissantes offrent quelques difficultés; les escalades du retour, qui vous obligent à monter longtemps, ne sont pas plus agréables. Il faudrait des jambes d’isard pour parcourir sans lassitude les sentiers en zigzag et les escaliers à pic, les vallées et les montagnes, les rochers et les grottes de cette île accidentée. La fatigue, c’est comme un voile noir, qui s’étend devant vous; vous ne voyez plus ou vous voyez mal.

La coquette grève de Rozel, également au nord de l'île est un lieu privilégié, encaissé de trois côtés par de hautes collines couvertes d’une riche verdure. Son port calme et tranquille, où se balancent mollement quelques barques légères, semble à l’abri des tempêtes. Sur les hauteurs de Rozel, on fait remarquer aux excursionnistes une saillie de rochers appelés «La Chaire»; c’est de cet endroit qu’une sentinelle aperçut, quelques instants seulement, la veille de Noël 1781, une lumière briller presqu’en même temps dans l'île et sur la côte de France.

C’était un signal convenu, l’invasion de l'île par les Français, sous la conduite de Rullecour. Déjà le 17 mai 1779 une flotte commandée par le prince de Nassau était apparue dans les baies de St-Ouen et de St-Brelade; une descente avait été essayée sans résultat.

Une seconde expédition ne réussit pas davantage. Enfin la troisième, commandée par Rullecour, parvint à s’emparer de St-Hélier, mais les soldats anglais cantonnés dans les autres parties de l'île, sous les ordres du major Pierson vinrent attaquer la ville où flottait déjà le pavillon français, et, après un combat opiniâtre, où les deux chefs français et anglais furent tués, les Jersiais restèrent vainqueurs. Cette entreprise fut la dernière contre les îles de la Manche.

Non loin de la baie de Rozel, au milieu d’un beau parc planté d’arbres de haute futaie, s’élève l’élégant manoir de la famille Lamprière, d’origine bretonne.

La baie de St-Brelade, située dans une partie de l'île encore déserte au commencement du siècle, est complètement cultivée et habitée aujourd’hui. Elle s’ouvre toute grande aux vagues qui, ne rencontrant pas d’obstacles, se montrent généralement douces et caressantes. La baie de St-Brelade, la plus calme, la plus tranquille de toutes, est recouverte, comme celle de Lecq, d’un sable fin et jaune qui reluit comme de l’or au soleil. Le sable des autres baies est blanc.

L’église de St-Brandon ou St-Brelade, du XIme siècle est bâtie à l’extrémité de la falaise et, séparée seulement des flots par le mur qui clot le cimetière. Ce mur, solidement construit, a été converti en batterie pour la défense de l'île. Je remarque ici que presque partout les cimetières entourent les églises, c’est très bien; l’église, c’est la mère étendant au-delà de la vie sa protection sur l'âme de ses enfants. Mais pour nous, catholiques romains, nous sommes surpris de ne voir que des pierres tombales, des stelles et fort peu de croix.

Près de cette église se trouve une vieille et vénérable chapelle qui reçut souvent et reçoit encore des vœux ardents et des prières reconnaissantes. On l’appelle la Chapelle-ès-Pêcheurs, les habitants de cette partie de l'île s’étant toujours livrés à la pêche très abondante dans cette baie.

L’église St-Brelade ne se recommande pas par l’élégance du monument, elle est d’une primitive simplicité d’architecture, mais elle est la plus ancienne de l'île. On n’est pas certain de l’époque de sa fondation, on la fait remonter au XIme siècle, sous le règne d’Henri Ier roi de France. Il se pourrait qu’elle fût encore plus vieille, car j’ai lu quelque part qu’on s’est trompé sur la date de presque toutes les églises paroissiales de Jersey. On a confondu la date de leur restauration, de leur changement de culte ou de leur agrandissement avec celle de leur fondation qui, pour la plupart, remonte aux premiers âges du Christianisme. A cette époque, l'île si protestante aujourd’hui avec ses trente-six sectes différentes, n’était alors peuplée que de saints, Saint Hélier, Saint Aubin, Saint Ouen, Saint Magloire, Saint Brelade, etc.

En continuant de ce côté, on arrive aux parties sauvages de l'île. Sa physionomie change complètement; de joyeuse qu’elle était, elle devient grave et austère: dunes stériles, rochers déserts. Ce contraste en passant n’est pas sans attrait, cette rencontre des extrêmes, plages riantes et plages désolées, varient agréablement les souvenirs.

La baie de St-Ouen est la plus haute expression de cette physionomie farouche; là règnent la solitude et la tristesse.

Une petite herbe sèche y croît péniblement; d’énormes quartiers de granit arrachés par les tempêtes et roulés par les flots jonchent partout le sable et font penser à l'âge de pierre; et, de fait, on trouve disséminées dans l'île des pierres dolmetiques en assez grand nombre: cromlechs, lieu de réunion des prêtres et des juges, dolmens, autel ou table du sacrifice, Menhirs, images de l’Etre suprême. Un temple en parfait état de conservation atteste aussi que les Druides habitaient ces lieux.

Le vieux manoir de St-Ouen est encore de nos jours une belle propriété. On montre, dans un champ voisin, quelques traces de l'arène des Tournois, plaisir favori des seigneurs d’antan; c’est là que les chevaliers du moyen âge, casque en tête, lance au poing, venaient jouter de force et d’adresse. Ici, sur cette butte plus élevée, se tenaient les spectateurs.

JOURNAL DE SUZETTE

Décidément, j’aime mieux les bois que la mer, je préfère les verdoyants feuillages aux verdoyantes eaux, les chansons de l’oiseau aux chansons de la vague, les paysages variés à l’immensité uniforme, l’abîme me fait peur!

Je troquerais tout Jersey rien que pour une de nos landes bretonnes, parce que la vue de tout ce qui charma notre enfance fait du bien: ces souvenirs là effacent les tristesses du présent, cela rajeunit; c’est comme un bain de jouvence. Mais ici toutes les choses ne parlent qu’à mes yeux et ne disent rien à mon cœur. Quand on s’est rendu compte des beautés naturelles d’un pays, qu’on a admiré ses sites grandioses et ses vastes horizons; lorsqu’on a parcouru les rues et visité les monuments d’une ville et qu’on n’y connaît personne, il ne reste plus qu’une chose à faire, c’est de s’en aller.

J’espère que nous ne tarderons pas à partir.

JOURNAL DE MADAME

DERNIER CHAPITRE
Les récifs de la Corbière, La baie et la ville de St-Aubin

La Corbière est une longue suite de rochers qui se prolongent fort avant dans la mer. Ce nom leur vient sans doute des innombrables corbeaux qui les habitent; c’est leur domaine, ils y règnent en maîtres et y élèvent leur famille dans une douce quiétude exempte de soucis.

Il doit y avoir là de vieux patriarches de corbeaux qui ne meurent que de vieillesse. Corbière «ce tombeau des navires» nous a paru sinistre. Nous n’avons pu visiter le phare; il faut une permission écrite.

Jersey comme la Sicile a son Charybde et son Scylla, les rochers de Corbière et le promontoire de Grosnez, inabordable, hérissé de dangers; mais de cette pointe extrême, quelle vue admirable! On aperçoit le groupe complet de l’archipel anglo-normand, Guernesey, Sercq, Herm, Jethou, et enfin plus loin Alderney (Aurigny), toutes ces îles verdoyantes qui sont les émeraudes de la Manche.

La baie de St-Aubin est fort belle et la ville très agréable. De forme demi-circulaire, cette baie s’ouvre aux pieds d’une ample montagne de verdure, tout habillée de ravissantes demeures: ceinture de cottages, couronne de blanches villas, rien ne manque à sa parure. Aux deux extrémités de cette baie sont les deux villes principales de l'île: St-Aubin, au couchant, l’ancienne capitale, et, au levant, St-Hélier, la nouvelle, siège du gouvernement et du commerce.

Au moment de partir, un Jersiais m’a dit:

Ah! si nous avions le ciel où fleurit l’oranger, notre magnifique baie de St-Aubin pourrait rivaliser avec celle de Naples!

Et cet aimable interlocuteur ajoutait moitié plaisant, moitié sérieux. «Partout ici quelle belle nature! C’est l’Orient dans l’eau riant». Un peu fort le calembour, et je n’ai pu m’empêcher de sourire de l’image poétique, mais trop exagérée.

Toujours snobs, les Anglais, et comme la moindre phrase caractérise bien l’orgueil de leur race!

GUERNESEY

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE I
St-Pierre-le-Port, Comparaison entre Jersey et Guernesey, La flore à Guernesey, Administration de cette île

Guernesey est, comme Jersey, une île anglaise sur les côtes de France.

Elle faisait autrefois partie du duché de Normandie; Henri Ier la réunit à la couronne d’Angleterre. Les Français ont plusieurs fois tenté de la reprendre, notamment en 1780.

La population fixe est maintenant de trente-sept à trente-huit mille habitants, auxquels il faut ajouter, en été, une population flottante d’environ dix mille touristes, presque tous Anglais. Elle s’administre comme Jersey. La cour royale se sert de la langue française, mais l’idiome anglo-normand si pittoresque et si expressif qui se parlait autrefois se retrouve encore dans certaines parties de l'île. Du reste, cet attachement, en plein dix-neuvième siècle, à la langue des aïeux n’existe pas seulement ici, il se retrouve encore dans les bruyères de l’Armorique, sur les collines du pays de Galles et sur les côtes occidentales de l’Irlande. Je trouve que Jersey et Guernesey ne se ressemblent guère tout en ayant des beautés identiques; qui a vu l’une ne connaît pas l’autre.

A l’arrivée, Jersey entourée de hautes fortifications ne laisse rien deviner de ses agréments, Guernesey au contraire, bâtie en amphithéâtre se montre de suite et se présente sous un aspect flatteur. St-Hélier, capitale de Jersey est une ville à moitié française; St-Pierre-le-Port, capitale de Guernesey, est une ville anglaise par les habitudes, les mœurs et le caractère de ses habitants. A Guernesey, le dimanche est un jour de repos complet: travail, commerce, correspondance, tout est interrompu. Je ne dis pas que Jersey soit beaucoup plus mouvementée ce jour là; cependant, entre sept et huit heures du matin, on voit un facteur passer dans les rues et distribuer furtivement le courrier. C’est une concession aux usages français. A Jersey, les magasins restent ouverts le soir; à Guernesey, ils sont hermétiquement fermés dès sept heures, même dans le fond de l’été. Le touriste qui se réserverait la soirée pour visiter les magasins et choisir ses petites emplettes ne rapporterait rien de Guernesey: les portes sont closes partout.

Cette comparaison entre les deux îles sœurs pourrait se continuer dans une infinité de choses. Bien des personnes l’ont probablement faite avant moi, inutile d’insister.

Je le répète, le panorama de St-Pierre, dont les maisons s’étagent dans la verdure, est charmant.

Nous entrons dans le port, laissant à gauche le château Cornet, vieille et pittoresque construction analogue au fort Elisabeth de Saint-Hélier. La ville de St-Pierre est plus belle de loin que de près: ses rues tortueuses, escarpées, un peu sombres même n’ont rien de séduisant. Nous avons cependant admiré une belle statue que les Guernesiais ont élevée au feu prince Albert. La campagne, d’ailleurs, se charge de raccommoder le touriste avec la ville. Ah! cette campagne, quels jolis fleurons elle apporte à la ville! On peut même dire ici que ce sont les fleurons seuls qui composent la couronne dont St-Pierre se montre orgueilleux à juste titre.

Guernesey a les mêmes beautés que Jersey, mais peut-être plus accentuées, plus personnelles: sites romantiques, vallées rêveuses et poétiques, ombrages mystérieux, plages sauvages, rochers tourmentés, vagues langoureuses et flots terribles.

Je crois son climat encore plus doux, si j’en juge par la flore qui s’épanouit dans toutes les campagnes, et, dit-on, dans toutes les saisons.

La nature est luxuriante et magnifique; certains feuillages atteignent des proportions phénoménales: la rhubarbe et l’angélique, par exemple, les fushias servent à faire des haies comme l’ajonc en Bretagne; les aloès sont gigantesques; les ficoïdes, si frileuses chez nous, tapissent hiver comme été, dans certains jardins bien exposés, les grottes et les rochers. Les camélias sont des arbres; les chênes verts, les eucalyptus et les araucarias sont immenses.

Cette flore merveilleuse, comparable à celle du midi n’est pas exclusivement due à la douceur du climat, car en hiver le froid est parfois assez vif; elle doit tenir soit à la qualité du terrain, soit à des conditions atmosphériques spéciales comme, par exemple la très grande humidité, et enfin aux émanations chaudes du Gulf-stream.

On m’a fait remarquer une fleur toute particulière et qui ne croît qu’ici; un lys rose, sans odeur, mais bien joli. La légende dit qu’autrefois ce lys était blanc; ce sont les larmes qui l’ont changé de couleur, des larmes de fées sans doute, car il ne peut y avoir que les déesses ou les enchanteresses pour pleurer rose.

Oublieuse des bruines salines, des vagues sauvages, des rafales du vent, on peut dire que la végétation tropicale s’est aventurée jusqu’ici et qu’elle s’y plaît; les sentiers sont parfumés de senteurs alpestres et dans les vallons, délicieusement ombragés de grands arbres, les oiseaux chantent et bâtissent leur nid.

Les cottages sont proprets et soignés, les maisons de la ville, assez grande (elle compte seize mille habitants), sont blanches, bien entretenues, et presque toutes ont un jardin avec une ou plusieurs serres.

Les îles anglo-normandes reconnaissent l’autorité de la Reine ou plutôt, comme diraient volontiers leurs habitants, de la Duchesse de Normandie, mais nullement celle du parlement; elles jouissent d’une autonomie à peu près complète, dont elles se montrent très jalouses, Guernesey surtout; aussi les gouverneurs de ces îles ont-ils souvent des contestations avec leurs subordonnés qui prétendent se gouverner eux-mêmes, tout en se soumettant à l’autorité royale, pourvu qu’elle ne se mêle en rien de leurs affaires.

Toujours est-il que ce gentil pays de Guernesey s’administre parfaitement à ses frais: l'île est couverte d’un réseau de routes excellentes; le Port de St-Pierre est remarquable par ses jetées; des phares sont placés où il en est besoin; il y a un service d’assistance publique très bien organisé; enfin je pense qu’on a tiré de ce petit coin de terre le meilleur parti possible.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame ne se met pas souvent en route; mais une fois partie elle ne s’arrête plus et nous voilà à Guernesey où je n’arrive pas fière.

J’ai été malade pendant la traversée; tout tourne, tout danse autour de moi, les murailles, les plafonds et les meubles. J’ai le roulis dans la tête et les jambes!..

Madame pourra se promener seule en ville, je vais me coucher. Elle compte aussi visiter l'île de Sercq, une occasion se présente, elle veut en profiter. Cette fois je me récuse tout à fait.

JOURNAL DE MADAME
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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