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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 10

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CHAPITRE IV
Victor Hugo, Madame Drouet, La température

Victor Hugo est le héros moderne de Guernesey. On visite sa maison qui est un vrai, dois-je dire bazar ou musée, mettons les deux, puisqu’il y a de belles choses et des riens. On ne parle qu’avec enthousiasme de tous les souvenirs qu’il a laissés pendant son séjour ici, un long séjour de quinze années. Non loin de la grande vieille maison du poète on vous montre la maison modeste qu’habitait Madame Drouet, dont le nom reste attaché à celui du grand homme. Madame Drouet admirablement belle avait été actrice à Paris. Elle avait joué avec succès des rôles importants dans les pièces de Victor Hugo; une grande amitié s’établit entre eux: au moment de l’exil du poète, abandonnant la carrière théâtrale, Madame Drouet le suivit à Jersey d’abord, à Guernesey ensuite.

Victor Hugo déjeunait tous les matins chez elle, à son tour elle venait tous les soirs dîner chez lui. Madame Hugo la recevait en amie, et les plus strictes convenances ont toujours été gardées entr’eux.

Madame Drouet est morte à soixante-douze ans, encore belle et toujours charmante par son esprit. Son amitié fidèle lui fait honneur.

Le séjour de Victor Hugo à Guernesey me rappelle le passage ici d’un autre grand Français dans les conditions d’exil autrement cruelles que celles du poète:

J’ai nommé Châteaubriant.

Ayant appris au fond de l’Amérique les malheurs de la France, son patriotisme s’éveille, il accourt pour la servir et la défendre. Voici en quels termes il raconte cette lamentable odyssée.

«Je revins en France; j’émigrai avec mon frère et je fis la campagne de 1792. Atteint pendant la retraite, de cette dyssenterie qu’on appelait: la maladie des Prussiens, une affreuse petite vérole vint compliquer mes maux.» On le crut mort, on l’abandonna dans un fossé où donnant encore quelques signes de vie, il fut secouru par la compassion des gens du prince de Ligue qui l’installèrent dans un fourgon et le menèrent à Namur. Il voulut de là, malgré l’extrémité où le jetait sa double maladie, aggravée d’une blessure à la cuisse, gagner Bruxelles, puis Jersey: il faillit expirer en route. «On me descendit à terre, raconte-t-il, dans l'île de Guernesey où le vent et la marée nous avaient obligés de relâcher, et on m’assit contre un mur, le visage tourné vers le soleil pour rendre le dernier soupir. La femme d’un marinier vint à passer; elle appela son mari qui, aidé de deux ou trois autres matelots anglais, me transporta dans une maison de pêcheurs, où je fut mis dans un bon lit; c’est bien vraisemblablement à cet acte de charité que je dois la vie.»

Le temps s’est fort rembruni; à la chaleur étouffante de ces jours derniers a succédé un vent glacial. Il paraît que la température est assez fantasque. Guernesey se montre capricieuse et changeante comme une jolie femme, pardon, je voulais dire comme une jolie île qu’elle est.

Petite pluie abat grand vent: il faudra de la pluie, pour remettre la température à sa place.

Le beau temps fait encore la sourde oreille. Aujourd’hui il pleut à verse, c’est une perspective peu agréable pour notre traversée. Pauvre Suzette, depuis deux jours elle tient comme Moïse ses bras levés vers le ciel pour appeler la victoire; jusqu’ici elle en est pour ses frais. Achever de donner son cœur aux poissons ne lui sourit guère, leur en ayant déjà donné une partie en venant.

JOURNAL DE SUZETTE

Guernesey me semble un nid de verdure campé sur un rocher: aussi les bains n’y sont-ils pas très faciles, il faut chercher des endroits pas trop dangereux, ce n’est que rochers partout. Les fruits et les légumes sont énormes, la cuisinière de l’hôtel vient de me montrer une tomate qui pèse plus d’une livre, mais tout cela est cher, les fruits surtout; le raisin et les figues ne viennent qu’en serre. Le beurre est extraordinairement jaune, mais très bon.

Il paraît qu’on parle un affreux jargon normand qui date de loin. Le peuple y est attaché et ne veut pas changer son idiome.

Il habite ici dans l’hôtel un type anglais des mieux réussi et qui m’amuse. Il trouve les autres ignares, c’est un savant, se plaint de la cuisine, c’est un gourmet, et du tabac, c’est un fumeur.

Ce gentleman qui fait parade de son habit noir, de sa barbe blanche et soignée, de ses mains fines et de ses ongles taillés en amandes passe son existence entre son lit, son déjeuner, son dîner, son lunch, son souper et son cercle, puis quand il rentre il s’enferme dans son cabinet de travail où il ne fait rien bien entendu à moins qu’il ne réfléchisse à la décadence de la cuisine à Guernesey, ou à la fragilité des tuyaux de pipe, il en casse beaucoup.

Les dames dans ce pays-ci n’ont aucune notion de la mode. En été comme en hiver, elles circulent avec des fourrures et des chapeaux de paille blanche ornés dans le goût anglais, c’est tout dire.

Je me suis aperçue ce matin d’une chose bien désagréable, mes pauvres souliers sont complètement usés!

Décidément Guernesey est un lieu de perdition pour les chaussures, elles prennent ici des airs lamentables. Je vais être obligée d’essayer des souliers anglais, c’est un crève cœur pour mon patriotisme, et… ma bourse. Qui n’a pas vu les pieds d’un Anglais a beaucoup perdu, c’est d’ailleurs la première chose qu’on est obligé de voir dans leur personne: c’est avec la plus innocente candeur et la plus grande liberté d’esprit qu’ils lancent de droite et de gauche leurs énormes pieds, au risque de vous écraser les vôtres.

On a beau me dire: admirez ceci, admirez cela, je m’entête à trouver quand même les îles anglaises au-dessous de leur réputation. Il n’y a qu’à aller à Dinan pour trouver aussi bien et même mieux. Quand on regarde de la tour Sainte-Catherine le village du Pont, les sinuosités de la Rance et le viaduc colossal, on a sous les yeux le plus beau tableau qu’on puisse imaginer. J’aime mon pays, je suis française dans l'âme.

Après ça toutes ces Anglaises ont une manière de s’exprimer qui ne me va pas du tout. Elles ne parlent qu’à demi-mot avec un ton de Pytonisse et des airs de supériorité qui m’agacent.

Je ne suis point émerveillée du confortable anglais dont on parle tant, tout au contraire, je trouve qu’il pêche en bien des façons. Sous prétexte d’hygiène, on a ménagé dans certains appartements les chambres à coucher, par exemple, de petits courants d’air fort désagréables.

Les lits sont aussi moëlleux que s’ils étaient rembourrés avec des noyaux de pêche. Madame va encore dire que je ne m’occupe que du côté matériel des choses comme dans mon journal de Jersey. Dame! c’est la vie sérieuse et pratique, c’est la réalité et il n’y a que cela de vrai; l’idéal c’est bon pour les gens riches, mais ceux qui ont besoin de travailler pour vivre n’ont point le temps de flirter avec leur imagination.

Une chose encore bien incommode, ce sont les croisées à guillotine, mais les indigènes y tiennent quand même pour deux raisons: 1º parce qu’ils seraient désolés de prendre nos fenêtres si commodes qu’elles soient, ce serait nous copier.

2 Parce que nous copier ce serait forcer leur orgueil monumental, d’avouer que notre manière de faire vaut mieux que la leur.

Tout le monde sait que l’Anglais est un être supérieur et impeccable. Toutes les nations sont de l’herbe St-Jean à côté de la sienne.

Imbus de ces excellents principes on comprend tout ce que les insulaires de la Grande-Bretagne peuvent se permettre d’ébouriffant en tout genre et en tout pays, comme dit Madame, c’est le self gouvernement au profit de leur personnalité. Moi je n’ai pas de si belles expressions, mais il me semble que l’Anglais a l’air de dire partout: Il n’y a que moi au monde, ôtez-vous de là que je m’y mette.

C’est sans regret que je quitte Jersey et Guernesey, ces joyaux pour parler poétiquement jetés dans l’écrin bleu de la Manche, ces îles qui devraient nous appartenir! Tout cela ce n’est pas le bon air de la patrie, hélas! je ne suis pas à la veille de le respirer.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE V
Les églises et les religions de Guernesey, Adieu au Trois sœurs

Si l’éclosion des fleurs est abondante à Guernesey, la floraison des sectes religieuses ne l’est pas moins; seulement la botanique a, pour les premières, classé depuis longtemps les espèces, les variétés et les herboriseurs suivent scrupuleusement une classification dont ils reconnaissent l’autorité; ici en fait de religion, c’est encore pire qu’à Jersey, c’est l’anarchie complète, il est impossible de s’y reconnaître.

Toutes les variétés du Protestantisme s’y rencontrent, ou à peu près, depuis le Ritualisme qui n’est autre que le Catholicisme soustrait à l’autorité du pape, jusqu’aux Anabaptistes qui n’admettent aucun sacrement, et à la Salvation Army (ou armée du Salut) qui, le dimanche, emplit les rues de sa musique, plus bruyante que mélodieuse.

Les églises paroissiales elles-mêmes n’appartiennent pas au même culte, et, c’est là qu’apparaît le mieux, sous une unité de nom cette division à l’infini qui semble être le châtiment de ceux qui s’éloignent de la véritable église.

En effet, tous les protestants font partie nominalement de l’église anglicane (les sectes dissidentes sont laissées presque partout aux commerçants et au menu peuple). Eh bien, de toutes ces différentes églises qui s’intitulent anglicanes, pas deux n’enseignent la même doctrine, et, ces différences ne sont point seulement, comme on pourrait le croire, dans les questions de détails, mais sur les points les plus importants, tel par exemple le culte des saints ou des morts, le Purgatoire, la présence réelle, la définition et même le nombre des sacrements.

Ce qui est le plus merveilleux, c’est que tous ces ministres, curés et vicaires, qui souvent dans la même paroisse n’enseignent pas la même doctrine, se font ouvertement la guerre de paroisse à paroisse. Pourtant, tout ce clergé anglican relève du même évêque et sort des mêmes écoles théologiques.

Mais, là où il n’y a pas d’autorité, et où l’interprétation des textes repose sur le libre arbitre, il ne peut y avoir que confusion. C’est ce qui fait que les protestants instruits de bonne foi désertent cette tour de Babel pour se réfugier dans l’église catholique; un grand nombre très instruit aussi se jette malheureusement dans le scepticisme.

La paroisse principale est Saint-Pierre; elle a pour succursale Saint-Barnabé, desservie par les mêmes ministres. Les principales églises, soi-disant anglicanes des différents quartiers sont: St-Etienne (en anglais St-Stephen), St-Jean (St-John), Trinité (Trinity) et St-Jacques (St-James).

Enfin, il y a dans chacune des neuf autres paroisses de l'île une église anglicane (dont l’enseignement varie suivant le ministre), et un nombre illimité et toujours croissant de chapelles dissidentes enseignant et pratiquant les cultes les plus variés. Parmi ceux-ci, les méthodistes, divisés eux-mêmes en plusieurs branches sont, je crois, en majorité. Guernesey ne compte guère que trois mille catholiques, dont les deux tiers sont anglais.

Je viens d’acheter quelques-uns de ces petits objets qui sont le mémorandum palpable du voyage et qu’on aime à offrir au retour. C’est une pensée, un souvenir; ce rien, c’est plus encore, c’est le petit trait d’union de l’amitié.

Le vapeur chauffe, il faut partir.

Adieu, sœurs charmantes, îles enchantées.

Pendant que j’inscris mon nom sur le registre de l’hôtel, je grave dans ma mémoire votre riant souvenir. Adieu!

LONDRES

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE I
La traversée, Southampton, Arrivée à Londres

Alea Jacta est! Le sort en est jeté.

Je me décide à visiter Londres et à passer une quinzaine à Oxford chez une vieille amie de ma mère qui m’invite depuis vingt ans… Je ne l’ai pas vue depuis mon enfance, mais nous avons conservé ensemble d’affectueuses relations épistolaires.

Ce projet était bien au fond de ma pensée, mais je n’en avais pas parlé à Suzette, de peur de l’effrayer; elle se montre très émotionnée.

Le temps s’est remis, il est superbe, l’eau est aussi calme que l’air. All right! comme disent les Anglais. Nous naviguons dans une sécurité parfaite. Vers trois heures de l’après-midi nous apercevons une ligne grisâtre qui va grandissant: c’est l’Angleterre. Au fur et à mesure que nous nous approchons, les côtes se détachent, la terre apparaît; nous distinguons maintenant les habitations. Beaucoup de ces jolis cottages sont en briques rouges, ce qui assombrit bien plus le paysage que des maisons blanches. Quand le soleil allume des flammes sur ces maisons-là, on croit voir un incendie. L’ensemble est riche et mélancolique; c’est peut-être beau, mais ce n’est pas coquet.

Voilà cependant des arbres superbes, de belles demeures, de magnifiques châteaux, au premier rang celui de la Reine, beaucoup de verdure, peu de fleurs.

Nous débarquons à Southampton. La Douane fait son devoir avec un zèle remarquable. Southampton m’a paru une ville déserte. Nous n’avons pas rencontré vingt personnes dans les rues à cause du dimanche, et cependant, c’est une ville intéressante à visiter: elle possède d’anciens monuments, de belles églises, un commerce marchand très actif et des chantiers de constructions considérables. Plusieurs quartiers sont neufs, mais c’est une très vieille ville qui fut bâtie par les Romains et se développa sous les Saxons. En 1339 elle subit un rude assaut: une flotte française l’envahit et la pilla.

Nous arrivons à Londres à dix heures du soir. Ah! mon Dieu, quelle gare, quel dédale de trains! comment sortir de là? C’est à perdre la tête et l’on m’assure qu’à elle seule la ville de Londres compte cinq cent soixante-huit gares ou stations de chemin de fer. Il passe par jour à Clapham mille trois cent soixante-quatorze trains; en 1881 le métropolitain a voituré cent dix millions de voyageurs!

JOURNAL DE SUZETTE

Nous voilà donc embarquées pour l’Angleterre…

Ah! quel beau bateau. Je monte sur le pont, il n’y a personne, tout est silencieux, on dirait que notre navire marche tout seul, en apparence du moins; c’est un grand spectacle que celui de la mer: se croire perdu dans l’infini, quelle sensation étrange et nouvelle pour moi, le doux balancement des vagues endort mon corps et ma pensée. Combien de temps vais-je rêver ainsi? je ne sais, mais le vent fraîchit beaucoup, je vais chercher mon châle…

A midi j’ai servi le déjeuner de Madame: du jambon, des œufs et du thé. Pas d’apparence de mal de mer. Notre navire glisse gracieusement sur l’onde comme un oiseau; décidément je m’imaginais ce voyage plus terrible… Nous croisons plusieurs bateaux qui vont en France. Ah! les veinards! Vers quatre heures nous apercevons les côtes d’Angleterre; presque toutes les maisons sont rouges, quand le soleil les embrase elle font penser à messir Satanas. C’est comme une vision flamboyante de ses palais…

Les douaniers de Southampton visitent les malles avec une âpreté sans pareille. Les nôtres sont sens dessus dessous et l’une des serrures est brisée. Comment la réparer? nous réclamons vainement un serrurier, c’est aujourd’hui dimanche. Il faut se rabattre sur des cordes et fermer nos caisses à la diable.

Nous avons le temps de donner un coup d'œil à la ville; plus tard nous prendrons le train pour Clapham, faubourg de Londres, où nous devons nous arrêter quelques jours. Je serai très fière à mon retour de pouvoir dire que j’ai visité la capitale de la grande Angleterre.

Il ne faut pas visiter Southampton le dimanche: du reste toutes les villes anglaises sont tristes ce jour-là, chacun se retire at home, non pour méditer et prier, mais pour se réfectorer. Les trois principales occupations de cette sainte journée sont d’entendre l’office, de boire et de manger. Du haut au bas de l’échelle sociale tout le monde fête le rosbif. Le jour du Seigneur en Angleterre devrait s’appeler le jour du bœuf.

Ah! comme cinquante lieues de mer changent les habitudes, les choses, les gens! Nous voilà donc errant dans les rues de Southampton; Madame mourait de soif et moi aussi. Nous cherchons un restaurant quelconque, ils sont tous fermés; nous avisons enfin une pâtisserie, son propriétaire parle un peu français; nous lui avons demandé deux verres de bière. «Deux verres de bière, nous répond-il scandalisé, vous ignorez donc que le dimanche jusqu’à six heures il est défendu de boire hors de chez soi.» Par charité il nous apporte une carafe d’eau pour nous aider à avaler ses détestables gâteaux pétris à la graisse au lieu de beurre. Des gâteaux à me dégoûter à jamais d’épouser… un pâtissier anglais.

Enfin nous sommes dans le train pour Clapham. Ce chemin de fer ne vaut pas ceux de France, il est plus bas, moins confortable. On ne crie pas le nom des stations, et le service des bagages laisse beaucoup à désirer. On met son adresse sur ses colis et la gare de destination. C’est aux employés à se débrouiller pour les expédier et à vous de vous débrouiller pour les reconnaître à la gare d’arrivée. Cette perquisition à travers tant de bagages manque de charme. Sans moi je ne sais pas ce que Madame serait devenue… A partir de Londres, nous dit-on, les trains sont plus rapides et plus confortables. C’est à la lueur des lanternes que nous faisons notre entrée à Londres. En arrivant, pas plus d’omnibus que dans ma poche, il faut prendre un cab. Nous descendons dans un des plus beaux hôtels de Londres, Charing Cross. Deux domestiques hommes parlent un peu français, ce qui nous sera commode. Madame a une grande chambre, un grand lit où l’on coucherait quatre à l’aise, une grande cuvette où un enfant de dix-huit mois se noierait facilement, un grand… enfin tout est grand. Un ascenseur fait le service à tous les étages.

Nous voilà donc à Londres. C’est égal, je me sens bien dépaysée, et malgré moi je fredonne: Pauvre exilé sur la terre étrangère, etc. Sans doute je suis bien aise de visiter cette ville énorme, mais je serai encore plus contente quand j’en serai revenue.

J’ai bien dormi, c’est fort heureux, et je rends grâce à Dieu de n’avoir pas eu besoin d’allumettes, car il est défendu aux domestiques d’en avoir dans leur chambre à coucher; on ne saurait prendre trop de précautions contre le feu.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE II
Mes impressions sur Londres à vol d’oiseau

Londres au premier aspect me paraît cent fois moins joli que Paris: il n’y a ni quais ni boulevards, le fourmillement des grandes rues et le grouillement des petites n’arrivent pas à lui donner l’air gai. Les magasins sont moins beaux, presque tous restent fermés le soir, été comme hiver; la boue et la poussière sont noires, la brume aussi tant elle est imprégnée de toutes les fumées vomies par des milliers de cheminées; l’hiver la boue est encore plus noire et le brouillard plus épais. On vit alors à la lumière des lampes et de bec de gaz, jour et nuit. Nous sommes en été, mais je comprends que l’hiver Londres soit la ville des ténèbres et du spleen. Beaucoup de rues sont pavées en bois; les trottoirs sont larges, les principales artères le sont également, mais de ces belles rues on aperçoit de droite et de gauche d’horribles ruelles où glapissent des enfants en haillons, où des hommes et des femmes de mauvaise mine étalent une pauvreté indescriptible et que je n’ai jamais rencontrée à Paris. Ah! c’est ici que les extrêmes se touchent! Quel contraste effrayant! L’excessive richesse et l’excessive misère se coudoient dans cette ville immense, la plus grande de l’Europe, la plus importante cité commerciale du monde et qui renferme quatre millions d’habitants.

La ville n’étant pas entourée de murs on y comprend d’énormes faubourgs et des villages contigus.

Londres renferme quantité de sociétés savantes: universités, écoles de droit, académies pour les arts et pour les sciences, les hautes cours judiciaires, les ambassades, des bibliothèques, des musées, des galeries, des collections en tout genre. Je n’ai point la prétention de visiter tout cela, il faudrait des mois. Je compte me promener à mon gré et ne suivre que les caprices de ma fantaisie sans itinéraire tracé.

JOURNAL DE SUZETTE

On dit que les pickpockets sont légion à Londres. C’est inquiétant, mais on nous assure qu’il n’y a que les Anglais a être volés: tant mieux, je préfère cela. Notre hôtel est superbe, avec des glaces partout jusqu’en un certain endroit, où, à mon avis, le conseiller des grâces est fort inutile. La note sera chère au départ. Je suis sûre que la bourse de Madame en gardera un profond souvenir!

J’ai trouvé ce matin dans ma chambre une bible imprimée en français, attention délicate d’une longue miss anglaise, femme de chambre de l’hôtel qui s’est prise de sympathie pour moi. Elle m’appelle Suky, me disant que mon nom en anglais est bien plus joli que Suzette en français. Je vois ce qu’elle veut: me jeter de l’amitié au cœur et du protestantisme à l'âme, elle ne réussira pas; d’ailleurs nous ne nous comprenons guère, ce n’est qu’à l’aide de grands renforts de signaux que nous pouvons échanger nos idées, ce n’est pas facile. Je n’aime pas les gens toujours prêts à vous évangéliser, surtout quand il s’agit d’une mauvaise cause; les Anglais ne font que ça. On voit des sentences tirées de la Bible, partout, dans les gares, dans les monuments publics, ce sont des exhortations à n’en plus finir.

On étouffe ces jours-ci, mais la chaleur n’est jamais de longue durée à Londres. Dès le mois d’octobre, le froid et le brouillard reprennent leur empire. Il paraît qu’à midi quelquefois il ne fait pas plus clair qu’à minuit: alors, on allume les réverbères toute la journée, les policemen se promènent avec des lanternes, les voitures refusent de marcher et les voyageurs restent en panne.

JOURNAL DE MADAME
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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