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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 6

Bruno G.
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XXX. – Le cabaret. – L'ivrognerie

Les ivrognes sont un fléau pour leur pays, pour leur famille et pour tous ceux qui les entourent

Le voiturier avait attaché son cheval à la porte de l'auberge, et sans plus s'occuper des enfants restés dans la carriole, il était allé s'attabler avec les gens qui buvaient. Bientôt, on entendit sa grosse voix se mêler aux cris et aux rires des ivrognes. Dans le cabaret, empesté par les vapeurs du vin et la fumée du tabac, c'était un tumulte assourdissant. A mesure que les verres se vidaient, les chants et les rires firent place aux disputes, et l'on voyait, à travers les carreaux blanchis, s'agiter en gesticulant les ombres des buveurs.

– Que mon père avait raison, s'écria André, de fuir les cabarets comme la peste! Certes, notre conducteur serait bien mieux chez lui à cette heure, avec sa femme et ses enfants, que dans ce cabaret enfumé où il est en train de dépenser nos quinze sous.

– Et nous donc, ajouta Julien, nous serions bien mieux à Besançon!

– Le temps passait; les bouteilles de vin se succédaient sur la table, et le voiturier ne sortait point de l'auberge: on eût dit qu'il se croyait au but de son voyage.

La pluie tombait à verse et coulait en ruisseaux bruyants sur la toile cirée de la voiture et sur les harnais du cheval. Le pauvre animal, de temps à autre, se secouait patiemment comme un être habitué depuis longtemps à tout subir.

André n'y tint plus. Il sortit de la carriole et, entrant dans l'auberge, il rappela au voiturier poliment, mais avec fermeté, l'heure qu'il était.

– Eh bien! dit l'homme d'une voix avinée, si vous êtes plus pressé que moi, partez devant, vagabond.

André allait riposter avec énergie, mais l'aubergiste le tira par le bras.

– Taisez-vous, dit-il, cet homme est, à jeun, le plus doux du monde; mais, quand il a bu, il n'y a pas de brute pareille: il assomme son cheval de coups, et il en ferait autant du premier venu qui le contredirait.

– Mais, dit André, je l'ai payé d'avance pour nous emmener ce soir à Besançon.

– Vous avez eu tort, dit sèchement l'aubergiste. Pourquoi payez-vous d'avance des gens que vous ne connaissez pas? Et maintenant vous aurez tort de nouveau si vous voulez raisonner avec un homme qui n'a plus sa raison.

André, tout pensif, retourna trouver Julien au fond de la carriole. Les deux enfants, bien désolés, décidèrent qu'il fallait reprendre leurs paquets sur leur dos et se remettre en marche malgré la pluie, pour faire à pied les seize kilomètres qui leur restaient, plutôt que de continuer la route avec un homme ivre et brutal.

Au même moment le charretier sortit de l'auberge, sa pipe à la main, jurant comme un forcené contre la pluie, contre son cheval, contre les deux enfants, contre lui-même. Il monta dans sa carriole avant que les enfants surpris eussent eu le temps d'en descendre, et sangla son cheval d'un coup de fouet. La carriole se remit en marche au grand galop, vacillant par bonds d'un côté, puis de l'autre, tant le cheval excité à force de coups marchait vite.

Le petit Julien était transi de peur: il eût voulu être à cent lieues de là. André lui-même, prévenu par l'aubergiste, n'était pas rassuré et n'osait souffler mot. Les deux enfants, se serrant l'un contre l'autre au fond de la voiture, n'avaient qu'un désir: se faire oublier de l'ivrogne, qui ne cessait de vociférer comme un furieux. A chaque passant qu'on rencontrait il adressait des injures et des menaces; il jurait d'une voix chevrotante qu'il ferait un mauvais coup parce qu'un vaurien l'avait insulté à l'auberge.

Plus d'une heure se passa ainsi. Les deux enfants épouvantés et silencieux réfléchissaient tristement. – «Mon Dieu! pensait André, que l'ivresse est un vice horrible et honteux!»

Pour le petit Julien, il était si désolé de se voir en cette vilaine compagnie, que tout lui eût paru préférable à ce supplice. Il se rappelait presque avec regret la nuit passée sur la montagne au milieu du brouillard sous la conduite de son frère, et elle lui semblait plus douce mille fois que ce voyage en la société d'un homme devenu pareil à une brute.

Il pensait aussi à leur petite maison de Phalsbourg, où ils retrouvaient leur père le soir après la journée de travail, et il se disait:

– Oh! combien sont heureux ceux qui ont une famille, une maison où on les aime, et qui ne sont pas forcés de voyager sans cesse avec des gens qu'ils ne connaissent point.

XXXI. – L'ivrogne endormi. – Une louable action des deux enfants. – La fraternité humaine

Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît. Faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fît

Une grande heure se passa ainsi dans l'anxiété. Le cheval allait comme le vent, car les coups pleuvaient sur lui plus drus que grêle.

Enfin à la longue l'ivrogne, appesanti par le vin, cessa de jurer et de fouetter; il se renversa en arrière sur son siège et finit par s'endormir du lourd sommeil de l'ivresse. Aussitôt le cheval, de lui-même, comme s'il devinait cet incident prévu, ralentit le pas peu à peu: bientôt même il s'arrêta tout à fait, heureux sans doute de souffler à l'aise après la course folle qu'il venait d'exécuter.

L'ivrogne ne bougea point: il ronflait à poings fermés.

Alors nos enfants, pris d'une même idée tous les deux, se levèrent sans bruit, saisissant leurs petits paquets de voyageurs et leurs bâtons. Ils enjambèrent doucement par dessus le voiturier, et d'un saut s'élancèrent sur la grande route, courant à cœur joie, tout aises d'être enfin en liberté.

– Oh! André, s'écria Julien, j'aimerais mieux marcher à pied toute ma vie, par les montagnes et les grands bois, que d'être en compagnie d'un ivrogne, eût-il une calèche de prince.

– Sois tranquille, Julien, nous profiterons de la leçon désormais, et nous ne nous remettrons plus aux mains du premier venu.

Pendant ce temps le cheval, surpris en entendant sauter les enfants, s'était mis à marcher et les avait devancés. Comme le voiturier dormait toujours, la voiture s'en allait au hasard, effleurant les fossés et les arbres de la route.

Par un moment, une des roues passa sur un tas de pierres; la carriole chancela prête à verser dans le fossé, qui, à cet endroit, était profond.

– Mon Dieu! dit André, il va arriver malheur à cet homme.

– Tant pis pour lui, dit Julien, qui gardait rancune à l'ivrogne; il n'aura que ce qu'il mérite.

André reprit doucement: – Peut-être sa femme et ses enfants l'attendent-ils en ce moment, Julien; peut-être, si nous l'abandonnons ainsi, le verront-ils rapporter chez eux blessé, sanglant, comme l'était notre père.

En entendant ces paroles, Julien se jeta au cou de son frère: – Tu es meilleur que moi, André, s'écria-t-il; mais comment faire?

– Marchons à côté du cheval, nous le tiendrons par la bride. Si le voiturier s'éveille, nous nous sauverons.

– Et s'il ne s'éveille point?

– Nous verrons alors ce qu'il y a de mieux à faire. En tout cas, nous avons commis une étourderie ce matin en nous liant avec lui si rapidement; ne faisons pas ce soir une mauvaise action en l'abandonnant sur la grande route. Un honnête homme ne laisse point sans secours un autre homme en danger, quel qu'il soit. Nous sommes tous frères.

XXXII. – Une rencontre sur la route. – Les gendarmes. – Loi Grammont, protectrice des animaux

Quand on n'a rien à se reprocher, on n'a point sujet d'avoir peur

Les deux enfants hâtèrent le pas et rejoignirent le cheval; ils marchèrent auprès de lui, le dirigeant et l'empêchant de heurter la voiture aux tas de pierres.

Ils allèrent ainsi longtemps, et l'ivrogne ne s'éveillait point. Julien était exténué de fatigue, car le pas du cheval était difficile à suivre pour ses petites jambes, mais il avait repris son courage habituel. – Ce que nous faisons est bien, pensait-il, il faut donc marcher bravement.

Enfin nos enfants aperçurent deux gendarmes qui arrivaient à cheval derrière eux. André, aussitôt, s'avança à leur rencontre, et simplement il leur raconta ce qui était arrivé, leur demandant conseil sur ce qu'il y avait de mieux à faire.

Les gendarmes, d'un ton sévère, commencèrent par dire à André de montrer ses papiers. Il les leur présenta aussitôt. Lorsqu'ils les eurent vérifiés, ils se radoucirent.

– Allons, dit l'un d'eux, qui avait un fort accent alsacien, vous êtes de braves enfants, et j'en suis bien aise, car je suis du pays moi aussi.

Les gendarmes descendirent de cheval et secouèrent l'ivrogne; mais ils ne purent le réveiller. – Il est ivre-mort, dirent-ils.

– Enfants, reprit l'Alsacien, nous allons ramener l'homme, ne vous en inquiétez pas; nous savons qui il est, nous lui avons déjà fait un procès pour la brutalité avec laquelle il traite son cheval, car la loi défend de maltraiter les animaux. Mais vous, où allez-vous coucher?

– Je ne sais pas, monsieur, dit André; nous nous arrêterons au premier village.

– Parbleu! s'écria l'autre gendarme, puisque les enfants ont payé pour aller à Besançon et que nous ramenons la carriole jusque-là, qu'ils remontent; nous ferons route ensemble, et si l'ivrogne s'éveillait, nous sommes là pour le surveiller: ils n'ont rien à craindre.

Les gendarmes poussèrent l'ivrogne tout au fond de la carriole. André et Julien s'assirent devant sur le banc du cocher.

– Prenez les guides, mon garçon, dit à André le gendarme alsacien, et conduisez; nous remontons à cheval et nous vous suivrons.

André ne savait guère conduire; mais le gendarme lui expliqua comment faire, et il s'appliqua si bien que tout alla à merveille. On arriva à Besançon le plus gaîment du monde. Julien remarqua que cette ville est une place forte et qu'elle est tout entourée par le Doubs, sauf d'un côté; mais, de ce côté-là, la citadelle se dresse sur une grande masse de rochers pour défendre la ville. Julien, quoique bien jeune, avait déjà assisté au siège de Phalsbourg: aussi les places fortes l'intéressaient. Il admira beaucoup Besançon, et, en lui-même, il était content de voir que la France avait l'air bien protégée de ce côté.

Le gendarme alsacien recommanda ses jeunes compatriotes chez une brave femme qui leur donna un lit à bon marché.

– Oh! André, s'écria alors naïvement le petit Julien, je ne me serais pas douté combien ces deux gendarmes devaient être bons pour nous; j'aurais plutôt eu peur d'eux.

– Julien, répondit doucement André, quand on fait ce qu'on doit et qu'on n'a rien à se reprocher, on n'a jamais sujet d'avoir peur, et on peut être sûr d'avoir tout le monde pour soi.

XXXIII. – Une proposition de travail faite à André. – Le parapluie de Julien

Celui qui se fait reconnaître pour un honnête garçon trouve aide et sympathie partout où il passe

Le lendemain, au moment où les enfants achevaient de s'habiller, leur hôtesse entr'ouvrit la porte.

– Jeunes gens, leur dit-elle, vous allez, paraît-il, jusqu'à Marseille; peut-être seriez-vous bien aises d'avoir une occasion de faire la route jusqu'à Saint-Étienne, sans qu'il vous en coûtât rien que la peine de travailler pendant un mois. Il y a soixante lieues d'ici à Saint-Étienne: c'est un fameux bout de chemin.

– Madame, dit André, pourvu que ce soit en compagnie de braves gens, nous ne demandons qu'à travailler.

– Soyez tranquilles, dit l'hôtesse; celui qui vous emploiera est un ami des gendarmes qui vous ont recommandés à moi hier soir. C'est un bien honnête homme, mais proche de ses intérêts. Descendez, vous lui parlerez.

André et Julien descendirent dans la cuisine et se trouvèrent en face d'un grand montagnard jurassien qui, le dos à la cheminée, se chauffait debout, vis-à-vis de la porte par où arrivaient les enfants.

Il les regarda rapidement et parut satisfait de son examen.

– Voici ce qu'il y a, dit-il à André. Tous les ans, à cette époque, je faisais avec ma femme une tournée de Besançon à Saint-Étienne pour vendre et transporter les marchandises du pays; mais cette année-ci ma femme est malade: elle vient de me donner un fils, et je vais avoir de la peine à faire mes affaires tout seul. Pourtant ce n'est pas le moment de se reposer, puisque j'ai une bouche de plus à nourrir. Si vous voulez tous les deux travailler avec moi de bonne volonté, je me charge de vous pour quinze jours. Au bout de ces quinze jours vous serez à Saint-Étienne. Je vous coucherai et je vous nourrirai tout le long du chemin, mais je ne puis vous payer.

Le petit Julien ouvrait de grands yeux et souriait à l'étranger.

– Monsieur, dit André en montrant Julien, mon frère n'a pas huit ans, il ne peut guère faire autre chose que des commissions.

– Justement, dit le Jurassien, il ne fera pas autre chose. Vous qui êtes grand et fort, vous m'aiderez à charger ma voiture, à soigner le cheval et à vendre.

– Volontiers, dit André; mais si vous pouviez ajouter quelque chose, ne fût-ce que cinq francs, nous serions bien aises.

– Pas un centime, dit l'homme, c'est à prendre ou à laisser.

Julien sourit gentiment: – Oh! fit-il, vous me donnerez bien un parapluie, n'est-ce pas? si je vous contente bien: cela fait que nous pourrons voyager après cela même par la pluie.

Le marchand ne put s'empêcher de rire à cette demande de l'enfant. – Allons, dit-il, mon petit homme, tu auras ton parapluie si les affaires marchent bien.

XXXIV. – Le cheval. – Qualités d'un bon cheval. – Soins à donner aux chevaux

Un bon animal ne coûte pas plus à nourrir qu'un mauvais et rapporte beaucoup plus

Le lendemain de bon matin M. Gertal (c'était le nom du Jurassien) éveilla les deux enfants. André mit ses habits de travail. – Venez avec moi, dit M. Gertal, je vais vous montrer à soigner mon cheval Pierrot; je tiens à ce qu'il soit bien soigné, car il me coûte cher et me rend de grands services, et puis c'est pour moi un compagnon fidèle.

André descendit à l'écurie avec son nouveau patron, et Julien, qui aimait les animaux, ne manqua pas de le suivre.

Pierrot était un bel et bon animal; sa robe bai brun, signe de vivacité et de courage, son œil grand, sa tête assez petite et ses reins solides indiquaient que M. Gertal l'avait choisi en connaisseur. Pierrot n'avait jamais été maltraité; aussi était-il doux et Julien lui-même pouvait en approcher sans danger.

Le cheval fut étrillé et brossé avec soin.

– Voyez-vous, mes enfants, disait M. Gertal, la propreté est pour les animaux ce qu'elle est pour l'homme, le meilleur moyen d'entretenir la santé. – Tout en parlant ainsi, M. Gertal dirigeait l'étrille et la brosse avec courage, et on voyait à chaque coup de l'étrille la poussière tomber abondante par terre, tandis que le poil devenait plus luisant.

– Vraiment, dit le petit Julien, Pierrot comprend sans doute que c'est pour son bien, car il a l'air trop content.

– Oui certes, cela le soulage, et il le sent bien. Vois-tu, Julien, la peau des animaux, comme celle de l'homme, est percée d'une multitude de petits trous appelés pores, par lesquels s'échappe la sueur, et la sueur sert à purifier le sang. Quand la poussière et la malpropreté bouchent ces milliers de petits trous, le sang se vicie et la santé s'altère chez les animaux comme chez l'homme. Il y a un vieux proverbe qui dit: «Le jeu de l'étrille équivaut à un picotin d'avoine; la main engraisse autant que la nourriture.»

La toilette de Pierrot finie, on le conduisit à l'abreuvoir.

– André, dit M. Gertal, tu le ramèneras au pas et non en le faisant trotter comme font tant de garçons étourdis. Un cheval qui revient de l'abreuvoir doit toujours être ramené tranquillement, pour bien digérer l'eau qu'il a bue.

Lorsque Pierrot revint de l'abreuvoir, on lui donna sa ration d'avoine.

– Tiens! dit Julien, on a fait boire Pierrot avant de lui donner à manger.

– Oui certes, on doit faire boire le cheval avant de lui donner l'avoine; retiens cela, petit, car c'est une chose importante que bien des gens ignorent. Si au contraire le cheval boit après avoir mangé l'avoine, l'eau entraîne les grains hors de l'estomac avant qu'ils soient digérés complètement, et l'animal est mal nourri. Remarque-le aussi, je ne vais atteler Pierrot qu'une heure après son dîner, parce que je le ferai trotter et qu'on ne doit pas faire trotter un cheval qui vient de manger, si on veut qu'il digère bien sa nourriture.

– Est-ce que tout le monde prend ces précautions, monsieur Gertal?

– Non, et il y en a bien d'autres encore que l'on néglige. Les uns remettent sur le cheval le harnais mouillé, qui le refroidit; d'autres négligent de jeter sur son dos une couverture de laine quand ils sont forcés de le faire arrêter et qu'il est en sueur; d'autres le mènent boire quand il est en transpiration, ou lui donnent de l'eau trop fraîche. Tous ceux qui font ainsi agissent contre leurs intérêts. Un cheval mal soigné ne tarde pas à perdre sa vigueur et à tomber malade: c'est une grosse perte, surtout pour les petits marchands comme moi. En toutes choses, le chemin de la ruine, mes enfants, c'est la négligence.

XXXV. – Les montagnes du Jura. – Les salines. – Les grands troupeaux des communes conduits par un seul pâtre. – Associations des paysans jurassiens

Que de peines nous nous épargnerions les uns aux autres, si nous savions toujours nous entendre et nous associer dans le travail!

Après déjeuner, on quitta Besançon. Pierrot marchait bon train comme un animal vigoureux et bien soigné. Julien et André regardaient avec grand plaisir le pays montagneux de la Franche-Comté, car ils étaient assis tous les deux à côté du patron sur le devant de la voiture, d'où ils découvraient l'horizon.

A chaque étape du voyage, on déchargeait la voiture, et chacun, suivant ses forces, le patron aussi, allait porter dans les divers magasins les marchandises qu'on avait amenées. Il fallait faire bien des courses fatigantes, et souvent assez tard dans la soirée; mais le patron était juste: il nourrissait bien les enfants, et on dormait dans de bons lits. Nos deux orphelins étaient si heureux de gagner leur nourriture et leur voyage qu'ils en oubliaient la fatigue.

On s'arrêta à Lons-le-Saulnier et à Salins, qui doivent leurs noms et leur prospérité à leurs puits de sel. Les enfants purent voir en passant ces grands puits d'où on tire sans cesse l'eau salée, pour la faire évaporer dans des chaudières.

En quittant Lons-le-Saulnier, M. Gertal mit le cheval au pas. – Voici une rude journée pour Pierrot, dit-il, car nous allons monter sans cesse. Le village des Rousses, où nous nous rendons, est en pleines montagnes, sur la frontière suisse.

En effet, la route ondulait continuellement en côtes et en descentes rapides. Par moments on apercevait les hautes cimes du Jura montrant au loin leurs premières neiges, et de noirs sapins poudrés de givre s'étalaient sur les flancs escarpés de la montagne.

– Regarde, Julien, dit André: voilà un pays qui ressemble aux Vosges.

– Oui, dit l'enfant, cela me fait songer au jour où nous avons traversé la montagne pour passer en France.

– Le Jura, en effet, a plus d'un rapport avec les Vosges, dit le patron; mais il a des cimes plus élevées.

– Eh oui, mon ami; aussi nous ne nous attarderons pas longtemps dans ce pays: d'ici à quinze jours, il y aura sans doute des neiges partout où nous sommes.

Lorsqu'on arriva au bourg des Rousses, le soleil venait de se coucher; c'était l'heure où les vaches descendaient toutes à la fois des pâturages de la montagne pour rentrer aux étables. On arrêta Pierrot, afin de ne pas effaroucher les bonnes bêtes; celles-ci s'en revenaient tranquillement, faisant sonner leurs clochettes dont le bruit rustique emplissait la vallée.

Julien n'avait jamais été à pareille fête, car il n'avait pas encore vu un si nombreux troupeau; aussi il s'agitait de plaisir dans la voiture.

– Regarde bien, Julien, s'écria M. Gertal, et observe ce qui va se passer.

– Oh! dit Julien, je regarde si bien toutes ces belles vaches que je suis en train de les compter; mais il y en a tant que c'est impossible.

– Ce sont toutes les vaches de la commune réunies en un seul troupeau, dit M. Gertal, et il n'y a pour les conduire qu'un pâtre, appelé le pâtre communal.

– Tiens! s'écria Julien, qui regardait avec plus d'attention que jamais; les unes s'en vont à droite, les autres à gauche, celles-là devant; voilà tout le troupeau divisé, et le pâtre qui ne bouge pas pour les rappeler: à quoi pense-t-il?

– N'as-tu pas entendu qu'il a sonné de la trompe? Eh bien, dans le bourg chacun est prévenu par ce son de trompe: on a ouvert les portes des étables, et si le troupeau se divise, c'est parce que chacune des vaches prend le chemin de son étable et s'en va tranquillement à sa crèche.

– Oh! vraiment, monsieur Gertal, vous croyez qu'elles ne se tromperont pas?

– Jamais elles ne se trompent; elles rentrent ainsi tous les soirs; et tous les matins, à l'heure du départ, il suffit encore au pâtre communal de sonner de la trompe: aussitôt, dans le village, chacun ouvre les portes de son étable; les vaches sortent et vont se réunir toutes à un seul et même endroit, où le pâtre les attend pour les conduire dans les belles prairies que nous avons vues le long du chemin.

– Oh! que voilà des vaches intelligentes! dit André.

– Oui, certes, reprit Julien; mais il y a autre chose à remarquer que l'intelligence du troupeau; c'est celle des habitants du pays, qui s'entendent de bonne amitié pour mettre leurs troupeaux en commun et ne payer qu'un seul pâtre, au lieu de payer autant de pâtres qu'il y a de fermes et de troupeaux.

– Tiens, c'est vrai, cela, dit André; c'est une bonne économie de temps et d'argent pour chacun. Mais pourquoi n'en fait-on pas autant partout, monsieur Gertal?

– Ce n'est pas partout facile. De plus tout le monde ne comprend pas le bienfait qu'il y a à s'entendre et à s'associer ensemble. Chacun veut tout faire seul, et tous y perdent. Pour moi, ajouta M. Gertal, je suis fier d'être Jurassien, car c'est dans mon pays que, pour la première fois en France, cette grande idée de s'associer a été mise en exécution par les cultivateurs.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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