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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 7

Bruno G.
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XXXVI. – Les grands fromages de gruyère. – Visite de Julien à une fromagerie. – Les associations des paysans jurassiens pour la fabrication des fromages

Le pays le plus heureux sera celui où il y aura le plus d'accord et d'union entre les habitants

Le lendemain on se leva de bonne heure. M. Gertal avait acheté la veille au soir des marchandises qu'il s'agissait de charger dans la voiture. Il y avait de ces énormes fromages dits de gruyère qu'on fait dans le Jura, et Julien était tout étonné à la vue de ces meules de fromages pesant vingt-cinq kilogrammes, qu'il n'aurait pas pu soulever. Il regardait avec admiration André les mettre dans la voiture.

En allant faire une commission pour le patron, Julien fut introduit dans une fromagerie où se trouvait le fruitier auquel il devait parler: on appelle fruitier, dans le Jura, celui qui fait les fromages. Le fruitier était aimable; en voyant Julien ouvrir de grands yeux surpris pour regarder la fromagerie, il lui demanda ce qui l'étonnait tant que cela.

– Oh! dit Julien, c'est cette grande chaudière que je vois là sur le feu. Elle est aussi grande qu'une barrique et elle a l'air pleine de lait.

– Tout juste, enfant; il y a là trois cents litres de lait à chauffer pour faire du fromage.

– Mais, monsieur, dit le petit Julien, j'ai appris d'une fermière de Lorraine que souvent une vache ne donne pas plus de deux cents litres de lait en un mois; vous avez donc bien des vaches, vous, monsieur, pour avoir ainsi trois cents litres de lait à la fois!

– Moi, dit le fruitier, je n'en ai pas une. Et dans tout le bourg il n'y a personne assez riche pour en avoir, à lui seul, une quantité capable d'alimenter la fromagerie. Mais les fermiers s'associent ensemble: ils m'apportent leur lait tous les jours, de façon que je puisse emplir ma grande chaudière. Alors je mesure le lait de chacun, et je marque sur une coche le nombre de litres qu'il a donnés. Quand les fromages sont faits et vendus, on me paie pour ma peine, et les fermiers partagent entre eux le reste de l'argent avec justice, suivant la quantité de lait que chacun a fournie.

– Alors celui qui n'a qu'une vache peut aussi apporter du lait et avoir sa part?

– Pourquoi pas, mon petit homme? Il est aussi content, et il a plus besoin qu'un autre de voir son lait bien employé.

– Cela doit donner bien des fromages dans une année, toutes les vaches que j'ai vues dans la montagne!

– Je crois bien; notre seul département du Jura possède plus de cinquante mille vaches et fabrique par an plus de quatre millions de kilogrammes de fromages. Et nous faisons tout cela on nous associant, riches comme pauvres, d'un bon accord; car, voyez-vous, enfant, en apportant chacun sa pierre, la maison se fait sans peine.

– Oh! dit Julien, que j'aime votre pays, où tout le monde sait si bien s'entendre! Mais comment peut-il n'y avoir jamais d'erreur dans le partage et dans les comptes?

– Quand tout le monde veut la justice, chacun y veille, enfant. Chez nous, tout se passe honnêtement, parce que tout se fait au grand jour, sous la surveillance de tous et avec l'avis de tous.

Le petit Julien, pour rattraper le temps qu'il avait passé à écouter le fruitier, s'en revint en courant de la fromagerie. Tout en marchant vite, il songeait à ce qu'avait dit la veille M. Gertal sur les associations du Jura, et arrangeant tout cela dans sa petite tête, il se disait: – Quelle bonne chose de s'entendre et de s'aider les uns les autres!

XXXVII. – Le travail du soir dans une ferme du Jura. – Les ressorts d'horlogerie. – Les métiers à tricoter. – L'étude du dessin. – Utilité de l'instruction

Instruisez-vous quand vous êtes jeunes; plus tard, quelque métier que vous embrassiez, cette instruction vous y rendra plus habile

Ce n'était point à une auberge qu'on était descendu, mais chez un cultivateur des Rousses, ami de M. Gertal.

Le patron passa une partie de la soirée à faire ses affaires chez ses clients, et les deux enfants restèrent dans la ferme située non loin du fort des Rousses qui défend la frontière; car les Rousses sont le dernier bourg de France sur la frontière suisse.

Lorsque la nuit fut tout à fait venue, la fermière alluma deux lampes. Près de l'une les deux fils aînés s'établirent. Ils avaient devant eux toute sorte d'outils, une petite enclume, des marteaux, des tenailles, des limes, de la poudre à polir. Ils saisirent entre leurs doigts de légers rubans d'acier qu'ils enroulaient en forme de spirale après les avoir battus sur l'enclume.

André s'approcha d'eux tout surpris; leur travail, qui lui rappelait un peu la fine serrurerie, l'intéressait vivement.

– Que faites-vous là? demanda-t-il.

– Voyez, nous faisons des ressorts de montre. Dans nos montagnes on fabrique les différentes pièces des montres, de sorte qu'à Besançon on n'a plus qu'à les assembler pour faire la montre même. Moi, je fabrique des ressorts, d'autres font les petites roues, les petites chaînes qui se trouvent à l'intérieur, d'autres les cadrans émaillés où les heures sont peintes, d'autres les aiguilles qui marqueront l'heure; d'autres enfin façonnent les boîtiers en argent ou en or.

– Que tout cela est délicat, dit André, et quelle attention il vous faut prendre pour manier cet acier entre vos doigts! Je m'en fais une idée, moi qui suis serrurier.

– C'est assez délicat, en effet: soupesez ce ressort et voyez comme il est léger. Avec une livre de fer, on peut en fabriquer jusqu'à 80,000, et quand ils sont bien réussis, ils valent jusqu'à 10 francs chacun.

– 10 francs chaque ressort! dit André. S'il y en a 80,000, cela fait 800,000 francs, et tout cela peut se tirer d'une livre de fer qui coûte si peu! Mon patron serrurier avait bien raison de dire que ce qui donne du prix aux choses, c'est surtout le travail et l'intelligence de l'ouvrier.

Tandis que les deux jeunes ouvriers en horlogerie causaient ainsi avec André, la fermière s'était assise avec sa fille auprès de l'autre lampe. Elle avait un métier à faire les bas et travaillait avec activité. Pendant ce temps, le plus jeune des enfants faisait son devoir pour l'école du lendemain.

– Oh! pensa Julien, qui n'avait rien perdu de tout ce que l'on faisait et disait, je vois qu'il n'y a pas que la Lorraine où l'on sache bien travailler. C'est égal, je n'aurais jamais cru que ce fut dans les fermes que l'on fit les choses délicates de l'horlogerie.

Julien, tout en réfléchissant ainsi, s'approcha du jeune enfant qui travaillait à ses devoirs. Il fut surpris de voir qu'il dessinait, et que son cahier était couvert de rosaces et d'étoiles, de fleurs, d'animaux, de jolies figures d'ornementation qu'il avait tracées lui-même.

– Quoi! lui dit-il, vous avez appris le dessin, déjà?

– Il faut bien, dit l'enfant; le dessin est si utile aux ouvriers! Il nous sert beaucoup pour tous les travaux que nous faisons pendant l'hiver.

– Oui, reprit la fermière; nous avons huit mois d'hiver sur la montagne; durant ces longs mois, la neige couvre tout, et il faut rester chez soi auprès du feu. Il y a même des villages où l'on est si enveloppé par les neiges de toutes parts, qu'on ne peut plus communiquer avec le reste du pays. La terre ne nous donnerait pas de quoi vivre si nous ne travaillions beaucoup et si nous restions ignorants. Mais nous avons de bonnes écoles, où on apprend même le dessin et les travaux d'horlogerie. Quand on est bien instruit, on gagne mieux sa vie.

Le petit Julien trouva tout cela fort sage; il se rappela que la mère Gertrude lui avait dit que la France ouvre de jour en jour plus d'écoles pour instruire ses enfants.

– Moi qui veux bien travailler quand je serai grand, pensa-t-il, je ne perdrai pas mon temps à l'école. La fermière a raison; pour faire des choses difficiles, il faut être instruit.

XXXVIII. – La Suisse et la Savoie. – Le lac de Genève. – Le mont Blanc. – Les avalanches. – Le lever du soleil sur les Alpes. – La prière du matin

Les beautés de la nature doivent élever notre pensée vers Dieu

Le lendemain, on quitta les Rousses dès trois heures du matin, car le patron voulait arriver à temps pour le marché de Gex, une des principales villes du département de l'Ain.

André enveloppa soigneusement le petit Julien dans son manteau: l'enfant, bercé par le balancement de la voiture et par le bruit cadencé des grelots sonores de Pierrot, ne tarda pas à dormir aussi bien que dans son lit.

Le clair de lune était splendide, la route lumineuse comme en plein jour; mais l'air était froid, car il gelait sur ces hauteurs, et les noirs sapins avaient sur toutes leurs branches de grandes aiguilles de glace qui brillaient comme des diamants.

Après plusieurs heures de marche sur une route toujours montante, on traversa un dernier défilé entre deux montagnes. – Vous savez sans doute, mes enfants, dit alors M. Gertal, que nous sommes ici à deux pas de la Suisse, et nous arriverons bientôt au haut d'un col d'où l'on découvre toute la Suisse, la Savoie et les Alpes. Descendons de voiture, et nous regarderons le soleil se lever sur les montagnes: le temps est pur, ce sera magnifique.

Le petit Julien en un clin d'œil fut éveillé, il se hâta de sauter sur la route et courut en avant. Mais André l'avait devancé, et lorsqu'il fut au sommet du col: – Oh! Julien, s'écria-t-il, viens voir. – L'enfant arriva vite.

Les deux frères se trouvaient placés au haut de la chaîne du Jura comme sur une muraille énorme, presque droite. A leurs pieds s'ouvrait un vaste horizon: la Suisse était devant eux. Tout en bas, dans la plaine, s'étalait, à perte de vue, le grand lac de Genève, le plus beau de l'Europe, dominé de toutes parts par des montagnes blanches de neige.

– Comme ce lac brille sous les rayons de la lune! dit Julien; moi je l'aurais pris volontiers pour la mer, tant je le trouve grand. Mais dis-moi, André, comment s'appellent ces montagnes là-bas, si hautes, si hautes, qui enferment le lac comme dans une grande muraille?

– Ce sont les Alpes de la Savoie, dit M. Gertal qui arrivait.A nos pieds est la Suisse, mais à droite, c'est encore la France qui se continue, bornée par les Alpes. Dans la Savoie, en France, se trouvent les plus hautes montagnes de notre Europe. Ces neiges qui couvrent leurs sommets sont des neiges éternelles. Vois-tu, en face de nous, sur la droite, ce grand mont dont la cime blanche s'élève par dessus toutes les autres? C'est le mont Blanc. Il y a sûrement sur sa cime glacée des neiges qui sont tombées depuis des siècles et que nul rayon du chaud soleil d'été n'a pu fondre.

– Quoi! vraiment? dit Julien, d'un air réfléchi, en poussant un soupir d'étonnement.

– Oui, continua M. Gertal, chaque hiver de nouvelles neiges recouvrent les anciennes. Aussi, aux endroits où la montagne en est trop chargée, il suffit d'un coup de vent, du pas d'un chamois, d'une pelote de neige qui grossit en roulant, pour ébranler des blocs de neige et de glace entassés; ces blocs s'écroulent alors avec un bruit effroyable, écrasent tout sur leur passage, ensevelissent les troupeaux, les maisons, parfois des villages entiers. C'est ce qu'on appelle les avalanches.

– Que cela fait peur! dit Julien: et cependant la montagne est si belle à regarder!

Au même instant, levant encore une fois la tête vers le vaste cirque de montagnes, il poussa un cri de surprise: – Voyez, voyez, dit-il, la jolie couleur de feu qui brille sur le mont Blanc: les neiges sont toutes roses; qu'est-ce donc?

– C'est l'aurore du soleil levant, petit Julien; le soleil commence toujours par éclairer les plus hauts sommets; aussi, dans tout ce pays, c'est le mont Blanc qui reçoit chaque matin les premiers rayons du soleil. Regarde encore.

– Oh! mais voici tous les sommets des autres montagnes qui s'illuminent à leur tour; il y a, sur les neiges, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel: les unes sont violettes ou bleues, les autres lilas ou roses. On dirait une grande fête qui se prépare entre le ciel et la terre.

– Julien, c'est le jour qui commence. Vois: le soleil monte à l'horizon, rouge comme un globe de flamme; devant lui, les étoiles s'effacent, et voici la lune qui pâlit à son tour.

– O mon Dieu, mon Dieu! dit l'enfant en joignant ses petites mains, comme cela est beau!

– Oui, Julien, dit gravement M. Gertal, tu as raison, mon enfant: joins les mains à la vue de ces merveilles. En voyant l'une après l'autre toutes ces montagnes sortir de la nuit et paraître à la lumière, nous avons assisté comme à une nouvelle création. Que ces grandes œuvres de Dieu te rappellent le Père qui est aux cieux, et que les premiers instants de cette journée lui appartiennent.

Et tous les trois, se recueillant en face du vaste horizon des Alpes silencieuses, qui étincelaient maintenant sous les pleins rayons du soleil, élevèrent dans une même prière leurs âmes jusqu'à Dieu.

XXXIX. – L'ascension du mont Blanc. – Les glaciers. – Effets de la rareté de l'air dans les hautes montagnes. – Un savant courageux: de Saussure

C'est l'amour de la science et le courage des savants qui ont fait faire de nos jours tant de progrès à l'humanité

Lorsqu'on remonta en voiture, Julien était encore tout ému; il ne cessait de regarder du côté du mont Blanc pour revoir ces neiges éternelles dont on lui avait tant parlé.

– Est-ce que nous allons passer par la Savoie, monsieur Gertal? demanda-t-il.

– Point du tout, mon ami. Une fois notre marché fait dans la petite ville de Gex, nous tournerons le dos à la Savoie.

– C'est grand dommage, fit l'enfant: ce doit être bien beau à voir un pays pareil. Y êtes-vous allé, monsieur Gertal?

– Oui, petit Julien, plusieurs fois

– Est-ce que vous êtes monté au mont Blanc?

– Oh! pour cela non, mon ami. C'est plus difficile à faire que tu ne l'imagines, l'ascension du mont Blanc.

– Pourquoi donc, monsieur Gertal?

– D'abord, il faut marcher deux journées, toujours en montant, comme bien tu penses, et la marche n'est pas facile. Ces hautes montagnes ont sur leurs flancs de vastes champs de glace et de neige durcie qu'on appelle glaciers. L'un des glaciers qui sont au pied du mont Blanc a deux lieues de large sur six lieues de long: c'est une vaste mer de glace, tantôt unie comme un miroir, tantôt bouleversée comme les flots de la mer dans la tempête. Quand on marche sur ces glaciers aux pentes rapides, il faut des souliers ferrés exprès pour ne pas glisser, des bâtons ferrés pour se retenir. On arrive souvent devant des murs de glace qui barrent le chemin: alors il faut creuser à coups de hache dans la glace une sorte d'escalier où l'on puisse poser le pied. Puis il y a des crevasses plus profondes que des puits; la neige glacée les recouvre, mais, si on s'aventure par mégarde sur cette neige trop peu épaisse, elle craque, se brise, et on tombe au fond du gouffre.

– J'ai entendu dire, fit André, que l'on s'attachait avec une même corde plusieurs ensemble, de façon que, si l'un tombe, les autres le retiennent; est-ce vrai, monsieur Gertal?

– Certainement, répondit le patron; c'est ce que j'allais raconter; mais quelquefois la chute de l'un entraîne les autres. Puis, on est exposé aux avalanches qui se détachent du haut de la montagne et qui peuvent vous engloutir. En outre, le froid devient tel, à mesure qu'on s'élève, qu'il faut s'envelopper le visage d'un masque en gaze pour que la peau ne se fendille pas jusqu'au sang. Enfin, la difficulté de respirer sur ces hauteurs est si grande, qu'on peut à peine se traîner; des hommes très robustes ne peuvent marcher plus de vingt-cinq pas sans s'arrêter pour se reposer et respirer.

– C'est étonnant, cela, dit Julien: moi, je trouve l'air si pur sur les hauteurs, qu'il me semble qu'on y respire mieux.

– Oui, dit le patron, quand on n'est pas trop haut; mais à mesure qu'on s'élève, l'air devient plus rare, l'air vous manque; André doit savoir cela?

– Oui, monsieur; j'ai même appris à l'école que, si on pouvait s'élever à quinze lieues au-dessus de la terre, il n'y aurait plus d'air du tout, et on ne pourrait respirer ni vivre.

– Eh bien, sur le sommet du mont Blanc, il y a déjà deux fois moins d'air que dans la plaine; aussi est-on obligé de respirer deux fois plus vite pour avoir sa quantité d'air. Alors le cœur se met à battre aussi moitié plus vite, on a la fièvre, on sent ses forces s'en aller, on est pris d'une soif ardente et en même temps d'un invincible besoin de dormir, et le tout au milieu d'un froid rigoureux. Si l'on se laisse aller à dormir, c'est fini, le froid vous engourdit et on meurt sans pouvoir se réveiller.

– Oh! oh! dit Julien, je comprends qu'il n'y ait pas grand monde à se risquer jusque-là; mais qui donc a jamais osé monter le premier au mont Blanc?

– C'est un hardi montagnard nommé Joseph Balmat; il y est allé seul une première fois, puis, il a aidé un grand savant nommé de Saussure à y monter. C'est de Saussure qui a observé au sommet du mont ce que je vous disais tout à l'heure sur la rareté de l'air. Il a fait beaucoup d'autres expériences; par exemple, il a allumé du feu, mais son feu avait la plus grande peine à brûler à cause du manque d'air; il a déchargé un pistolet, mais ce pistolet ne fit pas plus de bruit qu'un simple pétard de confiseur, car c'est l'ébranlement de l'air qui produit le son, et là où il y a moins d'air, tout son devient plus faible. De Saussure fut bien surpris aussi de voir, du haut du mont, le ciel presque noir et d'apercevoir des étoiles en plein jour; cette couleur sombre du ciel est produite encore par la rareté de l'air, car c'est l'air qui, quand il est en grande masse, donne au ciel sa belle couleur bleue. Toutes ces expériences et bien d'autres encore ont été très utiles pour le progrès de la science; mais à combien de dangers il a fallu s'exposer d'abord pour les faire!

Tu vois, petit Julien, comme l'amour de la science est une belle chose, puisqu'il donne le courage de risquer sa vie pour s'instruire et pour instruire les autres.

XL. – Les troupeaux de la Savoie et de la Suisse. – L'orage dans la montagne. – Les animaux sauvages des Alpes. – Les ressources des Savoisiens

Plus un pays est pauvre, plus il a besoin d'instruction; car l'instruction rend industrieux et apprend à tirer parti de tout

Tout en causant on continuait la route. A chaque détour du chemin les montagnes disparaissaient, mais on ne tardait pas à les revoir, plus lumineuses à mesure que le soleil montait.

– C'est le moment, dit M. Gertal, où les pâtres et les troupeaux se réveillent dans la montagne. Ne voyez-vous pas sur les pentes les plus voisines de petits points blancs qui se remuent? ce sont les vaches et les moutons.

– Mais, dit Julien, est-ce qu'il y a aussi des troupeaux sur le mont Blanc et sur les autres grandes montagnes?

– Certainement; les troupeaux sont la grande richesse de la Suisse et de la Savoie, comme du Jura. C'est en les gardant là-haut, tout l'été, que les montagnards acquièrent leur vigueur et leur agilité proverbiales.

– Y a-t-il donc tant besoin d'agilité pour garder les vaches dans la montagne? s'écria Julien. Cela m'a l'air bien facile, à moi.

– Eh, eh! petit Julien, je voudrais bien t'y voir, lorsque tout à coup un orage s'élève. J'ai vu cela, moi qui te parle, et je ne l'oublierai jamais. Les vaches, dans les prairies de la montagne, couchent dehors, paisiblement, sous la garde des chiens. Mais si l'orage arrive, elles s'éveillent en sursaut; en voyant les éclairs leur passer devant les yeux, les voilà folles de terreur; elles bondissent à travers le premier sentier qui se présente dans la direction du vent. Elles courent sans s'arrêter, redoublant de vitesse à mesure que les échos de la montagne s'ébranlent aux roulements du tonnerre. Les pâtres alors, pour ramener le troupeau, le suivent dans toutes les directions, à la lueur des éclairs, en dépit de l'ouragan qui déracine les arbres, au-dessus des abîmes. Ils appellent chaque vache par son nom pour la calmer, et souvent, malgré leurs efforts, quand le matin arrive, plus d'une manque à l'appel: la tourmente les a jetées dans les précipices.

– Comment? dit Julien, les vaches, qui ont un air si tranquille, sont si peu raisonnables que cela? Mais alors, les pâtres doivent avoir grand'peur de l'orage.

– Certes, mon enfant, ils le redoutent; aussi, quand ils en prévoient un, ils ne se couchent pas; ils restent toute la nuit auprès de leurs vaches; ils leur parlent tant que dure la tempête, ils les flattent de la main tour à tour, les appelant chacune par leur nom. Cela suffit pour tranquilliser ces bonnes bêtes. La présence et la voix de leur gardien les rassure; elles ne bougent pas.

– Bon, dit Julien, les vaches sont comme les petits enfants; elles ont peur quand elles se croient seules, et alors il n'est pas facile de les garder. C'est égal, monsieur Gertal, c'est bien intéressant, toutes ces histoires de la montagne.

Le patron sourit. – As-tu quelquefois entendu parler des chasses au chamois, Julien? reprit-il.

– Oh! point du tout, je ne sais même pas ce que c'est qu'un chamois. Et vous, monsieur Gertal, en avez-vous vu?

– Oui, j'en ai vu plusieurs. C'est un bel animal, qui vit sur les hautes montagnes. Il est grand comme une chèvre, et d'une agilité merveilleuse: d'un bond il saute par dessus les abîmes et disparaît avec la rapidité d'une flèche. Pour lui faire la chasse, il faut avoir soi-même une agilité bien grande; les hommes les plus hardis grimpent aux endroits escarpés où ils ont remarqué les traces des chamois; cachés derrière quelque rocher, ils les attendent au passage pendant des heures, tirent dessus, et parfois les poursuivent à la course de rocher en rocher.

– Qu'est-ce que cela mange, les chamois?

– L'herbe rase des prairies de la montagne. Dans les grandes forêts de sapins, dans les lieux les plus sauvages, il y a d'autres animaux: on rencontre dans les Alpes des ours bruns.

– Des ours! fit Julien; oh, oh! cela ne vaut pas les gentils chamois. Nous en avons pourtant vu un l'autre jour à Lons-le-Saulnier, qui était apprivoisé et qui dansait sur ses pattes de derrière au son de la musique.

– Il avait été pris sans doute encore jeune dans les Alpes. Un autre animal des montagnes, c'est l'aigle; on peut le voir sur la cime des rochers, voler à son aire. Les aigles se jettent parfois sur les troupeaux, saisissent dans leurs serres les jeunes agneaux qu'ils peuvent attraper, et les enlèvent en l'air; on en a vu emporter jusqu'à de jeunes enfants. Aussi les montagnards font une chasse continuelle à ces bêtes malfaisantes: ils les poursuivent dans le creux des rochers; ils luttent contre elles, et de jour en jour, aigles et ours deviennent plus rares.

– Je vois à présent, monsieur Gertal, que les montagnards sont bien braves. Aussi, j'aime les montagnards; mais je voudrais savoir si, dans leur pays, en Suisse et en Savoie, on sait travailler comme dans la Franche-Comté et la Lorraine.

– Certainement, petit Julien. Depuis que la Savoie est française, les progrès ont été très rapides dans cette contrée. On y a fait un grand nombre de routes, ce qui permet de transporter facilement les produits de la terre et les marchandises. Et puis, les Savoisiens sont très intelligents et comprennent l'importance de l'instruction. Les écoles se multiplient chez eux. Quand tout le monde sera instruit dans ce beau pays, on verra, de plus en plus, la Savoie changer de face; l'agriculture, mieux entendue, enrichira les cultivateurs, l'industrie fera prospérer les villes; car vois-tu, petit Julien, il faut toujours en revenir à l'instruction: les esprits cultivés sont comme les terres bien labourées, qui paient par d'amples moissons les soins qu'on leur donne.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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