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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 4

Bruno G.
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XVIII. – La cruche de la mère Gertrude. – L'obligeance

Combien il est facile de se faire aimer de tous ceux qui nous entourent! Il suffit pour cela d'un peu d'obligeance et de bonne volonté

Julien, tout craintif, n'osait s'approcher de dame Gertrude, qui, sans s'occuper de l'enfant, s'était remise à sa machine à coudre et travaillait avec activité, car elle ne perdait jamais une minute. Enfin la petite vieille se leva, rangea son ouvrage avec soin, et prit sa cruche pour aller à la fontaine. Elle passa près de Julien sans rien dire, marchant toute voûtée, à pas lents, et respirant d'un air fatigué.

L'enfant, en la regardant passer ainsi, faible et cassée, se sentit ému. Il était habitué à respecter les vieillards, et obligeant de son naturel. Il sut donc vaincre la crainte qu'elle lui inspirait, il fit deux pas en courant pour la rattraper et, tout rougissant, il lui demanda:

– Voulez-vous, Madame, que j'aille vous chercher de l'eau?

La petite vieille surprise releva la tête: – C'est que, dit-elle, j'ai peur que vous ne cassiez ma cruche.

– Oh! que non, dit l'enfant; je vais bien faire attention, soyez tranquille.

Et lestement il partit à la fontaine. Il revint bientôt, portant avec précaution la précieuse cruche, qui, bien sûr, était plus vieille que lui; car la mère Gertrude était si soigneuse qu'elle ne cassait jamais rien: aussi son antique mobilier avait-il l'air presque aussi respectable qu'elle-même. La machine à coudre était le seul objet moderne qui tranchât au milieu du reste.

Julien n'avait pas empli la cruche jusqu'aux bords, crainte de mouiller ses vêtements; en arrivant, il la posa bien doucement pour ne pas répandre d'eau sur le plancher reluisant. La mère Gertrude l'observait du coin de l'œil avec plaisir.

– Bon! dit-elle, vous êtes soigneux et de plus serviable: vous aimez à épargner de la peine aux vieilles gens; c'est bien, mon enfant.

Et la petite vieille sourit si amicalement à Julien qu'il se sentit tout réconforté.

XIX. – Les deux pièces de cinq francs. – Un bienfait délicat

«Que votre main gauche ignore ce qu'a donné votre main droite.»

Lorsque André rentra une heure plus tard, il trouva Julien bien affairé. Assis en face de la mère Gertrude, il lui aidait à écosser sa récolte de haricots; car la bonne dame avait un bout de jardin, derrière sa maison, et, l'été ayant été favorable, elle avait fait une belle récolte de haricots, pois, fèves, lentilles et autres plantes légumineuses.

André fut émerveillé de voir l'enfant et la vieille dame causer tous deux comme d'anciennes connaissances. La défiance de Mme Gertrude n'avait pu tenir devant le gentil caractère de Julien; André acheva de rompre la glace en annonçant qu'il avait de l'ouvrage pour le lendemain même, et que son nouveau patron lui avait promis de faire entrer Julien à l'école.

Mme Gertrude parut alors aussi satisfaite que les enfants eux-mêmes. Elle trempa la soupe, qui était cuite à point, et les trois nouveaux amis soupèrent ensemble avec plus d'entrain qu'on n'eût pu le croire une heure auparavant.

Après le dîner, André rangea ses vêtements de travail tout prêts pour le lendemain. Il mit bien en ordre, dans le placard de leur chambre, le linge de son frère et le sien. De son côté, Julien rangeait aussi ses affaires, c'est-à-dire son carton d'écolier, ses plumes, son papier et ses livres, qu'il avait eu bien soin d'emporter dans son paquet de voyage.

Quand tout fut en ordre, André prit dans la poche de son gilet le petit paquet qui renfermait leurs économies, pour le porter à Mme Gertrude et la prier de le leur garder.

En le dépliant, il fut tout étonné d'y trouver deux belles pièces de cinq francs qu'il n'y avait point mises.

– Comment cela peut-il se faire? pensa-t-il.

Puis il se rappela qu'au départ la mère Étienne avait remis en ordre leurs habits et leurs paquets. – C'est elle, se dit-il, qui, sans que nous le sachions, a voulu augmenter ainsi notre petit avoir. Bonne mère Étienne! elle n'est pas riche pourtant, et ces deux pièces ont dû lui coûter bien de la peine à gagner. Comme elle a su nous venir en aide sans même nous le dire, de peur sans doute de nous humilier!

Tout en pensant cela, André fut si touché qu'il faillit se mettre à pleurer.

XX. – La reconnaissance. – La lettre d'André et de Julien à la mère Étienne

On n'est jamais si heureux de savoir écrire que quand on peut, par une lettre, montrer à un absent son affection ou sa reconnaissance

André ne fut pas longtemps à songer au bienfait délicat de la mère Étienne sans chercher comment il pourrait lui en témoigner sa reconnaissance.

– Oh! dit-il, je ne puis faire qu'une seule chose en ce moment, c'est de lui écrire tout de suite pour la remercier, et je n'y manquerai pas; toi aussi, Julien, tu vas lui écrire quelques lignes.

– Oui, certes, dit l'enfant tout joyeux de penser qu'il savait écrire et qu'il pourrait, lui aussi, remercier la mère Étienne. Mais, André, ajouta-t-il, nous n'avons point de papier à lettre.

– Nous en achèterons tout de suite, reprit André. Il ne faut jamais être paresseux à écrire quand on doit le faire, et c'est pour nous un devoir d'écrire à Mme Étienne, de lui dire combien nous lui sommes reconnaissants.

– Attends, s'écria Julien avec vivacité, nous allons prendre une feuille de mon cahier.

– C'est cela, dit André en prenant le cahier que lui tendait l'enfant et en déchirant proprement une feuille. La mère Étienne sait bien que nous ne sommes pas riches, elle ne regardera pas au papier, mais aux pensées qui seront dessus.

– Et de l'encre?.. et un timbre-poste? dit Julien; nous n'en avons pas.

– Eh bien, nous allons en acheter.

André prit une de ses pièces de cinq francs pour aller la changer; mais Mme Gertrude, bien qu'elle fût occupée à laver sa vaisselle et à ranger son ménage, avait néanmoins à peu près tout entendu et tout compris; elle s'y opposa.

– Non, non, dit-elle, toute pièce changée est vite dépensée. Économisons, mes enfants; cela vaut mieux. J'ai là un vieil encrier où il reste encore quelque peu d'encre; on va mettre une goutte d'eau, on remuera… Voyez, cela va à merveille. Quant au timbre, j'en ai un de réserve dans mon armoire, je vais vous le donner; nous arrangerons cela plus tard.

Les enfants obéirent, et ils firent gentiment leur lettre tous les deux. Ensuite, ils prièrent MmeGertrude de la lire, lui demandant si elle était bien comme cela.

La bonne dame était plus instruite qu'elle n'en avait l'air. Dans son jeune temps, avant de se marier, elle avait été institutrice, et elle était fort savante. Elle mit donc ses lunettes et lut attentivement les deux lettres. Quand elle eut fini, elle essuya ses yeux qui étaient humides, et ouvrant ses bras aux deux orphelins:

– Venez m'embrasser, dit-elle. Je vois à la façon dont vos lettres sont tournées que vous êtes deux bons cœurs, deux enfants bien élevés et qui savent reconnaître un bienfait. J'ai l'air méfiante parce que je suis bien vieille et que j'ai été souvent trompée; mais j'aime la jeunesse, et à présent que je vois ce que vous valez tous les deux, je sens que je m'attache à vous. Chers enfants, quand on fait son devoir, on est toujours sûr de gagner l'estime des honnêtes gens.

On se coucha après cette expansion. Nos jeunes orphelins, en s'endormant dans l'ancien lit du fils de la vieille dame, étaient plus heureux peut-être d'avoir conquis de vive force la sympathie de leur hôtesse que si elle la leur eût accordée du premier coup; car il y a plus de plaisir à mériter la confiance par ses efforts qu'à l'obtenir sans peine.

XXI. – André ouvrier. Les cours d'adultes. – Julien écolier. Les bibliothèques scolaires et les lectures du soir. – Ce que fait la France pour l'instruction de ses enfants

Après qu'on a travaillé, le plus utile des délassements est une lecture qui vous instruit. L'âge de s'instruire n'est jamais passé

Deux jours après leur arrivée à Épinal, grâce à l'activité d'André, grâce à celle de Mme Gertrude, nos enfants étaient complètement installés. André travaillait toute la journée à l'atelier de son patron, faisant rougir au feu de la forge le fer qu'il façonnait ensuite sur l'enclume, et qui devenait entre ses mains tantôt une clef, tantôt un ressort de serrure, un verrou, un bec de cane. A ses moments perdus le jeune serrurier, voulant se rendre utile à la mère Gertrude, fit la revue de toutes les serrures et ferrures de la maison: il joua si bien du marteau et de la lime qu'il remit tout à neuf, au grand étonnement de la bonne vieille.

Mais tout cela ne fut pas long à faire, car la maison de la mère Gertrude n'était pas grande; aussi il ne tarda pas à se trouver inoccupé le soir, au retour de l'atelier.

– André, lui dit Mme Gertrude, vous n'allez plus à l'école vous voilà maintenant un jeune ouvrier; mais ce n'est point une raison, n'est-ce pas, pour cesser de vous instruire? Tous les soirs M. l'instituteur fait un cours gratuit pour les adultes; bien des ouvriers de la ville se réunissent auprès de lui, et il leur enseigne ce qu'ils n'ont pu apprendre à l'école. Il faut y aller, André. Que de choses on peut apprendre à tout âge en s'appliquant deux heures par jour!

André fit ce que lui conseillait la mère Gertrude, et désormais il alla chaque soir au cours d'adultes.

Julien, de son côté, suivait l'école bien régulièrement. Entre les heures de classe, quand son devoir était fait, au lieu d'aller vagabonder dans la rue, il rendait à la mère Gertrude tous les services qu'il pouvait. Il partait à la fontaine, il faisait les commissions, il descendait le bois du grenier, il sarclait les herbes folles du jardin.

– Cet enfant, c'est mon bras droit! disait la bonne femme avec admiration.

Le fait est que Julien l'aimait de tout son cœur, et le soir, à la veillée, quand elle lui racontait quelque histoire en écossant les haricots, il ne perdait pas une de ses paroles.

– Eh mais, Julien, lui dit-elle un jour, vous aimez les histoires, et je vous ai dit toutes celles qui me sont restées dans la mémoire; si vous m'en lisiez quelques-unes à présent, quelles bonnes soirées nous passerions!

– Oui, dit Julien, mais les livres coûtent cher et nous n'en avons point.

– Et la bibliothèque de l'école, petit Julien, vous l'oubliez. A l'école, il y a des livres que M. l'instituteur prête aux écoliers laborieux. Voyons, dès demain, nous irons le prier de vous prêter quelques livres à votre portée.

Le lendemain soir ce fut une vraie fête pour l'enfant. Il arriva tenant à la main un livre plein d'histoires, dans lequel il fit ce jour-là et les jours suivants la lecture à haute voix.

Julien lisait très joliment: il s'arrêtait aux points et aux virgules, il faisait sentir les s et les t devant les voyelles, et au lieu de nasiller comme font les petits garçons qui ne savent pas lire, il prononçait distinctement les mots d'une voix toujours claire. Quand il trouvait un mot difficile à comprendre, la bonne vieille institutrice, qui n'avait point oublié la profession de ses jeunes années, le lui expliquait rapidement.

Après la lecture elle l'interrogeait sur tout ce qu'il venait de lire, et Julien répondait de son mieux. Le temps passait donc plus vite encore que de coutume. Julien était tout heureux d'employer lui aussi ses soirées à s'instruire et de suivre l'exemple que lui donnait son frère aîné.

– Oh! dit un jour Julien quand l'heure fut venue de se coucher, c'est une bien belle chose d'avoir toute une bibliothèque où l'on peut emprunter des livres! Madame Gertrude, nous les lirons tous, n'est-ce pas?

– Je ne demande pas mieux, répondit en souriant la mère Gertrude. Mais dites-moi, Julien, qui a fait les frais de tous ces livres dont la bibliothèque de l'école est remplie, et à qui devez-vous, en définitive, ce plaisir de la lecture? Y avez-vous réfléchi?

– Non, dit l'enfant, je n'y songeais pas.

– Julien, les écoles, les cours d'adultes, les bibliothèques scolaires sont des bienfaits de votre patrie. La France veut que tous ses enfants soient dignes d'elle, et chaque jour elle augmente le nombre de ses écoles et de ses cours, elle fonde de nouvelles bibliothèques, et elle prépare des maîtres savants pour diriger la jeunesse.

– Oh! dit Julien, j'aime la France de tout mon cœur! Je voudrais qu'elle fût la première nation du monde.

– Alors, Julien, songez à une chose: c'est que l'honneur de la patrie dépend de ce que valent ses enfants. Appliquez-vous au travail, instruisez-vous, soyez bon et généreux; que tous les enfants de la France en fassent autant, et notre patrie sera la première de toutes les nations.

XXII. – Le récit d'André. – Les chiffons changés en papier. – Les papeteries des Vosges

Si vous parcouriez la France, que de merveilles vous admireriez dans l'industrie des hommes, à côté des beautés de la nature!

Les jours où il n'y avait pas de classe d'adultes, André passait la soirée avec son frère et la mère Gertrude. Le temps alors s'écoulait encore plus gaîment que de coutume, car André avait toujours quelque chose à raconter.

Un soir, il arriva tout joyeux de l'atelier.

– Julien, dit-il, à son frère, si tu avais pu voir ce que j'ai vu aujourd'hui, cela t'aurait bien intéressé.

– Qu'as-tu donc vu? fit l'enfant en s'approchant pour mieux écouter.

La mère Gertrude elle-même, qui était en train de tailler le pain pour la soupe, s'interrompit et releva ses lunettes en signe d'attention.

– Imaginez-vous, dit André, que j'ai accompagné le premier ouvrier du patron qui allait faire une réparation dans une usine. Cet ouvrier, qui est savant, connaît les machines et ne s'en étonnait guère; mais moi, c'est la première fois que j'en voyais marcher; aussi cela me faisait l'effet d'un rêve.

– Pourquoi donc, André? s'écria Julien.

– Racontez-nous ce que vous avez vu, reprit la mère Gertrude, ce sera comme si nous étions allés avec vous; pendant ce temps je tremperai la soupe.

– Eh bien, reprit André, nous sommes allés à une grande papeterie; il paraît qu'il y en a plusieurs aux environs d'Épinal. Tu sais, Julien, que le papier est fait avec des chiffons réduits en pâte.

– Oui, dit Julien, avec de vieux chiffons, de la paille et d'autres choses.

– Eh bien, reprit André, j'ai vu aujourd'hui des chiffons devenir du papier, et cela se faisait tout seul: les ouvriers n'avaient qu'à regarder et à surveiller la machine. Au fond de la salle, les chiffons étaient dans de grandes cuves, où j'entendais remuer une sorte de maillet qui les broyait pour en faire de la bouillie.

– C'était donc comme dans la baratte de la fermière?

– Justement; mais le marteau remuait tout seul. Je voyais ensuite la bouillie jaillir de la cuve et tomber sur des tamis percés de mille petits trous: ces tamis s'agitaient comme si une main invisible les eût secoués. Alors, peu à peu, la bouillie s'égouttait. Ensuite elle s'engageait entre des rouleaux, qui sont chauffés à l'intérieur tout exprès pour la dessécher, et elle passait de rouleau en rouleau. M'écoutes-tu, Julien?

– Oui, André, et je crois voir tout ce que tu me dis. Cela faisait comme lorsque Mme Gertrude prépare un gâteau avec de la pâte: elle se sert d'un rouleau pour étendre la pâte et l'amincir.

– C'est cela même; seulement les rouleaux de la papeterie tournaient tout seuls sans qu'on pût deviner qui les mettait en mouvement. Puis, sais-tu ce qui sortait à la fin de toute cette rangée de rouleaux? C'était une interminable bande de papier blanc, qui se déroulait sans cesse comme un large ruban. La machine elle-même coupait cette bande comme avec des ciseaux, et les feuilles de papier tombaient alors toutes faites: les ouvriers n'avaient qu'à les ramasser. N'est-ce pas merveilleux, Julien? à un bout de la grande salle, on voit des chiffons et une bouillie blanche; à l'autre bout, des feuilles de papier sur lesquelles on pourrait tout de suite écrire; et il ne faut pas plus de deux minutes pour que la bouillie se change ainsi en papier.

– Oh! j'aimerais bien voir cela, moi aussi, dit Julien.

– On m'a dit, reprit André, que tout le long de la France nous rencontrerions bien d'autres machines aussi belles et aussi commodes, qui font toutes seules la besogne des ouvriers et travaillent à leur place, et je m'en suis revenu émerveillé de l'industrie des hommes.

XXIII. – Les moyens que l'homme emploie pour mettre en mouvement ses machines. – Un ouvrier inventeur

La prétendue baguette des fées était moins puissante que ne l'est aujourd'hui la science des hommes

Julien avait écouté de toutes ses oreilles le récit d'André.

– Mais pourtant, dit-il, ces machines ne peuvent pas aller toutes seules. Bien sûr, il y avait quelque part des ouvriers que tu n'as pas vus, et qui les mettaient en mouvement, comme le rémouleur quand il fait tourner sa roue de toutes ses forces.

– Je t'assure, Julien, qu'il n'y avait pas d'ouvriers à remuer les machines, et cependant elles ne s'arrêtaient pas une minute.

– Alors, dit la mère Gertrude gaîment, cela ressemblait à un conte de fées.

– Justement, dit André; en voyant cela je songeais à un conte où l'on parlait d'un vieux château habité par les fées: dans ce château, les portes s'ouvraient et se fermaient toutes seules; à l'intérieur, on entendait de la musique et il n'y avait point de musiciens: les archets des violons couraient sur les cordes et les faisaient chanter sans qu'on pût voir la main qui les poussait.

Julien était plongé dans de grandes réflexions: il cherchait ce qui pouvait mouvoir la machine, car il savait bien qu'il n'y a pas de fées. Le sourire de la mère Gertrude indiquait qu'elle était dans le secret, et ses petits yeux gris qui brillaient à travers ses lunettes semblaient dire à l'enfant:

– Eh bien, Julien, n'avez-vous pas déjà deviné?

– A quoi pensais-je donc: s'écria Julien, c'est la vapeur qui remuait les machines.

– Point du tout, dit André.

Julien demeura confondu. La mère Gertrude souriait de plus en plus malignement. – Eh! eh! Julien, dit-elle, nous avons peut-être des fées à Épinal… Mais en attendant que vous les interrogiez, il faut souper et j'aurais besoin d'un peu d'eau; voulez-vous, Julien, aller bien vite à la fontaine?

L'enfant prit la cruche d'un air préoccupé.

– Surtout, dit la bonne mère Gertrude, ne cassez pas ma cruche, et rappelez-vous que, dans tous les contes, c'est à la fontaine que l'on rencontre les fées.

– Bon! dit aussitôt le petit garçon en sautant de plaisir, vous m'avez fait deviner: c'est l'eau qui doit faire marcher les machines à Épinal.

– Allons, bravo! dit André. C'est l'eau de la Moselle qui passe par dessous l'usine et y fait tourner des roues comme dans un moulin; ces roues en font tourner d'autres, et la machine tout entière se met en mouvement.

– Vous voyez bien, dit la mère Gertrude à Julien, qu'il n'y avait point besoin de bras pour faire tourner les roues. Rappelez-vous, Julien, qu'il y a trois choses principales dont l'homme se sert pour mouvoir ses machines: l'eau, comme dans la papeterie d'Épinal; puis la vapeur et le vent. C'est ce qu'on nomme les forces motrices.

– Tu ne sais pas, Julien, reprit André, qui a imaginé la belle machine à faire le papier? On me l'a dit là-bas; c'est un simple ouvrier, un ouvrier papetier nommé Louis Robert. Il avait travaillé depuis son enfance; mais au lieu de faire, comme bien d'autres, sa besogne machinalement, il cherchait à tout comprendre, à s'instruire par tous les moyens, à perfectionner les instruments dont il se servait. C'est ainsi qu'il en vint à inventer cette grande machine que j'ai vue faire tant de travail en si peu de temps.

– Eh bien! André, dit la mère Gertrude, qui apportait en ce moment la soupière fumante, l'histoire du papetier Robert ne vous donne-t-elle pas envie, à vous aussi, de devenir un ouvrier habile dans votre métier?

– Oh! Madame, je ferai bien tout ce que je pourrai pour cela, et le courage ne me manquera ni pour travailler ni pour m'instruire.

– Ni à moi non plus, s'écria Julien.

– Maintenant, mettons-nous à table, dit la mère Gertrude.

XXIV. – La foire d'Épinal. – Les produits de la Lorraine. – Verres, cristaux et glaces. – Les images et les papiers peints. – Les instruments de musique

On regarde une chose avec plus d'intérêt quand on sait d'où elle vient et qui l'a faite

– Julien, dit un jour la mère Gertrude, c'est aujourd'hui la foire d'Épinal. Il fait beau temps, et vous n'avez pas de classe: venez avec moi. Nous irons acheter ma provision d'oignons et de châtaignes pour l'année, et nous la rapporterons tous les deux.

Julien, bien content, prit deux sacs sous son bras, Mme Gertrude un panier, et l'on partit pour la foire, en ayant bien soin de se ranger sur les trottoirs, car il passait sans cesse des bestiaux, des voitures et une grande foule de monde.

Les magasins avaient leurs plus beaux étalages: Julien et la mère Gertrude s'arrêtaient de temps en temps pour les regarder. On parcourut ensuite le marché pour se mettre au courant des prix, et après les débats nécessaires on fit les achats: on emplit un sac d'oignons, l'autre de châtaignes, et le panier de pommes.

Mais tout cela était lourd à porter. L'enfant et la bonne vieille avisèrent un banc à l'écart sur une place, et l'on s'assit pour se reposer en mangeant une belle pomme que la marchande avait offerte à Julien.

– Que de choses il y a à la foire! dit Julien, qui était enchanté de sa promenade. Je trouve cela bien amusant de voir tant de monde et tant d'étalages de toute sorte.

– Moi aussi, dit gaîment la mère Gertrude, j'aime à voir la foire bien approvisionnée; cela prouve combien tout le monde travaille dans notre pays de Lorraine, et combien la vieille terre des Vosges est fertile.

– Tiens, dit Julien, je n'avais pas songé à cela.

– Eh bien, il faut y songer, Julien. Voyons, dites-moi ce que vous avez remarqué de beau à la foire, et vous allez voir qu'il y a en ce moment à Épinal comme un échantillon des travaux de toute la Lorraine.

– D'abord, dit Julien, je me suis beaucoup amusé à regarder le grand magasin de verrerie; au soleil, cela brillait comme des étoiles. Et puis, la marchande, d'une chiquenaude, faisait sonner si joliment ses verres! «Quel fin cristal! disait-elle, écoutez.» Et en effet, Madame Gertrude, c'était une vraie musique.

– Savez-vous d'où venaient toutes ces verreries, Julien? Savez-vous où l'on a fabriqué les belles glaces d'un seul morceau où tout à l'heure, devant le magasin, nous nous regardions tous les deux, vous, frais et rose comme la jeunesse qui arrive, moi, ridée et tout en double, comme une petite vieille qui s'en va?

Julien réfléchit. – Oh! dit-il, je sais cela, car c'est dans la Meurthe, où je suis né, que ces belles choses se font. Je sais qu'il y a une grande cristallerie à Baccarat.

– Vous voyez qu'on sait travailler en Lorraine; savez-vous pourquoi on fait tant de verreries chez nous?

– Oh! pour cela, non, Madame Gertrude.

– C'est que nous avons beaucoup de forêts; eh bien, c'est dans les cendres du bois qu'on trouve la potasse, qui, fondue avec du sable sert à faire les verres fins et les glaces.

– Je ne me doutais pas, s'écria Julien, que le bois de nos forêts servit à faire le verre. Mais, dites-moi, Madame Gertrude, d'où viennent donc toutes ces images grandes et petites qu'un marchand avait étalées à la foire, le long d'un mur, et que vous m'avez laissé regarder tout à mon aise? Je n'en avais jamais vu autant. Toute l'histoire du petit Poucet était là en images, et la Belle et la Bête, et l'Oiseau bleu! Il y avait aussi de ces soldats qu'on découpe et qu'on colle sur des cartons pour les ranger en bataille sur la table. Il y avait des portraits de grands hommes. C'était bien amusant.

– Mon enfant, tout cela se fabrique ici même, à Épinal. Le papier qu'André a vu faire sera peut-être recouvert de ces dessins coloriés, qui s'en iront ensuite par toute la France pour amuser les enfants. Nos papeteries, nos imageries, nos fabriques de papiers peints pour tapisseries sont connues partout. Nous avons aussi dans notre département la petite ville de Mirecourt, où se fabrique une très grande quantité d'instruments de musique, des violons, des flûtes, des clarinettes, des orgues de Barbarie comme celui qui joue là-bas sur un coin de la place.

– Madame Gertrude, je connais tous ces instruments de musique, car il y a eu à Phalsbourg un concours d'orphéons et de fanfares, et je suis allé entendre les musiciens. C'était très beau, je vous assure. Quand nous serons plus grands, André et moi, nous ferons partie d'un orphéon.

– Vous aurez raison, mes enfants; la musique est une distraction intelligente: elle élève nos cœurs en exprimant les grands sentiments de l'âme, l'amour de la famille, de la patrie et de Dieu; aussi est-il bien à désirer qu'elle se répande de plus en plus dans notre pays.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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