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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 19

Bruno G.
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XCIV. – Les grands hommes du Maine, de l'Anjou et de la Touraine. Le chirurgien Ambroise Paré. Le sculpteur David. Le savant philosophe Descartes

«Plus on avance dans la science, plus on s'aperçoit combien on ignore encore de choses, et plus on devient modeste.» Descartes

Le lendemain, Julien n'eut pas le plaisir de causer avec son ami Guillaume; la mer était redevenue mauvaise et le vieux pilote était trop occupé pour faire la conversation.

– Assieds-toi tranquillement, mon Julien, dit André au petit garçon, cela vaudra mieux que de courir sur le pont pour embarrasser la manœuvre et risquer d'être emporté par les lames, qui sont fortes.

– Oui, André, répondit l'enfant, je vais m'asseoir dans un petit coin et m'amuser à lire tout seul pour ne déranger personne. – Et Julien, tirant de sa poche son livre, qui ne le quittait jamais, l'ouvrit à la page où il en était resté la veille. Il lut ce qui suit:

I. Il y a, à l'est de la Bretagne, deux fertiles provinces qui semblent la continuer, et qui sont arrosées aussi par la Loire ou ses affluents: c'est le Maine et l'Anjou.

Le Maine produit des chanvres et des lins, dont on fait dans le pays des toiles renommées. Les chevaux et les volailles du Maine sont d'excellente race; le pays est boisé, et le gibier y abonde.

C'est dans le Maine, près de Laval, que naquit le célèbre chirurgien Ambroise Paré. Il jouait un jour avec de jeunes villageois de son âge, et tous ces enfants couraient et sautaient ensemble. Tout d'un coup, l'un d'eux tomba et ne put se relever. Il s'était fait une grave blessure à la tête, et le sang coulait en abondance. Tous ses camarades, sottement effrayés à la vue du sang et le croyant mort, se mettent à fuir en criant. Seul le petit Ambroise, à la fois plus courageux et plus compatissant, s'approche de son camarade, lui lave sa plaie, la bande avec son mouchoir; puis, comme l'enfant pouvait à peine se remuer, il le charge sur ses épaules et le transporte chez ses parents.

Cette présence d'esprit et cette fermeté de caractère furent bientôt connues dans le pays. Un chirurgien de l'endroit en entendit parler, fit venir près de lui le petit Ambroise, et voyant qu'il ne demandait qu'à s'instruire, le prit chez lui comme aide.

A partir de ce moment, Ambroise Paré commença à étudier la chirurgie, qu'il renouvela plus tard par ses découvertes. Il devint médecin du roi. Toute sa vie est un long exemple de travail, de science, de dévouement et de modestie.

Quand la peste éclata à Paris, le roi quitta la ville, mais Ambroise Paré, quoiqu'il fût médecin du roi, refusa de l'accompagner et voulut rester à Paris pour soigner les malades. Il s'exposa à tous les dangers et parvint ainsi à sauver bien des malheureux en risquant lui-même sa vie.

Les soldats l'appelaient leur bon père. Un jour, dans une campagne, il fut fait prisonnier par les Espagnols. On ne l'avait point reconnu, mêlé à la foule des prisonniers; mais un de ses compagnons vient à tomber malade: il le soigne, il le sauve. On le reconnaît aussitôt et on lui rend la liberté.

Ce grand homme avait une modestie égale à son génie. Un jour, on le félicitait d'une guérison merveilleuse qu'il venait d'accomplir. Il fit cette simple réponse, qui est devenue célèbre:

– Je l'ai pansé, Dieu l'a guéri.

David d'Angers a gravé ces mots au bas de la statue d'Ambroise Paré qu'il a sculptée.

II. L'Anjou est plus fertile encore que le Maine; les vents tièdes de l'Océan rendent le climat assez doux, mais humide. On y trouve en pleine terre, dans des pépinières abritées, des grenadiers et des magnolias. La campagne produit de bons vins, surtout ceux de Saumur. Angers a une importante école d'arts et métiers, et ses environs renferment de nombreuses carrières d'ardoises. A Saumur se trouve une grande école de cavalerie où l'on instruit les officiers et les soldats.

C'est à Angers que naquit, en 1789, un des plus grands sculpteurs de notre siècle, David, dont nous avons déjà prononcé souvent le nom à propos des statues qu'il a sculptées. Il avait pour père un simple ouvrier très pauvre, qui sculptait des objets en bois, tables, fauteuils, coffres, chaires d'église. Le jeune David, quand il n'était encore qu'écolier, se fit tellement distinguer par son travail intelligent, que sa ville natale lui servit une petite pension pour lui permettre d'aller étudier à Paris. Il partit, n'ayant que quinze francs dans sa poche.

Quelque temps après, il obtint le grand prix de sculpture et devint célèbre.

David d'Angers avait un amour ardent, pour la patrie française, et c'est cet amour qui inspira son génie: il consacra son art et sa vie à faire les statues de la plupart des grands hommes qui ont illustré la France.

III. Avant de traverser l'Anjou et la Bretagne pour se jeter dans la mer près de Nantes, la Loire arrose un pays couvert comme l'Anjou de verdoyantes prairies, de maisons de campagne et de châteaux: c'est la Touraine, qu'on a surnommée à cause de sa fertilité le Jardin de la France.

Près de Tours, cette ville placée au bord de la Loire dans une situation admirable, naquit un des plus grands savants du monde, Descartes, dont la statue s'élève à Tours.

Le jeune Descartes, à seize ans, avait déjà étudié toutes les sciences, et il ne tarda pas à s'illustrer par une longue série de découvertes dans les sciences les plus diverses: mathématiques, physique, astronomie, philosophie.

Descartes avait cinquante-trois ans lorsque la reine Christine de Suède, qui admirait passionnément son génie et qui avait elle-même le plus grand goût pour les sciences, le supplia de venir dans son palais, d'être son maître et son conseiller, d'y continuer ses expériences avec tous les trésors qui seraient mis à sa disposition. Descartes refusa d'abord, puis céda aux instances de la reine. Il vint en Suède; bientôt ce froid climat le rendit malade et causa sa mort prématurée. Ses restes furent rapportés à Paris dans l'église Saint-Étienne, où on voit encore son tombeau.

XCV. – Le pays du pilote Guillaume. – La Normandie, ses ports, son commerce. – Rouen et ses cotonnades

Il est bon dans l'industrie d'avoir des rivaux: nous cherchons à faire mieux qu'eux, et c'est profit pour tous

– Père Guillaume, dit Julien le lendemain matin en arrivant sur le pont à côté du pilote, vous m'avez dit l'autre jour que vous étiez Normand; voulez-vous que nous parlions de votre pays? Cela m'amusera beaucoup. Moi, je voudrais connaître toutes les provinces de la France, parce que j'aime la France et que je veux être instruit des choses de mon pays.

– Voilà qui est bravement parlé, petit Julien. Assieds-toi tranquillement en face de moi, et nous causerons de la Normandie.

Julien ne se le fit pas répéter deux fois, et le père Guillaume, levant le doigt dans la direction des côtes normandes:

– Par là-bas, dit-il, au loin, comme un bras qui se plongerait dans l'Océan, il y a un cap que je ne puis voir sans un grand battement de cœur: c'est le cap de la Hague, petit Julien; c'est par là que je suis né, c'est là que je me suis essayé tout bambin, au pied des falaises, à lutter contre les flots et à ne pas trembler dans la tempête. Tout près est la rade de Cherbourg, et Cherbourg est le plus magnifique port militaire construit par la main des hommes. La rade de Cherbourg est défendue par une digue qui n'a pas sa pareille au monde.

– Qu'est-ce qu'une digue, père Guillaume?

– C'est une muraille construite par les hommes, qui s'avance en mer et derrière laquelle les navires sont à l'abri de la tempête; la digue de Cherbourg a presque une lieue; elle s'avance au milieu d'une des mers les plus agitées et les plus dangereuses qu'il y ait sur la côte de France; mais elle est si bien construite en gros blocs de granit que les plus grandes tempêtes ne l'endommagent pas, que les navires qui sont derrière jouissent d'un calme parfait au moment même où les vagues déferlent au large comme des montagnes qui s'entre-choquent.

– J'aimerais bien à voir Cherbourg, père Guillaume; est-ce qu'on s'y arrêtera?

– Non, mon ami, nous passons tout droit, mais de loin je te le montrerai. Et puis la Normandie a bien d'autres ports et nous en verrons quelques-uns. Il y a d'abord le Havre, qui est après Marseille le port le plus commerçant de toute la France: plus de six mille vaisseaux y entrent chaque année et y apportent les produits de toutes les parties du monde, surtout le coton récolté en Amérique par les nègres. Puis nous avons Dieppe, connu pour ses bâtiments de pêche et pour ses bains de mer, Fécamp, Honfleur en face du Havre, Granville qui occupe plus de quinze cents hommes à la pêche des huîtres, et dont les navires vont à Terre-Neuve pêcher la morue. Enfin Rouen est aussi un port très commerçant.

– Comment? dit Julien, Rouen est un port?

– Certainement, c'est un port sur la Seine; les petits navires remontent la Seine jusqu'à Rouen, comme à Nantes nous avons remonté la Loire et à Bordeaux la Garonne. Rouen, qui a plus de 120,000 habitants, est une grande ville laborieuse, pleine d'usines, de machines et de travailleurs. Elle file à elle seule trente millions de kilogrammes de coton, chaque année, dans ses vastes filatures où la vapeur met en mouvement des milliers de bobines. Le fil fait, on le teint de toutes nuances, en le plongeant dans des cuves où sont les couleurs; les teintureries de Rouen sont, avec celles de Lyon, les plus renommées de France. Et Rouen n'est pas seule à bien travailler en Normandie. Il y a tant d'industries diverses chez nous que je ne puis pas me les rappeler toutes.

Et en disant cela, le père Guillaume semblait tout fier de pouvoir faire de son pays un éloge mérité. Il ajouta:

– C'est que, petit Julien, la Normandie est située juste en face de l'Angleterre; cela fait que nous sommes en rivalité pour l'industrie avec les Anglais. Il s'agit de faire aussi bien, et ce n'est pas facile; mais comme on ne veut pas rester en arrière, on se donne de la peine; et alors on arrive en même temps que ses rivaux, et quelquefois avant eux.

– Tiens, dit Julien, c'est donc pour les peuples comme en classe, où chacun tâche d'être le premier?

– Justement, petit Julien. Dans l'industrie celui qui fait les plus beaux ouvrages les vend mieux, et c'est tout profit. Quand les hommes seront plus sages, ils ne voudront obtenir les uns sur les autres que de ces victoires-là. Vois-tu, ce sont les meilleures et les plus glorieuses; elles ne coûtent la vie à personne et personne ne risque d'y perdre une patrie.

XCVI. – La Normandie (suite); ses champs et ses bestiaux

Un grand homme de l'Amérique disait: – Si l'on demande à quelqu'un quel est le pays qu'il aime le mieux, il donnera d'abord le sien: mais si on lui demande ensuite quel est le pays qu'il voudrait avoir comme seconde patrie, il nommera la France

– Père Guillaume, demanda encore Julien, y a-t-il de bonnes terres en Normandie?

– Je le crois bien, petit. La Normandie est l'un des sols les plus fertiles de la France. Nous avons des prairies sans pareilles, où les nombreux troupeaux qu'on y élève ont de l'herbe jusqu'au ventre. C'est dans le Cotentin, dans mon pays, que chaque année on vient acheter les bœufs gras qui sont ensuite promenés à Paris, et qui sont bien les plus beaux qu'on puisse voir. Les chevaux normands, dont la ville de Caen fait grand commerce, sont connus partout: nos moutons de prés salés sont célèbres. Tu sais, petit Julien, on les appelle ainsi parce qu'ils paissent des herbes que le vent de la mer a salées. Enfin, mon ami, nos fermières font du beurre et des fromages que tout le monde se dispute; nous envoyons par millions en Angleterre les œufs de nos basses-cours, et nos belles poules de Crève-cœur sont une des races les plus estimées. La campagne est tout ombragée d'arbres fruitiers, de pommiers qui nous donnent un excellent cidre, de cerisiers dont les bonnes cerises approvisionnent l'Angleterre. Que veux-tu que je te dise, Julien? la Normandie est une des provinces les plus riches et les plus fertiles de notre France.

– Mais, père Guillaume, quelle est donc entre toutes la plus fertile? M. Gertal m'a répété que la Bourgogne est sans pareille; Toulouse a des plaines couvertes de blé; mon oncle Frantz, en me faisant voir Bordeaux, m'a expliqué que ses vins sont les premiers du monde. Mais avec tout cela, je ne sais pas laquelle de toutes ces provinces-là il faut mettre la première.

– Petit Julien, dit le père Guillaume en souriant, il n'est pas facile de donner ainsi des places et des rangs aux choses. Demande à un jardinier quelle est la plus belle des fleurs, il sera bien embarrassé; mais en revanche il te dira que le plus beau des jardins, c'est celui où il y a les plus belles et les plus nombreuses espèces de fleurs. Eh bien, petit, la France est ce jardin. Ses provinces sont comme des fleurs de toute sorte entre lesquelles il est difficile de choisir, mais dont la réunion forme le plus beau pays, le plus doux à habiter, notre patrie bien-aimée. Et maintenant n'oublions pas que c'est sur notre travail à tous, sur notre intelligence et notre honnêteté que repose l'avenir de cette patrie. Travaillons pour elle sans relâche, fièrement et courageusement: tant vaut l'homme, tant vaut la terre.

– Père Guillaume, voulez-vous que je vous lise ce que dit mon livre sur les grands hommes de la Normandie?

– De tout mon cœur, enfant. Si je ne le sais pas, cela me l'apprendra: il est bon de s'instruire à tout âge; et si je le sais déjà, je serai content de l'entendre encore, car il est agréable d'écouter l'histoire de ceux qui se sont rendus utiles à leur patrie et à leurs concitoyens.

XCVII. – Trois grands hommes de la Normandie. – Le poète Pierre Corneille. – L'abbé de Saint-Pierre. – Le physicien Fresnel

I. L'un des plus grands poètes de la France, Corneille, est né à Rouen au commencement du dix-septième siècle. Ses pièces en vers, qui furent représentées à Paris, excitèrent un véritable enthousiasme. Un jour, le grand Condé fut si ému à la représentation d'une de ses pièces, qu'il ne put s'empêcher de pleurer. Les œuvres de Corneille sont, en effet, remplies de sentiments élevés et de nobles maximes: il nous émeut par l'admiration des personnages qu'il représente. Aussi son nom fut parmi les plus illustres du dix-septième siècle.

Corneille resta cependant toujours simple et sans vanité. Il composait ses poésies à Rouen, dans sa ville natale, où il habitait une petite maison avec son frère; car les deux frères Corneille s'aimaient le plus tendrement du monde. Ils étaient tous deux poètes. L'un habitait un étage, l'autre l'étage supérieur; leurs cabinets de travail correspondaient par une petite trappe ouverte dans le plafond, et lorsque Pierre Corneille était embarrassé pour trouver une rime, il ouvrait la trappe et demandait l'aide de son frère Thomas. Celui-ci lui criait d'en haut les mots qui riment ensemble, comme victoire, gloire, mémoire, et Pierre choisissait.

Lorsque Pierre Corneille avait fini ses pièces, il venait à Paris les apporter, et comme il était pauvre, il allait à pied. On le voyait arriver avec ses gros souliers ferrés, son bâton à la main et un nouveau chef-d'œuvre sous le bras.

Vers la fin de sa vie, il vint s'établir à Paris. Sa pauvreté s'était encore accrue. On raconte qu'un jour il se promenait avec un écrivain de l'époque: ils causaient poésie. Tout d'un coup le grand Corneille, simplement, quitta le bras de son interlocuteur, et, entrant dans une boutique de savetier, il fit, pour quelques sous, remettre une pièce à ses souliers endommagés: telle était la simplicité et la grandeur avec laquelle il portait sa pauvreté sans en rougir.

La ville de Rouen a élevé à Corneille une magnifique statue, sculptée par David d'Angers.

II. Barfleur est un petit port de la basse Normandie, d'où Guillaume le Conquérant, chef des Normands, partit autrefois à la tête de sa flotte pour conquérir l'Angleterre.

A Barfleur naquit, au milieu du dix-septième siècle, l'abbé de Saint-Pierre, célèbre pour son ardent amour de l'humanité. Toute sa vie il n'eut qu'un désir, améliorer le sort des peuples, et dans ce but il proposa toutes sortes deréformes.

En 1712, sur la fin du règne de Louis XIV, l'abbé de Saint-Pierre fut témoin des cruels désastres qu'éprouva la France envahie; rempli d'horreur pour la guerre, il se demanda s'il ne serait pas possible aux nations de l'éviter un jour. C'est alors qu'il écrivit un beau livre intitulé: Projet de paix perpétuelle. Il y soutenait qu'on pourrait éviter la guerre, en établissant un tribunal choisi dans toutes les nations et chargé de juger pacifiquement les différends qui s'élèveraient entre les peuples.

Sans doute nous sommes loin encore de cette paix perpétuelle rêvée par le bon abbé de Saint-Pierre; mais ce n'en est pas moins un honneur pour la France d'avoir été, entre toutes les nations, la première à espérer qu'un jour les peuples seraient assez sages pour renoncer à s'entre-tuer et pour terminer leurs querelles par un jugement pacifique.

L'abbé de Saint-Pierre passa ainsi toute sa vie à chercher des moyens de soulager la misère du peuple et d'assurer le progrès de l'humanité. C'est lui qui a inventé un mot que nous employons tous aujourd'hui et qui n'était pas alors dans la langue française, le mot de bienfaisance. Il ne s'est pas contenté du mot, il a lui-même donné toute sa vie l'exemple de cette vertu.

III. Augustin Fresnel, né dans l'Eure à la fin du siècle dernier, fut d'abord un enfant paresseux; il était à l'école le dernier de sa classe. Mais il ne tarda pas à comprendre qu'on n'arrive à rien dans la vie sans le travail, et bientôt il travailla avec tant d'ardeur pour réparer le temps perdu qu'à l'âge de seize ans et demi il entrait l'un des premiers à l'École polytechnique.

Il en sortit à dix-neuf ans avec le titre d'ingénieur des ponts et chaussées. Bientôt, il fut grand bruit dans le monde savant des découvertes faites par un jeune physicien sur la lumière et la marche des rayons lumineux. C'était Fresnel, qui, grâce à ces découvertes, put plus tard perfectionner l'éclairage des phares. Avant lui, la lampe des phares n'avait qu'une faible lumière, qui ne s'apercevait pas d'assez loin sur les flots, et les naufrages étaient encore fréquents. Fresnel sut multiplier la lumière de cette lampe en l'entourant de verres savamment taillés et de miroirs de toute sorte.

«C'est la France, a dit un de nos écrivains, qui, après ses grandes guerres, inventa ces nouveaux arts de la lumière et les appliqua au salut de la vie humaine. Armée du rayon de Fresnel, de cette lampe forte comme quatre mille et qu'on voit à douze lieues, elle se fit une ceinture de ces puissantes flammes qui entre-croisent leurs lueurs. Les ténèbres disparurent de la face de nos mers. Qui peut dire combien d'hommes et de vaisseaux sauvent les phares?»

Julien continuait sa lecture; mais le pilote Guillaume ne l'écoutait plus depuis déjà quelque temps; il était tout occupé du navire et de la mer. Le vent s'était levé plus fort, et on voyait au loin l'Océan qui commençait à blanchir d'écume.

– Allons, laisse-moi, petit, dit Guillaume; tes histoires sont intéressantes, mais nous les verrons une autre fois. Sur toutes ces côtes la mer est mauvaise, et je pourrai bien avoir ce soir forte besogne.

XCVIII. – Le naufrage. – Égoïsme et dévouement

Honte aux égoïstes qui ne songent qu'à eux-mêmes, honneur à l'homme désintéressé qui s'oublie pour les autres

Le petit Julien s'était couché tard; on était inquiet à bord du bâtiment, car la mer était de plus en plus mauvaise.

Au milieu de la nuit, l'enfant dormait profondément comme on dort à son âge. Tout d'un coup il fut réveillé en sursaut. Au-dessus de sa tête, sur le plancher du navire, il entendait les marins aller et venir avec agitation. En même temps, c'étaient de longs roulements comme ceux du tonnerre, des sifflements aigus, des grondements à assourdir. Julien avait déjà entendu des bruits de ce genre, mais bien moins forts, lors de la première bourrasque que le Poitou avait essuyée: – Hélas! se dit-il, c'est encore la tempête!

Il chercha autour de lui son frère; mais André n'était plus là: sans doute il s'était réveillé avant Julien et était sorti de la cabine pour aider les matelots.

Julien essaya de se lever, mais la mer secouait tellement le navire qu'il ne put se tenir debout et fut jeté contre la cloison.

L'enfant épouvanté rassembla pourtant tout son courage; il s'habilla à la hâte, priant Dieu en lui-même; il ouvrit la porte de la cabine et fit quelques pas en s'appuyant contre les murs. Le bruit se fit alors entendre plus effrayant encore: les coups de tonnerre se succédaient sans interruption, et la lueur des éclairs était si vive que Julien fut obligé de fermer les yeux. En même temps la mer mugissait avec violence, au point d'étouffer par instants le bruit du tonnerre.

Tout à coup un grand craquement se fit entendre. Le bâtiment trembla de la quille jusqu'au mât, et Julien reçut une telle secousse qu'il roula de nouveau par terre. Le navire venait d'être jeté sur un écueil.

Un long cri d'effroi retentit à bord, se mêlant aux sifflements du vent et des flots. Julien, pris d'une peur indicible, se mit à crier lui aussi de toutes ses forces: – André! André!

Une main le souleva, la main de son frère, qui avait tout d'abord pensé à lui dans ce suprême péril. André serra l'enfant dans ses bras: – N'aie pas peur, lui dit-il, je ne te quitterai pas.

Et à voix basse il ajouta: – Julien, il faut prier Dieu, il faut avoir confiance en lui, il faut avoir du courage.

Tout en parlant ainsi, André emportait l'enfant dans ses bras, tâchant par son énergie de relever le courage de son jeune frère; car André n'avait point changé, et tel nous l'avons déjà vu dans l'incendie de la ferme d'Auvergne, tel il était encore à cette heure. Gardant sa présence d'esprit au milieu du danger, il avait d'abord aidé de son mieux les matelots à la manœuvre. Mais maintenant on ne devait plus songer qu'à opérer le sauvetage, car le navire était perdu: malgré les efforts du pilote Guillaume et ceux de l'équipage, il avait été précipité par le vent sur les dangereux rochers de la côte, et son flanc avait été si largement ouvert que de toutes parts on entendait l'eau entrer en bouillonnant dans la cale. Le bâtiment appesanti s'enfonçait peu à peu dans les flots, comme si une main invisible l'eût entraîné au fond de l'Océan.

Lorsque André arriva sur le pont du navire, il tenait toujours Julien dans ses bras. Il s'arc-bouta contre un mât, car les lames écumantes sautaient sur le pont et lui fouettaient les jambes avec assez de force pour le renverser. Le capitaine, jugeant qu'il n'y avait plus d'espoir et pas une minute à perdre, venait de commander de mettre la chaloupe à la mer. A la lueur des éclairs, on voyait les matelots courir en désordre. C'était un affolement général.

Bientôt quelques matelots s'écrièrent que l'embarcation était trop petite pour contenir tout le monde, d'autant plus que l'oncle Frantz et les deux enfants se trouvaient en sus de l'équipage habituel.

– Qu'on mette le canot à la mer, dit le capitaine.

Le petit canot du Poitou était une seconde embarcation beaucoup plus légère que la chaloupe, et si frôle qu'elle semblait ne pas pouvoir résister un instant aux vagues furieuses.

L'un des matelots s'approcha du capitaine, et d'une voix brève, hardie, pleine de révolte, en montrant le canot du doigt:

– Capitaine, dit-il, pas un homme de l'équipage ne montera là-dedans. La chaloupe peut à peine contenir l'équipage habituel du bâtiment; vous avez pris en surplus le charpentier et ses deux neveux, ils sont de trop, c'est à eux de se servir du canot. Nous, nous avons droit à la chaloupe.

– Nous ne céderons la chaloupe à personne, répétèrent les autres voix des matelots.

Le capitaine essaya de protester, mais ses paroles furent couvertes par les voix en révolte qui répétaient pour s'encourager: – C'est notre droit, c'est notre droit.

Alors le vieux pilote Guillaume, s'avançant vers les matelots: – Au moins, dit-il, sauvez cet enfant.

Et il voulut prendre Julien dans ses bras pour le leur passer; mais le petit garçon s'accrocha résolument au cou d'André: – Je ne veux pas être sauvé sans mon frère, dit-il, je ne le quitterai pas.

A travers le bruit terrible de la tempête on entendit pour toute réponse ce cri égoïste et sauvage des matelots: – Qu'il reste alors! chacun pour soi.

Les instants pressaient. L'oncle Frantz se dirigea vers le petit canot. – Viens, André, dit-il, et apporte-moi Julien.

En parlant ainsi la voix de Frantz tremblait, comme celle d'un homme qui songerait qu'il va emmener à une mort presque certaine ce qu'il a de plus cher au monde: car Frantz connaissait mal la côte, et le canot était si fragile qu'il paraissait impossible qu'il résistât aux lames.

Au même moment la voix vibrante du pilote Guillaume retentit: – Attendez-moi, Frantz, s'écria-t-il; ce n'est pas moi qui abandonnerai deux enfants et un ami en péril. Nous nous sauverons tous, Frantz, ou nous mourrons ensemble.

Puis, s'adressant au capitaine qui, irrésolu, ne savait dans quelle embarcation sauter: – Capitaine, ma place est ici, la vôtre est avec vos hommes, partez; je me charge du canot.

Le capitaine se dirigea vers la chaloupe; l'instant d'après elle avait disparu s'éloignant dans l'horizon noir, et le vieux pilote était seul dans le canot avec Frantz et les enfants.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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