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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 18

Bruno G.
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LXXXIX. – Suite de la lettre de Julien

Jeudi matin.

Ne voilà-t-il pas une autre affaire, Jean-Joseph! Une tempête qui nous assaille. Une tempête méchante comme tout. C'était un vent comme vous n'en avez jamais vu, bien sûr; et tant mieux pour vous, Jean-Joseph, de ne pas connaître cela.

Les vagues se heurtaient les unes aux autres, hautes comme des montagnes, et avec un bruit pareil à celui du canon. Par moment, elles emportaient le navire, et nous avec, tout en l'air; et puis après, elles nous rejetaient tout en bas, comme pour nous mettre en pièces. Elles passaient sans cesse par-dessus le pont, et les matelots, qui sont des hommes bien braves, allez, Jean-Joseph, les matelots avaient des figures sombres comme des gens qui auraient peur de mourir; mais peur en eux-mêmes, sans en dire un mot aux autres. Jugez si le cœur me battait, à moi. Je ne cessais de prier le bon Dieu de nous secourir. Je pensais à toute sorte de choses d'autrefois qui me rendaient plus triste encore. Je me souvenais des belles prairies de l'Auvergne, où on marchait tranquillement sans avoir peur d'être englouti; et j'aurais bien aimé entendre les mugissements de vos grandes vaches rouges, au lieu des grondements terribles de l'Océan qui nous secouait.

Tout d'un coup, Jean-Joseph, voilà un bruit effroyable qui se fait entendre. J'en ai fermé les yeux d'épouvante; je pensais: c'est fini, bien sûr, le navire est en morceaux.

– Rassure-toi, mon Julien, m'a dit alors André: c'est le grand mât qui s'est rompu; mais nous en avons un de rechange. Notre oncle Frantz sait son métier de charpentier: il réparera cette avarie.

Mais malgré tout j'avais peur encore. Enfin, pour en finir, Jean-Joseph, vous saurez que la tempête a duré de cette manière un jour tout entier. Le soir, elle s'est calmée: – Dors sans inquiétude, petit Julien, m'a dit mon oncle.

Comme en effet je n'entendais plus le vent siffler et la mer gronder, je me suis mis à remercier Dieu de tout mon cœur et à m'endormir bien content.

C'était hier, tout cela, Jean-Joseph; et aujourd'hui, pendant que j'en avais la mémoire fraîche, je vous ai tout raconté.

Maintenant, quand vous penserez à nous, Jean-Joseph, priez le bon Dieu pour que ces vilaines tempêtes ne reviennent pas; car il paraît que c'est le moment de l'année où il y en a beaucoup. Nous avons encore bien des jours à passer sur le navire le Poitou, et il y a des endroits très mauvais où on va aller, les côtes de la Bretagne par exemple, et aussi les falaises de Normandie; ces côtes-là, c'est tout plein de récifs, m'ont dit les matelots. Les récifs, voyez-vous, ce sont des rochers sous l'eau; il y en a de pointus qui défoncent les navires quand le grand vent les pousse dessus. Bref, Jean-Joseph, tout cela est un peu triste. Mais que voulez-vous? il n'arrive que ce que Dieu permet, et alors, à la volonté de Dieu. Cela fait que personne ne se désole; tout le monde rit et travaille d'un bon courage ici, moi comme les autres.

Allons, si je continue, ma lettre n'aura pas de fin. Je vous embrasse donc bien vite, mon cher Jean-Joseph, et je prie Dieu pour que nous nous revoyions un jour.

Votre ami, Julien.

XC. – Nantes. – Conversation avec le pilote Guillaume: les différentes mers, leurs couleurs; les plantes et les fleurs de la mer. – Récolte faite par Julien dans les rochers de Brest

La science découvre des merveilles partout, jusqu'au fond de la mer

Un jour que le petit Julien s'était attardé tout un après-midi dans la cabine à faire ses devoirs, il fut bien étonné en revenant sur le pont de ne plus apercevoir la mer, mais un beau fleuve bordé de verdoyantes prairies et semé d'îles nombreuses. Le navire remontait le fleuve, d'autres navires le descendaient, allaient et venaient en tous sens.

– Oh! André, dit Julien, on croirait revenir à Bordeaux.

– Nous approchons de Nantes, dit André; tu sais bien que Nantes est comme Bordeaux un port construit sur un fleuve, sur la Loire.

Le navire en effet, après plusieurs heures et plusieurs étapes, arriva devant les beaux quais de Nantes. Julien fut enchanté de se dégourdir les jambes en marchant sur la terre ferme. Il alla avec André faire des commissions dans cette grande ville, qui est la plus considérable de la Bretagne et une de nos principales places de commerce.

Mais le séjour fut de courte durée. On chargea rapidement sur le navire des pains de sucre venant des importantes raffineries de la ville, des boîtes de sardines et de légumes fabriquées aussi à Nantes, et des vins blancs d'Angers et de Saumur. Puis on redescendit le fleuve. On repassa devant l'île d'Indret, où fument sans cesse les cheminées d'une grande usine analogue à celle du Creuzot. On revit à l'embouchure de la Loire les ports commerçants de Saint-Nazaire et de Paimbœuf, où s'arrêtent les plus gros navires de l'Amérique et de l'Inde. Enfin on se retrouva en pleine mer.

Le Poitou était pour Julien un petit monde, qu'il aimait à parcourir depuis le pont jusqu'à la cale. Chemin faisant il observait les moindres objets et se faisait dire d'où ils venaient, où ils allaient.

Il y avait surtout à bord quelqu'un que Julien interrogeait volontiers: c'était Guillaume le pilote, qui était presque toute la journée à son gouvernail, dirigeant avec habileté le navire le long de cette côte de France bien connue de lui.

Le père Guillaume était un vieil ami de Frantz, car ils avaient navigué ensemble bien des fois; le père Guillaume aimait les enfants, et Julien fut tout de suite de ses amis. Chaque jour ils faisaient ensemble un bout de conversation. Guillaume avait beaucoup voyagé, il racontait volontiers ce qu'il avait vu dans les pays lointains, et Julien l'aurait écouté les journées au long sans s'ennuyer. Parfois aussi c'était Julien qui faisait la lecture à haute voix et Guillaume qui l'écoutait.

– Père Guillaume, lui dit-il un jour, je n'ai vu que deux mers, la Méditerranée et l'Océan, et elles ne se ressemblent pas; vous qui avez vu bien d'autres mers, dites-moi donc si elles se ressemblent entre elles.

– Petit Julien, vois-tu, les différentes mers sont comme les différents pays: chacune a son aspect. Ainsi la Méditerranée est bleue, l'Océan où nous voici est verdâtre, la mer de Chine et la mer du Japon ont une teinte jaune, la mer de Californie est rosée, ce qui fait qu'on l'appelle mer Vermeille.

– Père Guillaume, qu'est-ce qui fait ces couleurs-là?

– Tantôt ce sont les rayons lumineux d'un beau ciel, comme pour la Méditerranée que tu as vue, tantôt le sable ou les rochers du fond de la mer, tantôt les algues ou plantes marines qu'elle renferme.

– Comment! est-ce qu'il y a des plantes dans la mer?

– Je crois bien! et de quoi vivraient donc tous les poissons et les animaux que la mer renferme? La mer a ses prairies, petit Julien, et ses fleurs aux couleurs les plus vives, et ses forêts de lianes, si serrées et si touffues à certaines places que la navigation est difficile dans ces parages. Quand Christophe Colomb partit pour découvrir l'Amérique et que son vaisseau traversa cette partie de l'Océan couverte de lianes, les matelots, qui n'en avaient jamais vu une si grande quantité, furent effrayés et ne voulaient plus avancer, craignant que le navire ne restât pris au piège dans ces plantes marines. Il y en a, vois-tu, qui ont plus de cinq cents mètres de longueur.

– Est-ce qu'elles sont belles, les fleurs de la mer?

– Il y en a de très belles, qui reflètent les couleurs de l'arc-en-ciel comme la queue du paon. D'autres sont roses, d'autres d'un beau rouge ou d'un vert tendre.

– Oh! que j'aimerais à les voir!

– Au port de Brest, où nous arriverons bientôt, nous monterons en barque, petit Julien, et je te mènerai en chercher, si j'ai une heure de libre.

– Est-ce possible, père Guillaume?

– Eh oui, Julien; nous en trouverons à marée basse dans les rochers de la côte.

Julien ne songea plus qu'au moment où le navire s'arrêterait au port afin d'aller voir les plantes de la mer.

Bientôt le Poitou arriva devant la vaste rade de Brest, dont la difficile entrée est bordée de rochers et protégée par des forts. Une fois ce passage franchi, c'est la rade la plus sûre du monde. Brest, où se trouve notre école navale, est avec Toulon notre plus grand port militaire, et Julien put voir de près les vaisseaux de guerre immobiles dans le port, les marins de l'État avec leurs costumes bleus, leur figure bronzée, leur démarche décidée.

Le père Guillaume n'oublia pas la promesse qu'il avait faite à Julien. Une après-midi où le capitaine n'avait plus besoin de lui, il sauta avec l'enfant dans une petite barque. Tous deux allèrent visiter la côte. Ils descendirent à marée basse sur les rochers que la mer recouvre quand elle est haute. Le père Guillaume tenait Julien par la main, de peur qu'il ne fît un faux pas sur les rochers glissants et encore humides. Julien ne cessait de pousser des exclamations devant tout ce qu'il voyait. – Oh! les jolies plantes vertes! on dirait de longs rubans! Et celles-ci, elles sont découpées comme de la dentelle! Et ces coquillages, comme ils sont luisants! Je ferai sécher ces plantes, et j'en emporterai dans mon carton d'écolier, avec toute sorte de coquillages. Quand j'irai en classe, je les ferai voir à mes camarades, et je leur dirai que j'ai rapporté cela de Brest.

XCI. – Les lumières de la mer. – La mer phosphorescente, les aurores boréales, les phares

Autrefois, pendant les tempêtes, les peuplades sauvages allumaient des feux sur le rivage de la mer pour attirer les vaisseaux, les faire périr contre les écueils et se partager leurs dépouilles. De nos jours, tout le long des côtes, de grandes lumières s'allument aussi chaque soir; mais ce n'est plus pour perdre les navires, c'est pour les guider et les sauver. Les hommes comprennent mieux maintenant qu'ils sont frères

Un soir, pendant que le brave pilote était à son gouvernail (car le navire avait regagné la haute mer), Julien s'approcha du père Guillaume. C'était l'heure du coucher du soleil, et au loin, dans le grand horizon de la mer, on voyait le soleil s'enfoncer lentement dans les flots comme un globe de feu. Les gerbes de flammes dessinaient un immense sillon sur les vagues, et toute la pourpre des cieux à cet endroit se réfléchissait dans les eaux.

Julien s'était assis, croisant les bras; il regardait le coucher du soleil, qui lui semblait bien beau, et il attendait que son vieil ami fût disposé à lui parler des choses de la mer.

– Petit Julien, dit le matelot, qui devinait la pensée de l'enfant, tu regardes ces flots tout embrasés par le soleil couchant; eh bien, j'ai vu quelque chose de plus beau encore.

– Qu'était-ce donc? fit l'enfant avec curiosité.

– C'était ce qu'on appelle la mer phosphorescente.

– C'est donc bien beau, cela, père Guillaume?

– Je crois bien! Ce n'est plus comme ce soir un point de l'Océan qui s'allume; c'est l'Océan tout entier qui ruisselle de feu et brille la nuit comme une étoffe d'argent. Quand avec cela le vent souffle, les lames qui s'élèvent ressemblent à des torrents de lumière.

– Est-ce que nous allons peut-être voir cela?

– Non, mon enfant, c'est très rare dans nos pays. C'est entre les deux tropiques que cela se voit pendant les nuits.

– Qu'est-ce qui fait cela? savez-vous, père Guillaume?

– Les savants ont bien cherché, va, Julien. Enfin, il paraît que ce sont des myriades de petits animaux qui sont eux-mêmes lumineux, comme l'est dans nos pays le ver luisant. Les flots en contiennent en certains temps une si grande quantité que la mer en paraît comme embrasée.

– Oh! bien, je comprends, père Guillaume: s'il y avait assez de vers luisants sur un arbre pour le couvrir, il paraîtrait le soir comme un grand lustre allumé; je pense que c'est comme cela pour la mer. Mais, tout de même, faut-il qu'il y ait de ces petits animaux dans la mer pour qu'elle paraisse tout en feu, elle qui est si grande!

– Les plus gros de ces animaux ne sont pas aussi gros qu'une tête d'épingle.

– Oh! père Guillaume, comme cela m'amuse, tout ce que vous me dites là! Racontez-moi encore quelque chose.

– Je viens de te parler des mers chaudes, des mers tropicales; eh bien, Julien, les mers polaires, c'est tout autre chose. Là, on ne voit que des glaces sans fin; si le navire a peine à avancer, c'est que des bancs de glace se dressent comme des montagnes flottantes et vous enveloppent sans qu'on puisse bouger. Parfois, sur ces îles de glace, on aperçoit des phoques ou des ours blancs qui se sont trouvés entraînés au milieu de la mer.

– Est-ce que vous avez vu cela, père Guillaume?

– Non, mais je l'ai entendu dire à d'autres qui y sont allés; moi, je n'ai jamais été plus haut que Terre-Neuve, où l'on pêche la morue.

– Pourquoi d'autres vont-ils plus haut, père Guillaume, puisque c'est si dangereux?

– Petit Julien, c'est que l'on voudrait trouver un passage libre par le pôle, une mer libre de glaces, et étudier ce côté-là qu'on ne connaît pas.

– Père Guillaume, est-ce qu'au pôle les nuits ne durent pas six mois et les jours six mois? J'ai vu cela dans mon livre de lecture.

– C'est très vrai.

– Comme on doit s'ennuyer d'être six mois sans y voir!

– On est éclairé souvent par des aurores boréales.

– En avez-vous vu, de ces aurores, père Guillaume?

– Oui, j'en ai vu: les plus belles se montrent aux pôles, mais on en voit ailleurs aussi. Ce sont des lueurs rouges qui s'élèvent dans le ciel comme un incendie, des dômes de feu, des colonnes de flammes qui changent sans cesse de couleur et de forme, tantôt bleues, tantôt vertes, tantôt éblouissantes de blancheur: ces flammes éclairent de loin tout le pays, mille fois mieux que les phares qui s'allument en ce moment le long de la côte.

La nuit, en effet, était venue pendant que Guillaume et Julien parlaient ainsi, et dans le lointain, à travers une brume légère, on voyait la lueur rouge, blanche ou bleue, des phares placés sur les pointes les plus avancées de la presqu'île bretonne, qui dessinaient ainsi dans la nuit les contours de la côte. Tantôt, c'étaient des feux fixes, tantôt, des feux à éclipses qui semblaient s'éteindre et se rallumer tour à tour, et qui, tournant sur eux-mêmes, éclairaient successivement toutes les parties de l'horizon.

– Que tous ces phares sont beaux à voir! disait Julien; c'est une vraie illumination.

– Tout cela est fait pour nous éclairer dans notre route: les phares tiennent compagnie au navigateur et lui indiquent le bon chemin. Tu ne peux te faire une idée, petit Julien, combien cette côte de Bretagne était dangereuse autrefois. Il y a là des rochers qui ont mis en pièces je ne sais combien de navires: leurs noms font penser à tous les désastres qu'ils ont causés; dans la Baie des trépassés, par exemple, que de naufrages il y a eu! Lorsque, dans les tempêtes, la mer se brise sur tous ces rochers, elle fait un tel bruit qu'on l'entend sept lieues à la ronde. Il se produit aussi des tourbillons et des gouffres où tout vaisseau qui entre se trouve englouti, comme le gouffre du diable. Mais maintenant les plus dangereux de ces rochers portent chacun leur phare, et alors, au lieu d'être un péril pour les marins, ils leur sont une aide et semblent s'avancer eux-mêmes dans la mer pour mieux les guider.

XCII. – Il faut tenir sa parole. – La promesse du père Guillaume. – Dignité et respect de soi

La parole d'un honnête homme vaut un écrit

– Ah! mon Dieu! père Guillaume, dit le lendemain le petit Julien, pour savoir autant de choses que vous savez, il faut donc qu'il y ait bien longtemps que vous allez sur mer?

– Eh! oui, petit, répondit le pilote tout en regardant l'Océan qui était toujours un peu agité; voilà déjà vingt-cinq ans que je roule sur toutes les mers, et par tous les temps.

– Et cela ne vous ennuie point, père Guillaume, d'être toujours ainsi sur l'eau, exposé aux tempêtes!

– Petit, dit sentencieusement le père Guillaume, chaque métier a ses tracas, et celui de matelot n'en manque point; mais j'ai choisi celui-là et je m'y suis tenu; la chèvre broute où elle est attachée. Et puis je suis Normand, moi, et les Normands aiment la mer.

– Tout de même, père Guillaume, moi, j'aimerais mieux les champs que la mer, à cause des tempêtes, voyez-vous.

– Oh! bien, petit, j'essaierai des champs prochainement.

– Comment? vous ne serez plus marin, père Guillaume?

– Non; ma femme a hérité, du côté de Chartres, d'un petit bien sur lequel nous ne comptions pas: nous nous installerons à mon retour dans son héritage. Cela l'ennuie, la pauvre femme, et mes filles aussi, de me savoir toujours au péril de la mer. Même elles auraient bien voulu que je ne fisse point cette dernière traversée, et par le plus mauvais temps de l'année. Le fait est que nous avons une mer qui a déjà failli nous jouer un mauvais tour et qui n'est pas encore bien calmée.

– Et vous, vous avez préféré faire la traversée, père Guillaume? Vous aimez joliment la mer, tout de même.

– Oh! je ne me souciais guère de la mer, petit, mais on ne fait pas toujours comme on veut. Moi qui n'ai jamais été propriétaire, j'aurais été enchanté d'essayer tout de suite ce nouveau métier-là; aussi j'ai demandé au capitaine de me laisser m'en aller. «Guillaume, m'a-t-il dit, tu sais bien que tu m'avais promis de venir: je comptais sur toi, et il m'est impossible en ce moment de trouver un bon pilote pour ce dernier voyage. Mais nous n'avons pas d'engagement par écrit, tu es donc libre; tant pis pour moi qui n'ai que ta promesse et qui ne t'ai rien fait signer.» – «Ah! bien, capitaine, ai-je répondu, vous pensez donc que ma parole ne vaut pas tous les écrits? Puisque vous ne pouvez vous passer de moi, je reste.» Et je suis resté.

Julien poussa un gros soupir. – Eh bien, dit le marin, que soupires-tu comme cela?

– Dame, je songe, qu'à votre place, j'aurais eu grande envie de m'en aller, moi! Avoir des champs à soi qui vous attendent, et venir ici s'exposer à des tempêtes comme celle de l'autre jour! C'est tout de même bien dur, quelquefois, de tenir les paroles données.

– Dur ou non, mon enfant, un honnête homme n'a qu'une parole; s'il l'a donnée, tant pis pour lui, il ne la reprend pas; autrement ce n'est plus un honnête homme. Dis-moi, Julien, si j'avais écrit sur un papier: «Je m'engage à vous suivre, capitaine», les mots seraient restés après l'héritage comme avant, n'est-ce pas? Et si j'avais manqué à mon engagement, il aurait suffi à chacun de jeter les yeux sur l'écriture pour penser: – «Guillaume trahit sa parole.» Eh bien, parce qu'il n'y avait pas de papier pour dire cela, t'imagines-tu, Julien, que ma conscience ne me le disait pas?

Le père Guillaume se redressa tout droit, et il regarda le petit garçon fièrement; ses yeux limpides brillaient et semblaient dire: «Guillaume ne sait pas mentir, petit Julien; sa parole vaut de l'or, et quand tous ses cheveux, l'un après l'autre, seront devenus blancs, quand Guillaume sera un vieillard bien vieux, il se redressera encore avec la même fierté, car il pourra dire: – Mon visage a changé, mais mon cœur est toujours le même.»

Alors Julien se sentit rougir d'avoir un instant pensé autrement que le vieux matelot. Il s'approcha doucement, baissant les yeux, et lui dit:

– Père Guillaume, j'ai compris; et moi aussi, je ne veux jamais ni mentir ni manquer à mes promesses.

XCIII. – La Bretagne et ses grands hommes. – Un des défenseurs de la France pendant la guerre de Cent ans: Duguesclin. – Le tournoi et la première victoire de Duguesclin. – Sa captivité et sa rançon. Sa mort

«En temps de guerre, les gens d'Église, les femmes, les enfants et le pauvre peuple ne sont pas des ennemis. Ils doivent être sacrés pour l'homme de guerre.» Duguesclin

Un jour que Frantz était assis sur un tas de cordages à côté du vieux pilote, Julien s'approcha, son livre à la main.

– Qu'est-ce que tu lis là, petit? demanda l'oncle Frantz.

– Mon oncle, je lis ce qu'il y a dans mon livre sur la Bretagne et sur ses grands hommes; nous sommes justement encore en face des côtes de la Bretagne, et il me semble que c'est un beau pays.

– Certes, dit l'oncle Frantz; mais voyons, lis tout haut.

– Et lis bien, ajouta le père Guillaume, nous t'écoutons.

La Bretagne a donné à la France beaucoup d'hommes vaillants; parmi eux on remarque Duguesclin.

– Oh! je connais ce nom-là, dit Julien en s'interrompant; j'ai vu, en passant à Nantes, la statue de Duguesclin.

Duguesclin naquit, en 1314, près de Rennes, l'antique et belle capitale de la Bretagne. Duguesclin était laid de figure, il avait un caractère intraitable, mais il était plein de courage et d'audace. Dès l'âge de seize ans, il trouve moyen de prendre part, sans être connu, à un de ces combats simulés qu'on appelait tournois, et qui étaient une des grandes fêtes de l'époque. Il entre au milieu des combattants avec la visière de son casque baissée, pour n'être reconnu de personne, et terrasse l'un après l'autre seize chevaliers qui s'offrent à le combattre. Au moment où il terrassait son dernier adversaire, celui-ci lui enlève son casque du bout de sa lance et on reconnaît le jeune Bertrand Duguesclin. Son père accourt à lui et l'embrasse: il est proclamé vainqueur au son des fanfares.

Après s'être ainsi fait connaître, Duguesclin entra dans l'armée et commença à combattre les Anglais, qui occupaient alors une si grande partie de la France.

Il remporta sur eux une série de victoires; par malheur, un jour il se trouva vaincu et fut fait prisonnier. Le Prince Noir, fils du roi d'Angleterre, fit faire bonne garde autour de lui, et on le tint en prison à Bordeaux. Il languit ainsi plusieurs mois. Un jour le prince le fit amener devant lui:

– Bertrand, dit-il, comment allez-vous?

– Sire, par Dieu qui créa tout, j'irai mieux quand vous voudrez bien; j'entends depuis longtemps dans ma prison les rats et les souris qui m'ennuient fort; je n'entends plus le chant des oiseaux de mon pays, mais je l'entendrai encore quand il vous plaira.

– Eh bien, dit le prince, il ne tient qu'à vous que ce soit bientôt.

Et le prince essaya de lui faire jurer de ne plus combattre pour sa patrie. Bertrand refusa.

On finit par convenir que Bertrand Duguesclin recouvrerait sa liberté en payant une énorme somme d'argent pour sa rançon.

– Comment ferez-vous pour amasser tant d'argent? dit le prince.

– Si besoin est, répliqua Bertrand, il n'y a femme ou fille en mon pays, sachant filer, qui ne voudrait gagner avec sa quenouille de quoi me sortir de prison.

On permit alors à Duguesclin d'aller chercher lui-même tout cet argent, sous le serment qu'il reviendrait le rapporter.

Duguesclin quitta Bordeaux monté sur un roussin de Gascogne, et il recueillit déjà, chemin faisant, une partie de la somme.

Mais voilà qu'il rencontre de ses anciens compagnons d'armes, qui, eux aussi, avaient été mis en liberté sur parole et ne pouvaient trouver d'argent pour se racheter.

– Combien vous faut-il? demanda Bertrand.

Les uns disent «cent livres!» les autres «deux cents livres!» et Bertrand les leur donne.

Quand il arriva en Bretagne, à son château où résidait sa femme, il avait donné tout ce qu'il avait. Il demanda alors à sa femme de lui remettre les revenus de leur domaine et même ses bagues, ses bijoux.

– Hélas! répondit-elle, il ne me reste rien, car il est venu une grande multitude de pauvres écuyers et chevaliers, qui me demandaient de payer leur rançon. Ils n'avaient d'espoir qu'en moi, et je leur ai donné tout ce que nous possédions.

Duguesclin serra sa femme sur son cœur.

– Tu as fait tout comme moi, lui dit-il, et je te remercie d'avoir si bien compris ce que j'aurais fait moi-même à ta place.

Alors Bertrand se remit en route pour aller retrouver le prince Noir.

– Où allez-vous loger? lui demanda celui-ci.

– En prison, monseigneur, répondit Bertrand. J'ai reçu plus d'or, il est vrai, qu'il n'était nécessaire pour me libérer; mais j'ai tout dépensé à racheter mes pauvres compagnons d'armes, de sorte qu'il ne me reste plus un denier.

– Par ma foi! avez-vous vraiment été assez simple que de délivrer les autres pour demeurer vous-même prisonnier?

– Oh! sire, comment ne leur aurais-je pas donné? Ils étaient mes frères d'armes, mes compagnons.

Duguesclin ne resta pourtant point en prison: peu de temps après son retour, on vit arriver aux portes de la ville des mulets chargés d'or. C'était le roi de France qui envoyait la rançon de son fidèle général.

Duguesclin put donc recommencer à combattre pour son pays. Il chassa successivement les Anglais de toutes les villes qu'ils occupaient en France, sauf quatre.

Duguesclin était déjà vieux et il combattait encore; il assiégea la forteresse de Châteauneuf-de-Randon, située dans les montagnes des Cévennes. Le gouverneur de la ville promit de se rendre. Mais Duguesclin mourut sur ces entrefaites; la ville se rendit néanmoins au jour fixé, et on apporta les clefs des portes sur le tombeau de Duguesclin, comme un dernier hommage rendu à la mémoire du généreux guerrier.

– Julien, dit l'oncle Frantz, tu as très bien lu cette histoire. Mais je veux à présent que tu nous dises, à Guillaume et à moi, ce que tu en penses.

– Mon oncle, je pense que ce Duguesclin était un bien parfait honnête homme.

– Cela, dit l'oncle Frantz, ce n'est pas difficile à trouver, Julien; mais voyons, explique-nous pourquoi. Lire n'est rien, comprendre ce qu'on lit est tout.

Julien réfléchit, et après un petit moment qu'il employa à mettre ses idées en ordre, il répondit:

– D'abord, mon oncle, Duguesclin était très brave et aimait beaucoup sa patrie; ensuite il était plein de compassion pour les autres, puisqu'il songeait plus à ses compagnons qu'à lui-même; et enfin, ajouta le petit Julien en regardant son ami Guillaume, il savait si bien tenir sa parole qu'il revint de lui-même se remettre prisonnier, après avoir dépensé sa rançon pour la liberté de ses camarades.

– Allons, Julien, dit l'oncle Frantz, tu lis avec profit, mon enfant, puisque tu comprends bien tes lectures. Tâche de ne pas les oublier à présent. Car rien n'encourage mieux à devenir un honnête homme que de se souvenir des belles actions de ceux qui ont vécu avant nous.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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