Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 16

Bruno G.
Шрифт:

LXXIX. – Le Languedoc vu de la mer. Nîmes, Montpellier, Cette. – Tristes nouvelles de l'oncle Frantz. – Résolution d'André. – Évitons les dettes

Un homme courageux compte sur ce qu'il peut gagner par son travail, non sur ce qu'il peut emprunter aux autres

Le vent continuant d'être bon, on ne tarda pas à perdre de vue la Provence. On aperçut les côtes basses du Languedoc, toutes bordées d'étangs et de marais salants, où l'eau de mer, s'évaporant sous la chaleur du soleil, laisse déposer le sel qu'elle contient.

– En face de quel département sommes-nous? demanda Julien, qui cherchait à s'instruire.

– C'est le Gard, dit le patron.

– Chef-lieu Nîmes, répondit Julien.

– Oui, répondit Jérôme; Nîmes est une grande et belle ville, où sont de magnifiques monuments d'autrefois. Il y a un vaste cirque de pierres appelé les arènes, où on donnait dans les anciens temps des jeux et des spectacles.

Peu d'heures après on était en vue du département de l'Hérault. Le patron fit observer à Julien qu'avec une longue vue on pourrait apercevoir les maisons de la ville de Montpellier, ainsi que le beau jardin du Peyrou qui la domine.

– Nous voici près de Cette, ajouta-t-il. Nous arriverons de bonne heure.

Le soir, en effet, n'était pas encore venu quand on aperçut Cette et la montagne assez haute qui la domine.

Lorsqu'on eut replié les voiles et attaché le bateau, le patron s'informa de Frantz Volden auprès d'un marinier qui arrivait de Bordeaux par le canal du Midi. On lui apprit que Volden était bien malheureux: il était venu à Bordeaux pour retirer ses économies de chez un armateur à qui il les avait confiées, mais cet armateur avait fait de mauvaises affaires; tout ce que Volden possédait se trouvait englouti. Volden en avait conçu un tel chagrin qu'il avait fini par tomber gravement malade. A cette heure, il était à l'hôpital de Bordeaux, atteint d'une fièvre typhoïde, dans un état de délire et de faiblesse tels qu'il ne fallait pas songer à lui annoncer immédiatement la mort de son frère Michel en Alsace-Lorraine et l'arrivée de ses neveux.

Jérôme, en apprenant ces tristes nouvelles, se trouva bien embarrassé pour donner conseil à André et à Julien.

– Mes enfants, leur dit-il, réfléchissez vous-mêmes. Si vous allez à Bordeaux par le canal et qu'André travaille à bord, cela ne vous coûtera rien, c'est vrai, mais ce sera un voyage d'un mois, et très pénible, en hiver surtout. Peut-être feriez-vous mieux de prendre le chemin de fer: je puis vous prêter une trentaine de francs pour compléter ce qui vous manque, et dès demain vous serez rendus à Bordeaux sans fatigue.

– Je vous suis bien reconnaissant, patron Jérôme, répondit André d'une voix tremblante, car il était accablé par le nouveau malheur qui les frappait; mais, en supposant que nous prenions aujourd'hui le chemin de fer pour arriver à Bordeaux demain, que deviendrions-nous dans cette grande ville, si je ne trouvais pas tout de suite de l'ouvrage? Songez-y donc: Julien ne peut marcher, notre oncle est à l'hôpital, et n'a peut-être pas d'économies pour sa convalescence.

– C'est vrai, dit Jérôme, frappé du bon sens d'André.

– Quelle situation, alors, patron Jérôme! non seulement il nous serait impossible de vous rembourser les trente francs que vous m'offrez si généreusement, mais il nous faudrait essayer d'emprunter encore à d'autres. Non, cela n'est pas possible. Nous prendrons le bateau, Julien et moi, et nous écrirons dans quelques jours à notre oncle pour lui annoncer notre arrivée. Voyez-vous, mon père me l'a appris de bonne heure: c'est se forger une chaîne de misère et de servitude que d'emprunter quand on peut vivre en travaillant. C'est si bon de manger le pain qu'on gagne! Quand on est pauvre, il faut savoir être courageux, n'est-ce pas, Julien?

– Oui, oui, André, répondit l'enfant.

– Un mois, d'ailleurs, est vite passé avec du courage. Dans un mois Julien aura retrouvé ses jambes, notre oncle sera sans doute convalescent; nous arriverons à Bordeaux avec nos économies au complet et avec ce que j'aurai gagné en plus pendant le mois. Nous pourrons peut-être alors être utiles à mon oncle, au lieu de lui être à charge. Pour cela, nous n'avons besoin que d'un mois de courage; eh bien! nous l'aurons, ce courage, n'est-ce pas, Julien?

André, en parlant ainsi, avait dans la voix quelque chose de doux et d'énergique tout ensemble: la vaillance de son âme se reflétait dans ses paroles. Julien le regarda, et il se sentit tout fier de la sagesse courageuse de son aîné.

– Oui, André, s'écria-t-il, je veux être comme toi, je veux avoir bien du courage. Tu verras: au lieu de me désoler, je vais me remettre à m'instruire, je prendrai mes cahiers et travaillerai sur le bateau comme si j'étais à l'école. Un bateau sur un canal, cela doit aller si doucement que je pourrai peut-être écrire comme en classe. Et puis enfin, je prierai Dieu bien souvent pour que notre oncle se guérisse.

– Dieu t'exaucera, mon enfant, dit le patron Jérôme en embrassant le petit garçon. En même temps, il tendait à André une main affectueuse, et à demi-voix:

– Je vous approuve, André, lui dit-il; c'est bien, à la bonne heure! J'ai eu du plaisir à vous entendre parler ainsi. Vous me rappelez les beaux arbres de votre pays, ces grands pins de l'Alsace et du nord dont le cœur est incorruptible, et dont nous faisons les plus solides mâts de nos navires, les seuls qui puissent tenir tête à l'ouragan. Quand la rafale souffle à tout casser, quand tout craque devant elle, elle arrive bien à plier le mât comme un jonc; mais le rompre, allons donc! il se redresse après chaque rafale, aussi droit, aussi ferme qu'auparavant. Faites toujours de même, enfants; ne vous laissez pas briser par les peines de la vie, et après chacune d'elles, sachez vous redresser toujours, toujours prêts à la lutte.

Le petit Julien, en écoutant la comparaison du marin Jérôme, avait ouvert de grands yeux; il ne comprenait cela qu'à moitié, car il n'avait nulle idée de la tempête; néanmoins cette image lui plaisait; il aimait à se représenter les beaux arbres de la terre natale tenant vaillamment tête aux bourrasques de l'Océan, et il se disait: – C'est ainsi qu'il faut être; oui, André est courageux, et je veux être courageux comme lui.

LXXX. – Les reproches du nouveau patron. – Le canal du Midi et les ponts tournants. – Le départ de Cette pour Bordeaux

Quand on vous parle avec mauvaise humeur, la meilleure réponse est de garder le silence et de montrer votre bonne volonté

Le patron Jérôme, dès le lendemain, usa de son influence auprès d'un marinier qu'il connaissait pour l'engager à emmener avec lui les deux enfants. Après bien des pourparlers, il obtint qu'André toucherait vingt francs de salaire en arrivant à Bordeaux.

– C'est peu, dit-il à André, mais le Perpignan est un bateau bien installé. Vous y serez mieux couché et mieux nourri que sur bien d'autres. Le patron, un marin du Roussillon, est un parfait honnête homme. Rappelez-vous seulement qu'il est vif comme la poudre et soyez patient.

André et Julien, après avoir remercié Jérôme, reprirent encore une fois leur petit paquet de voyage. Mais Julien voulut absolument essayer ses forces: en s'appuyant beaucoup sur le bras d'André et à peine sur son pied malade, il arriva à faire quelques pas, ce qui le transporta de joie.

– Oh! s'écria-t-il en battant des mains de plaisir, je marcherai avant un mois, tu verras, André.

André était lui-même tout heureux, mais il ne voulut pas que l'enfant se fatiguât. De plus, il avait hâte d'arriver pour ne pas faire attendre le nouveau patron. Il reprit donc Julien sur son bras et suivit le plus vite qu'il put une partie des quais de Cette, jusqu'à ce qu'il aperçût le Perpignan. Mais il eut beau se hâter, il arriva en retard.

Le patron était à bord, fort impatient, car il n'attendait qu'André pour donner le signal du départ; ce qui lui fit accueillir les enfants avec la plus grande brusquerie: il se repentait déjà, disait-il, de s'être chargé d'eux, et il le leur répéta devant tous les marins.

André s'excusa aussi poliment qu'il put, et Julien, tout interdit, se blottit en silence sur un coin du pont, entre deux sacs de garance d'Avignon, où le patron d'un geste avait fait signe de le déposer.

Le bateau se mit en marche. Julien n'était pas gai, mais il fut heureusement tiré de ses réflexions en voyant une chose qu'il n'avait jamais vue. Au moment où le bateau arriva devant un pont qui traversait le canal, on s'arrêta: le pont était en effet trop bas pour que le bateau pût passer dessous. Mais tout d'un coup, à un signal donné, le pont, qui était en fer, se mit lui-même en mouvement, et tournant comme le battant d'une porte, laissa passage au bateau. Le Perpignan continua fièrement sa route.

Julien fut émerveillé. Il aurait bien voulu questionner quelqu'un, mais il n'osait pas: chacun était à son poste, fort occupé. André, appuyé sur une longue perche à crochets de fer qu'il plongeait dans l'eau et retirait tour à tour, poussait comme les autres le bateau, qui s'avançait ainsi lentement.

Julien prit alors le parti de réfléchir tout seul à ce qu'il voyait, puis de lire dans son livre.

Il ouvrit le chapitre sur les grands hommes du Languedoc.

– Tiens, dit-il, voici justement qu'il s'agit du canal du Midi, où nous sommes à cette heure.

Et il commença l'histoire de Riquet.

LXXXI. – Un grand ingénieur du Languedoc, Riquet. – Un grand navigateur, la Pérouse

Celui qui accomplit une œuvre utile ne doit point se laisser décourager par la jalousie: tôt ou tard, on lui rendra justice

I. Riquet naquit au commencement du dix-septième siècle, à Béziers. L'idée qui le préoccupa pendant toute sa vie fut celle d'établir un canal entre l'Océan et la Méditerranée, et d'unir ainsi les deux mers. Mais, entre l'Océan et la Méditerranée, on rencontre une chaîne de montagne qui s'élève comme une haute muraille: les Cévennes ou Montagnes-Noires. Comment faire franchir cette chaîne de montagnes par un canal? Tel était le problème que Riquet se posait depuis longtemps.

Un jour, dit-on, il était dans la montagne, sur le col de Naurouze qui sépare le versant de l'Océan et le versant de la Méditerranée. Là, regardant les plaines qui s'étendaient à sa droite et à sa gauche, il pensait encore à ses projets. Tout d'un coup un ruisseau qui coulait à ses pieds vers l'Océan, rencontrant un obstacle, se trouva refoulé en arrière et se mit à descendre du côté opposé, vers la Méditerranée. Cette vue frappa l'esprit de Riquet comme un trait de lumière. – Oh! se dit-il, c'est ici la ligne de partage des eaux; si je pouvais amener assez d'eau à cet endroit où je suis, je pourrais ainsi alimenter à la fois les deux côtés d'un canal allant par ici à l'Océan, et par là à la Méditerranée.

Alors Riquet se mit à l'œuvre. Il explora les montagnes de tous côtés, découvrit des sources qui coulaient sous les rochers, fit des plans de toute sorte et enfin trouva la quantité d'eau nécessaire pour alimenter le canal qu'il projetait.

Il alla proposer ses plans au grand homme qui était alors ministre, Colbert, dont on vous parlera plus tard. Colbert comprit l'importance de l'idée de Riquet. Avec son aide, Riquet commença cette entreprise qui, pour l'époque, était gigantesque. Mais que d'obstacles il eut à surmonter! Il n'avait pas les titres d'ingénieur et il était l'objet de la jalousie des ingénieurs en titre. Sans cesse il rencontrait leur opposition; il fut même forcé de faire percer secrètement une montagne que ces derniers avaient déclarée impossible à percer.

Il fit aussi construire de vastes réservoirs où vient s'accumuler l'eau de la montagne: pour cela, il barra avec un mur énorme un vallon où vont de toutes parts se rendre les eaux. De ces réservoirs l'eau jaillit avec un bruit de tonnerre. Elle arrive ensuite au col de Naurouze, et de là, elle redescend doucement vers les deux mers, retenue tout le long de son chemin par des écluses qu'on ouvre et qu'on referme pour laisser passer les bateaux.

Riquet, fatigué par son immense travail et par toutes les contrariétés qu'il avait subies, mourut six mois avant l'achèvement de son entreprise; mais elle fut continuée et menée à bonne fin par ses deux fils. Plus tard, la France a su rendre justice à Paul Riquet, et on a chargé le célèbre sculpteur David d'Angers de lui élever une statue dans sa ville natale.

Julien avait lu avec attention la vie de Riquet.

– Oh! pensa-t-il, je suis content de savoir l'histoire de ce beau canal qui a été si difficile à creuser et où notre bateau passe si facilement aujourd'hui! Je m'en vais, pendant notre voyage, regarder ces grands travaux-là tout le long de la route… Voyons maintenant ce qui vient à la suite.

II. C'est aussi dans le Languedoc, à Alby, qu'est né un des plus grands navigateurs, dont le nom est connu de tous, La Pérouse. Tout jeune encore, ayant lu le récit des longs voyages sur mer et des découvertes de pays nouveaux, il fut pris du désir d'être marin, entra à l'école de marine, puis dans la marine royale.Après de nombreuses expéditions sur mer, où il s'était distingué par son habileté et son courage, le roi Louis XVI le chargea de faire un grand voyage autour du monde en cherchant des terres nouvelles ou de nouvelles routes pour les navigateurs.

Dans sa lettre à la Pérouse, Louis XVI lui disait ces belles paroles: «Que des peuples dont l'existence nous est encore inconnue apprennent de vous à respecter la France; qu'ils apprennent surtout à la chérir… Je regarderai comme un des succès les plus heureux de l'expédition qu'elle puisse être terminée sans qu'il en ait coûté la vie à un seul homme.»

Pendant trois ans la Pérouse voyagea de pays en pays, de mers en mers. Il envoyait de ses nouvelles par les vaisseaux qu'il rencontrait ou par les côtes habitées où il relâchait.

Puis tout à coup on ne reçut plus de lui ni de ses compagnons aucun message. Toutes les nations de l'Europe, qui suivaient de loin avec intérêt le grand navigateur français, commencèrent à s'émouvoir. On envoya des navires à sa recherche. Avait-il fait naufrage, était-il enfermé dans quelque île déserte ou prisonnier chez des peuples sauvages, on ne le savait, et pendant longtemps on ignora ce qu'il était devenu.

Enfin, en 1828, un autre navigateur non moins célèbre, Dumont d'Urville, né en Normandie, découvrit après bien des recherches, dans une île de l'Océanie, les débris de deux navires naufragés, des ferrures, des instruments, de la vaisselle, des canons roulés par les flots. Il retrouva la montre même de la Pérouse entre les mains des indigènes; il interrogea ces derniers, qui lui répondirent qu'autrefois une tempête furieuse avait brisé deux navires, la nuit, sur les rochers de l'île. D'après les réponses embarrassées des sauvages qui firent ce récit, Dumont d'Urville soupçonna que la tempête n'avait peut-être pas fait périr tout l'équipage; peut-être plusieurs naufragés et la Pérouse lui-même avaient-ils pu gagner l'île, mais là ils s'étaient trouvés chez des tribus barbares qui avaient dû leur faire subir de mauvais traitements.

D'Urville éleva, sur le rivage désert de l'île bordée d'écueils, un mausolée qui rappelle le souvenir du malheureux la Pérouse.

LXXXII. – Brusquerie et douceur. – Le patron du bateau «le Perpignan» et Julien

Il n'est point de cœur que la douceur d'un enfant ne puisse gagner

Pendant que Julien lisait attentivement dans son livre, le patron du Perpignan l'observait du coin de l'œil.

– Voilà un petit bonhomme qui jusqu'à présent n'est pas bien embarrassant, pensa-t-il. Quant à l'autre, il a l'air adroit de ses mains et intelligent, et il ne craint pas sa peine. Allons, cela ira mieux que je ne croyais.

Et comme il était brave homme au fond, il se repentit de la bourrade par laquelle il avait salué les enfants à leur arrivée. Il s'approcha de Julien et lui passant sa grosse main sur la joue: – Eh bien, dit-il, nous sommes donc savants, nous autres? Qu'est-ce que nous lisons là? Le conte du Petit-Poucet ou celui du Chaperon-Rouge?

Julien releva la tête, et fixant sur le patron des yeux étonnés, qui étaient restés un peu tristes depuis sa maladie: – Des contes, fit-il, oh! que non pas, patron; ce sont de belles histoires, allez. Et même les images du livre aussi sont vraies. Tenez, voyez: cela, c'est le portrait de la Pérouse, un grand navigateur qui est né à Alby. Je crois que notre bateau ne passera pas à Alby, mais cela ne fait rien: je me rappellerai Alby à présent.

Le patron sourit.

– Alors, dit-il, tu vas être sage comme cela tout le temps du voyage, et apprendre comme si tu étais en classe?

– Oui, patron, dit Julien doucement; j'ai promis à André de ne pas trop vous embarrasser.

Et il saisit la petite main gauche de Julien qui se trouvait être la plus près de lui; puis, familièrement, il la secoua entre les siennes en signe d'amitié.

Par malheur cela se trouvait être la main blessée de Julien. L'enfant devint tout pâle, il étouffa un petit cri.

– Quoi donc! dit brusquement le patron d'un air agacé. Eh bien, es-tu en sucre, par hasard, et suffit-il de te toucher pour te casser?

– C'est que… répondit Julien en soupirant, cette main-là est comme ma jambe, elle a une entorse.

– Allons, bon, tu n'as pas de chance avec moi, petit, dit le patron d'un ton radouci.

Julien le regarda moitié ému, moitié souriant:

– Oh! que si, dit-il, puisque vous n'êtes plus fâché, la poignée de main est bonne tout de même.

Le bourru se dérida complètement: – Tu es un gentil enfant, dit-il.

Il se pencha vers Julien, et posant ses deux mains d'Hercule sous les bras du petit garçon:

– As-tu encore des entorses par là? dit-il.

– Non, non, patron, dit Julien en riant.

– Alors, viens m'embrasser.

Et il souleva l'enfant comme une plume, l'enleva en l'air jusqu'à la hauteur de sa grosse barbe, et posant un baiser retentissant sur chacune de ses joues:

– Voilà! nous sommes une paire d'amis à présent.

Les bateliers regardaient leur patron avec surprise, et pendant que, délicatement, il remettait le petit garçon entre les deux sacs qui lui servaient de fauteuil, André les entendit dire: – Ce bambin ne sera pas trop malheureux ici.

Julien tout réconforté souriait de plaisir dans son coin, et André s'applaudissait de voir combien la douceur et la bonne volonté avaient vite triomphé des mauvaises dispositions et des manières brusques du patron.

LXXXIII. – André et Julien aperçoivent les Pyrénées. – Le cirque de Gavarnie et le Gave de Pau

Les montagnes, avec leurs neiges et leurs glaciers, sont comme de grands réservoirs d'où s'écoule peu à peu l'eau qui arrose et fertilise nos plaines

Tout le long du chemin, le Perpignan s'arrêtait dans les villes importantes. A Béziers, les mariniers embarquèrent dans le bateau des eaux-de-vie qu'on fabrique dans cette ville. Plus loin on chargea des miels récoltés à Narbonne, et renommés pour leur goût aromatique. A Carcassonne on débarqua de la laine pour les draps, car dans l'antique cité de Carcassonne, perchée sur une colline et entourée d'une ceinture de vieilles tours, il y a de nombreux tisserands qui fabriquent des lainages.

Au moment où on venait de quitter Carcassonne, le ciel, qui avait été nuageux jusqu'alors, s'éclaircit un matin, et Julien en s'éveillant aperçut vers le sud une grande chaîne de montagnes couvertes de neiges. Des pics blancs et de longs glaciers étincelaient au soleil.

– Oh! dit Julien, on croirait voir encore les Alpes.

– C'est la chaîne des Pyrénées, dit le patron. Tiens, Julien, vois-tu là-bas ce pic pointu et tout blanc qui dépasse les autres de toute sa hauteur? C'est le Canigou, la plus haute montagne du Roussillon; c'est de ce côté-là que je suis né, moi. Par là-bas, à droite, ce sont les montagnes de l'Ariège ou du comté de Foix, riches en mines de fer; puis viennent les Hautes-Pyrénées, où jaillissent un grand nombre de sources d'eaux chaudes que les malades fréquentent en été. C'est dans le département des Hautes-Pyrénées que se trouvent aussi les plus beaux sites de ces montagnes, entre autres le cirque de Gavarnie avec sa magnifique cascade et son pont de neige qui ne fond jamais.

– Est-ce que vous avez vu cela, patron? dit Julien.

– Oui, mon ami, et même je me suis promené sous le pont de glace. Les arcades de neige gelée en sont si hautes et si larges qu'on peut passer dessous facilement; on a alors sur sa tête une belle voûte de neige brillante, ornée de découpures comme celles que les sculpteurs font aux voûtes des chapelles; en même temps on marche de rocher en rocher dans le lit même du torrent, qui passe près de vous en grondant et en roulant les cailloux avec fracas.

– Cela doit être bien beau à voir, dit Julien; mais que devient-il ensuite, ce torrent-là, savez-vous, patron?

– Ce torrent-là? Eh bien, mais il continue à courir à travers les montagnes, en se creusant le lit le plus sauvage qui se puisse imaginer. Quand il arrive, après cinq lieues de course, au village de Saint-Sauveur, on le traverse sur un pont superbe de pierre et de marbre. C'est un des plus beaux ponts que j'aie vus. Le torrent coule dessous dans un abîme à plus de 80 mètres de profondeur; puis il continue sa course désordonnée jusqu'à ce qu'il arrive à la capitale du Béarn, à la ville de Pau, patrie de Henri IV; notre torrent s'appelle alors le Gave de Pau; plus loin enfin il se joint à l'Adour, et, devenu fleuve avec lui à Bayonne, il reçoit les navires et les emmène jusqu'à l'Océan.

– Voilà une histoire de torrent qui m'a bien amusé, dit Julien. Oh! j'aimerais suivre ainsi le cours d'un torrent depuis la montagne d'où il sort jusqu'à la mer où il se jette.

– Et certes, ajouta le patron, tu n'en pourrais suivre de plus pittoresque que ce sauvage Gave de Pau.

Quand on approcha de Toulouse, le temps, tout en s'éclaircissant, s'était fort refroidi, et le vent soufflait avec force, comme d'ordinaire dans la plaine du Languedoc. Le petit Julien, quoiqu'il commençât à se servir de sa jambe, ne pouvait encore marcher beaucoup, si bien qu'à rester immobile les journées au long, il y avait des moments où il se sentait glacé. Heureusement le patron l'avait pris en affection, et quand il voyait à l'enfant un air triste, il l'enveloppait dans sa peau de mouton jusqu'au cou et lui faisait prendre un doigt de vin chaud pour le réchauffer. Grâce à ces petits soins, si le voyage ne se faisait pas sans souffrir, il se faisait du moins sans maladie.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают