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Читать книгу: «Le tour de la France par deux enfants», страница 14

Bruno G.
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LXX. – Le mistral et la vallée du Rhône. – Le canal de Lyon à Marseille. – Un accident arrivé aux enfants. – Premiers soins donnés à Julien

C'est surtout quand le malheur arrive, qu'on est heureux d'avoir une petite épargne

Le lendemain, pour continuer leur voyage, les enfants purent profiter de l'occasion d'un char-à-bancs. La route se fit d'abord le plus gaîment du monde. Le ciel était d'un bleu éblouissant; toutefois, depuis la veille, un grand vent froid du nord-ouest s'était levé et soufflait à tout rompre. C'était ce vent de la vallée du Rhône que les gens du pays appellent mistral, d'un mot qui veut dire le maître, car c'est le plus puissant des vents, et il a une telle force qu'il a pu faire dérailler des trains de chemins de fer en marche.

Julien s'étonnait de voir, malgré cela, l'air si lumineux et la campagne si riante.

– Oh! dit le conducteur de la voiture, si nous n'avions pas ce mistral, quel pays merveilleux ce serait que le Dauphiné et la Provence! Mais ce vent froid et desséchant est un fléau. Malgré cela, la terre est si fertile que, partout où on peut arroser nos champs, les moissons se succèdent avec une fécondité surprenante.

– Comment? dit André, on arrose les champs, chez vous!

– Je crois bien! Partout où on peut faire couler l'eau, la culture triple de bénéfice dans le midi. Malheureusement l'eau est rare; mais on nous promet que bientôt on fera le long du Rhône, depuis Lyon jusqu'à Marseille, un superbe canal au moyen duquel on pourra arroser tout notre pays et le transformer en un vrai jardin.

Pendant qu'on devisait ainsi, la voiture avançait bon train: le vent la poussait par derrière et ajoutait sa force à celle du cheval. Mais, à un détour de la route, qui descendait en pente rapide, le vent souffla si fort que la voiture se trouva précipitée en avant avec une violence sans pareille.

Le cheval n'eut pas la force de se maintenir, et il s'abattit brusquement. La secousse fut telle que les voyageurs se trouvèrent lancés tous les quatre hors de la voiture.

Chacun se releva plus ou moins contusionné, mais sans blessure grave. Seul, le petit Julien avait le pied droit et le poignet tellement meurtris et engourdis qu'il ne pouvait appuyer dessus. Quand il voulut se relever et marcher, la douleur l'obligea de s'arrêter aussitôt. En même temps, il se sentait la tête toute lourde et le front brûlant; il se retenait à grand'peine de pleurer.

André était bien inquiet, craignant que l'enfant n'eût quelque chose de brisé dans la jambe et dans le bras.

Le conducteur, fort inquiet lui-même, s'approcha de Julien; il lui fit remuer les doigts de la main et ceux du pied blessé, et voyant que le petit garçon pouvait remuer les doigts: – Il n'y a probablement rien de brisé, dit-il; c'est sans doute une simple entorse au pied et à la main.

Puis, s'adressant à André: – Jeune homme, prenez votre mouchoir et celui de l'enfant; mouillez-les avec l'eau du fossé: appliquez ces mouchoirs mouillés en compresses, l'un au pied, l'autre au poignet de votre frère. L'eau froide est le meilleur remède au commencement d'une entorse ou de toute espèce de blessure; elle empêche l'enflure et l'irritation.

Pendant qu'André s'empressait de soigner son petit frère et lui appliquait les compresses d'eau froide, le conducteur releva le cheval, qui n'avait pas de mal; mais les brancards de la voiture étaient brisés. Il était impossible de remonter dans le char-à-bancs, et il fallut aller chercher de l'aide pour le traîner jusque chez le charron du plus prochain village.

Julien ne pouvait marcher, et il se plaignait de plus en plus d'un violent mal de tête.

André le prit dans ses bras et, le cœur tout triste, il fit ainsi une demi-lieue de chemin en portant le petit garçon qui se désolait.

André, disait le pauvre enfant, qu'allons-nous devenir à présent que je ne puis plus marcher? Comment ferons-nous pour aller jusqu'à Marseille?

– Ne te tourmente pas, mon Julien. N'avons-nous pas cent francs à nous? Nous profiterons de ces économies que nous avons eu le bonheur de faire, et nous prendrons le chemin de fer d'ici à Marseille. Oh! Julien, quelle joie d'avoir une petite épargne, quand le malheur arrive!

– Mais cela coûtera bien cher, André. Il ne nous restera plus rien une fois à Marseille. Et si nous ne trouvons pas notre oncle, que deviendrons-nous? O mon Dieu, que nous sommes donc malheureux!

– Mais non, mon Julien; le voyage ne coûtera pas aussi cher que tu crois: une trentaine de francs, peut-être même pas. Tu vois bien que nous ne sommes pas trop à plaindre.

– Oh! j'ai bien du chagrin tout de même! dit l'enfant en soupirant. Je vais être un embarras.

– Ne parle pas ainsi, Julien, dit André en serrant l'enfant sur son cœur. Si tu as du courage, si tu ne te désoles pas, tout se passera mieux que tu ne penses. N'avons-nous pas traversé déjà bien des épreuves, et la bonté de Dieu nous a-t-elle jamais fait défaut? Compte encore sur elle, mon Julien, et restons calmes en face d'un malheur qu'il n'a pas dépendu de nous d'éviter.

Du bras qu'il avait de libre l'enfant entoura le cou de son frère, et l'embrassant il répondit entre deux soupirs:

– Je vais tâcher d'être raisonnable, André, et je vais prier Dieu pour qu'il me donne du courage.

LXXI. – La visite du médecin. – Les soins d'André

L'affection et l'intelligence de celui qui soigne un malade ne contribuent pas moins à sa guérison que la science du médecin

En arrivant au bourg voisin de l'accident, les deux enfants furent installés chez une excellente femme du lieu.

Le petit Julien souffrait de plus en plus. Il portait sans cesse la main à son front: la tête, disait-il, lui faisait bien plus de mal que tout le reste.

On le coucha pour le reposer, mais il ne put dormir. La fièvre l'avait pris, une de ces fièvres brûlantes qui sont le principal danger des chutes.

André alarmé courut chercher le médecin. Par malheur, ce dernier était absent et ne devait rentrer que dans la soirée. André l'attendit avec anxiété, assis auprès du lit de son frère, dont il aurait tant voulu apaiser la souffrance. Les yeux fixés avec tendresse sur le visage accablé de Julien, il se sentait pris d'une tristesse indicible; il eut voulu souffrir mille fois à la place de l'enfant; il demandait à Dieu de lui donner à lui toutes les peines et de guérir son cher Julien.

Le petit garçon avait fini par ne plus se plaindre: il semblait plongé dans un rêve plein d'angoisse; il avait le délire et murmurait tout bas des mots sans suite.

– Que demandes-tu, mon Julien? dit André en se penchant vers l'enfant.

Julien le regarda tristement comme s'il ne reconnaissait plus son frère, et d'une voix lente, accablée:

– Je voudrais retourner à ma maison, dit-il.

– Pauvre petit! pensa André, le chagrin qu'il avait hier ne l'a pas quitté. Ce long voyage semble maintenant au-dessus de ses forces. O mon Dieu, comment donc faire pour lui redonner du courage?

– Mon Julien, répondit André doucement, nous aurons bientôt une maison à nous, chez notre oncle à Marseille.

– A Marseille!.. fit l'enfant avec l'air effrayé que donne le délire. C'est trop loin, Marseille… Puis il laissa tomber sa petite tête avec accablement en répétant plus fort: – C'est trop loin, c'est trop loin.

– Qu'est-ce qui est trop loin, mon ami? dit la voix tranquille du médecin qui venait d'entrer.

Julien releva la tête, mais il ne semblait plus voir personne. Puis, d'un air triste, lentement et traînant sur les mots: – Tout le monde a sa maison, reprit-il; moi aussi, j'avais une maison, et je n'en ai plus. Oh! que je voudrais bien y retourner!

– Où souffres-tu, mon enfant? dit le médecin en prenant la main de Julien dans la sienne.

Julien ne répondit pas, mais il se mit à pleurer et à se plaindre par mots entrecoupés.

André alors expliqua leur accident de voiture, puis l'entorse au pied et au poignet.

– L'entorse ne sera pas grave, dit le médecin après examen; mais cet enfant a une forte fièvre et un délire qui m'inquiète. Qu'est-ce que cette maison qu'il demande?

André expliqua la mort de leur père, leur départ d'Alsace-Lorraine, leur long voyage; comment Julien avait été courageux tout le temps et même gai; mais qu'à chaque nouvelle séparation, et surtout à la dernière, il avait eu grand'peine à se consoler.

«Pauvres orphelins, pauvres enfants de l'Alsace-Lorraine!» pensait le médecin en écoutant André; «si jeunes, et obligés à déployer une énergie plus grande que celle de bien des hommes!»

André se tut, attendant l'avis du médecin: il était tout pâle d'anxiété sur l'état de son frère, et deux grosses larmes brillaient dans ses yeux.

– Allons, dit le docteur, j'espère que cette fièvre et ce délire n'auront pas de suite: vous avez fait ce qu'il faut toujours faire dans les maladies, vous avez appelé le médecin à temps. Ne vous couchez pas, mon ami; de demi-heure en demi-heure vous ferez prendre à votre frère une potion calmante que je vais vous écrire; veillez-le avec soin. S'il peut s'endormir d'un bon sommeil, il sera hors de danger. Je reviendrai demain matin.

André resta toute la nuit au chevet de Julien, veillant l'enfant comme eût fait la plus tendre des mères, le calmant par des mots pleins de tendresse, ne cessant de demander à Dieu, dans la tristesse de son cœur, aide et protection.

– Seigneur! s'écriait-il, redonnez à mon Julien la santé, l'énergie et le courage, afin que nous puissions accomplir la volonté de notre père.

Julien était toujours dans une agitation extrême. La nuit touchait à sa fin, et l'inquiétude d'André allait croissant.

Enfin Julien épuisé de fatigue resta immobile; puis, peu à peu, il garda le silence, ses yeux se fermèrent; il s'endormit, sa petite main dans celle de son frère.

André, immobile, n'osait remuer dans la crainte d'éveiller l'enfant. En voyant quel calme sommeil succédait au délire, il sentit l'espérance remplir son cœur; il remercia Dieu. Il songea à son pauvre père qui, bien sûr, lui aussi, les protégeait par delà la tombe, et de nouveau il s'adressa à lui, le priant de veiller sur son cher petit Julien.

Enfin, brisé de fatigue et d'émotion, il finit par s'endormir lui-même à son tour, la tête appuyée sur le bois du lit où Julien reposait, la main immobile dans celle de l'enfant.

LXXII. – La guérison de Julien. – Le chemin de fer. – Grenoble et les Alpes du Dauphiné

La maladie nous fait mieux sentir combien les nôtres nous aiment, en nous montrant le dévouement dont ils sont capables

Heureusement les prévisions du médecin se réalisèrent. Quand Julien s'éveilla, il était beaucoup mieux: le délire avait disparu et la fièvre était presque tombée.

Deux jours de repos achevèrent de le remettre.

Le médecin permit alors aux deux jeunes Lorrains de partir pour Marseille, mais il prit André à part et lui recommanda de ne pas laisser le petit garçon se fatiguer.

– L'entorse du pied, dit-il, ne permettra pas à votre frère de marcher facilement avant un mois. D'ici là, il faut distraire cet enfant et ne pas le laisser s'attrister tout seul, de crainte que la fièvre nerveuse dont il vient d'avoir un accès ne reparaisse.

André remercia le médecin de ses bons avis; il ne savait comment lui montrer sa reconnaissance, car le docteur, loin de vouloir être payé, avait fait cadeau à son petit malade d'une pantoufle de voyage pour le pied blessé.

La gaîté de Julien revenait peu à peu: il voulut aider lui-même, de son lit, à faire le paquet de voyage, et il n'oublia pas de mettre dans sa poche son livre sur les grands hommes, afin, disait-il, de bien s'amuser à lire dans le chemin de fer.

Lorsque les préparatifs furent achevés, André régla partout les dépenses qu'il avait faites; puis il prit le petit Julien dans ses bras. Julien portait de sa main valide le paquet de voyage attaché au fameux parapluie. Quoique bien embarrassés ainsi, les deux enfants se rendirent néanmoins à la gare, qui n'était éloignée que d'un quart d'heure.

Une demi-heure après, les deux enfants étaient assis l'un près de l'autre dans un wagon de 3e classe. Au bout d'un instant la locomotive siffla et le train partit à toute vitesse.

Julien n'avait encore jamais voyagé en chemin de fer: il s'amusa beaucoup la première heure, il regardait sans cesse par la portière, émerveillé d'aller si rapidement et de voir les arbres de la route qui semblaient courir comme le vent.

Derrière eux, les belles cimes des Alpes du Dauphiné montraient leurs têtes blanches de neige que le soleil faisait reluire. – Vois-tu, Julien, cette chaîne de montagnes que nous laissons derrière nous? C'est par là qu'est Grenoble, la capitale du Dauphiné.

– Oh! que ce doit être beau, Grenoble, si c'est au milieu des monts!

– J'ai lu en effet dans ma géographie que c'est une des villes de France qui ont les plus belles vues sur les montagnes. Elle est dans la vallée du Graisivaudan, dominée par des forts qui la rendent presque imprenable.

Julien, malgré son pied malade, ne pouvait s'empêcher de se traîner sans cesse du banc à la portière. Enfin, pour se reposer, il ouvrit son livre d'histoires.

– André, dit-il, voilà longtemps que je n'ai lu la vie des grands hommes de la France; puisque nous passons en ce moment dans le Dauphiné, je veux connaître les grands hommes de cette province.

André s'approcha de Julien, et tous les deux tenant le livre d'une main lurent tout bas la même histoire, celle de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche.

LXXIII. – Une des gloires de la chevalerie française. Bayard

«Enfant, faites que votre père et votre mère, avant leur mort, aient à se réjouir de vous avoir pour fils.» (La mère de Bayard.)

A quelques lieues de Grenoble, au milieu des superbes montagnes du Dauphiné, on trouve les ruines d'un vieux château à moitié détruit par le temps: c'est là que naquit, au quinzième siècle, le jeune Bayard, qui par son courage et sa loyauté mérita d'être appelé «le chevalier sans peur et sans reproche.»

Son père avait été lui-même un brave homme de guerre. Peu de temps avant sa mort, il appela ses enfants, au nombre desquels était Bayard, alors âgé de treize ans. Il demanda à chacun d'eux ce qu'il voulait devenir.

– Moi, dit l'aîné, je ne veux jamais quitter nos montagnes et notre maison, et je veux servir mon père jusqu'à la fin de ses jours.

– Eh bien, Georges, dit le vieillard, puisque tu aimes la maison, tu resteras ici à combattre les ours de la montagne.

Pendant ce temps-là, le jeune Bayard se tenait sans rien dire à côté de son père, le regardant avec un visage riant et éveillé.

– Et toi, Pierre, de quel état veux-tu être? lui demanda son père.

– Monseigneur mon père, je vous ai entendu tant de fois raconter les belles actions accomplies par vous et par les nobles hommes du temps passé, que je voudrais vous ressembler et suivre la carrière des armes. J'espère, Dieu aidant, ne vous point faire déshonneur.

– Mon enfant, répondit le bon vieillard en pleurant, Dieu t'en donne la grâce. – Et il avisa au moyen de satisfaire le désir de Bayard.

Quelques jours après, le jeune homme était dans la cour du château, vêtu de beaux habits neufs en velours et en satin, sur un cheval caparaçonné: il était prêt à partir chez le duc de Savoie, où il devait faire l'apprentissage du métier de chevalerie. Vous savez, enfants, que les chevaliers étaient de nobles guerriers qui juraient solennellement de consacrer leur vie et leur épée à la défense des veuves, des orphelins, des faibles et des opprimés.

La mère de Bayard, du haut d'une des tourelles du château, contemplait son fils les larmes aux yeux, toute triste de le voir partir, toute fière de la bonne grâce avec laquelle le jeune homme se tenait en selle et faisait caracoler son cheval. Elle descendit par derrière la tour, et le faisant venir auprès d'elle, elle lui adressa gravement ces paroles:

– Pierre, mon ami, je vous fais de toutes mes forces ces trois commandements: le premier, c'est que par dessus tout vous aimiez Dieu et le serviez fidèlement; le second, c'est que vous soyez doux et courtois, ennemi du mensonge, sobre et toujours loyal; le troisième, c'est que vous soyez charitable: donner pour l'amour de Dieu n'appauvrit jamais personne.

Le jeune Bayard tint parole à sa mère. A vingt et un ans, il fut armé chevalier. Pour cela, il fit ce qu'on appelait la veillée des armes; il passa toute une nuit en prières; puis le lendemain matin un chevalier, le frappant du plat de son épée, lui dit: – Au nom de Dieu, je te fais chevalier.

Les grandes actions de Bayard sont bien connues; il serait trop long de les raconter toutes ici. Un jour, il sauva l'armée française au pont de Carigliano, en Italie; les ennemis allaient s'emparer de ce pont pour se jeter par là à l'improviste sur nos soldats. Bayard, qui les vit, dit à son compagnon: – Allez vite chercher du secours, ou notre armée est perdue. Quant aux ennemis, je tâcherai de les amuser jusqu'à votre retour.

En disant ces mots, le bon chevalier, la lance au poing, alla se poster au bout du pont. Déjà les ennemis allaient passer, mais, comme un lion furieux, Bayard s'élance, frappe à droite et à gauche et en précipite une partie dans la rivière. Ensuite, il s'adosse à la barrière du pont, de peur d'être attaqué par derrière, et se défend si bien que les ennemis, dit l'histoire du temps, se demandaient si c'était bien un homme. Il combattit ainsi jusqu'à l'arrivée du secours. Les ennemis furent chassés et notre armée fut sauvée.

Après une vie remplie de hauts faits, Bayard reçut dans une bataille un coup d'arquebuse au moment où il protégeait la retraite de notre armée. Il faillit tomber de son cheval, mais il eut l'énergie de se retenir, et appelant son écuyer: – «Aidez-moi, dit-il, à descendre, et appuyez-moi contre cet arbre, le visage tourné vers les ennemis: jamais je ne leur ai montré le dos, je ne veux pas commencer en mourant.»

Tous ces compagnons d'armes l'entouraient en pleurant, mais lui, leur montrant les Espagnols qui arrivaient, leur dit de l'abandonner et de continuer leur retraite.

Bientôt en effet, les ennemis arrivèrent; mais tous avaient un tel respect pour Bayard qu'ils descendaient de cheval pour le saluer.

A ce moment un prince français, Charles de Bourbon, qui avait trahi son pays et servait contre la France dans l'armée espagnole, s'approcha comme les autres de Bayard: – Eh! capitaine Bayard, dit-il, vous que j'ai toujours aimé pour votre grande bravoure et votre loyauté, que j'ai grand'pitié de vous voir en cet état!

– Ah! pour Dieu, Monseigneur, répondit Bayard, n'ayez point pitié de moi, mais plutôt de vous-même, qui êtes passé dans les rangs des ennemis et qui combattez à présent votre patrie, au lieu de la servir. Moi, c'est pour ma patrie que je meurs.

Le duc de Bourbon, confus, s'éloigna sans répliquer.

Peu de temps après, Bayard adressait tout haut à Dieu une dernière prière. La voix expira sur ses lèvres: il était mort.

Les ennemis, emportant son corps, lui firent un solennel service qui dura deux jours, puis le renvoyèrent en France.

– André, dit le petit Julien avec émotion, voilà un grand homme que j'aime beaucoup.

Et il ajouta tout bas en s'approchant de son aîné, d'un petit air contrit: – Sais-tu, André? je n'ai pas été bien courageux quand nous avons quitté M. Gertal. J'étais si las et si triste que volontiers, au lieu d'aller plus loin, j'aurais voulu retourner à Phalsbourg; il me semblait que je ne me souciais plus de rien que de vivre tranquille comme autrefois, mais j'ai eu bien honte de moi tout à l'heure en lisant la vie de Bayard. O André, j'ai dû te faire de la peine; mais je vais tâcher à présent d'être plus raisonnable, tu vas voir.

André embrassa l'enfant:

– A la bonne heure, mon Julien, lui dit-il, nous ne sommes que de pauvres enfants, c'est vrai, mais néanmoins nous pouvons prendre ensemble la résolution d'être toujours courageux nous aussi et d'aimer, comme le grand Bayard, Dieu et notre chère France par dessus toutes choses.

LXXIV. – Avignon et le château des papes. – La Provence et la Crau. – Arrivée d'André et de Julien à Marseille. – Un nouveau sujet d'anxiété

Le pauvre peut aider le pauvre aussi bien et souvent mieux que le riche

Au bout de trois heures, le train s'arrêta à la gare d'Avignon. Du chemin de fer on voyait la ville, et André montra en passant à Julien un grand monument situé sur le penchant d'un rocher, et qui, avec ses vieux créneaux, ressemble à une forteresse. C'était l'ancien château où les papes résidaient lorsqu'ils habitaient le Comtat-Venaissin, enclavé dans la Provence.

Pendant ce temps le train s'était remis en marche. On traversa sur un beau pont la Durance, ce torrent terrible par ses inondations, qui descend en courant des montagnes, et dont les eaux, amenées par un long aqueduc, alimentent la ville de Marseille.

Bientôt la campagne de la Provence, qui avait été jusqu'alors couverte de cultures et où on apercevait le feuillage gris des oliviers, devint stérile, sans herbe et sans arbres. Les enfants étaient entrés dans les plaines de la Crau, puis de la Camargue, desséchées par le souffle du mistral, couvertes de cailloux, et qui ressemblent à un désert de l'Afrique transporté dans notre France. Là paissent en liberté de nombreux troupeaux de bœufs noirs et de chevaux demi-sauvages, semblables aux chevaux arabes.

Puis on entra sous un grand tunnel, celui de la Nerthe, qui a plus d'une lieue de long. Peu de temps après, on arrivait dans la vaste gare de Marseille, et les deux enfants sortirent de wagon au milieu du va-et-vient des voyageurs. Ils se sentaient tout étourdis du voyage et assourdis par les sifflets des locomotives, par le fracas des wagons sur le fer, par les cris des employés et des conducteurs de voitures.

André s'informa avec soin du chemin à suivre pour se rendre à l'adresse de son oncle. Puis, courageusement, il reprit Julien entre ses bras et, à travers la foule qui allait et venait dans la grande ville, il s'achemina tout ému.

– Quoi! pensait-il, nous voilà donc enfin au terme de notre voyage! Mon Dieu! pourvu que nous trouvions notre oncle et qu'il se montre content de nous voir!

Le petit Julien n'était pas moins ému qu'André; il faisait les mêmes réflexions sans oser le dire. En même temps, il admirait le courage de son aîné, dont le calme et la douceur ne se démentaient jamais.

Enfin on atteignit la rue tant désirée; avec un grand battement de cœur on frappa à la porte et on demanda Frantz Volden.

Un marin d'une quarantaine d'années vint ouvrir et répondit: – Frantz Volden n'est plus ici, voilà tantôt cinq mois qu'il est parti.

– Mon Dieu! s'écria André avec anxiété; et il devint tout pâle comme s'il allait tomber. Mais bientôt, surmontant son trouble, il reprit:

– Où est-il allé? savez-vous, monsieur?

– Parbleu, jeune homme, dit celui qui avait ouvert la porte, entrez vous reposer: Frantz Volden est mon ami; nous causerons mieux de lui dans la maison que sur la porte. Le mistral n'est pas chaud ce soir: on voit que nous arrivons à la fin de novembre.

Et le brave homme, montrant le chemin aux enfants, marcha devant eux dans un corridor étroit et sombre. André suivait, portant Julien sur ses bras. Le petit garçon était bien désolé, mais il se rappela fort à point les résolutions de courage qu'il venait de prendre après avoir lu la vie du chevalier sans peur et sans reproche: il voulut donc faire aussi bonne figure devant cette déception nouvelle que le grand Bayard eût pu faire en face des ennemis.

On arriva dans une chambre où la femme du marin préparait le souper. Trois enfants en bas âge jouaient dans un coin. André s'assit près de la fenêtre et le marin en face de lui.

– Voici ce qui en est, reprit le marin. Ce pauvre Volden avait en Alsace-Lorraine un frère aîné à l'égard duquel il a eu des torts jadis, ce qui fait qu'ils ne s'écrivaient point. Depuis la dernière guerre, Frantz songeait souvent au pays. Il se disait tous les jours: «Mon aîné doit être bien malheureux là-bas, car il a subi les misères de la guerre et des sièges; mais moi, j'ai quelques économies et je lui dirai: – Oublie mes torts, Michel. Viens-t'en en France avec moi, nous achèterons un petit bout de terre, et nous ferons valoir cela à nous deux.» Mais auparavant Frantz avait des affaires à régler à Bordeaux, et il est parti par Cette pour s'y rendre, travaillant le long de son chemin à son métier de charpentier de marine, afin de se défrayer du voyage.

– Hélas! dit André tristement, nous venons, nous, jusque d'Alsace-Lorraine pour le trouver. Nous sommes les fils de ce frère qu'il voulait revoir, et qui est mort; mais en mourant, notre père nous avait fait promettre d'aller rejoindre notre oncle, et nous sommes venus. Nous avions d'abord écrit trois lettres, mais on ne nous a pas répondu.

– Je le crois bien, dit le marin en ouvrant son armoire et en montrant les trois lettres précieusement enveloppées: elles sont arrivées après le départ de Frantz. J'attendais à avoir son adresse pour les lui envoyer; mais depuis cinq mois il ne m'a pas donné signe de vie.

André réfléchissait tristement. – Comment allons-nous faire? dit-il enfin. Nous ne savons pas l'adresse de notre oncle à Bordeaux; et d'ailleurs nous ne pourrions aller jusque-là: mon jeune frère ne peut plus marcher, il est au bout de ses forces. D'autre part, nous n'avons plus assez d'argent pour prendre le chemin de fer jusqu'à Bordeaux.

– Allons, allons, ne vous désolez pas à l'avance, dit le marin. Les pauvres gens sont au monde pour s'entr'aider. Nous ne sommes pas riches non plus, nous autres; mais à cause de cela on sait compatir au malheur d'autrui.

– Eh! oui, dit la femme du marin, nous nous aiderons tous, et le bon Dieu fera le reste. Voyons, mettons-nous à table. Mon mari est un homme de bon conseil: en mangeant, il va débrouiller votre affaire, n'est-ce pas, Jérôme?

En même temps l'excellente femme avait attiré la table dans le milieu de la chambre. Bon gré mal gré, elle plaça André à sa droite et Julien à sa gauche. Elle mit ses deux fils aînés, deux beaux jumeaux de quatre ans, de chaque côté de leur père: puis elle plaça sur ses genoux sa petite fille la dernière née, et le sourire sur les lèvres, elle servit à chacun une bonne assiette de soupe au poisson qui est le mets favori de la Provence.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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