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Читать книгу: «Le Crépuscule des Dieux», страница 8

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On releva la flamme des lustres, et le Duc, suivi de son cortège, revint dans la serre d'hiver, où il fit appeler Hans Ulric avec sa sœur, aussitôt qu'ils auraient changé d'habit. Une collation y était servie, de gibier, de poisson, de fruits, et de différentes sortes de vins du Rhin, dont Son Altesse porta des toasts; puis, pour remettre Christiane de quelque peu d'étourdissement, car elle avait paru si changée en entrant, que tout le monde s'était écrié, le Duc proposa la partie d'aller voir aux flambeaux, dans le jardin, la cascade de rocailles qui était gelée. Cela fit quelques jeux de lumière dont la compagnie s'amusa, jusqu'au moment où le froid qui augmentait, chassa le Duc vers la maison. Hans Ulric et sa sœur marchaient les derniers, par le sentier couvert de neige épaisse; puis tous deux, sans se dire un seul mot, ils montèrent à leur cabinet.

Elle s'assit dans un fauteuil; le pâle Hans Ulric se mit à la vitre. La lune, toute pleine et sinistre au ciel, semblait le regarder avec des yeux vivants; et il songeait confusément, voyant les étoiles sans cesse, au delà les unes des autres, à cette profondeur infinie des mondes. Il tressaillit soudain, Christiane s'était dressée; et ces pas derrière son dos, ces pas légers le terrifiaient, comme si la Mort eût marché vers lui. D'affreux lambeaux d'un rêve l'assaillirent. Il revit des cierges allumés, un cercueil noir voltigeant çà et là, et lui debout, les yeux fixés sur ses pieds nus, où il comptait cinq pustules livides. Son cœur battait à se rompre; il la sentait derrière lui, peut-être avec un horrible visage, une tête de morte rongée des vers. Fou de terreur, il se retourna, et ils étaient tous deux, face à face. Alors, avec un long frisson, elle s'abattit dans ses bras, en collant sa bouche sur la sienne.

Vers les quatre heures et demie du matin, deux détonations, coup sur coup, réveillèrent l'hôtel en sursaut. Giulia, qui venait enfin de se mettre au lit, après avoir vu sortir Hans Ulric de l'appartement de sa sœur, prit rapidement un déshabillé, et courut à la chambre du comte. Tout y était dans une extrême confusion, portes ouvertes, et les valets éperdus, qui couraient et se poussaient l'un l'autre. Le comte Ulric avait commencé par se tirer dans la poitrine, un des pistolets du duc Charles, puis se retrouvant encore vivant, il s'était brûlé la cervelle.

VI

Il y eut des tables à l'hôtel, où nombre de gens vinrent s'inscrire, et juste autant d'aunes de drap noir qu'en exigeaient les strictes bienséances. Pour du chagrin, le Duc n'avait jamais aimé le «fils de la serve,» comme il le nommait, de sorte qu'on ne perdit pas le temps à s'amener des larmes au bord des yeux, et que, les obsèques réglées, et les valets vêtus d'enterrement, il ne fut plus question de Hans Ulric, ni d'affliction. Bien mieux, la terrible tragédie eut un contraste ridicule, par la farce qui lui succéda.

Un soir donc, précisément comme il rentrait des funérailles, Franz trouva Emilia disparue. Il interrogea les femmes de chambre; elles se regardèrent, et lui dirent ensuite, qu'après beaucoup de pleurs et de cris, à la suite de la scène du déjeuner…

– Oui! oui! après! interrompit le comte, qui savait bien que ce déluge provenait d'un nouveau refus d'épouser…

– Mademoiselle, tout à coup, avait demandé une voiture, et donné l'ordre au cocher, croyait-on, pour un embarcadère de chemin de fer. Franz envoya chercher Arcangeli, mais le cher frère fit l'aveugle, qui n'avait rien vu, ne savait rien.

– Allons, Giovan, dis-moi où est ta sœur?

– Hé! bonne Vierge; l'avait-il dans sa poche! et n'y tenant plus, l'Italien s'exclama contre de tels soupçons, protesta de son ignorance, et se déchaîna même contre Emilia, avec peu de ménagement.

Le lendemain pourtant, d'assez bonne heure, il se présenta chez le seigneur comte, et après une verbeuse préface, Arcangeli nomma Saint-Germain, où s'était enfuie Emilia, et qu'il venait, à l'instant même, disait-il, d'apprendre par un court billet.

Franz partit tout de suite, à la chaude, n'ayant dans le cœur et dans la tête, que de revoir sa maîtresse. Il comptait avoir recours là-bas, à l'un de ses intimes amis, le marquis de Courson, lieutenant aux hussards, qui lui aiderait ses recherches; mais en sortant de wagon, le doute lui vint justement, si la maison du marquis n'était pas le refuge de son Hélène. Rien d'impossible au sproposito, quelque déconcertant qu'il parût. Le jeune homme, en maintes occasions, avait rendu à l'Italienne des soins et des attentions, qui avaient été bien reçus; et d'ailleurs, le désir de se faire chercher et de piquer la jalousie de Franz, avait peut-être autant de part à l'étrange fuite d'Emilia, que ce grand efflanqué de Courson, avec le jaune, la laideur et les bourgeons dégoûtants de son visage. Ce fut à quoi Franz s'en alla rêver, dans l'allée de la Terrasse, et les nombreuses vraisemblances qu'il trouvait à cette explication, le défrayèrent sur le chemin. Il visita ensuite le château, rôda quelques instants, aux abords de l'hôtel du marquis, d'où la frayeur d'une scène publique, en cas qu'Emilia sortît, ne tarda pas à le chasser; puis, après avoir déjeuné, le comte rentra gaiement à Paris, persuadé qu'on se jouait de lui.

Franz se mit au lit de bonne heure, et passa une soirée charmante à raisonner de cette escapade, cœur à cœur, avec Louis, son valet de chambre. Il trouva, en se réveillant, une lettre de la fugitive, qui donna toute la lumière dont l'affaire avait encore besoin, et curieuse aussi, dans sa sécheresse, pour bien connaître l'Italienne, de qui, si les actions étaient fort romanesques, le style n'y répondait pas toujours:

«François,

«Vous êtes venu aujourd'hui ici pour prendre des renseignements; vous avez eu tort de retourner sans voir le marquis, car je suis dans sa maison. Je suis venue lui demander un abri pour quelques jours, jusqu'à dimanche; vous savez que je ne voulais pas rester votre maîtresse, à offenser la Vierge et les Saints.. Mais il serait inutile de répéter toutes les raisons.

Si donc vous n'êtes pas décidé à m'épouser, je serai dimanche, la maîtresse du marquis. Je vous jure à genoux sur l'âme bienheureuse de mon père, que jusqu'à présent, rien ne s'est passé.

Pour le cas où vous me refusez comme votre femme légitime, renoncez dès à présent, à toutes relations avec moi. Adieu! j'attends votre réponse. Réfléchissez, ma résolution ne changera pas».

– Tra, la, la, la, tra, la, la, chantonna le comte entre ses dents, et ce fut sa seule colère contre l'insolente alternative, que lui présentait Emilia. Sa gaieté redoubla encore, sur un billet du marquis de Courson, où celui-ci racontait plaisamment la tombée des nues de l'Italienne, ses sanglots, ses transports, ses déplorations, les pistolets dont sa chasteté était gardée, et que, ne voyant pas d'issue à cette scène grotesque, il avait fini par aller se loger d'emprunt, chez un ami, laissant la dame, par courtoisie, maîtresse du champ de bataille.

Inutile victoire pourtant! Dans cette maison abandonnée, Emilia se dévorait de voir s'écouler sans effets, un temps si précieux et si palpitant. A bout de patience, elle écrivit; mais Franz renvoya la missive, avec ces seuls mots ajoutés en marge de la signature:

«La manière dont vous avez agi, ne dénote pas une personne comme il faut».

C'était pour qui connaissait le comte, si amoureux des bienséances, le plus hautain reproche qu'il pût faire; et Giovan, qui survint peu d'heures après, confirma que tout était perdu, et qu'en cherchant à s'opiniâtrer, il n'y aurait rien d'avancé que de causer sûrement, l'éclat d'une rupture irrémédiable. Un dernier reste de comédie fit écrire à Emilia, une lettre désolée; après quoi, soufflant dans sa main pour sécher ses yeux, et quittant ce Saint-Germain funeste, la jeune femme s'installa rue d'Orléans, près du bois de Boulogne, où Giovan, provisoirement, lui donna le pot et le logis, encore qu'elle fût à son cou une lourde meule de plus.

Le temps était passé, en effet, de la faveur que l'Italien avait trouvée longtemps, près du Duc. Les amusettes, avec lesquelles il menait auparavant son maître, les bouffonneries qui servaient aux choses les plus sérieuses, perdaient de leur saveur, pour être du réchauffé:

– Va! c'est bien! mon pauvre Giovan, disait Charles d'Este, languissamment; et ce ton même se haussa, et devint de journée en journée, plus impérieux et plus aigre, après l'étrange aventure de Saint-Germain. Les cravates vert-pomme d'Arcangeli, son esprit bas, étroit, mesquin, et qui puait par trop, la sale coque d'où il sortait, jusqu'à ses breloques de corail, commençaient à fatiguer le Duc, et à le mettre à contre-poil de tout ce que faisait son bouffon. L'Italien semblait se résigner, tendait le dos sous la gouttière. Son cœur, cependant, saignait en secret, d'un si entier renversement. Lui, qui avait été l'homme unique dans l'hôtel, et bon à tout, depuis vider le pot de chambre de Son Altesse, jusqu'à reconquérir ensemble le duché, après dîner, se voyait réduit présentement à la seule toilette du maître, sèche, contrainte, silencieuse; – ou bien, s'il risquait la gambade, le Duc l'arrêtant d'un regard glacé, revenait aussitôt à ses chiffres, et aux gens de loi, qui faisaient, en ce moment, son unique et fort peu plaisante compagnie.

Tous ces tracas qui l'infestaient subitement, n'avaient d'autre guêpier que l'hôtel Beaujon lui-même. Après avoir, dans ses premiers transports, envoyé des présents superbes aux deux architectes, le duc Charles, avant de payer, s'était avisé de vérifier leurs grimoires. Il fut épouvanté des voleries, et l'ambition d'y voir clair lui croissant avec l'esprit de chiffres, notre homme, un beau jour, fit charrier dans son appartement, les inventaires généraux, les baux, les mémoires, les contrats, l'état des recettes et des dépenses, sur lesquels il passa bientôt les matinées, en compagnie de M. Smithson, à dérouiller sa plus abstruse et sa plus profonde arithmétique.

Il en apportait chez la Belcredi, un cerveau encore tout offusqué; si bien qu'assommé d'étiquette, et comme Giulia mettait son souci à tâcher de le divertir, et à faire fleurir pour lui, sa table et son appartement, Charles d'Este prit l'habitude de déjeuner tête-à-tête avec elle. Ils avaient là chacun leurs plats; elle abondamment, car elle aimait à manger et de toutes choses; le Duc assez peu, et toujours les mêmes: force fruits à l'entrée du repas, surtout des melons et des figues, des chapons, pigeons et gibier rôtis et bouillis, et quotidiennement, quelque pâtisserie, avec des farces de fromage, de caviar, ou de graines de pavot; mais tout cela, tellement plein de jus et relevé d'épices, qu'on n'était presque plus surpris des torrents de bière glacée, dont le Duc éteignait tout ce feu; jamais de salade ni de venaison, rarement du poisson, qu'il déclarait fade, et le petit coup de liqueur ou de très vieux cognac après table, tout en maniant ses écrins, que la Belcredi allait lui quérir.

C'était le temps, effectivement, où le Duc avait entrepris de dresser le Catalogue officiel de sa collection de pierreries. Il y fut aidé tout du long, par le sieur Van Moppes, expert-joaillier, lequel avait vendu jadis quelques bagatelles à Giulia, et qu'elle fit connaître à Son Altesse. Qui entrait, apercevait le Juif, juché sur une chaise haute, son gros œil collé contre un diamant, le museau livide, tout ramassé, et ressemblant fort à une grenouille: et toujours, devant lui, son éternelle paire de balances, dont deux énormes bosses qu'il avait, dans la poitrine et dans le dos, semblaient l'étui. Cependant, le lit de repos, de dessus lequel Charles d'Este dominait les assistants, disparaissait sous plus de vingt millions de pierreries de toutes sortes, diamants, rubis, monstrueuses turquoises, émeraudes de la grosseur d'une prune de la reine-Claude; et, à la lueur des candélabres, le Duc barbu et immobile, tous les doigts, jusqu'au pouce même, scintillant de mille feux, et des colliers plein la poitrine, semblait comme un roi de théâtre sur son estrade.

Tant de tracas que se donnaient M. Smithson et l'expert-joaillier, à passer des chiffres au crible et à peser des diamants, était pour un dessein venu à Charles d'Este, après la mort de Hans Ulric, et qui voulait qu'il mît de l'ordre dans sa fortune: celui de faire son testament. Il n'eut pas la joie toutefois, de si bien nettoyer ses affaires, qu'il ne lui restât au milieu, une vingtaine de puants procès, car, las de se fatiguer l'esprit, le Duc attaqua d'un seul coup, tous les mémoires des entrepreneurs; mais qu'étaient les quelques cents mille francs en litige, au prix du monstrueux argent que révéla le testament: cinq millions à Christiane, en se mariant, cinq autres, à la mort du Duc; au comte Franz, quinze millions; et le surplus, près de trois cent trente millions, id est, disait le précieux brouillon:

Nos châteaux, nos domaines, nos forêts, nos mines, nos salines, hôtels, maisons, nos parcs, nos bibliothèques, jardins, carrières, diamants, joyaux, argenterie, tableaux, chevaux, voitures, porcelaines, meubles, argent comptant, fonds publics, billets de banque, et particulièrement, cette partie importante de notre fortune, qui nous a été prise et retenue de vive force, depuis 1866, dans notre duché de Blankenbourg,

le Duc les laissait à son cher Otto, à la charge pour celui-ci de payer quelques legs, qui seraient désignés dans des codicilles postérieurs.

Le trouble et le bourdonnement furent extrêmes à l'hôtel, dès qu'on y apprit le testament. Ne sachant rien qu'en gros et par rumeurs contradictoires, que M. d'Œls s'amusait à répandre, chacun tremblait que le voisin n'eût mordu sur sa part du gâteau, jusqu'à cette bonne Augusta, qui brava le péril des courants d'air, pour venir se jeter aux pieds de la chanteuse, la suppliant qu'elle lui conservât la faveur de ses bonnes grâces. C'est que la Belcredi paraissait dans le plus radieux état, où personne eût jamais été, auprès de Son Altesse. Même appartement, même lit; Charles d'Este ne bougeait plus guère, de derrière la jeune femme. Ils étaient ensemble à présent, sur le tour de mignardise et de tendresse, et Giulia, vingt fois le jour, prenait les ordres de son «cher seigneur,» pour sa parure ou son occupation.

Elle plaisait à ce capricieux, par ses raffinements exquis, sa délicatesse et sa réserve. Chez elle, pendant le travail, car le Duc, plus que jamais, s'acharnait avec M. Smithson, la chanteuse lisait ou travaillait en tapisserie, et toujours le nez sur sa laine. Au milieu de ces monceaux de chiffres, dont Son Altesse s'entêtait d'éclaircir le testament, elle voyait d'immenses terres, peu de dettes, un Pérou d'argent et de pierreries, Christiane et Franz à pourvoir, et Otto sans doute à avantager; mais cela ne pouvait aller haut, et que de beaux et lourds millions qui resteraient! Et, à ce comble de faveur où Giulia se croyait parvenue, la tête lui tournait d'une fumée d'espérance.

Ce fut un jour de vers la fin de mars, que le testament fut déclaré, et cette déclaration produisit une scène assez singulière, et bien dans le goût théâtral où se plaisait Charles d'Este. Entrant un soir, après dîner, au grand salon des Tapisseries, le Duc s'avança vers ses familiers, qu'il venait de faire chercher, prit par la main son fils cadet, promena les yeux avec lenteur, sur la compagnie immobile, à qui il dit, sans adresser la parole à personne, que tous ses titres, honneurs, possessions, et le duché de Blankenbourg, c'était Otto qui y succéderait; et aussitôt, marchant quelques pas jusqu'à l'autre bout du salon, Charles d'Este appela le comte Franz. Là, avec excuses du peu, il lui apprit les quinze millions dont il l'apanageait par testament, nomma la part démesurée d'Otto:

– Mais il n'en faut pas moins, mes chers enfants, quand on doit soutenir son rang…

Après quoi, saisissant Franz aux épaules et s'appuyant dessus pour le faire ployer, le duc Charles pria ses deux fils de s'embrasser en sa présence, et de se garder après sa mort, une inviolable amitié; puis, lui-même les embrassa, tandis que toute la petite cour fondait sur eux, afin de les complimenter.

– Et moi, cher seigneur, lui dit une heure après, Giulia, en retirant ses bagues, ne me donnerez-vous donc rien?

Il la regarda; elle souriait de son sourire énigmatique, et comme Charles d'Este était justement en train de boire un verre d'eau de chicorée, ainsi qu'il faisait chaque soir:

– Tenez, dit le Duc, par badinage, et la Belcredi avala un long trait de la médecine, moins amère sans doute, que sa déception.

Voilà tout ce que lui produisit ce mois de mars, qu'elle espérait si succulent et si fructueux. Mais loin que l'étrange sirène en témoignât le moindre souci, elle redoubla au contraire d'empressement et de gaieté chez Son Altesse, au cruel déplaisir de l'Italien.

– Va! va! carogne, démène-toi, et gare la culbute! murmurait-il, en haussant les épaules, car sa propre et rapide disgrâce lui montrait le bâton toujours levé sur les autres. – Non! à coup sûr, cela n'irait pas loin; cette belle faveur se casserait le nez, – entends-tu, insolente bête! – concluait le bouffon, en suivant du regard, sa rivale dans la galerie des Saisons, où Son Altesse le consignait: dure pénitence de la voir passer, et entrer vingt fois par jour, chez le Duc, toujours sereine, un peu nonchalante, avec son air ouvert, gracieux et inoccupé. Quelquefois seulement, un coup d'œil au miroir trahissait quelque espoir secret, comme si l'altière ensorceleuse se fût souri à elle-même, en trouvant dans ses yeux et sur sa face superbe, de quoi venir à bout de son dessein, et abattre à ses pieds tous ses ennemis.

Depuis huit jours, le comte Otto, qu'on ne voyait jamais auparavant, commençait d'être familier et même assidu chez son père. Il arrivait de bon matin, se mettait sur une chaise percée, et là, déjeunant largement, entouré de ses chiennes couchantes, auxquelles il donnait la curée, le jeune homme tenait séance au chevet du Duc, qui s'en montrait ravi, quoique, en somme, il n'eût rien, pour profit de ce subit amour filial, que la puanteur d'une selle. Heureux encore, si le cher mignon voulait bien ne pas lui roussir la barbe avec les fusées et les pétarades auxquelles il se divertissait, et ne lâcher qu'à demi-voix, ses jurons habituels, lorsque Giulia prenait, par hasard, un morceau dont il avait envie.

Elle était la seule, pourtant, qui gagnât quelque chose sur lui, et qui pût essayer de brider cette humeur âpre et terrible. L'hôtel entier tremblait devant Otto; maître de tout, par la prédilection de son père, et sauvage comme ces animaux qui ne semblent nés que pour dévorer, ses amusements mêmes sentaient le tyran et le furieux. Avec son teint jaunâtre et pourri, sa grosse tête vacillante, ainsi que sous le poids de vapeurs empestées, et cette sorte d'âme rouge, si l'on peut hasarder ce terme, qui brûlait dans ses yeux pleins de sang et sur sa chevelure rousse, il ressemblait, prétendait M. d'Œls, à ces flammes livides du soufre de l'enfer, dont les damnés sont tourmentés.

– Oui! un démon, un vrai démon! répétait Son Altesse complaisamment; si bien qu'un jour, le chambellan osa lui dire:

– En effet, Monseigneur, quand Satan lui entrera au corps, c'est le diable qui sera possédé, et rendu plus diable qu'il n'est…

Plaisanterie dont Charles d'Este rit de tout son cœur pendant longtemps, sitôt que d'Œls lui tombait sous les yeux. Un fils pareil le rajeunissait. On le voyait comme baigné à attacher ses regards dessus; il en oubliait même ses caves, qu'on finissait d'aménager, et superbes autant qu'un salon, par près de deux cent mille écus que le Duc y avait engloutis. A la lueur des globes de gaz, que les stucs, les dorures, les marbres se renvoyaient avec un éclat incroyable, les valets ne faisaient que ranger les bouteilles dans des manières de casiers de chêne, qui montaient jusqu'au haut des murs. Et il y avait, ainsi accommodés en façon de bibliothèque, le caveau des Bordeaux, celui des Bourgognes – les meilleurs d'Europe, disait le Duc, – un autre pour les vins de Champagne, un quatrième des vins étrangers et de ceux de liqueur les plus rares, avec un dernier, réservé à la bière que buvait Charles d'Este, et qu'on brassait exprès pour lui à Pilsen, en Bohême. Otto et son androgame Saint-Amour, trouvèrent là d'étranges plaisirs, se gorgeant, cassant les goulots, entonnant à même; alors, des chansons, des hurlements, des crapauds crevés avec de la poudre, des baptêmes de chiens que l'on faisait ensuite s'accoupler, les ordures les plus énormes. Enfin, de degré en degré, l'effet de leur ivresse était tel, qu'ils salissaient le pavé d'effroyables traînées, et rendaient partout ce qu'ils avaient pris. Même, une fois ou deux, Charles d'Este s'en mit en peine, et vint passer l'après-midi, au chevet de son bien-aimé fils, en compagnie de Giulia.

Un soir, comme la Belcredi, revenue depuis une demi-heure à peu près, d'une de ces longues visites, se trouvait seule chez le Duc, son étonnement ne fut pas petit, de voir entrer soudainement, la plus singulière figure de mascarade, et de reconnaître le comte Otto. Elle s'écria; mais lui, tout d'abord, s'arrête un moment à la porte, prend son élan, en répétant: – Ah! le bon lit! le bon lit! saute dessus, comme saisi de frénésie, s'y roule trois ou quatre tours; puis, revenant vers la chanteuse stupéfaite, il la pria de lui ajuster quelque pli qui s'était dérangé. Il portait de longs crêpes verts, flottants et voltigeants, surmontés d'un bois de cerf au naturel, sur une coiffure bizarre, qui lui donnait l'aspect d'un Actéon.

– Est-ce chez M. Aguado que vous allez? demanda-t-elle, où il y avait en effet, bal masqué.

Et là-dessus, le comte se retournant, lui mit la main au sein, pour toute réponse. Il la serrait de près, elle tomba; on vit la durée d'un tourne-main, ses bas de soie couleur citron, à coins d'argent. – Finissez! finissez! disait-elle, en se défendant contre les baisers… Le terrible était qu'à cinq pas, se trouvait une porte entr'ouverte, avec quelques marches de marbre, qui conduisaient au cabinet où Charles d'Este prenait son bain; la chanteuse ne cessait pas de tourner les yeux vers cette porte. Ses forces commençaient d'être à bout, quand le Duc, par hasard, appela:

– Giulia!

Et cette voix inattendue mit en fuite l'enragé Otto, sans que Son Altesse, dans sa baignoire, eût pu s'apercevoir de rien.

Il n'en fut pas autre chose d'ailleurs, et le jeune homme put, tant qu'il voulut, se consoler auprès de Saint-Amour. Mais leur commerce, pour devenir ainsi habituel et journalier, commençait à lui paraître fade; et le vice croissant d'Otto brisa bientôt cette sale amitié, par de nouveaux amours, plus sales encore. Un sérail de prostituées prit la place de l'hermaphrodite; tout devint bon au jeune comte. A la Roche-Brûlée, un château de son père, où il s'enterra quelques jours, avec des filles et des garçons.

– Car il était au poil et à la plume, disait M. d'Œls…

Otto bouleversa le parc, en fit sauter d'énormes rochers, vida l'étang, descella les grilles, et toujours les poches bourrées de cartouches de dynamite. Il voulut faire l'épreuve enfin, ne sachant plus qu'inventer, comment l'on tombe du haut d'un arbre que les bûcherons abattent; et il faut nommer un vrai miracle, s'il ne se brisa pas les os. Mais ce fut sa dernière prouesse; la Roche-Brûlée l'ennuyait, et il revint promptement à Paris.

Alors, tout ce qu'on avait vu qu'il savait faire jusqu'à ce moment, parut en quelque sorte, les Jeux et les Ris. On peut dire que l'abcès creva, et que le pus qui affolait Otto, lui monta au-dessus des yeux. Ses furies ne le quittèrent plus; un pareil prodige de perversité étonna Charles d'Este lui-même. Il eût fait peur au coin d'un bois, avec sa pâleur de cadavre, ses regards louches et égarés, et le tic effrayant qui, à chaque minute, lui jetait la face en avant, ainsi que pour vomir son démon. Toutes les nuits, on ramassait Otto, on le portait au lit, ivre mort; puis c'était vers midi, au réveil, le plus étrange défilé, ruffians, escrocs, entremetteurs, des matrones puantes de musc, des barbes sales, des cochers. On faisait cercle, on louangeait Otto; on le pressait de venir voir, selon le style du métier:

– Quelque nouveau tableau d'un rare mérite.

Douze ou quatorze heures de suite, les chevaux du Duc restaient attelés devant d'infâmes numéros. Ses rages devinrent terribles; il fallait que l'on fût devant lui, petit et tremblant comme l'herbe: et tant de monstrueux passe-temps de débauche démesurée, dont il doublait et triplait son plaisir, ne pouvaient éteindre sa luxure. Exténué et défaillant, il était encore allouvi; un tison l'éveillait, l'embrasait, le forçait sans repos, de courir se faire étalon, dans quelque banal mauvais lieu… Il finit par ne plus bouger de ces maisons, s'y établir des semaines entières, – tellement que Charles d'Este, durant quelques jours, put disposer de cet appartement vacant pour la princesse de Hanau, une parente pauvre et catholique, qu'un accident de malles imprévu laissait sur le pavé, à peine arrivée, sans garde-robe et sans argent.

Le Duc ni elle ne s'étaient pas revus, depuis près de dix-huit années, et Son Altesse qui, dans sa jeunesse, avait montré du goût pour sa cousine, fut assez de temps à s'extasier que «Sophie eût ainsi changé.» C'était une femme étonnamment maigre, d'une taille qui effrayait, quand on l'apercevait de loin, avec un visage comme enflammé, et de longues dents de sorcière. Elle n'était rien moins cependant, mais l'honneur, la droiture même; un esprit enjoué, pénétrant et naturellement rempli de grâces, et la plus ardente charité qui l'avait fait se dépouiller à la lettre, pour nourrir les pauvres, et élever des hôpitaux. Les bonnes œuvres, les aumônes, les prières chez elle ou à l'église, de rares visites dans le monde, pour lequel elle eût eu du penchant, mais extrêmement retenu, formaient tout le tissu de sa vie. Et tant de piété et de vertu, qui ne s'étaient pas démenties, depuis quatorze ans qu'elle était veuve, avaient toujours comme obligé le Duc, de marquer à cette parente une estime particulière; si bien que Christiane enfant avait passé jadis, tout un été, en compagnie de la princesse, dans une sorte de couvent bâti par les anciens comtes de Hanau, au plus riant du Tyrol italien.

Aussi, la comtesse Christiane fut-elle la première personne de qui s'informa Mme Sophie, en ne tarissant pas sur sa gentillesse et sa vivacité d'autrefois, qui devaient la parer à présent, de toutes les grâces les plus charmantes. – Ah! elle est changée, bien changée! disait Charles d'Este nonchalamment, et sans marquer grand empressement… Mais enfin, comme tôt ou tard, il fallait bien que l'entrevue eût lieu, tous deux, vers la fin de l'après-midi, se rendirent chez Christiane.

La chambre du lit était vide; pas un valet pour les annoncer. Ils traversèrent de nouveau la galerie silencieuse; le tapis couvert de gouttes de cire, rappelait au Duc la mort de Hans Ulric, et les flambeaux de la chapelle ardente. Il se trompait, ouvrait des portes qui donnaient sur des degrés. Ils finirent pourtant par trouver le grand cabinet du piano; mais dès le seuil, le profond silence, le spectacle de Christiane, les yeux fermés, étendue dans un fauteuil, déconcertèrent la princesse, et elle n'avança que peu.

– Voilà, dit Charles d'Este, après avoir toussé, notre cousine de Hanau que je vous amène.

Christiane se tourna sans rien dire, et montra qu'elle la reconnaissait, avec un air de douceur et d'affection qui pénétra la bonne femme; son visage livide et fixe, avait quelque chose d'égaré. Le Duc lui dit que leur parente venait s'établir à Paris. Elle s'était mise debout, et demeura sans répondre un mot; les larmes qu'elle retenait, lui débordaient des paupières. – Tiens! mais c'est fort joli ici, reprit Charles d'Este, le nez en l'air, car il n'avait jamais vu cette chambre. Elle ferma les yeux et se tut. Un orgue de carrefour jouait au loin; le ciel du couchant s'appâlissait, ce ciel que Hans Ulric avait si souvent regardé à ces mêmes vitres. Il était mort, il était mort… il dormait dans les ténèbres; – et cela n'aurait jamais de fin.

Le même soir, comme le Duc, achevé de déshabiller, se faisait, selon son habitude, brosser les pieds par Arcangeli (seule fonction qui demeurât à ce grand-vizir déchu), le comte d'Œls apporta un billet, tout frais arrivé des Tuileries. – De l'Empereur, dit Charles d'Este, le dépliant vivement. Sa Majesté priait le Duc qu'ils pussent avoir tous deux ensemble, une sérieuse conversation: «et je voudrais bien, s'il vous est possible, que ce fût demain vendredi, dans l'après-dînée.» A quoi le Duc fit réponse que oui, et se mit au lit fort intrigué, d'autant qu'un post-scriptum le priait d'apporter avec lui, quelques-uns de «ses beaux diamants.»

Il se rendit aux Tuileries, vers deux heures et demie, mais Sa Majesté, à ce moment même, recevait l'ambassadeur d'Autriche; et un chambellan avertit le Duc d'entrer dans le petit cabinet sur le jardin. La pièce était vide, et Charles d'Este s'amusa comme il put, à considérer les bronzes antiques et les médailles, qui garnissaient deux hautes vitrines. Le temps lui durait néanmoins, et il tirait sa montre à chaque minute.

– Ah! je vous y prends! dit d'un ton plaisant l'Empereur, qui venait d'entrer. Et tout de suite, il demanda aux deux laquais de l'antichambre si M. Babinet n'était pas encore arrivé, défendit qu'on l'interrompît, excepté pour l'avertir, sitôt que le savant paraîtrait; puis, ferma la porte au verrou.

– Mais, Sire! qu'est-ce qu'il y a donc? interrogea le Duc étonné.

Alors Sa Majesté le prenant par le bras, et le menant devant un attirail de cuivres et de cloches de verre qui chargeaient une petite table, lui dit, qu'au risque de l'ennui, il l'avait voulu régaler d'expériences curieuses touchant la coloration des diamants; que c'était M. Babinet qui lui en avait donné l'envie à lui-même, et cité le nom de Son Altesse comme d'un des meilleurs connaisseurs de pierres, et qui s'intéressaient le plus à ces questions; et, là-dessus, on peut penser, force remerciements du Duc. Ensuite, tous deux regardèrent les pierreries de la Couronne destinées pour les expériences, et dont Napoléon tira quelques petits écrins de sa poche. Il les déposait à mesure, au milieu des papiers, des atlas, des modèles de canonnières, et de sacs pour l'infanterie, dont le bureau était encombré; puis, sans transition, tout à coup:

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
291 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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