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Читать книгу: «Le Crépuscule des Dieux», страница 9

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– Vous avez beaucoup de parents, Monseigneur? demanda-t-il de sa voix pâteuse.

– Ah! Sire! exclama le Duc, que ne sont-ils tous, au fond des enfers!

Sa Majesté tracassa ses moustaches, comme un peu surpris du compliment, et avec un air si glacé et si important dans son silence, que le pauvre Duc changea de couleur.

– Qu'y a-t-il donc, Sire? Parlez! parlez! je puis tout entendre.

A ces mots, l'Empereur lui désignant un fauteuil, et allant se mettre à son bureau, vis-à-vis du Duc, lui dit, en forme de préface, qu'il avait de puissants ennemis. Charles d'Este déjà, la mine allumée, se remuait furieusement sur son siège; mais Sa Majesté, sans s'arrêter, l'avertit en termes exprès, qu'il fît attention à sa conduite, qu'on le guettait, qu'on voulait un éclat, que, selon la bonne coutume des parents et des alliés, il se brassait des choses contre lui, et finalement, lui lâcha le nom de son oncle et ancien tuteur, François V, le duc de Modène.

– Lui, le gueux! s'écria Son Altesse, dans une sorte de transport…

Sur quoi, lui coupant la parole, car il voulait en finir promptement, l'Empereur tourna court à un autre sujet, et demanda s'il était vrai que Charles d'Este eût dépensé seize millions pour l'hôtel Beaujon.

La réponse du Duc ne fut rien de suivi, mais les élans d'un homme qui s'indigne, et veut tempêter. Après l'avoir laissé quelque temps, pousser sa plainte, Sa Majesté dit que, quoi qu'il en fût, et quelque peine qu'Elle éprouvât de lui apprendre des choses aussi fâcheuses, Elle ne pouvait plus les retenir; qu'Elle savait donc, de source sûre, que la famille du Duc s'intriguait; que l'on affectait de redouter que tant de prodigalités, la construction de cet hôtel, cette furie intempestive de procès, et mille autres actions bizarres (mais ce ne fut pas le terme employé) ne marquassent quelque dérangement dans la santé de Son Altesse; qu'il était question de s'employer à mettre un terme à cet état de choses; que François, le duc de Modène, se trouvait à la tête de la coalition:

– Et j'ai tout lieu de croire, poursuivit l'Empereur, en appuyant fortement sur les mots, qu'il a commencé des démarches, afin de réunir un conseil de famille, qui vous placerait sous sa curatelle.

– Ah! Sire! pardonnez! dit le Duc, se levant tout debout, la face empourprée; et il commença de se promener par le cabinet, de long en large, en soufflant bruyamment… Un lâche! un tyran! un voleur, bégayait-il, tout suffoqué de colère:

– Oui! un voleur! car il était prouvé, qu'au moment de sa fuite honteuse, François V avait enlevé pour cinq à six millions de tableaux qui appartenaient à l'Etat. Un vieillard incapable et méchant, et dont lui-même, Charles d'Este, était de droit le supérieur, comme chef de la branche aînée…

Et, s'échauffant de plus en plus, la pauvre Altesse découronnée se mit à vomir des injures, dont le cabinet retentissait. L'Empereur, assis au milieu de son grand bureau en désordre, et une coupe en face de lui, où il prenait distraitement des pastilles de chocolat, se balançait d'un air absorbé.

– Oui! sans doute, reprit-il, tout cela est fâcheux, extrêmement fâcheux.

Enfin, après un assez long silence, pendant lequel le Duc, encore fumant, continua de marcher à grands pas, Sa Majesté le regarda bien en face, et dit que ce n'était pas tout: qu'Elle avait voulu connaître à fond, les effets possibles d'un pareil acte; qu'on les lui avait expliqués, et que la décision du conseil de famille, transmise à M. le Ministre des affaires étrangères, passant de là, au procureur impérial…

– Mais, Sire, interrompit le Duc, en France…

– En France, reprit l'Empereur, comme en Italie, en Suisse, en Russie, et partout où vous possédez, François V, en vertu de l'acte de séquestre, formera opposition sur les revenus de vos biens, et en fera juridiquement, ordonner la remise entre ses mains.

– Sire, dit le Duc, nous plaiderons!

– Hé, sans doute, je vous attendais là, répliqua l'Empereur qui haussa les épaules. Vous plaiderez… gagnerez-vous? Il paraît qu'on peut soutenir que l'acte du conseil de famille est un véritable statut personnel, qui vous suit, où que vous soyez; et M. le Ministre de la justice ne m'a pas caché que cette doctrine avait des chances d'être acceptée par le tribunal.

– Mais ce serait monstrueux, fit le Duc, avec emportement; voyons, Sire, je ne suis pas fou!

– N'avez-vous donc, poursuivit l'Empereur sans répondre, aucun moyen d'action contre François V? – et il se leva de son fauteuil, en attachant sur le Duc des yeux mornes.

Il y avait déjà longtemps que M. Babinet était annoncé. Le paquet une fois lâché, Sa Majesté alla ouvrir, l'appela tout haut, du seuil de la porte; et les premiers moments se passèrent en respects et en saluades du savant. Il était fort voûté, tout chenu, la tête grosse, et un délicieux pantalon gris perle; il arrivait de chez Sa Majesté l'Impératrice… – Je suis à vous dans un instant, permettez! reprit l'Empereur; et tirant le duc Charles à l'écart, il se remit sur le sujet interrompu, et lui demanda à voix basse, ce qu'il décidait.

– Sire! dit le Duc, j'ai trouvé. Il m'est resté entre les mains, diverses pièces de ma tutelle qui pourraient bien embarrasser mon cher oncle, et puisqu'on m'y force, je les emploierai. François V m'attaque à Paris, je le ferai condamner à Florence.

– Il vaudrait mieux ne pas plaider, Monseigneur, croyez-moi, reprit Sa Majesté.

Et cette parole dite un peu ferme, ayant réduit Charles d'Este au silence, l'Empereur le tira dans une embrasure, où il le tint plus d'un demi-quart d'heure, à représenter ce qu'un tel procès aurait d'indécent et de dangereux. De là, s'approchant encore plus près de l'oreille de Son Altesse, l'Empereur en vint sans doute, aux raisons politiques et confidentielles, qu'il développa longuement. Charles d'Este, le nez collé contre la vitre, d'où l'on voyait la sentinelle en bonnet à poil, aller et venir au-dessous, la Diane chasseresse presque vis-à-vis, et, par delà, les arbres verts des Tuileries, changeait de posture à chaque minute, comme un homme qui rage, et qui n'ose répliquer; – et l'on n'entendait d'autre bruit, dans la chambre pleine de soleil, que ce léger chuchotement, et les pas étouffés du savant, qui avait commencé d'installer ses appareils.

– Ne pas plaider! dit tout à coup le Duc, d'une voix haute.

Puis, après un instant de silence, levant la tête et soupirant, il demanda:

– Que faire donc?

– Que faire? répondit l'Empereur; il n'y a qu'une chose à faire, transiger.

– Transiger! répéta Son Altesse, avec une extrême amertume.

– Le duc de Modène est à Rome, poursuivit Sa Majesté; envoyez-lui un négociateur en qui vous ayez confiance; il fera peur au Duc qui est avare, le menacera d'un procès, et si les papiers dont vous me parlez, ont une réelle importance…

– Assurément! interrompit le Duc.

– Eh bien! le bonhomme sera trop heureux de ne plus jamais souffler mot de la demande d'interdiction, pourvu que, de votre côte, vous renonciez à le chicaner.

Et comme Charles d'Este ne répliquait point:

– Réfléchissez! dit l'Empereur, prenez votre temps; vous me rendrez réponse tout à l'heure.

Ils revinrent alors vers M. Babinet; et Sa Majesté, debout devant lui, avec le Duc en laisse, un peu en arrière, demeura quelque temps à considérer la machine pneumatique, que le savant faisait jouer. Le Duc rompit enfin le silence, en demandant si un tableau de Karl Muller, une Vierge qui se trouvait à droite de la bibliothèque, contre la tenture de soie verte, n'était pas un Raphaël? On parla de plusieurs choses indifférentes, qui conduisirent à des anecdotes de la cour; et Sa Majesté égayée, s'avisa de demander au savant des nouvelles de la réception à l'Académie, qui avait eu lieu la veille même. Mais M. Babinet déclara gaiement, n'avoir pu pénétrer dans la salle, tant la presse était prodigieuse.

– Et l'on a dit beaucoup de mal de moi? demanda l'Empereur, avec un pâle sourire.

A quoi le savant répliqua, d'une voix contenue et modeste, qui montrait le bon mot forgé à loisir, que les orléanistes outraient sur le marquis de Mascarille, (lequel voulait, comme chacun sait, mettre l'histoire romaine en madrigaux,) mais que ces messieurs s'évertuaient à la tourner en épigrammes; – et cette allusion à la harangue de l'académicien reçu, qui, en dissertant des Césars, avait surtout critiqué Napoléon, fit sourire Sa Majesté.

La première expérience fut courte. Les diamants, sous l'action d'un courant électrique, s'illuminèrent, et chatoyèrent de mille feux multicolores, tandis que M. Babinet, voltigeant de propos en propos, donnait toutes les explications, sans un seul mot qui pût sentir la pédanterie académique. Les deux souverains comprenaient, goûtaient à cela un secret plaisir, et Charles d'Este finit même par interroger le physicien:

– La science parviendrait-elle à fabriquer jamais des diamants?

M. Babinet rassura le Duc; et tout en rattachant les rideaux des fenêtres à leurs embrasses de velours vert:

– Si j'avais cette vérité-là dans les mains, dit-il, parodiant le mot de Fontenelle, je me garderais bien de les ouvrir.

Il y eut un peu de silence, puis l'Empereur, promenant un coup d'œil sur les creusets, les fourneaux et tout l'attirail que M. Babinet déployait, pour les expériences qui allaient suivre, proposa au Duc, en attendant, de passer avec lui dans son arrière-cabinet. C'était un réduit à tenir quatre ou cinq personnes serrées, où Napoléon avait un bureau, des sièges, des livres, et que connaissaient seulement ses plus privés familiers, ainsi qu'il le dit à Charles d'Este. Deux miniatures d'Isabey pendaient au mur: l'une, la reine Hortense à quinze ans, blonde, souriante, avec des yeux bleus; et près d'elle, le prince Eugène, une tête poupine et frisée, à qui le duc Charles assura qu'il ressemblait beaucoup dans sa jeunesse. Alors Sa Majesté, d'une voix sourde:

– J'ai pris une part bien sincère, Monseigneur, à la perte cruelle que vous avez faite récemment.

Le Duc hésita quelque peu; puis, pensant qu'il s'agissait de Hans Ulric, il murmura les mots «d'affreux malheur,» car, pour ne pas avouer le suicide, on avait répandu que le comte s'était tué par accident, en nettoyant ses pistolets.

– Il vous reste deux fils, reprit Sa Majesté.

– Oui, Sire!

– Je suis fâché, dit l'Empereur qui atteignit, dans un tiroir secret du bureau, une chemise de papier gris, qu'il me faille me plaindre à vous de l'un des deux; mais aussi, voyez, Monseigneur, s'il y a moyen de faire autrement?

C'était une note de police qui concernait le comte Otto, et que Charles d'Este lut d'un coup d'œil. Son fils y était accusé ou, du moins, fortement soupçonné, d'avoir fait, par un sinistre jeu, brûler vive une femme galante, chez qui le feu avait pris plus qu'étrangement. Et le maudit rapport contenait en outre, une telle profusion de détails sur la férocité d'Otto et ses monstrueuses débauches, que Son Altesse s'altéra visiblement, tandis que l'Empereur disait de sa voix pâteuse:

– Le comte Otto est bien né, Monseigneur, mais il a été mal fouetté.

– Oh! Sire, s'écria le Duc, mon fils et moi avons tant d'ennemis!

– Il serait pourtant à propos, reprit doucement Napoléon, que le comte Otto voyageât, et s'éloignât pendant quelque temps; puis, comme le Duc faisait mine de vouloir disputer là dessus, Sa Majesté y coupa court aussitôt, en déclarant d'un ton de maître, qu'Otto, par ce qu'il était né, eût dû garder plus de respect pour lui-même, qu'il ne fallait pas moins qu'être le fils de Son Altesse pour que l'on consentît à fermer les yeux, que le scandale de sa conduite ne se pouvait déjà plus couvrir par son nom et sa dignité, en un mot comme en cent, que le comte devait partir.

– C'est bien, Sire, j'obéirai, dit le duc Charles d'une voix brève; ou plutôt, continua-t-il, à un geste de l'Empereur, je suivrai les deux conseils que Votre Majesté a bien voulu me donner.

Trois jours après, le comte Franz se mettait en route pour l'Italie. Le Duc, quelque éloigné qu'il fût de donner des missions à ceux de son sang, n'avait pu trouver que lui, comme ambassadeur. Arcangeli, las d'un état, où d'infimes occupations le tenaient encore, comme suspendu par les cheveux, mais sans avoir pied nulle part, et toujours au bord d'une disgrâce, demanda à accompagner le comte en qualité de truchement, ce que Son Altesse accorda, pour s'ôter l'Italien de devant les yeux; et Emilia, elle aussi, prit le chemin de fer de Lyon, le lendemain de leur départ. La même journée vit s'éloigner Otto, à qui son père avait signifié la volonté de l'Empereur. Il reçut cet ordre sans chagrin, et le soir même, paria qu'il irait de Paris à Vienne en treize jours, sur Bellua, sa jument favorite. Il monta à cheval à l'heure dite, et un groupe de ses amis l'accompagna jusqu'à la barrière du Trône. Là, il rendit la main, et s'éloigna au galop.

VII

Le quarante et unième jour après son arrivée à Rome, un mardi, fête de Saint-Victor, en l'honneur duquel, tout justement, carillonnaient des cloches lointaines, Arcangeli fut réveillé à cinq heures du matin en sursaut, et vit, en même temps, Emilia ouvrir les persiennes de son galetas, et un garçon bleu de l'hôtel Manni, qui se tenait debout devant lui, avec une lettre à la main. C'était une dépêche de Charles d'Este, arrivée dans la nuit, au comte Franz, et qui prescrivait que Giovan quittât Rome incontinent, et s'en revînt tout d'une traite, à Paris.

Il se dressa debout sur son matelas, et cria: Viva Garibaldi! Ses disgrâces avaient pris fin, le voilà sauvé, ressuscité, ramené du fond des abîmes. La Cucurani l'avait bien prédit qu'il ne pourrirait pas disgracié; – tu te rappelles, sorella. Et tous deux, tandis que Giovanni, le pied levé contre le mur, cire ses chaussures frénétiquement, ils se renvoient la balle l'un à l'autre, en énumérant les choses surprenantes que la sorcière leur a dites: ces détails exacts et précis, le jour, l'heure, l'endroit du campo di Fiori, où Franz, une semaine après son arrivée, a rencontré Emilia, son silence, les jours suivants, l'amour lui renaissant peu à peu, les tentatives qu'il a faites pour être admis en sa présence, tout enfin, jusqu'à ses propos mêmes, quand le galant a supplié Giovan de venir habiter avec sa sœur, chez leur vieille mamaccia, afin d'être plus à portée de le seconder dans sa passion.

– Ah! bonne Vierge, dit la jeune femme qui fondit en larmes tout à coup, et maintenant je reste seule, tu m'abandonnes… Hi! hi! hi! que je suis malheureuse!

– Allons, sotte! reprit-il avec vivacité, vous savez bien que tout est prêt, et que nos bons amis n'ont plus besoin de Giovan, pour achever la comédie.

Telle était bien la vérité. La seule vue des jupes d'Emilia, rencontrée au tournant d'une rue, avait bouleversé le jeune homme. Une passion renaît toujours, tant qu'on ne l'a pas ôtée jusqu'à la dernière racine; et Franz, sans fiel, comme la colombe, lassé d'ailleurs, de voltiger et de cueillir des faveurs passagères, oublia tous ses anciens griefs, et ne trouva même plus suspecte la présence à Rome d'Emilia, dès qu'il eut conçu le secret espoir que celle-ci redevînt sa maîtresse. Ce fut d'abord une simple pensée, puis une vive imagination, et un désir sans cesse grandissant, qui l'occupa bientôt, jour et nuit. Les négociations n'avançaient que lentement. Napoléon faisait agir sous main, auprès de François V, par la Curie romaine; et le pauvre comte inoccupé, se mourait de chaleur et d'ennui. Des rues sales, un soleil de plomb, des nuits de moustiques et de punaises, avec des naturels grossiers, se soulageant le long des maisons, et un goût d'huile abominable aux mets qu'on lui présentait, voilà ce qu'il y avait pour Franz, dans cette cité tant célébrée, et dont il trouvait tout déplaisant et ridicule, les mœurs, les enseignes, les costumes, – jusqu'au Colisée «plus petit», qu'il ne l'avait imaginé. Pour seule ressource, c'étaient les longues visites de Giovan, mais un Giovan sombre et sérieux, qui s'essuyait le front d'un air morne. Il avait été repoussé; à quoi bon s'obstiner plus longtemps? la malheureuse avait le cœur brisé… Après quoi, d'accablants silences, la tristesse qui s'épaississait, les bâillements qui redoublaient, jusqu'au moment où l'Italien, se levant enfin et se retirant, le comte lui tendait un nouveau poulet destiné à Emilia, ou bien, lui donnait rendez-vous pour la prochaine matinée, dans quelque jardin, ou quelque église, – et voilà cet homme, si fringant jadis et si plein de superbe, à Paris!

Ce jour-là, quand Franz, tout ému, descendit les marches de San-Clemente, il aperçut de loin le bouffon agenouillé, environné de triangles de bougies de cire, dont il avait fait allumer précisément, quarante et une, le chiffre fatidique de ses jours d'exil, et qui continua de pousser son oraison et de se frapper la poitrine, jusqu'à l'entier achèvement de ses quarante et un Pater, entrelardés d'Ave en même nombre.

Alors le pauvre comte, se plantant devant lui, et d'un ton de gémissement:

– Tu pars, Giovan, dit-il, tu m'abandonnes, moi qui n'avais d'espoir qu'en toi!

Il était en guêtres, en pantalon bleu, si correct avec ses favoris et son petit épagneul sous le bras, que Giovan, par ressouvenir des voyageurs guêtrés et fashionables qui lui jetaient jadis des grani, sur la route de Castellamare:

– Allons, dit-il en bouffonnant, signor Inglese, du courage! Eh! pardieu! vous n'en mourrez pas! Il se pencha vers son oreille: Prévenez votre père immédiatement, que vous avez encore besoin de moi, pendant trois… quatre jours… affaires de haute importance… négociations entamées… les intérêts de Son Altesse; et il le tenait par le coude, en l'arrêtant à chaque degré; – puis, comme du seuil de l'église, où Franz ôtait la laisse à son chien, on apercevait sur les murs, des affiches multicolores:

Frizo ne craint pas Patrizio
Patrizio ne craint pas Frizo,

défis de deux escamoteurs, fort populaires, à ce moment-là, parmi la canaille de Rome:

– Et moi, dit Giovanni, gambadant et lançant son chapeau en l'air, je ne crains ni Frizo ni Patrizio, seigneur comte; avant trois jours, Emilia et vous, serez comme deux tourtereaux.

Pendant près d'une semaine encore, on vit donc le Napolitain, tantôt de ci, tantôt de là, en fréquents colloques avec des sbires, parlant sous des porches obscurs à des abbati mystérieux, toujours en course et affairé, et faisant par journée, deux cents signes de croix, et autant de génuflexions, le bon apôtre, tant il y a d'églises dans la Ville éternelle. Là-dessus, toutes choses arrangées, la patte de ses acolytes largement graissée, et après avoir assisté à l'entrevue du comte avec Emilia, qui se passa parmi le trouble et les plus vives effusions, Arcangeli partit enfin, la tête encore pleine du grand coup de dés que sa sœur hasardait à Rome, mais le nez déjà tout tourné vers l'hôtel Beaujon, et la façon dont, lui présent, assurerait et rendrait stable, ce que son absence avait commencé de reconquérir.

Il ne s'arrêta nulle part, avala prestement à deux ou trois buffets, quelque cuisse de chapon; et un mercredi, vers les neuf heures, Arcangeli, poudreux, joyeux et se fredonnant des cavatines, passait devant le Génie d'or de la colonne de Juillet, moins alerte et moins palpitant, assurément, que ce diable d'homme.

Quelle ne fut pas la stupeur de l'excellent M. d'Andonville qui, posté au haut du perron, et jouissant avec sérénité, du calme imposant de la cour d'honneur, semblait mirer son habit sang de bœuf dans les marbres et les jaspes polis dont il était environné, d'apercevoir là, tout à coup, et l'on peut dire, tombé des nues, comme une vilaine chenille, un fiacre délabré et boueux, qui portait sur sa galerie, une malle de servante éclatée, raccommodée d'une ficelle, et deux ou trois sacs de tapisserie.

– Quoi! c'est vous! exclama-t-il tout saisi, en reconnaissant l'Italien.

– Hé oui! c'est moi! c'est moi! Ah! journée heureuse! et de son feutre noir, décoré d'un œil de paon, l'effronté comédien saluait cette façade hospitalière, quand son regard rencontra Giulia, arrêtée derrière une vitre.

– Mala bestia! lança-t-il, avec un crachat méprisant… Et un peu rembruni, l'Italien monta le perron, en s'informant à haute voix, de la santé de Son Altesse Sérénissime, cependant qu'un groupe de marmitons, au milieu desquels paradait un nègre gigantesque, habillé à la turque, se pressaient pour le considérer.

– Le comte Otto… répondit le Normand qui s'effaça, laissant le pas à M. le secrétaire des commandements…

– Non, non! protesta l'Italien, que Votre Excellence passe d'abord… Mais qu'ont-ils donc, ces coglioni?..

– A demandé hier par dépêche au Duc… Après vous, monsieur Arcangeli.

– A me dévisager ainsi… Je n'en ferai rien, monsieur d'Andonville.

– Cent vingt-cinq mille francs, acheva le digne chambellan, lequel cligna des yeux et clappa fortement de la langue. Le demi-million en deux mois! ah! ah! ah! la vie est chère à Vienne!.. Il regarda, et s'élança vers les cuisines, d'où partaient des cris: Ali! attends un peu! coquin!.. – Le Nubien est insupportable, reprit-il, une fois revenu, et tout en s'épongeant les tempes. Mais voilà le fidèle Joseph qui vous cherche de la part du Duc.

Arcangeli fut enlevé, ainsi qu'un Mercure qui s'envole au prologue d'un opéra, dans la fameuse machine bleu de ciel. Il éprouvait quelque peu d'émotion à la pensée de reparaître devant ce Jupiter capricieux; et arrêté dans l'antichambre, le malin singe s'y rajustait, quand il entendit, à travers la porte, la voix de son maître:

– Brave enfant! disait Charles d'Este; vous avez vu, Ulmann, lorsqu'il est arrivé, vingt-cinq officiers autrichiens se sont portés à sa rencontre jusqu'à Linz, pour témoigner leur sympathie envers le fils du duc de Blankenbourg.

– Il est question d'Otto, pensa Giovan. Ulmann?.. quelque employé de M. de Rothschild; et soulevant l'épaisse portière, l'Italien se précipita:

– Ah! Monseigneur, Monseigneur, quelle joie!

– Chut! fit le Duc, avec un regard impérieux qui cloua le bouffon sur place, et bien étonné. Tout son arrangement de scène fut déconcerté; nulle embrassade, point de sensibilité, et le Duc, flegmatique et hautain, comme il n'avait jamais paru. Renversé dans un grand fauteuil, l'air concentré, sur la tête, un léger bonnet de cachemire vert, Charles d'Este considérait en face de lui, des liasses épaisses de billets de banque, et un bel homme impassible, frisé, qui les comptait du pouce rapidement, puis les jetait par paquets, à sa droite.

– Oui! oui! dit Son Altesse avec gravité, en prenant sur le guéridon, un fatras de toutes sortes de gazettes, pleines d'Otto et de portraits de son cheval:

La jument Bellua, qui a fait le trajet de Paris à Vienne, en treize jours… vérifiez, Ulmann, vérifiez, j'aime mieux cela; le baron James me disait hier, qu'il circule en ce moment, à Paris, une quantité de billets faux.

Et, se rappelant au même moment, un article de l'Entraîneur récemment paru sur Otto, Charles d'Este l'écrivait en note, afin d'envoyer au rédacteur, selon son usage constant, quelque brimborion de bijou, quand en levant les yeux, il vit M. Ulmann s'arrêter, balancer, recompter une des liasses, et finalement la jeter à part, à sa gauche, comme un homme qui sépare l'ivraie du bon grain. – Hein! quoi? qu'est-ce que cela voulait dire? et Son Altesse se dressa en pied. Un deuxième paquet, au bout d'un instant, s'en vint rejoindre le paquet suspect, puis un troisième, un quatrième, coup sur coup. – Ah! mille tonnerres du diable! les billets n'étaient donc pas bons!.. Et le duc Charles tout hérissé, serrant autour de lui son vêtement flottant de damas à fleurs, et traînant ses babouches de cuir jaune, se mit à marcher, de long en large. Mais quand, pour la cinquième fois, ce vilain juif, avec son geste insultant, eût jeté au rebut une nouvelle liasse, le duc Charles n'y put tenir. Se plantant droit devant Arcangeli, qui, les yeux baissés et transi, aurait bien voulu être sous terre, il lui dit, d'une voix étranglée de furie:

– Sortez, impudent coquin! je vous chasse!

L'autre pensa fondre de saisissement, puis il sortit, sans répliquer. Cependant, le dernier paquet compté, M. Ulmann venait de se lever.

– Il y avait donc des billets faux? dit le Duc, d'un accent altéré.

– Faux!.. ils sont fort bons au contraire, reprit le caissier placidement, mais je les ai séparés par séries.

Et voilà un homme bien étonné que Son Altesse se lève de sa chaise, coure à la porte avec impétuosité, l'ouvre et crie d'une voix forte:

– Arcangeli! Arcangeli! viens donc! que je suis heureux de te revoir!

Puis, soulevant d'un air affligé, son bonnet de cachemire vert, ce qui montra un crâne presque chauve:

– Ah! Giovan! ton maître est bien changé, mon enfant!

Les baignades, parfumeries, étuveries de Son Altesse reprirent donc leur cours, dès le lendemain, avec Giovan comme grand maître; c'était bien fini sa disgrâce, et les portes fermées devant lui, tandis que Giulia triomphait. La médaille avait tourné plutôt; l'Italien, à sa surprise extrême et à son entier ravissement, lui qui s'épuisait à chercher comment jeter dehors cette sultane, vit promptement que la machine roulait encore mieux d'impulsion propre, que par les efforts qu'il ferait. Il s'élevait au milieu de l'hôtel, je ne sais quelle voix confuse qui proclamait ouvertement, la décadence de la Belcredi, et les faits y répondaient assez. Plus de déjeuners tête-à-tête; l'humeur capricieuse du Duc en avait renversé les escabelles; les mignardises, les cajoleries semblaient lui puer maintenant, pour être surannées et fanées. Restaient-ils ensemble un moment, la contrainte du Duc sautait aux yeux. Il bâillait, ne savait qu'inventer:

– Tiens! voilà le galant de Sophie! disait-il enfin, posté à la vitre, et en accueillant, chaque jour, de la même fade plaisanterie, l'apparition du père Le Charmel, le confesseur, l'ami spirituel de la princesse de Hanau. On les apercevait, elle et lui, fort souvent dans le parterre d'orangers, de plain-pied à l'appartement d'Otto, et qui, taillé et régulier, fait là, au milieu des jardins, comme un bosquet de vases, de statues et de compartiments de fleurs, en terrasse sur le grand bassin. Christiane aussi, quelquefois, s'y traînait languissamment avec eux, toute noire au soleil couchant; et Charles d'Este, alors, ne manquait pas de lancer de dédaigneux brocards sur la laide tache de vin dont le Dominicain avait la joue couverte. – Quel museau! un joli galant à apprivoiser ainsi les femmes! Cela rappelait à Giovan l'envie absolument pareille de l'abbé Sotto-Cornela, l'un de ses bons amis de Rome, les filets préparés là-bas pour prendre Franz; et le baladin commençait à passer les plus mauvaises nuits, par l'impatience où il était de recevoir enfin quelque nouvelle.

Le mardi 12 août, sortant à neuf heures et demie, pour aller faire une commande d'eaux de senteur et de pommades chez Félix (Giovan se l'est toujours rappelé) on lui courut après de l'hôtel: Arrête! arrête! C'était un billet par dépêche, qui ne contenait que ces mots, passablement énigmatiques:

Fais dire une messe pour la réussite,

et le nom de sa sœur au bout. L'Italien, afin de s'éclaircir, courut chez la somnambule. Il était temps. La farce se jouait à Rome, dans ce moment même, comme cette femme, à peine endormie, en dépeignit parfaitement, et le lieu et les péripéties: la chambre empire à carreaux rouges, Emilia debout, le teint enflammé, sur qui la sibylle s'écria pour sa ressemblance avec Giovan, et un homme à ses pieds, qui paraissait supplier. – Pauvre Franz! ricana l'Italien; va! je sais ce qu'on te répond: Je ne veux pas me damner… Allons trouver quelque curé; bref, ce qui précède d'ordinaire, un bon petit mariage clandestin à la romaine…

La scène changeait en effet. Grande joie! Franz avait consenti… Emilia l'embrassait… courait… sortait avec lui. Là-dessus, un troisième acteur fit son entrée, en la personne de ce bon abbé Sotto-Cornela, lequel suivait le couple par les rues, reconnaissable à sa large tache de vin. Ensuite, minute à minute, et si fatiguée qu'elle fût, dona Estefania raconta la messe, telle qu'Arcangeli y avait maintes fois assisté, dans cette petite église du Transtevère, la description de la nef obscure, des gens du peuple agenouillés, des bougies de cire qui brûlaient. Tout d'un coup, une clochette tinte. Le prêtre à l'autel, élève l'hostie. Emilia saisit la main de Franz et lui chuchote quelques mots:

– Mon François, je te prends pour époux!

– Emilia, je te prends pour épouse!

Et brusquement le rideau tomba, Giovan ayant vu tout ce qu'il voulait voir. – Ah! le bon billet qu'a la Châtre! se disait Franz à Rome, à la même heure, sûr de la nullité d'un tel mariage, qui – tout inexplicables que soient de telles espèces de sortilèges, – s'était pourtant accompli en réalité, comme l'avait décrit la Estefania. Et le bouffon, de son côté, en regagnant l'hôtel Beaujon, riait des rires du seigneur comte, car le très saint Concile de Trente a prévu ces unions secrètes, et les a déclarées sacrilèges.

Il fallut que Giovan inventât une défaite pour ces quelques heures d'absence, son maître renfermant sous clef, jalousement, tout ce qui avait l'honneur de l'approcher. Le ridicule que le Duc supposait à son crâne pelé, le rendait le plus maussade des hommes. Il avait essayé de tout, réuni savants et médecins, épuisé les moelles de bœuf, les onguents, les lotions, les jouvences. L'entretien, du matin au soir, revenait sur ce sujet unique, auquel Arcangeli répondait comme l'effleurant à peine, prenant garde à toujours éviter, par quelque circonlocution, le terme détesté de «chauve.» Puis, comme Charles d'Este demeurait morne, s'écriant seulement parfois, ainsi qu'en un spasme de sa douleur, qu'il lui répugnait trop de porter les cheveux de quelque pouilleux enterré, le célèbre M. Félix jugeait à propos d'intervenir:

– Si les perruques de cheveux, exclamait l'illustre Toulousain, ont le malheur de répugner à Votre Altesse Sérénissime, que Votre Altesse essaie des perruques de soie! Et vite, il en tirait quelqu'une de ses cassettes, et la tournait, la maniait, sur son champignon de porcelaine rose. – Non, pas à présent, répondait le Duc, qui sentait attachés sur lui, les yeux perçants de la Belcredi. – Avait-elle jamais daigné marquer le moindre intérêt à tout cela? C'était, sans doute, au-dessous d'elle; on faisait la majestueuse, la dédaigneuse; et Charles d'Este ne respirait qu'en se retrouvant seul avec ses deux acolytes. Mais le miroir ne contentait pas plus pour cela, le pauvre homme. Il cherchait sa physionomie, son front, ses yeux, tous ses traits, lesquels ne se retrouvaient plus. D'ailleurs, comment changer de coiffure à son gré, et en varier la disposition?

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
291 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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