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Читать книгу: «Souvenirs d'égotisme», страница 14

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XXXV
A Martial Daru

Grenoble, 1er juin.
Mon cher cousin,

Me voici à Grenoble, mais ce n’est pas par inconstance; je n’ai quitté instantanément Marseille que sur des lettres terribles de mon grand père. Le commerce humilie mon père, il ne fera rien pour un fils qui remue des barriques d’eau-de-vie, tout au monde pour un fils dont il verrait le nom dans les journaux. C’est ce qui vous a procuré tant de lettres à M. D.177 et à vous.

Croyez-vous que M. D. veuille s’occuper de moi? Me croit-il un peu mûri depuis le temps où je donnai ma démission? s’il pense encore à moi: – deux ans d’épreuves, après quoi il jugera.

Vous savez, mon cher cousin, pour combien de millions de raisons j’aimerais mieux copier des revues dans votre bureau178 qu’une place de six mille francs à deux cents lieues. Ne croyez pas que c’est Paris que je désire, c’est la vie de la Casa d’Adela179, ce sont les bontés dont vous me comblez, c’est l’espoir de pouvoir acquérir quelques-unes de ces qualités qui font le bonheur et qui vous font adorer par tout ce qui vous entoure.

S’il vous faut un homme qui travaille dix heures par jour, le voici. S’il est auprès de vous, il n’a pas besoin de parler de sa constance et il demande avant tout deux ans d’épreuves.

Adieu, mon cher cousin, auriez-vous le temps de m’écrire une demi-ligne? Surtout ne vous gênez en rien; n’importunez pas M. D. Tout ce que je vous demande, c’est de dire mille choses à toute la famille, et à Mme Rebaffet en particulier, que j’ai bien des choses à lui apprendre de la part de Mme de P., mais que je ne lui écrirai que lorsque j’aurai perdu l’espoir de les lui dire.

Comment se porte Mme Adèle? elle doit être bien affligée du chagrin de son amie180.

XXXVI
Mélanie Guilbert à Henri Beyle

Paris, 2 juin 1806.

Je ne t’écris qu’un mot, ma bonne minette, car je suis dans mes jours de mélancolies et même plus que cela mais je veux pourtant te dire combien je suis contente de te voir rapproché de moi et surtout quel plaisir me fait l’espérance de te revoir. Je compte que tu passeras un mois chez ton père et qu’ensuite tu reviendras à Paris. Oh! mon ami, j’ai bien besoin que tu m’aimes!

Et ta sœur comment se porte-t-elle! Pourquoi ne t’écrivait-elle pas? Il est tout simple qu’elle ne m’ait pas répondu, mais à toi! qui pouvait l’en empêcher? Est-ce qu’elle était malheureuse? Parle moi d’elle avec beaucoup de détails.

Adieu, mon bon ami, je ne sais pas ce que j’ai: je ne peux t’écrire.

Réponds à mes trois dernières lettres, je t’en prie. J’ai besoin que tu me tranquillises: mes pressentiments me disent depuis longtemps que je ne serai jamais heureuse et si tu ne m’aimes pas bien ils ne seront que trop justifiés. Adieu181.

XXXVII
Mélanie Guilbert a Henri Beyle

Paris, 10 juin 1806.

Depuis six semaines, tu me répondras, dis-tu, demain quand tu n’auras pas une heure, un moment d’ennui qui te trouble l’esprit. Bien, mon ami, il ne faut pas te presser. J’estimerais cependant davantage une marche franche à ces petits détours qui peuvent éluder ta réponse tant qu’il te plaira, mais non pas m’en imposer longtemps.

Je t’ai demandé: 1º Si, dans le cas où je pourrais suppléer par mes faibles talents à ce que te donnent tes parents, si, dis-je, tu me portais assez d’attachement pour sacrifier tes espérances de fortune dans le cas où il faudrait choisir entre ce sacrifice et celui de ma personne.

2º D’examiner lequel de nous a le sort le plus stable afin que l’autre s’y abandonnât entièrement et que nous ne fussions plus forcés de nous séparer.

3º Si tu es assez faible ou si tu m’aimes assez peu pour me sacrifier à la volonté de tes parents, ou bien à tes projets d’ambition.

4º Enfin, si ton intention est bien de passer ta vie avec moi, de me la consacrer entièrement, quelque chose qu’il puisse en arriver, de me dire en galant homme, et après y avoir mûrement réfléchi, si c’est bien là ta volonté irrévocable et de m’avouer le contraire, si cela n’était pas.

J’attache ma tranquillité à cet éclaircissement, je te donne les témoignages de la plus vive tendresse, du plus tendre attachement. Je t’en ai même donné des preuves incontestables, et à tout cela tu me réponds des lettres vagues, tu me dis que tu m’aimes toujours et que je le verrai bien dans quinze jours, époque à laquelle tu te promets d’être près de moi, ce qui veut dire que tu me feras beaucoup de caresses, de protestations, que tu seras bien aise de me voir, etc. C’est peut être beaucoup dans ton esprit, mais ce n’est rien pour moi, surtout quand je songe à toute ta conduite et même à ton caractère; je n’en suis pas plus persuadée que tu m’aimes comme je le souhaite, et comme j’en ai besoin pour être heureuse, pour avoir le cœur content. C’est pourquoi j’aurais voulu un peu plus de franchise.

Je ne demande plus rien à présent, j’ai pu me faire illusion jusqu’à un certain point, mais mon cœur m’en dit plus que je n’en voudrais savoir. Tu m’aimes comme un jeune homme dont la conduite présente ne tire point à conséquence sur ta destinée future et dont le but est de passer le temps le moins désagréablement possible. Et j’ai pu me croire aimée de toi comme la compagne de ta vie? Eh bien! me trouves-tu assez ridicule?

Tu me diras peut-être que je me fâche; non, je t’assure, je n’ai même pas ce bonheur, j’ai une expérience si triste du cœur humain, que si je m’étonne des malheurs qui m’arrivent, c’est de ne les avoir pas prévus, mais ils ne m’irritent plus. Je sais trop que je serai malheureuse, et je me résigne à mon sort.

Je remercie beaucoup ta sœur du petit mot qu’elle m’écrit; dis-lui que je sens ce qu’elle fait pour moi – et je sens aussi quelle reconnaissance je te dois pour cette marque d’amitié et de complaisance.

Quoique toute ma conduite ait dû te prouver combien tu m’es cher, que je te l’aie sans cesse répété, tu as cependant pensé que M. Blanc, étant devenu puissant, m’attirait à Naples. Ces idées-là ne m’étonnent pas, mon bon ami, et je te les pardonne bien volontiers. Je crois que tu ne peux connaître mon cœur.

A propos de M. Blanc, j’ai toujours oublié de répondre aux questions que tu m’as faites pour savoir quelle est sa position.

Il est maintenant directeur et inspecteur général des douanes; c’est, dit-on, une place à argent. Il m’a écrit il y a trois jours qu’il m’avait engagée au théâtre de Naples pour 5,000 francs, d’ici à Pâques. Il m’assure que l’année prochaine j’aurai au moins 8,000 francs, et il me presse de ratifier ce qu’il a fait, mais j’avoue que je ne suis pas peu embarrassée. Rien n’avance ici pour mes débuts, quoique l’on me donne un peu d’espoir.

J’éprouve des choses qui me navrent le cœur, qui me découragent entièrement, je n’ai plus aucun repos, je ne compte plus sur aucun ami; ceux que je dois regarder comme tels me conseillent des choses auxquelles il m’est impossible de condescendre. Vous ne réussirez donc pas, me dit-on, et cela n’est sans doute que trop certain, mais je voudrais en être plus sûre encore; dans ce cas, je partirais pour Naples. Nul motif puissant ne doit plus maintenant m’attacher à la France, je n’y ai pas eu un seul ami, d’ailleurs, toutes mes ressources sont épuisées; je n’existe qu’en vendant chaque jour quelques bagatelles qui me restaient encore, mais qui ne peuvent me conduire bien loin, et peut-être ferais-je bien de partir tout de suite, mais je ne peux m’y résoudre. Je vais écrire une lettre à M. Blanc, dans laquelle je lui demanderai un peu de temps pour réfléchir, je veux encore tenter quelques démarches auprès de M. de Rémusat182; si elles ne réussissent pas, comme il est à présumer, je ne prendrai plus la peine de songer à mon sort, il deviendra ce qu’il plaira à Dieu; je pourrai désirer encore quelque chose, mais jamais plus espérer183.

XXXVIII
A sa Sœur Pauline 184

(1806)

Hé bien, ma chère Pauline, où en es-tu donc? Tu deviens d’un silence horrible. Je quitte ce trou pour un petit voyage, j’attendais toujours une de tes lettres avant que de partir. Elle n’arrive point; et je veux te la demander avant que de monter à cheval. Je crois pour moi qu’un prêtre, un oui, 3 mots latins vont faire de toi une heureuse femme, j’espère; mais il faut en finir. Apprends-moi en détail où en est cette affaire et dis mille choses tendres et fraternelles à ton mari.

Qui plus est. Il paraît que je vais aller en Espagne, c’est-à-dire en Afrique. Fais-moi faire des chemises de bonne toile de Voiron, pas trop grosse cependant, plus quelques mouchoirs. Je ferai prendre tout cela en allant vous embrasser. Parle to our great father of letters which. I have (illisible) to Mistress. D. the mother and to the great sir D185.

Adieu, embrasse tout le monde et donne-moi des nouvelles de Grenoble, qui est aussi inconnu pour moi, depuis 18 mois, que le faubourg Péra.

Henri186.

XXXIX
A Monsieur Mounier, auditeur au Conseil d’État, secrétaire de S. M. l’Empereur et Roi, a Schœnbrunn

Voici, monsieur, le protégé de Pascal187 dont je vous ai parlé avant-hier. J’avais une place pour lui; l’armistice s’est conclu pendant son voyage, et une chose très simple est devenue difficile. M. Rondet connaît les formes de l’administration. Je pense que si, à défaut d’autre moyen, vous écrivez à M. Daru, il nous sera plus facile d’obtenir un emploi de 150 ou 200 francs.

Agréez, je vous prie, l’assurance de ma considération distinguée.

Vienne, le 1er septembre 1807.

De Beyle.

XL
A sa Sœur Pauline

Brunswick188, 25 décembre 1807.

Je pars aujourd’hui, jour de Noël, à 5 heures du matin, pour Paris. Je t’écris cela bien pour que tu aies à m’écrire bien vite à Paris, rue de Lille, nº 55.

Je devais partir il y a huit jours, mais le Gouvernement et l’Intendant ont voulu attendre des matériaux plus étendus pour ma mission.

Tous les préparatifs du voyage sont enfin finis. Il fait un temps affreux mêlé de pluie, de grêle et de neige, il fait noir comme dans un four, le vent éteint les bougies dans les lanternes de la voiture. Hier, à 7 heures du soir, je ne pensais plus à ce voyage; il aura ses peines et ses plaisirs, revoir tant de personnes si chères! mais les quitter au bout de huit jours!

Je t’écrirai dès que j’aurai mis le pied en France, à Mayence. Je vais par Cassel, Fulde, Francfort. Les postes sont si indignement servies que nous ne recevons point de lettres directement. Peut-être celles que nous écrivons ont-elles le même sort. D… est en bonne santé et en route de Posen sur Varsovie.

Porte-toi bien et aime-moi et écris-moi. Dis à nos connaissances comme Mme Marnay que je saisis l’occasion de la nouvelle année pour l’assurer que quoique galopant de Brunswick à Paris, je ne l’en aime pas moins que lorsque Colomb et moi allions faire la partie chez elle.

Ainsi de suite, n’oublie pas.

Henri189.

XLI
A M. Krabe, membre de la Chambre de Guerre et des Domaines

Brunswick, 13 janvier 1808.

Le Ministre de la Guerre a donné l’ordre, Monsieur, qu’on constatât par procès-verbal l’état des casernes existantes à Brunswick et à Wolfenbuttel, les bâtiments qui pourraient être disposés en casernes, les dépenses à y faire pour les rendre propres à cet usage, et enfin le nombre d’hommes et de chevaux qu’on pourrait y loger.

Personne plus que vous, Monsieur, n’est en état de s’acquitter de cette opération avec succès. Je vous prie, en conséquence, de m’indiquer l’heure à laquelle nous pourrons parcourir ensemble les casernes actuellement existantes et les bâtiments qui peuvent le devenir. Nous dresserons, après cette visite, les procès-verbaux demandés.

J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

Le Commissaire des Guerres,
De Beyle190.

XLII
A sa Sœur Pauline

Le 19 janvier 1808.

Hé bien, petite bringue, tu mériterais bien que je renouvelasse pour toi ce terme élégant et antique.

Peut-on être plus molle que toi, depuis quatre mois tu ne m’écris pas un mot. Je n’apprends des nouvelles de Grenoble que par les papiers publics.

Donne-moi les nouvelles de famille que je ne puis trouver dans les papiers publics. Mon père recevra incessamment un premier envoi de graines. Il y en a une entre autres qui n’est que sublime, dis-lui mille choses de ma part, et envoie-moi enfin trois empreintes du cachet de mon père. Je suis obligé de cacheter une acceptation de dîner avec l’Aigle impérial. C’est trop pour un petit rien comme moi. Celui191 qui pourrait me faire quelque chose est à Cassel depuis quatre jours et sera ici vers le 28 janvier, temps auquel il y aurait 25 ans que je t’aime, si je n’avais pas l’honneur d’être l’aîné. Quoique aîné, je te permets cependant de te marier la première. Fais vite cette bonne affaire-là, mais rappelle-toi que si jamais ton mari connaît la terrible vérité que tu as plus d’esprit que lui, il te hait à jamais, et malheureusement, quel que soit ton mari, cette vérité sera vraie.

Adieu, aime-moi et prouve-le moi en écrivant, cela n’est pas difficile, tous les amants voudraient en être là. Je voudrais bien que tu connusses assez Mlle V… pour lui demander quelques conseils envers le cher époux et maître. Songe surtout à te faire humble comme Ephestion à la cour d’Alexandre. Un mot de réponse et dedans des cachets.

Embrasse pour moi ma bonne tatan Charvet, dis-lui que je voudrais bien aller manger des cerises à Saint-Egrève192. Si Barral est à Grenoble envoie-lui la carte ci-jointe.

Mais écris.

H. B.193.

XLIII
A Félix Faure 194

Ingoldstadt, 21 avril 1809.

Je n’ai que le temps de t’envoyer cet étui que je te prie de remettre à Mme de Bézieux; elle y verra que même en gravissant les rochers d’Heidenheim où ces sortes d’ouvrages vous sont présentés par de jolies paysannes, je pensais aux bontés qu’elle a bien voulu avoir pour moi. Ces jolies marchandes me servent de transition toute naturelle pour te prier de présenter mes hommages respectueux à Mesdemoiselles de Bézieux.

Nous avons eu hier soir une petite victoire, quatre drapeaux, quatre pièces de canon, toutes les positions de l’ennemi.

Mes respects à M. Duvernay.

Mille amitiés; n’oublie pas la bibliothèque britannique. Je ne me suis pas couché depuis trois jours. Ingoldstadt a une drôle de mine. Le plus beau, au milieu des canons, des fourgons, des soldats chantant qui vont à l’armée, des soldats tout tristes qui en reviennent blessés, des curés, du tapage général et infernal, le plus beau, c’est une troupe de comédiens qui donne intrépidement des représentations: ce soir, la Femme «volatile» (ça veut dire volage), drame en trois actes.

H.195.

XLIV
Au Même

Saint-Polten, le 10 mai 1809.

J’ai promené hier dans une des plus belles positions du monde: l’Abbaye de Molke, sur le Danube. La physionomie du paysage est sévère et d’accord avec le château où fut interné Richard Cœur-de-Lion qui en fait un des principaux ornements.

L’immense Danube et ses grandes îles, sur lesquelles on domine d’une hauteur de cent cinquante pieds, forment un spectacle unique. Je n’y trouve à comparer que la Terrasse de Lausanne et la vue de Bergame. Mais l’une et l’autre étaient bien moins striking, frappantes, avec une nuance de terrible visant au sublime.

J’ai tant de choses à te dire que je tourne court.

Je me reproche depuis quinze jours de ne pas écrire à Mme Z.

Envoie-moi des journaux.

Nous serons demain soir à Vienne; Saint-Polten en est à seize lieues. S. M. y est, très probablement.

Réunis, je t’en prie, tous les renseignements qui peuvent servir à un journal de mon voyage.

Je ferai copier cela par quelque écrivain du coin des rues, bien bête et ayant une belle écriture.

Le temps me manque pour tout.

Ce matin, en quittant cette belle abbaye, le hasard m’a mis dans la voiture de Martial196. Aussitôt notre solitude: «Il m’est arrivé dernièrement à Paris une chose plaisante, etc., etc.» Confiance adorable, dirait un courtisan, je dis seulement confiance parfaite.

Deux ou trois heures de penser tout haut avec moi, et, sans que je le demandasse, promesse réitérée et venant de lui, que je serais adjoint dans la garde à la première vacance, vacance assez probable.

Je saute vingt autres choses; en un mot, tout ce que je pouvais désirer.

Entretiens moi dans le souvenir de Mme de Bézieux, en lui racontant pompeusement quelques-unes des esquisses de mon voyage, d’après une lettre reçue la veille, le tout convenablement enduit de compliments.

Ecris-moi donc sous le couvert de M. Daru.

Je n’ai encore eu de toi qu’une lettre de quatre pages upon Lewis’s love for Miss197… Fais aussi penser à moi dans cette maison.

Il me paraît probable que nous ne resterons pas à Vienne. Peut-être dans un mois serons-nous au fond de la Hongrie.

Le pays de Strasbourg à Vienne est, aux lacs près, tout ce qu’on peut désirer de plus pittoresque. Il n’y a pas en France une telle route. Adieu.

H.198.

XLV
A sa Sœur Pauline

Rome199, le 2 octobre 1811.

Je me porte bien et j’admire. J’ai vu les loges de Raphaël et j’en conclus qu’il faut vendre sa chemise pour les voir quand on ne les a pas vues, pour les revoir quand on les a déjà admirées.

Ce qui m’a le plus touché dans mon voyage d’Italie, c’est le chant des oiseaux dans le Colisée. Adieu; secret sur le voyage, mais donne de mes nouvelles à notre grand-père et à tutti quanti.

La nomination de M. le duc de Feltre prolongera peut-être mon séjour à Milan. J’y serai le 25 octobre pour y rester quinze ou vingt jours.

Je t’aime.

Henry200.

XLVI
A la Même

Ekatesberg, 27 juillet 1812.

Hier soir, ma chère amie, après soixante-douze heures de voyage, je me trouvais, deux lieues plus loin que la triste ville de Fulde, à cent-soixante-et-onze lieues de Paris. La lenteur allemande m’a empêché d’aller aussi vite aujourd’hui. Je viens de m’arrêter, pour la première fois, depuis Paris, dans un petit village, que tu ne connaîtras pas davantage quand je t’aurai dit qu’il s’appelle Ekatesberg, ce qui veut dire ce me semble, la montagne d’Hécate. Il est à côté de la bataille de Iéna et à douze lieues en deçà de la pierre qui marque l’endroit où Gustave Adolphe fut tué à la bataille de Lutzen.

On sent, à Weimar, la présence d’un prince, ami des arts, mais j’ai vu avec peine que là, comme à Gotha, la nature n’a rien fait, elle est plate comme à Paris. Tandis que la route de Stroesen à Eisenach est souvent belle par les beaux bois qui bordent la route. En passant à Weimar, j’ai cherché de tous mes yeux le château du Belvédère, tu sens pourquoi j’y prends intérêt. Give me some news of miss Vict201.

Vais-je en Russie pour quatre mois ou pour deux ans202? Je n’en sais rien. Ce que je sens bien, c’est que mon contentement est situé dans le beau pays

 
Che il mare circonda
E che parte l’Alpa e l’Apenin.
 

Voilà deux vers italiens joliment arrangés. Adieu, ma soupe arrive et je passe mille amitiés à tout le monde. Donne de mes nouvelles à notre bon grand-père.

Henri203.

XLVII
A la Même

Sagan, le 15 juin 1813.

Je règne ma chère Pauline, mais comme tous les rois, je baille un peu; écris-moi et presse la De204.

J’espère être tiré de mon trou vers le 26 juillet, écris comme à l’ordinaire. Mille choses à Périer. Ne fais-tu pas de voyage cette année? Mon appartement t’attendait.

Adieu, je tombe de fatigue.

Cel Favier205.

Donne-moi des nouvelles de notre bon grand-père. Fais-lui parvenir des miennes.

XLVIII
A la Même

Venise206, le 8 octobre 1813.

Ma chère amie,

Les premières années d’un homme distingué sont comme un affreux buisson. On ne voit de toutes parts qu’épines, et branches désagréables et dangereuses. Rien d’aimable, rien de gracieux dans un âge où les gens médiocres le sont pour ainsi dire malgré eux, et par la seule force de la nature. Avec le temps, l’affreux buisson tombe à terre, l’on distingue un arbre majestueux, qui par la suite porte des fleurs délicieuses.

J’étais un affreux buisson en 1801, lorsque je fus accueilli avec une extrême bonté par Mme Borone, milanaise, femme d’un marchand. Ses deux filles faisaient le charme de sa maison. Ces deux filles aujourd’hui sont mariées207, mais la bonne mère existe toujours; on trouve dans cette société un naturel parfait, et un esprit supérieur de bien loin à tout ce que j’ai rencontré dans mes voyages.

D’ailleurs on m’y aime depuis douze ans. J’ai pensé que c’était là que je devais venir achever de vivre, ou me guérir si, suivant toutes les apparences, la force de la jeunesse l’emportait sur la désorganisation produite par des fatigues extrêmes.

Je me suis placé à Milan dans une bonne auberge dont j’ai bien payé tous les garçons, j’ai demandé le meilleur médecin de la ville, et je me suis apprêté à faire ferme contre la mort. Le bonheur de revoir des amis tendrement chéris a eu plus de pouvoir que les remèdes. Je suis à l’abri de tout danger. Je me joue de la fièvre maintenant. Elle ne me quittera qu’après les chaleurs de l’été prochain, elle me laissera les nerfs extrêmement irrités. Mais, enfin, je dois la santé à cette manœuvre. Quand j’ai la fièvre, je vais me tapir dans un coin du salon, et l’on fait de la musique. On ne me parle pas et bientôt le plaisir l’emporte sur la maladie, et je viens me mêler au cercle.

Il est possible que M. Antonio Pietragrua, jeune homme de quinze ans et sergent de son métier, passe en France. C’est le fils d’une des deux sœurs. Si jamais il t’écrivait, fais tout au monde pour lui procurer quelque agrément en France. J’y serais mille fois plus sensible qu’à ce que tu ferais pour moi. Tes bons services consisteraient à lui faire parvenir une somme de deux à trois cents francs et à le faire recevoir dans une ou deux sociétés de Lyon.

S’il va à Grenoble, je le recommande à Félix; partout ailleurs je le dirigerai de Paris. Garde ma lettre et, le cas échéant, souviens-toi de traiter M. Antoine Pietragrua comme mon fils.

Je suis très content de Venise, mais ma faiblesse me fait désirer de me retrouver chez moi, c’est-à-dire à Milan. Il faudra bien rentrer en France vers la fin du mois de novembre, si cela ne te dérange pas trop, viens à ma rencontre jusqu’à Chambéry ou Genève.

C. Simonetta.

Mille amitiés à François208. Quels sont tes projets pour le voyage de Paris? tu logeras chez moi, nº 3.

Recacheté par moi avec de la cire209, ne dis pas to the father où je suis210.

177.M. Pierre Daru.
178.Martial Daru était sous-inspecteur aux Revues.
179.A Milan, voir Vie de Henri Brulard.
180.Lettre publiée dans le Journal de Stendhal, appendice (Bibliothèque de Grenoble). – Brouillon.
181.Monsieur Henri Beyle, à Grenoble, en Dauphiné. – Lettre inédite (Bibliothèque de Grenoble).
182.Surintendant des théâtres.
183.Il eut été dommage, je crois, de laisser dans les cartons ces lettres de Mélanie, qui nous révèlent une femme littéraire, habile et charmante.
  Subscrip.: A Monsieur Henry Beyle, à Grenoble, en Dauphiné. Lettre inédite. (Bibliothèque de Grenoble.)
184.Cette lettre doit être postérieure au mois d’octobre 1806, époque à laquelle Beyle partit pour l’Allemagne à la suite de ses cousins Daru.
185.Daru.
186.A Monsieur Beyle pour Mademoiselle Pauline Beyle, sa fille à Grenoble (Isère).
  Lettre publiée dans le curieux ouvrage de M. Henri Cordier: Stendhal et ses amis, p. 83-84.
187.On lit dans la première lettre de la correspondance de Beyle publiée par R. Colomb: «J’ai trouvé une occasion de placer le protégé de M. Pascal; mais j’avais oublié le nom de cet ami. J’ai demandé une place pour M. Lepère: il a un nom à peu près comme ça. Tâche de l’accrocher sur ma table, avec un bel exemple de son écriture et de m’envoyer ledit nom.» (A M. F. – F., à Paris. Strasbourg, le 5 avril 1809.) (Note de F. Corréard.)
188.Beyle avait été nommé en novembre 1806, intendant des Domaines, en résidence à Brunswick. Il est envoyé à la fin de 1807 en mission à Paris, pour conférer avec le ministre Dejean au sujet des finances du duché de Brunswick.
189.Lettre publiée dans Stendhal et ses amis, par H. Cordier, p. 84-85; fait partie aujourd’hui de la collection de M. P. – A. Cheramy.
  Monsieur Beyle, pour Mademoiselle Pauline Beyle, sa fille à Grenoble (Isère).
190.Lettre publiée dans Stendhal et ses amis, par H. Cordier, pag. 31-32.
191.L’empereur.
192.Charmant village des environs de Grenoble.
193.A Monsieur, Beyle, pour mademoiselle sa fille aînée, rue de Bonne, 6, Grenoble (Isère). – Lettre publiée dans Stendhal et ses amis, par H. Cordier, p. 85-86-87.
194.18, rue Jacob, Paris.
195.Lettre inédite. – (Bibliothèque de Grenoble). – Brouillon.
196.Martial Daru.
197.Sur l’amour de Louis pour Mademoiselle..
198.Lettre, publiée dans le Journal de Stendhal. Append. p. 463. – (Bibliothèque de Grenoble) – Brouillon.
199.Beyle obtint un congé en 1811, et en profita pour faire son second voyage d’Italie; il ne connaissait que la Lombardie; il alla cette fois jusqu’à Naples, en passant par Florence et Rome. Voir Journal de Stendhal, cahiers XXXI, XXXII, XXXIII. Cette lettre laisse deviner tout ce que Beyle a su cacher aux indifférents de sensibilité, d’émotion et d’enthousiasme.
200.Madame Pauline Périer, rue de Sault, à Grenoble (Isère).
  Lettre inédite. – (Collection de M. Ed. Maignien).
201.Victorine Bigillon. Voir Vie de Henri Brulard.
202.Beyle prit part à la campagne de Russie, il revint à Paris, le 31 janvier 1813. Voir Journal de Stendhal, p. 420, note 2.
203.A madame Pauline Périer, rue de Sault, par Gotha, à Grenoble, département de l’Isère. – Lettre inédite. – (Collection de feu M. Eugène Chaper).
204.Peut-être la diligence.
205.A madame Pauline Périer en sa terre de Tuélins, près La Tour-du-Pin, Isère. – Lettre inédite. – (Collection de feu M. Eug. Chaper).
206.Troisième voyage d’Italie.
207.L’une d’elles était Angela Pietragrua, voir Journal et Vie de Henri Brulard.
208.François Périer, mari de Pauline.
209.On voit en effet que la lettre a été déchirée deux fois.
210.A madame Pauline Périer, en sa terre de Tuélins, près La Tour-du-Pin, département de l’Isère. – Lettre inédite. – (Collection de feu M. Eug. Chaper.)
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12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
310 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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