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JEUNESSE ET ÉTUDES

Différentes photos de la jeunesse d’Hugues ont traversé le temps. Une photo du couple Le Gallais-Metz avec ses deux premiers enfants montre un homme mûr et moustachu, au front très haut et droit, reflétant une certaine assurance. Son épouse, de douze ans sa cadette, ce qui ne se voit pas à première vue sur ce cliché, paraît plus rêveuse et donne une impression plus posée. Elle est assise sur un canapé avec sur ses genoux la première fille, Aimée, vêtue tout de blanc et debout à côté de son père, Hugues, en tartan, avec un cerceau et une balle à ses pieds. Un autre cliché montre Hugues avec béret sur le siège du conducteur avec ses trois sœurs confortablement assises à l’arrière d’une des premières voitures à circuler à Luxembourg. Un tableau plutôt colorié mais néanmoins de tendance romantique d’Hugues en kilt écossais et une photo du préadolescent, triste, assis de manière nonchalante sur une chaise et faisant la moue avec des lèvres charnues qu’on pourrait croire gonflées, donnent du jeune Le Gallais une image pas trop joyeuse, mais reflètent néanmoins une vie privilégiée et sans trop de soucis matériels. Dans ce portrait libéré de sentiments, de personnalité et d’individualité, le jeune Hugues semble fermé, rêveur et introverti, le regard vide voire éteint. Rozel décrit son frère comme ayant les gros yeux de leur mère. Il aurait été étonnamment calme et sérieux, conscient de sa dignité masculine. Il ne supportait pas qu’on se moque de lui, et, dans ces moments tendus, il pâlissait et claquait des dents. Hugues était alors appelé « la rage blanche ». Il n’était pas pour autant courageux et désespérait son père, surtout depuis qu’il était veuf, et davantage encore depuis qu’il fréquentait Anne-Marie de Gargan.


Toujours vaillant, Hugues paraît avoir été un enfant perturbé, guère aimé par la seconde épouse de son père et donc placé dans un internat à Bruxelles et laissé aux bons soins du couple Petrucci. Le professeur Raphaël Petrucci30 allait essayer d’aider et de socialiser Hugues, lui transmettant son amour pour l’art oriental. De père italien et de mère française, Raphaël Petrucci est né à Naples en 1872. Il a passé son enfance et les années les plus décisives de sa formation à Paris. L’intérêt de Raphaël Petrucci pour les arts de l’Extrême-Orient s’est manifesté dès ses années de formation, vers 1890. Petrucci s’était installé en 1896 en Belgique où il devint titulaire de la chaire d’esthétique positiviste de l’Université nouvelle de Bruxelles et, en 1902, conseiller scientifique de l’Institut de sociologie Solvay. Son autorité était reconnue en Europe en matière de peinture chinoise et, de manière plus générale, d’art de l’Extrême-Orient. Il a influencé le jeune Hugues pour le reste de ses jours réussissant son mandat éducatif. Ce dernier s’était apparemment présenté à Bruxelles du haut de son cheval, essayant de continuer à défier toute autorité. Cette scolarisation loin du milieu familial lui a finalement été bénéfique. Hugues était un brin insolent, mais cela allait changer. Le livre de Petrucci « La philosophie de la nature dans l’Art d’Extrême Orient » a accompagné Le Gallais tout au long de sa vie.

Au fil des années, notre jeune Hugues est devenu méthodique. Même s’il est resté quelque peu dissipé et n’est pas devenu des plus ordonnés, il a développé une âme de collectionneur qu’il allait mettre à profit au Japon quelques années plus tard. Il restait néanmoins un être silencieux, conventionnel et au regard scrutateur. Pas vraiment avenant, il a perdu ses cheveux assez tôt et n’avait pas une stature très élancée. Hugues avait reçu une éducation complète faisant de lui un homme accompli. Alors que son père avait été un personnage haut en couleurs et éminent, on ne pouvait pas dire la même chose, à ses débuts, d’Hugues, maintenant en toute circonstance une affabilité cérémonieuse. Il aimait le sport et la vie au grand air tellement appréciée des Anglais, restait une référence familiale certaine. Le 22 mai 1922, Andrée Mayrisch a écrit à sa mère qu’« Hugues est sage, et de plus en plus Anglais – au moins le croit-il. Il a des cartes de visite “Hugh Le Gallais”, discute rugby avec des expressions techniques, mais ce n’est pas un jeu pour moi, c’est beaucoup trop rude. »31

Hugues a étudié à l’Université de Liège et poursuivi des études à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich de 1914 à 1918, échappant ainsi en grande partie aux affres de la Première Guerre mondiale. Le pays fut occupé par l’armée impériale allemande et faisait l’objet d’instabilité gouvernementale après la disparition du ministre d’Etat Paul Eyschen en octobre 1915 avec six gouvernements en deux ans. Venait s’ajouter, après l’armistice de 1918, l’instabilité institutionnelle avec la mise en cause de la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde, menant jusqu’à son abdication et le référendum du 28 septembre 1919 sur le maintien de la monarchie et le ralliement économique à la Belgique ou à la France. L’année 1919 était aussi celle de l’introduction du suffrage universel au Grand-Duché. Du temps de guerre, Rozel a retenu une histoire concernant son frère, déjà très galant à l’approche de ses dix-neuf ans. Hugues devait rejoindre son père à Paris, mais avait eu des problèmes à la frontière en raison de lettres amoureuses qu’il aurait souhaité emporter en France. Norbert aurait dû intervenir pour faire libérer son fils qui a bénéficié d’une certaine renommée auprès des femmes suite à son geste qu’il estimait apparemment plein de bravoure. Le ministre Michel Welter décrit dans ses mémoires à la date du 25 avril 1915 comment Hugues avait été la victime d’un examen à la frontière, les autorités suisses souhaitant voir si les voyageurs n’introduisaient pas des lettres en contrebande : « Dernièrement le jeune Le Gallais se rendant en Suisse a été condamné à cinq jours de prison pour avoir (eu) des lettres sur lui. Ces lettres qu’on lui avait confiées étaient bien anodines; mais malgré cela, le jeune homme a été condamné à cinq jours de prison et n’a été mis en liberté que contre une caution de 10.000 francs, après avoir passé plusieurs jours en prison préventive. Il paraît qu’on lui comptait cela pour la purge de la peine. »32

Le jeune Le Gallais parlait toujours lentement et de manière réfléchie, s’exprimant en luxembourgeois avec un accent prononcé. Le français était sa langue maternelle, comme elle le fut d’une certaine bourgeoisie luxembourgeoise. Il s’exprimait couramment en anglais. Avec ses « nannies » il avait appris la langue de ses ancêtres paternels qu’il a pu perfectionner à l’américaine plus tard. Sur le tard, une fois marié, Hugues apprenait l’italien sans jamais s’exprimer de manière à pouvoir vraiment s’intégrer dans la très bonne société vénitienne, pointilleuse à cet égard.

Depuis son enfance, Hugues était appelé par certains intimes « Doody ». Sa sœur Rozel mentionne ce surnom dans ses mémoires. L’origine de ce sobriquet est inconnue. Le Gallais signait surtout sa correspondance avec la famille italienne de sa femme de ce surnom familier.

30 Raphaël Petrucci (1872-1917), sociologue, historien de l’art, orientaliste.

31 Correspondance Aline Mayrisch ; Centre national de littérature.

32 Goetzinger, Germaine : La Grande Guerre au Luxembourg. Le journal de Michel Welter (3 août 1914 – 3 mars 1916) ; éd. annotée et commentée par Germaine Goetzinger ; 2015 ; Centre national de littérature ; p. 360.

LIENS AVEC LES MAYRISCH-DE SAINT-HUBERT

Les mères de Norbert Le Gallais et d’Emile Mayrisch étaient cousines germaines. Les Mayrisch-de Saint-Hubert, habitant initialement à Dudelange, se sont installés au château de Colpach en 1920 où ils ont œuvré pour combler le fossé entre la France et l’Allemagne, lui dans le domaine des industries de l’acier, elle dans le domaine des idées. Autour de cette période, les Mayrisch ont acquis pour Elisabeth van Rysselberghe33 une bastide dans le sud de la France. Cette acquisition d’une maison de campagne en Provence pour la fille de la grande amie de Madame Mayrisch fait l’objet d’une lettre34 d’Hugues Le Gallais à l’écrivain français André Gide.35 Un autre lien entre les deux hommes a existé en 1921 lorsque Gide a remis à Hugues Le Gallais le premier tome de l’œuvre complète du ministre allemand des Affaires étrangères, Walther von Rathenau,36 afin qu’il le ramène de Paris chez Emile Mayrisch à Luxembourg. Le 21 janvier 1921, Aline Mayrisch a en effet écrit à André Gide: « J’ai remis à Hugues le 1er volume dédicacé des œuvres complètes de Rathenau en 5 vol!! qui sont arrivées pour vous à Colpach, pour que vous puissiez lui envoyer un mot de remerciement (par moi peut-être). »37

Une année plus tôt, Hugues Le Gallais s’était rendu à Genève où étudiait la fille des Mayrisch-de Saint-Hubert, Andrée dite « Schnucki ».38 De septembre 1919 à janvier 1920, il a en quelque sorte chaperonné celle qui aurait pu constituer un parti idéal, sans que pour autant l’ébauche d’une idylle ne soit perceptible de la correspondance de la jeune fille à sa mère. De cinq ans la cadette d’Hugues, la fille unique des Mayrisch a étudié les sciences naturelles à Genève avant de poursuivre ses études à Londres. Elle habitait dans un pensionnat genevois. Pendant son séjour, Hugues fut également logé dans ce pensionnat mixte. À sa mère, avec qui elle avait une relation complexe, Andrée Mayrisch décrivit le fils unique des Le Gallais et son cousin éloigné comme dépensier mais lui apprenant comment gérer certains aspects financiers, comme les pourboires qu’il était habituel d’accorder.

Quelques années plus tard, Aline Mayrisch a demandé au journaliste et écrivain germano-français Jean Schlumberger39 d’inviter Hugues Le Gallais aux 2es Décades de Pontigny. Ces réunions intellectuelles avaient été créées en 1910 et ont été animées par Paul Desjardins40 qui avait donné son accord à la présence du jeune Le Gallais.41 Or, le 18 juillet 1925, Aline Mayrisch écrivit qu’elle renonçait à la présence de son jeune protégé qui a quand même pu se mêler aux autres invités, célèbres ou moins connus, s’entretenant et discourant sur des sujets littéraires, philosophiques ou religieux.42 Contrairement aux dires d’Aline Mayrisch, Hugues Le Gallais a assisté aux 2es Décades qui avaient pour thème : « Nous autres Européens. Europe et Asie ».43 Tout un programme et sujet prémonitoire pour la future carrière d’Hugues !44 Belle introduction dans un monde littéraire et intellectuel élitiste où, chaque jour, un écrivain, un universitaire ou un scientifique traitait un sujet choisi et de qualité.

La relation – qu’on peut qualifier de proche – entre la grande intellectuelle et mécène du Grand-Duché et le jeune Le Gallais a connu des hauts et des bas. En 1930, Aline Mayrisch écrit en tout cas à son ami Schlumberger qu’Hugues est à Luxembourg, « plus cornichon que jamais ».45 C’est dire qu’elle l’estimait, du moins à ce moment-là, imbécile, idiot voire stupide. La raison de ce qualificatif guère flatteur n’a pas été révélée.

Aline Mayrisch écrit le 10 mai à 1930 Isabelle Rivière, l’épouse de Jacques Rivière, homme de lettres français, directeur de La Nouvelle Revue française de 1919 jusqu’à sa mort en 1925:

«Il ne me restera que le mois d’août pour préparer mon grand départ de septembre pour l’Extrême-Orient. Je pars avec un jeune ami qui est presque un fils adoptif de mon mari et de moi, et qui réside à Tokyo pour le compte des Aciéries réunies. Je compte y passer l’hiver. »46

Malgré l’une ou l’autre contrariété, Aline Mayrisch avait apparemment une certaine estime pour Hugues Le Gallais. Dite « Loup », elle appelait son compagnon de voyage Hugues Le Gallais, « Hugo San ». Elle est allée lui rendre visite au Japon, en 1930 et en 1934. Avec Hugues Le Gallais, Aline Mayrisch-de Saint-Hubert a effectué un voyage en Asie de trois mois (7 octobre au 8 janvier) à New York, puis Shanghai et Hong Kong en janvier 1931 pour finalement aboutir à Tokyo.47 De Nara, ville aux œuvres d’art et temples importants à quelques kilomètres de Kyoto et d’Osaka, Aline Mayrisch a décrit à Schlumberger les conditions de vie de Le Gallais, toujours célibataire à presque 35 ans. Nous les reprenons plus loin en décrivant les années 1930, passées dans l’empire nippon du Soleil levant. Aline Mayrisch-de Saint-Hubert a assisté en octobre 1934, en tant que vice-présidente de la Croix-Rouge luxembourgeoise, à la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge et au baptême du fils d’Hugues. Des photos la montrent, tenant son filleul Norbert en compagnie d’un couple non identifié. Après le décès de son mari dans un accident de voiture en France, le 5 mars 1928, Aline a entrepris des périples audacieux, en Perse et au Japon, par exemple. Apparemment, partout la désillusion a été au rendez-vous de la veuve cultivée et aux moyens considérables… De Tokyo, Aline Mayrisch a fait part d’abord « d’assez violents assauts sur [son] cœur désarmé », face à une capitale « où l’ancien Japon n’existe plus que par îlots (...) et où le reste reflète toute notre déroute actuelle, greffée sur la leur ».48

Aline Mayrisch avait aussi, en 1933, accueilli Hugues et sa jeune fiancée à Colpach, juste avant leur mariage.49 Elle a écrit, le 17 juin 1933, à Jean Schlumberger: « Retour ici pour tout le mois de juillet, avec invités assez nombreux et hétéroclites: Goret, Haas, Gertrude Eysoldt, Hugues Le Gallais. »50 Et dans une autre lettre, le 15 juillet également, à Schlumberger: « Ici, du va-et-vient. Hugues entouré de paravents d’or, et Haas, juif mélancolique, dont les sarcasmes n’arrivent pas à cacher toujours le désarroi profond. »51 Un milieu jusque-là insoupçonné s’ouvrait au jeune trentenaire qui allait aussi se lier pour la vie à celle qui lui paraissait alors son âme-sœur.

Mentionnons encore que Madame Mayrisch a légué, à sa mort en 1947, un tableau du peintre Signac à son ami Hugues. Le tableau avait été acheté par Emile Mayrisch en 1909 et s’appelle « Venise ».52

Entre-temps, Hugues avait donc fait la connaissance, dans la cité lagunaire, de celle justement qui allait devenir sa femme. Quelque temps avant le mariage, Hugues s’est rendu avec sa fiancée pendant deux semaines chez Aline Mayrisch-de Saint-Hubert au château de Colpach. D’après le livre d’hôtes, ils y ont séjourné du 15 au 30 septembre.

33 Elisabeth van Rysselberghe (1890-1980), fille du peintre Théo van Rysselberghe et de Maria Monnom; mère de Catherine Elisabeth van Rysselberghe (fille naturelle d’André Gide).

34 Correspondance André Gide ‒ Marc Allégret ; Marc Henri Noël Allégret (1900-1973), réalisateur et photographe français.

35 André Gide (1869-1951), écrivain français.

36 Walther Rathenau (1867-1922), homme d’Etat qui a servi en tant que ministre des Affaires étrangères durant la République de Weimar. Industriel et écrivain qui a séjourné chez les Mayrisch à Colpach. Fut assassiné par un groupe terroriste de droite.

37 Aline Mayrisch-de Saint-Hubert, André Gide: Correspondance André Gide – Aline Mayrisch 1903-1946. Ed.: Pierre Masson, Cornel Meder. Gallimard, Paris 2003, p. 214.

38 Centre national de littérature (CNL), Fonds Mayrisch ; correspondance d’Andrée Mayrisch à sa mère Aline Mayrisch-de Saint-Hubert. Andrée Mayrisch (1901-1977), épouse de Pierre Viénot; députée, elle est l’une des trois femmes membres d’un gouvernement de la IVe République.

39 Jean Schlumberger (1877-1968), journaliste et écrivain germano-français.

40 Paul Desjardins ou Louis Paul Abel Desjardins (nom d’état civil ; 1859-1940), professeur et journaliste français. Il anima pendant trente ans des réunions annuelles d’intellectuels attachés à la liberté d’opinion, les Décades de Pontigny.

41 Décades de Pontigny: en août, trois Décades de dix jours étaient organisées. Ici, il s’agissait des 2es Décades de 1925. Ces décades se sont tenues de 1910 à 1914, puis de 1922 jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale en 1939. Elles étaient organisées dans l’abbaye de Pontigny, ancien monastère cistercien du XIIe siècle du département de l’Yonne, acheté par Desjardins en 1906, à la séparation des Églises et de l’État.

42 Aline Mayrisch ‒ Jean Schlumberger: Correspondance 1907-1946, publiée et annotée par Pascal Mercier et Cornel Meder; Luxembourg, « Publications nationales », 2000; p. 697.

43 Entretien avec Germaine Goetzinger, 6 décembre 2018.

44 Hugues Le Gallais s’est inscrit dans le Livre d’or de Colpach en 1925, de retour du Japon.

45 Aline Mayrisch ‒ Jean Schlumberger: Correspondance 1907-1946, publiée et annotée par Pascal Mercier et Cornel Meder; Luxembourg, « Publications nationales », 2000; p. 697.

46 Galerie 30 (2012) no1, S. 101

47 Lettre Aline Mayrisch à E.R. Curtis annonçant son voyage avec Le Gallais en Chine. Ernst Robert Curtis (1886-1956), philologue allemand, spécialiste des littératures romanes ; en 1930 à l’Université de Bonn. Aline Mayrisch de Saint-Hubert: Toute la noblesse de sa nature: recueil des écrits publiés. Ed.: Cornel Meder. Éd. du Cercle des amis de Colpach, 2014 (français).

48 Aline Mayrisch: Approches ; conférence prononcée au château de Colpach, le 19 janvier 1997, pour la Croix-Rouge Luxembourgeoise, à l’occasion du 50e anniversaire du décès d’Aline Mayrisch.

49 La visite de 1933 est confirmée dans le Livre d’or de Colpach. Aline Mayrisch a ajouté au crayon les noms de Hugues Le Gallais et de Pisana Velluti. Fonds Aline Mayrisch ; CNL-L-37. III.3-1.

50 Correspondance Mayrisch ‒ Schlumberger, p. 329.

51 Correspondance Mayrisch ‒ Schlumberger, p. 342.

52 Informations de la part de Patricia de Zwaef, 24 septembre 2018.

UNION HEUREUSE AVEC UNE ITALIENNE À L’ASCENDANCE ILLUSTRE

C’est par l’intermédiaire d’un diplomate italien en poste à Tokyo, Battista Nani Mocenigo, qu’Hugues Le Gallais a fait la connaissance de sa future épouse. Celle-ci vivait dans le Ca’ del Duca sur le Grand Canal, avec sa sœur et son beau-frère, duquel l’ami d’Hugues était un cousin. Pisana Velluti n’attendait en fait qu’une occasion pour s’échapper de cette situation inconfortable d’une jeune femme célibataire ayant entamé la trentaine. Elle considérait Venise comme un petit village, et pire, un nid de vipères. Elle aurait affirmé haut et fort : « J’épouserai le premier qui passe. » Le Gallais, à l’époque représentant à Tokyo de Columeta, donc du comptoir luxembourgeois de métaux de l’Arbed, à laquelle sa famille restait très liée, semble avoir choisi le bon moment pour venir et revenir en excursion à Venise. Rapidement, les choses se sont concrétisées à partir de là. Pisana paraît avoir visé juste et Hugues lui a offert une vie de rêve et de stabilité dans un pays lointain. Alors que l’amour se mérite, le leur semble avoir été quelque peu poussé par la volonté de quitter leur pays et de mettre tout leur amour-propre à exceller dans de nouvelles contrées et des cercles à conquérir. Pisana à la sensualité latine a conquis Hugues, le nordique au charme discret et réservé. Le jeune couple s’est cherché un rôle loin de leurs familles ou de ce qui en restait. Les deux essayaient de se frayer un chemin dans cette période qui reprenait son souffle après la grande dépression ayant suivi le crash boursier de 1929 et au moment où les intolérances augmentaient de manière dangereuse en Europe avec la montée du nazisme et du fascisme depuis 1922 et surtout la menace allemande qui n’allait pas tarder à planer sur le Luxembourg. Ensemble, Pisana et Hugues s’appropriaient la maxime d’Oscar Wilde : « Soyez vous-même, tous les autres sont pris. » En tant que dépaysés voire déracinés, ils ont mené une vie de dur labeur mais aussi exceptionnelle à maints égards pendant quelques années au Japon et après un passage à Luxembourg, aux Etats-Unis.

Le 6 novembre 1933, Hugues Le Gallais et Pisana Velluti se sont mariés à l’église Santa Maria dei Carmini à Venise. L’église est de style Renaissance et située au Dorsodouro. Elle est grandiose avec une contre-façade et un couvent à côté. Deux photos montrent le jeune couple descendant dans une scène quasi majestueuse d’une gondole sur les marches de la maison où habitait la jeune mariée chez sa sœur et son beau-frère et une autre avec le père de la mariée et probablement sa seconde épouse ainsi que deux enfants d’honneur. Ce cliché a été pris dans la cour de la maison à l’histoire très ancienne et qui appartenait depuis longtemps à la famille du beau-frère de la mariée. Cette demeure du comte et de la comtesse Marino et Katy Nani Mocenigo était située au 3051 San Samuele et s’appelait Ca’ del Duca. Marino possédait encore un palais à Dolo dans la Vénétie.53 Le Ca’ del Duca, palais situé sur le Canal Grande, à quelques pas du Palazzo Grassi, doit son nom au Duc Sforza de Milan qui en confia la construction à l’architecte Filarete en 1453. Le projet s’avéra à la hauteur de l’ambition de son commanditaire puisque le palais était supposé devenir le plus grand de Venise. Or, la Sérénissime, toujours encline à ne laisser personne porter ombrage à son autorité, expropria le Duc et les travaux, à peine commencés, furent suspendus. Par la suite, l’édifice fut terminé par la République dans des dimensions plus modestes. Seules les fondations et l’angle du palais, avec sa colonne et son début de façade en « bugnato », témoignent encore de ce passé qui aurait dû en faire le premier exemple d’architecture Renaissance dans la lagune. Ca’ del Duca servit d’atelier au Titien lors de la réalisation des tableaux pour le Palais des Doges, avant d’entrer en possession de la famille Nani Mocenigo, et plus particulièrement de Marino Nani Mocenigo. Cet espace, longtemps ouvert au public, hébergea jusque dans les années 1960 les collections de porcelaine du comte Marino Nani Mocenigo et la collection d’objets d’art asiatique de Hugues Le Gallais, après sa retraite en tant qu’ambassadeur du Grand-Duché aux Etats-Unis. C’est en effet ce dernier qui en fit un musée, inauguré en 1963.54

La mariée était née le 28 janvier 1900 (d’après une demande de passeport) à Venise dans une maison située sur le Campo de San Stefano entre l’église du même nom et celle de Vidal. La jeune femme a en fait changé sa date de naissance dans la mesure où, par vanité ou espièglerie, elle a ajouté un petit trait à l’année de sa naissance pour se rajeunir de 6 ans... Le fait que sur de nombreux documents officiels figure l’année 1906 a donné lieu à des complications administratives et des rectificatifs complexes. Seulement quatre années la séparaient de Hugues, et pas dix, comme parfois prétendu par la principale intéressée. Il se peut qu’elle ait quelque peu joué à la fois sur le jour et l’année de sa naissance pour cacher le fait qu’elle était restée célibataire plus longtemps que de coutume.

La très belle femme de 33 ans (alors qu’elle prétendait n’en avoir que 27) avait les cheveux blonds bouclés qui la feraient un jour comparer à un tableau du Titien. En sus de sa physionomie éclatante, Pisana avait une grande prestance, savait s’habiller et avait une allure certaine doublée d’une classe folle. Elle mesurait 1,65 mètres, alors qu’Hugues, âgé de 37 ans, avait dix centimètres de plus, ce qui ne faisait pas de lui un géant, loin de là. La jeune femme était jugée de rang princier par certains des confrères de l’ambassadeur. Elle était d’une grande élégance et avait une présence indéniable, son mari restant un peu en retrait, tout en étant aussi calé intellectuellement. Les deux brillaient en société grâce à leur allure et leur ambition volontiers pardonnée.


Pisana était la fille de Francesco Velluti et de sa première épouse Elisabetta Carrara, décédée en 1918 à Naples, en pleine fleur de l’âge, des suites de la fièvre espagnole. Le père de Pisana est décédé en 195755 à plus de 80 ans. Deux filles étaient nées de cette union : Caterina dite Katy, née en 1898, et Pisana, née en 1900.

La famille du père de Pisana était originaire du sud de l’Italie du côté de l’Adriatique. Le grand-père de Pisana avait ouvert une fabrique de faïences à Venise. Le père, ingénieur agronome, avait fait fortune en desséchant et irriguant les terrains marécageux pour en faire des domaines agricoles derrière le Lido de Jesolo. Les crédits pour ce faire avaient été mis en place par le gouvernement fasciste italien. Francesco Velluti avait d’ailleurs été un peu attiré par le fascisme et, malgré les lettres de sa fille qui l’avertissaient que Mussolini n’allait pas survivre à la guerre, croyait en une victoire italienne. Le père de Pisana s’était remarié avec une femme plus jeune, que ses deux filles n’appréciaient pas trop. De ce mariage avec Zemira de Lorenzi, aux origines vaguement arméniennes, sont nés trois enfants avec lesquels les contacts furent meilleurs que ceux avec leur mère: Francesca, mariée avec Alberto Baldissera d’une grande famille vénitienne et qui allait avoir deux enfants : Giuseppe et Jacomo. Venait ensuite Gianni-Luigi, le fils longuement espéré par son père, marié avec Anna-Luisa Cazorzi avec laquelle il allait engendrer quatre enfants. Et finalement Alberto, décédé jeune, marié avec Maria Padovan de laquelle il avait eu deux enfants.

L’épouse d’Hugues portait le prénom de sa grand-mère maternelle, Pisana Carrara-Nani Mocenigo, qui appartenait à la prestigieuse et fortunée famille dans laquelle sa sœur aînée Catherine allait entrer aussi par mariage en épousant le comte Marino Nani Mocenigo. Il s’agit d’une des plus illustres et puissantes familles de la Sérénissime de laquelle sont issus sept doges. Sur les pas du Vénitien Marco Polo, qui révéla l’existence de ce qui allait devenir le Japon appelé Cipango, Pisana et Hugues allaient essayer, avec persévérance et ténacité, de se frayer un chemin rien qu’à eux avec au moins la satisfaction de tout devoir conquérir à partir de leur propre énergie et enthousiasme. Comme la tribu du fer luxembourgeois des Metz et les Le Gallais, les Velluti et plus encore les Nani Mocenigo avaient à leur disposition des demeures formidables. Madame Le Gallais et sa sœur, la comtesse Marino Nani Mocenigo, étaient en 1947 copropriétaires d’un immeuble désigné sous le nom « Palais Bellaviti » situé au Campo San Maurizio. Le bâtiment était occupé depuis la fin de la guerre par une organisation rattachée au gouvernement italien et désignée sous le nom « Ente Nazionale post-Bellica », qui n’avait plus payé de loyer depuis trois ans. En décembre 1947, le couple Le Gallais souhaitait occuper un des deux appartements du palazzo et entreprit des démarches assidues impliquant même le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Joseph Bech, et son homologue italien, Carlo Sforza. Le chef du protocole italien Taliani, l’ambassadeur d’Italie à Washington Tarchiani, le préfet de Venise Gargiulo, le gouverneur de la province de Venise et le consul luxembourgeois à Venise Bartolomé Bellati sont également intervenus dans ce dossier. Les Le Gallais comptaient désormais y faire des séjours prolongés chaque année. Le palais à Venise a finalement été restitué à la famille le 1er décembre 1950. En fait, les deux sœurs Velluti ont souhaité récupérer le Palazzo San Maurizio pour permettre aux Le Gallais de le vendre et d’acheter avec leur part le palais en face du Ca’ del Duca sur lequel nous allons revenir plus loin. Les deux couples et surtout les deux sœurs vivaient en bonne intelligence et l’unité régnait dans cette famille.


En attendant, pour la plus jeune des sœurs Velluti la vie à deux allait commencer loin de sa ville natale avec un quasi inconnu duquel elle ne connaissait pas grand-chose. Aimant être entourés et plutôt sociables, les Le Gallais constituaient un couple vivant en osmose et uni par une affection solide. Ils menaient une vie de famille paisible mais jamais monotone. De nombreuses photos témoignent de souvenirs passés, presque oubliés aujourd’hui, et toujours préservés soigneusement dans de nombreux albums photos à Venise. Hugues était apparemment formel et un peu exigeant voire dur à l’égard de sa femme, celle-ci le soutenant là où elle pouvait. C’était Pisana qui écrivait les invitations et les menus pour les grands dîners. Un mutuel sens de la division des tâches prévalait. Elle avait un caractère latin qu’on qualifierait de « fiery », alors que lui restait souvent silencieux, semblant avoir du mal à exprimer ses sentiments. Fort exigeant en matière d’étiquette et de protocole, Hugues semble avoir été susceptible s’il devait faire face à des critiques un tant soit peu injustes. Avec doigté et distinction, sans se perdre dans un verbiage inutile, il savait imposer sa vision des choses. Il s’exprimait toujours de manière réfléchie et se qualifiait de tolérant et de vaillant.

De sa jeunesse, Hugues semble n’avoir gardé que peu d’amis qui l’ont accompagné tout au long de son parcours. Les liens familiaux dominaient quasiment toujours et conditionnaient, la plupart du temps, les connaissances et amitiés d’Hugues Le Gallais. Une relation amicale semble avoir duré, celle avec Georges Brasseur, qui a travaillé pendant un certain temps à Marrakech. Des liens divers unissaient Hugues à ce Brasseur né en 1894 et décédé deux ans plus tard qu’Hugues en 1966. Il s’agit du fils du député Xavier Brasseur et de son épouse Jeanne de Saint-Hubert. Ce couple avait divorcé en 1910, la mère de Georges épousant par la suite le cousin germain de son père. La mère de Georges Brasseur était la fille de l’industriel Xavier de Saint-Hubert-Mongenast et la sœur d’Aline Mayrisch-de Saint-Hubert. Georges Brasseur s’est marié en 1922 avec Annette Mayrisch, petite-fille d’une Metz et donc parente d’Hugues. Ingénieur, l’ami Brasseur a été directeur et administrateur de la Compagnie des Mines et Métaux et attaché à la direction générale de l’Arbed.56 Cet ami d’Hugues Le Gallais a fait l’objet d’un courrier du ministre de la Justice Victor Bodson57 du 28 mai 1941. Georges Brasseur était venu en mai 1941 aux Etats-Unis « muni de papiers délivrés par les autorités allemandes qui lui ont fait défense de voir la Grande-Duchesse ou un membre du Gouvernement mais que sur requête spéciale de Brasseur il a été autorisé à vous [Hugues Le Gallais] voir comme ancien ami d’études… la visite intéresse quant aux questions exposées par le gouvernement… » Contacts plutôt confidentiels donc au beau milieu de la guerre. Brasseur était de retour à Washington en janvier 1942 où il rencontra Dupong et se rendit pour affaires en Ohio en mars. Lors de cette visite, il fut arrêté et Le Gallais dut intervenir auprès du Federal Bureau of Investigation (FBI). Une importante caution fut versée afin de mettre fin aux soupçons à l’encontre de Brasseur qui avait été considéré comme militaire et était porteur de lettres en allemand, le rendant suspect d’après Heisbourg.58 L’ami Brasseur était encore à Washington en janvier 1944 et a remis une note sur la sidérurgie expliquant les difficultés d’un sabotage dans un petit pays, ce qui allait encore avoir son importance plus tard pour expliquer l’attitude de l’Arbed et d’Aloyse Meyer durant la guerre. Au cours de la guerre, Brasseur a rejoint l’effort allié dans le rang des forces américaines, pas au front mais dans la fonction G2 (sécurité et intelligence) du Département de la Guerre.59 À Luxembourg, un autre couple figurait parmi les connaissances des Le Gallais. C’était le couple des Alexandre, la fille desquels, Madeleine, allait épouser Robert Flesch60 qui avait épousé en premières noces une Leclère, décédée jeune en 1915, nièce d’Emile Mayrisch et cousine des Le Gallais du côté des Metz. Ce n’est qu’à Washington que les Le Gallais allaient se faire de vrais amis, comme les époux Maurice Frère ou certains collègues ambassadeurs avec lesquels ils allaient rester en contact même au-delà de leur retraite. À Venise, Pisana n’avait plus trop de liens en dehors de sa famille, et après leur retour de Washington en 1958, les vraies amitiés s’y faisaient de plus en plus rares pour Hugues qui ne maîtrisait pas assez bien la langue italienne. Des résidents vénitiens en vue, comme Élie Ludovic Henri Christian Decazes,61 5e duc Decazes, propriétaire du Palais Contarini Polignac, ou l’héritière et collectionneur d’art moderne, Peggy Guggenheim,62 étaient presque des voisins, mais il est difficile de savoir s’ils étaient également devenus des amis. Ainsi va la vie des diplomates qui, la plupart du temps, perdent beaucoup d’attaches et d’amitiés en cours de route. Il y avait aussi le couple Curtis, issu d’une vieille famille de Boston, qui avait acheté le beau Palais Barbaro sur le Grand Canal, en face du Palais Polignac, qui menait une vie culturelle et artistique intéressante. Dans la mesure du possible, on restait entre soi, soignant des liens d’amitié nombreux et divers mais toujours choisis avec soin.

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