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FONCTION HONORIFIQUE AUPRÈS DE LA GRANDE-DUCHESSE ET LIENS AVEC LA FAMILLE GRAND-DUCALE

Monarchiste, conventionnel par moments, Le Gallais était un mélange d’aristocrate élitaire et de grand seigneur sachant où avancer et à qui s’attacher pour poursuivre son chemin, notamment auprès de la Cour luxembourgeoise.

Le père de Hugues, Norbert Le Gallais, avait déjà été proche de la Cour grand-ducale. Les sœurs d’Hugues avaient été invitées à jouer au Palais grand-ducal avec les princesses luxembourgeoises et des enfants de diplomates. Rozel se souvenait que la princesse Charlotte avait été enfermée et oubliée dans une armoire contenant des manteaux qui avaient été traités à la naphtaline. Ceci explique en partie le lien assez étroit qui liait Le Gallais à la souveraine à qui il pouvait s’adresser parfois différemment, plus intimement que de coutume et de tradition, comme nous allons le voir bientôt.

Hugues a été chambellan de Son Altesse Royale la Grande-Duchesse depuis février 1939, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ce fut l’année du centenaire du Traité de Londres et donc de l’indépendance du pays. Des commémorations et célébrations furent organisées à travers le pays, témoignant du sentiment d’indépendance et de fierté souveraine des Luxembourgeois. Hugues Le Gallais ne devait pas avoir été insensible à cette ferveur nationale destinée aussi à montrer aux Allemands menaçants que les Luxembourgeois souhaitaient rester indépendants selon la devise « Mir wölle bleiwe wat mir sin » (Nous voulons rester ce que nous sommes). Hugues souhaitait certainement progresser dans sa vie professionnelle. Le fait d’être devenu chambellan à la Cour était sans doute un coup de pouce appréciable et apprécié. Il était aussi disposé à quitter de nouveau son pays natal. Beaucoup de ces évènements devaient le porter à croire que l’homme est responsable à plus d’un égard de sa propre destinée, et c’est dans ce sens qu’il allait aborder l’opportunité washingtonienne qui allait se présenter. La qualité de chambellan était pour Hugues une étape bienvenue dans ce parcours diplomatique. En tant que personnage proche de la Cour, il était un tant soit peu jalousé, se distinguant du lot des fonctionnaires et courtisans parmi lesquels il allait bientôt évoluer en tant que diplomate.

La fonction de chambellan ou chambrier (camerarius en latin) et donc de gentilhomme chargé du service de la chambre d’un monarque ou d’un prince, à la Cour duquel il vit, avait quelque peu changé au cours du temps. Hugues Le Gallais participait surtout à certaines cérémonies, mais pouvait aussi conseiller la Cour. Au cours de la guerre, il n’allait pas s’en priver. Une photo80 prise lors du dernier Te Deum de la Fête Nationale, le 23 janvier 1940, avant l’occupation montre Auguste Collart, Hugues Le Gallais, l’aide de camp du prince Félix, Guillaume Konsbruck dit Guill,81 le Grand Maréchal de la Cour, François de Colnet d’Huart, et le président de l’Administration des Biens, Alfred Loesch.82 Les hommes faisant partie de la Cour grand-ducale sont alignés par ordre de préséance devant la cathédrale en attendant la famille grand-ducale. Toute une panoplie de connaissances voire de familiers se retrouvait ainsi régulièrement pour des occasions festives et solennelles.

C’est probablement grâce à son cousin germain qu’Hugues est entré dans ce cercle restreint et convoité de dignitaires luxembourgeois, et c’est également l’exemple de ce cousin qu’il allait suivre en se convertissant en diplomate. Le châtelain de Bettembourg, localité de laquelle il a aussi été bourgmestre, Auguste Collart, était de six ans l’aîné d’Hugues. Il avait été directeur général, c’est-à-dire ministre de l’Agriculture, du Commerce, de l’Industrie et du Travail de 1918 à 1920 en tant qu’indépendant appuyé par le Parti populaire (« Freie Volkspartei »). Il avait été chargé d’affaires à La Haye. Durant la Seconde Guerre mondiale, il a été interné au camp de concentration de Hinzert et plus tard déporté avec sa famille à Leubus. Il a écrit ses mémoires et un livre sur la tourmente autour de la dynastie après la Première Guerre mondiale. Il a été membre de la Section historique de l’Institut grand-ducal. Il vivait à La Haye dans une demeure entourée d’un vaste parc, d’abord louée et ensuite achetée par l’Etat luxembourgeois. Bon vivant et sachant recevoir, exigeant et qualifié par d’aucuns de difficile, Collart y vivait souvent seul, sa femme et ses deux filles restant, du moins au début de son mandat, à Luxembourg. Même s’il ne subsiste aucune correspondance connue ou lien particulier entre les deux cousins au destin similaire à maints égards, le plus jeune semble s’être souvent inspiré de son aîné.

Au-delà de cette fonction honorifique à la Cour, Le Gallais avait aussi un lien spécial, pour ne pas dire privilégié, avec la famille grand-ducale. Alors que ses lettres adressées à la Grande-Duchesse se terminent, la plupart du temps, par la formule de mise à l’époque : « Je suis, Madame, avec le plus profond respect, de Votre Altesse Royale le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet », Le Gallais prenait aussi la liberté de s’adresser à la Grande-Duchesse de manière plutôt personnelle voire intime. Pendant la guerre, Le Gallais a ainsi donné son opinion sur des affaires personnelles touchant la Souveraine. Ainsi, le 8 octobre 1942, il est allé jusqu’à philosopher en quelque sorte, rappeler son éducation, se confondre en exemples à invoquer et saisir l’occasion pour « demander à Madame si Elle ne croit pas indiqué, chaque fois qu’Elle écrira à Son fils, de Lui parler de Ses responsabilités futures. Tout ce que Votre Altesse Royale écrira d’ici (continent américain), pour Lui là-bas (Royaume-Uni), aura beaucoup plus d’importance que des paroles échangées sur place. Le grand défaut des hommes de ce siècle a été le côté indécis et flottant de leur caractère. Les hommes des pays occupés qui resteront après cette épreuve seront différents et feront preuve de fermeté de caractère. Ils demanderont que le souverain donne le bon exemple. Voir se raffermir le caractère du prince Jean est mon unique souci et Madame seule peut avoir une influence dans ce sens. Mon professeur ne manquait jamais une occasion pour montrer le côté mou de mon caractère et pour renforcer la volonté. Pour Votre Altesse Royale, les exemples à citer ne manquent pas. Celui de S.A.R. Madame la Grande-Duchesse Marie Anne dans le sens positif et dans le sens négatif on peut revenir toujours sur le danger de se laisser prendre par des mots, au lieu de réfléchir soi-même sur les idées derrière les mots. Peut-être Madame pourrait obtenir du prince Jean qu’il lui résume certaines conversations; c’est un excellent exercice pour l’esprit et pour la mémoire. Par orgueil Il voudra bien faire et Madame pourra l’encourager, ce qui est très important. » Voilà Hugues Le Gallais s’essayant en tant que conseiller en matière de formation du futur souverain, et ceci deux jours après le départ du continent américain du prince héritier. Peut-être ce sermon de Le Gallais ne reflète tout simplement que l’amertume de son auteur de lui voir échapper un membre de cette famille pour laquelle il était disposé à tout faire. D’autres sujets, autrement plus sensibles politiquement, vont aussi faire l’objet d’un courrier similaire que nous citons ici comme témoignage des libertés que Le Gallais prenait à l’égard de la Grande-Duchesse. Aussi en relation avec des sujets politiques et économiques comme le plan Ensch83 et ses discussions à ce sujet avec le sous-secrétaire d’Etat américain Sumner Welles, Le Gallais a dûment tenu informée la souveraine à laquelle il a envoyé non seulement son rapport d’entretiens avec Sumner Welles (notamment ceux du 30 novembre 1942 et du 21 décembre 1942), mais aussi une note de Dupong sur la conversation de ce dernier avec Sumner Welles, le 9 février 1943.84 Le Gallais était certes loyal envers ses autorités directes, mais estimait de son devoir d’informer en priorité sa souveraine qui allait lui exprimer son appréciation après un incident avec le ministre Bodson à Chicago,85 mais à laquelle il allait aussi téléphoner et écrire sans intermédiaire durant l’exil.86 Avant de relater l’épopée de l’exil, voici quelques extraits de diverses lettres de Le Gallais à la Grande-Duchesse écrites aussi lisiblement que possible de sa propre main et exprimant le lien affectif et admiratif très personnel et prononcé de Le Gallais : « Soyons réalistes en politique extérieure : donnons pour recevoir et ne comptons pas sur le droit. M. Dupong m’a dit que Madame avait l’impression qu’Elle était devant un fait accompli. Je ne comprends pas très bien… Je m’excuse si j’ai mal compris. D’ailleurs quand j’ai téléphoné hier soir à Madame, ce que je croyais être une bonne nouvelle (invitation de se rendre en Louisiane), il m’a semblé que Votre Altesse Royale n’était pas si contente. J’en suis encore tout triste, parce que quand je ne pense pas à la politique extérieure et que je deviens alors un vilain réaliste, je voudrais toujours faire plaisir à Madame. Ce n’est pas facile de trouver le juste milieu entre agir selon sa conscience et sa raison d’un côté et son cœur et ses sentiments de l’autre côté. Ce que je sais c’est que j’aime profondément Madame. J’espère de tout cœur que lorsque Votre Altesse Royale, qui a un esprit tellement ouvert aux choses nouvelles, verra la Louisiane, Elle sera plus contente à nouveau et qu’Elle pardonnera à Son serviteur son dernier péché. » (Lettre du 12 décembre 1942). Deux semaines plus tôt, Le Gallais, au sujet de son idée avortée de voir l’aide de camp Konsbruck désigné comme attaché militaire, a donné une définition du rôle qu’il considère être le sien : « Je voudrais encore très humblement demander pardon à Madame de Lui avoir causé des ennuis. Ma seule excuse est de vouloir jouer le jeu de Madame pour le mieux et d’avoir voulu utiliser la carte Konsbruck au maximum. Que Votre Altesse Royale ne se fasse pas de soucis ; Elle gagnera quand même. » (Lettre du 28 novembre 1942.)87 Beaucoup de familiarité de la part d’un serviteur fidèle et dévoué ! Mentionnons d’ores et déjà que le couple Le Gallais a assisté au mariage du dernier des six enfants de la Grande-Duchesse et du prince Félix. Le chambellan Le Gallais et son épouse ont en effet adapté leur dispositif pour les congés d’été pour pouvoir assister, le 17 août 1950, en la cathédrale de Luxembourg aux noces de la princesse Alix de Luxembourg avec le prince Antoine de Ligne. Hugues Le Gallais aimait rencontrer des Altesses royales voire impériales et en a fréquenté plusieurs, non seulement les Luxembourg, mais encore les Bourbon-Parme et les Habsbourg durant la guerre. Par la suite, il a gardé des liens avec certains d’entre eux et suivi avec attention leur parcours dans les médias. Dans le « scrap book » organisé par Madame Maloney se trouvent des reportages sur les mariages d’Otto de Habsbourg, du prince héritier luxembourgeois Jean et de sa sœur Marie-Adélaïde avec le comte Henckel von Donnersmarck auxquels Le Gallais ne semble pourtant pas avoir participé.

Au cours de sa retraite, il revenait régulièrement à Luxembourg pour l’anniversaire de naissance de la Grande-Duchesse. Une réception était donnée à cette époque-là, le 23 janvier, au Palais grand-ducal.

Hugues Le Gallais a été Grand Officier de l’Ordre de mérite civil et militaire d’Adolphe de Nassau, Grand Officier de l’Ordre de la Couronne de Chêne, Grand-Croix de l’Ordre de Léopold II de Belgique et Grand-Croix de l’Ordre d’Orange-Nassau. Il fut nommé Grand Officier de l’Ordre de la Couronne de Thaïlande, probablement en tant que chambellan, lors de la visite à Luxembourg des souverains thaïlandais en 1960.

Par arrêté grand-ducal du 21 janvier 1950, il fut gratifié du titre de Commandeur dans l’Ordre de la Couronne de Chêne, ensemble avec quelques-uns de ceux qu’il a fréquentés durant sa carrière, comme Robert Als et Albert Wehrer.88

À l’occasion de son anniversaire, la Grande-Duchesse conféra en janvier 1960, l’arrêté datant du 11 mars 1960, le grade de Grand Officier à « Hugues Le Gallais, ministre plénipotentiaire honoraire, Venise ». Reconnaissance pour mérites rendus, mais aussi pour l’ancienneté de service, la décoration grand-ducale de l’Ordre d’Adolphe de Nassau l’étant de manière plus personnelle pour des mérites rendus à la Maison grand-ducale. Hugues Le Gallais devait en connaître le motif et avait en effet toujours été un loyal serviteur. Pour lui, dépourvu de modestie et guère discret sur sa propre action, les décorations constituaient certainement une gratitude et une satisfaction. En tout cas, dès son « upgrade » de commandeur de l’Ordre d’Adolphe de Nassau à Grand Officier, Le Gallais demanda à l’éditeur de bien le noter dans son curriculum vitae dans l’« International year book » publié à Londres.

Chacun devant être juge dans certaines circonstances, l’ambassadeur devait être comblé en passant en revue, à la fin de sa vie, tous les moments historiques auxquels il avait assisté ou auxquels il avait pu participer. Se sentant à son aise en compagnie des grands de ce monde, Hugues Le Gallais sachant recevoir avec une grâce parfaite, avait tout pour devenir diplomate. Homme aux belles manières d’antan et aux allures cérémonieuses, Hugues Le Gallais essayait toujours de comprendre, d’interpréter et de transmettre. Il avait tout pour exercer le métier de diplomate et attendait patiemment à Luxembourg, de février 1937 à début 1940, le bon moment pour repartir vers d’autres contrées. Il était désormais en possession d’une collection d’art acquise au Japon.

80 Als, Georges : Robert Als (1897-1991) au service de son pays : à la recherche du temps perdu. Luxembourg, Rapid Press, 2003.

81 Guill Konsbruck (1909-1983), aide de camp du prince Félix, commissaire au Ravitaillement et aux Affaires économiques. Du 23 février 1945 au 29 août 1946, il fut membre du gouvernement, avant d’être, à partir du 15 octobre 1946, nommé directeur de l’administration centrale d’Arbed. Il devint en 1947 directeur général adjoint d’Arbed et en 1959 directeur général d’Arbed Participations.

82 Alfred Loesch (1902-1982), avocat, Grand maréchal de la Cour de 1947 à 1964.

83 Voir plus loin sous Seconde Guerre mondiale.

84 AMgdL 1697 ; correspondance officielle Le Gallais à S.A.R. ; notes sur entretiens officiels à Washington ; 1ère catégorie ; lettre du 12 février 1943 de HLG à la Grande-Duchesse.

85 Voir plus loin sous Seconde Guerre mondiale.

86 AMgdL 1697 ; correspondance officielle Le Gallais à S.A.R. ; notes sur entretiens officiels à Washington ; 1ère catégorie ; quatre lettres manuscrites de HLG à la Grande-Duchesse : 22 décembre 1942, avant la visite en Californie et au Missouri ; 12 décembre 1942, suite à invitation à se rendre en visite en Louisiane ; 28 novembre 1942, au sujet de la représentation militaire et du rejet de voir Konsbruck désigné en tant qu’attaché militaire auprès de la légation ; 8 octobre 1942, avant la rencontre avec le président et sur la formation du Grand-Duc héritier.

87 Comme ces témoignages n’ont guère d’impact sur le déroulement des années passées aux Etats-Unis, ils ne sont pas insérés dans la description des années 1940. Le Gallais jouait sur plusieurs tableaux, et son lien ancien et singulier avec le chef d’Etat n’allait pas se démentir et allait largement au-delà d’une fonction honorifique.

88 Albert Wehrer (1895-1967), chargé d’affaires à Berlin de juin 1938 jusqu’en 1940 et après la guerre jusqu’en 1950. Avant le 10 mai 1940, il avait été conseiller de gouvernement, puis secrétaire général du gouvernement, et à partir de mai et jusqu’en octobre 1940 président de la « Landesverwaltungskommission ». Il est devenu en 1945 chef de la mission luxembourgeoise auprès du Conseil de contrôle allié à Berlin. Il devint en 1950 ministre à Berlin, puis, à partir d’octobre 1951, ministre plénipotentiaire à Paris, avant d’être nommé, en avril 1952, membre de la Haute Autorité de la Ceca.

COLLECTIONNEUR D’ART ORIENTAL

Du temps de son affectation au Japon au service de Columeta, Hugues Le Gallais avait acquis et rapporté de nombreuses pièces d’art oriental qu’il avait su reconnaître comme objets de valeur sur la base de son initiation chez l’expert Petrucci. Il se définissait lui-même comme collectionneur d’objets d’art de l’Extrême-Orient. Sa collection personnelle emmenée et exposée à l’ambassade à Washington comprenait des épées, des paravents et des kimonos japonais. L’ambiance dans cette maison sombre et à la splendeur fastueuse devenait plus personnelle, mais aussi plus exotique avec la surabondance d’œuvres rappelant l’Orient. Malgré son statut de diplomate, son ouverture d’esprit permettait à Hugues Le Gallais, passé maître dans l’art de recevoir, de fréquenter des collectionneurs et des gens sophistiqués et intéressés comme lui par l’art. Toujours à la recherche du plus beau qui ne sature pas, dénichant des merveilles et les mettant en valeur là où on ne les attendait pas, Hugues Le Gallais a été ébloui par les œuvres japonaises toute sa vie durant. Il est aussi l’auteur d’articles sur l’art d’Extrême-Orient parus dans la Gazette des Beaux-Arts dans les années 1933, 1947, 1948 et 1949.

L’année du départ de Washington est aussi celle de la séparation avec une partie de sa collection. Peut-être que les Le Gallais voyaient les choses venir ou souhaitaient tout simplement faire du « downsizing ». Toujours est-il que, le 20 novembre 1958, Hugues Le Gallais a écrit à sa fidèle ex-secrétaire Maloney qu’une vente d’objets n’a pas eu le résultat escompté et qu’il compte se rendre sous peu dans la capitale britannique. La vente de 178 pièces chez Sotheby’s à Londres l’obligeait à prouver qu’une soucoupe Ming montrant des poissons avec bord ondulé (« Ming saucer fish with wavy rim ») a appartenu à sa collection avant 1951 afin que les communistes chinois ne se montrent pas intéressés outre-mesure par cet objet et en demandent la restitution. En soldat fidèle, Madame Maloney a certifié par une lettre à l’acquéreur que l’objet et la collection se trouvaient à l’ambassade de 1940 à 1958 et avaient été acquis par l’ambassadeur avant son départ d’Orient en 1935. Dans un autre papier, Hugues Le Gallais a demandé que, pour les objets de sa collection, il y a lieu de mentionner qu’ils ont plus de 100 ans et que pour ceux datant du XIXe siècle, il y a lieu de préciser : « début du XIXe ». Le 17 août 1958, alors qu’il était à Venise, Le Gallais a demandé à Madame Maloney d’écrire à Sotheby’s qu’il maintenait son appréciation quant à la qualité et la valeur de certaines pièces au sujet desquelles la maison de vente aux enchères s’est montrée déçue. Il s’agit du tableau « Le philosophe » et encore d’un rouleau tibétain (« Tibetan scroll, one of the strongest seen by Laurence Bingon »). La vente d’une partie de la collection d’Hugues et du Palazzo San Maurizio, que Pisana possédait avec sa sœur, permit l’acquisition d’un palais à côté du Ca’ Rezzonico, le Palazzo Contarini Michiel, où les Le Gallais allaient demeurer jusqu’à la fin de leurs jours. En fait, l’ambassadeur s’était défait non seulement chez Sotheby’s d’une partie de sa collection, mais avait aussi vendu à la « Freer Gallery of Art », le musée d’art asiatique et proche-oriental fondé en 1923 à Washington et situé sur le « National Mall », deux lions qui avaient initialement trouvé une place de part et d’autre de la cheminée dans le hall d’entrée de l’ambassade. Quelle passion donc pour une collection sur laquelle nous allons revenir ! Tout cela devait aussi permettre, un jour, de recevoir de manière plus que digne et distinguée ses nombreux amis à Venise.

Revenons maintenant à cette période si tendue et complexe d’avant la guerre. Le Grand-Duché se sentait menacé par son voisin allemand, mais continuait d’observer sa neutralité « perpétuelle et désarmée », lui imposée par le traité de Londres du 11 mai 1867 et violée une première fois en 1914 par l’invasion allemande. 1937, l’année de l’installation au Luxembourg de Pisana et d’Hugues, avait été celle du rejet, en juin, de la loi dite « muselière ». Ce projet de loi menaçant les libertés publiques et tendant en fait à interdire le Parti communiste fut rejeté lors d’un référendum par la majorité du corps électoral. C’était un désaveu cinglant pour le ministre d’Etat chrétien-social de l’époque, Joseph Bech,89 qui dut céder ce poste à Pierre Dupong,90 la figure de proue de l’aile gauche de son parti. Bech, qui était proche de la Grande-Duchesse et pour lequel Le Gallais allait développer une admiration certaine, gardera néanmoins le portefeuille des Affaires étrangères jusqu’en 1959. D’aucuns ont vu en lui un Talleyrand luxembourgeois, Le Gallais ayant développé une certaine admiration pour l’un et pour l’autre. Nous ignorons dans quelle mesure Le Gallais fréquentait ces acteurs décisifs de sa vie des prochaines décennies au cours de son séjour de trois ans à Luxembourg. Une lettre de fin août 1944, à l’approche de la libération du pays, écrite par Bech au ministre à Washington, semble indiquer que Le Gallais avait déjà, avant la guerre, fréquenté le couple : « Ma femme m’a rappelé récemment le tour de la Siegfried Line que vous lui aviez fait faire avant la guerre et dont elle était rentrée très impressionnée. »91 Le Luxembourg était un pays d’un peu moins de 300.000 habitants, et tout le monde, ou presque, se connaissait. Les Le Gallais habitaient le quartier de Belair, à quelques centaines de mètres de la demeure des Bech. Il allait bientôt entrer au service de ce ministre chevronné.

89 Joseph Bech (1887-1975), président du gouvernement de 1926 à 1937, tout en gérant le portefeuille des Affaires étrangères après le référendum de 1937. A repris la présidence du gouvernement après la mort de Pierre Dupong (1953), jusqu’en 1958.

90 Pierre Dupong (1885-1953), Premier ministre durant 16 années, de 1937 jusqu’à sa mort, le 23 décembre 1953. À l’époque, le Premier ministre était désigné comme ministre d’Etat, président du gouvernement.

91 La ligne Siegfried d’origine (appelée ligne Hindenburg par les Alliés) est une ligne fortifiée construite par l’Allemagne en 1916 et 1917, pendant la Première Guerre mondiale.

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