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Читать книгу: «Un jardin sur l'Oronte», страница 3

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VI

Comment un tel royaume pourrait-il durer? Est-ce la vie d'un chef de respirer des fleurs, au milieu des femmes, en écoutant des chansons poignantes, et de mettre son règne sous l'invocation du plaisir? Et les mains d'une jeune Sarrasinoise, si éblouissant que soit son esprit, peuvent-elles soutenir la fortune d'un État?

Une nuit que l'Émir reposait avec Oriante, des messagers épouvantés vinrent l'avertir que des troupes de chrétiens en armes descendaient de la montagne.

Quoi! après la trêve signée! Quel rôle joue donc sire Guillaume? La jeune femme surtout s'indignait:

– S'il nous a menti, Seigneur, vous devez immédiatement le mettre à mort. Avais-je assez raison de vous conseiller que vous le gardiez en otage!

Plus que l'effroi du danger, ce qui la faisait parler si durement, c'était l'affront d'avoir été jouée par celui que tout le harem croyait qu'elle s'était assujetti.

Mandé sur l'heure, au milieu des ténèbres, et la Sarrasine s'étant cachée derrière une tenture, sire Guillaume n'eut aucune peine à faire éclater sa bonne foi:

– Si le comte de Tripoli a manqué au pacte dont je suis le garant, l'injure est pour moi plus encore que pour votre Seigneurie, mais je crois que vous êtes attaqué par le prince d'Antioche avec qui, vous avez eu tort de différer de traiter.

D'heure en heure, des renseignements plus complets vinrent confirmer cette opinion de sire Guillaume, et la Sarrasine retourna son irritation contre son Seigneur et maître, dont elle comparait l'incapacité et la négligence à la clairvoyance du jeune chrétien.

Toute la journée, les paysans refluèrent en ville avec leurs bestiaux et leurs récoltes. On ne pouvait que les accueillir, ces malheureux. Quant à les protéger au dehors, avec quels soldats? A peine en avait-on assez pour garnir les remparts.

Le soir, l'Émir s'en étant allé avec sire Guillaume à travers les rues, fut accueilli par un silence tragique de désaffection. Oriante, impatiente de tout apprécier par elle-même, se faisait porter à leur suite en litière. Tous trois montèrent sur les murs. Dans le crépuscule, déjà l'ennemi dressait son camp sous la ville. Ils virent ses tentes, ses piques et ses gonfanons, et entendirent ses insultes.

– Voilà donc, dit Oriante au chrétien, les chevaliers qui veulent mettre des femmes à mort, ou, du moins, nous imposer leur amour comme un joug.

Sire Guillaume protesta avec vivacité. Il dit que les chevaliers chrétiens, plus qu'aucun homme au monde, honoraient les dames, et il lui montrait dans la brume, au milieu du camp, la haute bannière du prince d'Antioche, leur chef, où était figurée une Vierge dorée.

Elle distingua son trouble. Il souffrait en regardant ses frères de religion et cherchait son devoir. N'eût-il pas dû se glisser immédiatement au bas de ces murailles, pour n'avoir pas à porter les armes contre l'étendard de la Vierge?

Assez longuement, sans découvrir son jeu, elle le fit parler, le contredit, l'approuva, et dans une minute où ils furent seuls:

– Eh quoi! serait-il possible qu'un chevalier chrétien fût tenté d'abandonner au malheur l'amie qui partageait avec lui sa prospérité? Celui qui ne défend pas sa citerne est indigne d'y boire une gorgée.

Sur ce thème de peur, de désir et de noblesse, elle parlait d'une voix tendre et précipitée, avec un accent étouffé. Et soudain, il s'engagea par les serments les plus terribles à ne jamais l'abandonner.

Rentré au palais, dans le Conseil de guerre où elle le fit convier, son avis fut clair et net. Qalaat ne pouvait se dégager de vive force. C'était un espoir à écarter. Par contre, on devait obtenir un secours militaire du sultan de Damas et un arbitrage des chrétiens de Tripoli. Durerait-on jusqu'à ce que se déclenchât cette double intervention? C'était aux yeux de sire Guillaume tout le problème. Il s'agissait de tenir. En conséquence il conseilla d'abandonner la ville proprement dite et de réserver toutes les ressources pour la forteresse. Sise à l'angle de la place, sur une colline dont elle épousait la forme, la forteresse n'avait besoin que d'un petit nombre de défenseurs autour de l'Émir et de son harem, et comme elle communiquait directement avec la campagne, elle pouvait être, le cas échéant, secourue ou évacuée.

– Pour gagner du temps, concluait Guillaume, et pour durer des mois et des mois, les ressources ne nous manqueront pas, si nous saisissons toutes les provisions que les gens de la campagne viennent d'apporter dans la ville.

En vain l'Émir fit-il valoir les droits de ces pauvres gens et qu'il était leur protecteur.

– Ah! lui dit la Sarrasine, laissez maintenant aux femmes les questions de sentiment, et chargez-vous d'assurer notre vie.

La dure raison de sire Guillaume s'imposa. Les paysans qui s'étaient réfugiés dans la ville furent dépouillés au profit des greniers de la forteresse, puis abandonnés aux chrétiens qui les mirent en esclavage. Bien des artisans et des bourgeois, qu'il eût été trop lourd de nourrir, furent rejetés au même sort. L'Émir endossa l'impopularité de cette atroce mesure où le contraignit un péril qu'il n'avait pas su prévoir. Guillaume apparut au petit nombre des favorisés, dans la forteresse, comme un être d'énergie et d'initiative autour de qui les espérances se groupèrent.

Durant ce Conseil de guerre, le jeune homme n'avait pensé qu'à la Sarrasine. Cette charmante figure, qui semblait dire que seuls l'amour et la fantaisie enthousiaste valent la peine de vivre, avait suivi l'exposé des avis avec le plus lucide bon sens; elle l'avait aidé à faire triompher une idée simple et dure. Il admirait maintenant en elle quelque chose de plus beau que ses couleurs, ses parfums et ses chants.

Souvent au milieu des ténèbres, c'est-à-dire aux heures de grande clairvoyance, quand il était de garde, il songeait: «Je veille parmi les ennemis de ma race et de ma foi, et je partage leur sort précaire, pour l'amour d'une femme que derrière ce mur un autre tient dans ses bras!» Et pourtant il n'admettait pas une seconde de se soustraire à cette absurdité. Rien sans Oriante, tout avec elle. La vie ou la mort avec Oriante.

Le resserrement de la vie physique dans la forteresse contribuait à exalter sa sensibilité. De jour et de nuit, pour les nécessités du service, il était autorisé à pénétrer dans l'intérieur du harem.

Tout y était assemblé pour donner l'image d'une vie proche du ciel, les fleurs, les parfums, la jeunesse, la beauté, les chants et les lumières. Il y trouvait l'Émir au milieu de ses femmes, ou seul avec Oriante. Mais nulle d'elles ne semblait apercevoir le jeune chrétien. Il n'était plus qu'une ombre que leurs regards traversaient pour ne s'attacher qu'au Maître, et celui-ci, elles l'enveloppaient de rires, de flatteries, auxquels la Sarrasine joignait ses ensorcellements les plus tendres.

Sire Guillaume se laissa aller à s'en plaindre à Isabelle dans une des rares nuits qu'il pouvait encore passer auprès d'elle:

– Vous me négligez, toutes, avec un naturel qui m'épouvante. Quand vous m'ignorez à ce point, je suis tenté de croire que jamais aucune de vous ne m'a montré de sympathie. Vous simulez ou dissimulez avec une telle perfection qu'on ne sait plus à quel moment vous êtes sincères.

– Eh! Vérité de mon âme, sans notre art de mentir, nous péririons. Quand Oriante repose auprès de l'Émir, seuls tous deux sur leur divan, et que dans le silence elle entend battre son propre cœur, crois-tu qu'elle ne redoute pas que son Maître n'en comprenne l'alphabet! Elle s'enveloppe en hâte de mots qui sont des fleurs et des parfums, pour l'étourdir et le distraire. Mais de toi, sache ce qu'elle me disait hier: «Je suis heureuse de penser qu'alors que je dors et repose comme une enfant paisible, un ami venu des extrémités du monde veille sur mon sommeil et assure la sécurité de Qalaat.»

– Elle dort auprès d'un malheureux qui ne sut pas lui épargner le péril.

La jeune femme mit avec précipitation sa main sur la bouche qui venait de prononcer ces mots amers, et se serrant contre le jeune homme, son souffle sur son cou, elle murmura:

– Silence, petit chrétien! de telles pensées peuvent agir, mais non parler.

Le lendemain, dans la journée, la Sarrasine fit chercher sire Guillaume. Souvent elle l'appelait ainsi auprès d'elle, quand l'Émir était aux murailles et que, trop inquiète pour demeurer seule, elle voulait une fois de plus calculer les chances d'être secouru de Damas ou de Tripoli. Son émotion, qui la faisait plus brillante et plus palpitante qu'en aucun jour passé, exalta l'amour du jeune homme, enivré qu'elle fît appel à sa protection. Par l'étroite fenêtre grillée, ils voyaient à leurs pieds les vergers de l'Oronte: les fleurs y sont mortes de soif, tous les musiciens ont posé leurs violes pour servir aux remparts; qu'importe! Oriante éblouit et enchante mieux qu'aucun jardin et qu'aucune musique. Sa jeunesse et sa fantaisie ont tôt fait de reprendre et de redonner courage. Elle sait l'hymne qui sort de la caresse d'un regard aimé et de la simple inclinaison d'un jeune corps, et suivant avec joie les signes de sa toute-puissance dans les yeux du jeune homme, comment ne se sentirait-elle pas, contre toute circonstance, la maîtresse du destin?

Ce jour-là, elle demanda mille détails sur les mœurs des seigneurs francs. Quelle place donnent-ils dans leur maison à leur femme? Une princesse d'Antioche, par exemple, a-t-elle une part du pouvoir?

– Je sais, disait-elle, que de puissants seigneurs de chez vous ont épousé des Sarrasines qui se convertissaient.

Le jeune homme dont la figure rayonnait d'espérance vanta les mœurs chrétiennes. Soudain il sentit les deux mains froides de la jeune femme se poser sur les siennes, et d'un ton négligent, avec un regard d'une prodigieuse acuité, à voix basse, elle lui demanda:

– Il y a dans Tristan quelque chose que nous ne comprenons pas. Comment Tristan ne s'est-il pas défait du roi Mark? L'un des deux était de trop.

– Pourquoi, dit-il, me poser, cette question? Voulez-vous donc m'éprouver?

Elle se taisait, et couchée sur ses coussins, fière avec une ivresse enfantine de sa puissance de plaire, elle songeait qu'elle n'était pas faite pour subir, mais pour choisir.

Toute flexible, mobile et enthousiaste, Oriante semblait de ces esprits qui jamais ne disent «non». A tous les conseils, à tous les ordres, à toutes les prières, avant même que les paroles en fussent entièrement formulées, elle s'élançait pour répondre «oui», cent fois «oui», mais sous cette faiblesse et cette docilité apparentes, quelle force intraitable! quelle énergie de fourmi et d'abeille! l'énergie d'une âme dominatrice qui n'admet pas que rien entrave son impérieuse vocation secrète! Les sourires, les acquiescements, les soumissions et les enchantements qu'Oriante prodigue n'empêchent pas qu'elle percerait le roc, monterait dans la lune et livrerait à la male mort ceux qu'elle aime, plutôt que d'abandonner sa ligne d'ascension. Elle a reconnu, son Maître incapable, et dans son esprit, elle l'a dépassé; pis encore, elle l'a déposé.

Son décret intérieur ne faisait que précéder le destin. Un jour l'Émir, contre l'avis de sire Guillaume et de tous les défenseurs de la forteresse, tenta une sortie pour mettre le feu au camp des chrétiens. Il échoua et dans la mêlée fut atteint mortellement. Quelques-uns disent que le trait qui le perça venait de ses propres gens. C'est ce qui n'a jamais été éclairé. Son corps put être rapporté dans l'enceinte du rempart.

VII

La dépouille fut déposée dans l'appartement des femmes. Guillaume y vint quand celles-ci l'entouraient et qu'Oriante, selon l'usage, lamentait le deuil du royaume. A son arrivée, elle s'interrompit. La joie et le désir couraient de l'un à l'autre, avec la vitesse des regards qu'échangent dans le ciel nocturne les étoiles. Elle l'entraîna dans la chambre du trésor, dont elle venait de saisir les clefs sur le mort, et là, tous deux seuls au milieu des richesses de Qalaat, dans cette pièce demi-obscure, son visage passionné luisait comme un vase d'albâtre éclairé intérieurement. Le jeune homme lui dit:

– Je l'ai servi loyalement pour l'amour de vous. Mais que sert de mentir? Je me réjouis de sa mort.

– Avant tout, dit-elle, en l'écartant d'un geste, il faut que tu commandes dans Qalaat.

Et sur l'heure, pressée de devancer toute intrigue, elle appela près d'elle les principaux dignitaires et chefs. Assise au milieu d'eux, et Guillaume debout à son côté, elle leur prodigua avec aisance, telle une fontaine d'éloges, les plus gracieuses hyperboles de l'amitié sur leur bravoure, leur haute raison et leur fidélité, et soudain pour conclure elle exposa crûment qu'ils avaient tous le même intérêt à ne pas se diviser, sinon ils périraient, les uns par les autres, et par l'ennemi:

– C'est sire Guillaume qui nous a donné le bon conseil de rassembler ici nos ressources, et c'est lui seul qui peut nous ménager l'appui des chrétiens de Tripoli, en même temps que nous appelons les musulmans de Damas. Je vous propose que nous constituions sous sa présidence un conseil de la défense.

Et puis, leur dit-elle en substance, de la voix la plus pure, avec un regard de vierge, j'attends de vous un grand service de bonté:

– Que peuvent devenir les femmes du sérail? C'est à vous de les protéger. Elles vous appellent. Je vous demande que vous vous les partagiez. Les sommes assez importantes, qui, chaque mois, étaient dépensées pour leur entretien dans le harem, légitimement doivent les suivre dans vos mains.

Ils acclamèrent la Sarrasine, la confirmèrent dans son titre de reine et firent leur affaire de persuader les officiers subalternes et les troupes.

Ainsi la transmission des pouvoirs s'opéra sans difficulté.

A la nuit, la savante vint prendre Guillaume par la main et le mena en secret dans la chambre dorée d'Oriante. Tandis qu'ils se glissaient à travers l'ombre des longs corridors, la jeune femme, en guise d'adieu à leurs plaisirs qu'elle sacrifiait à l'amour, lui récita les vers du poète:

«La tulipe fleurit promptement et s'en va légère et rapide, mais le rubis qui se forme avec lenteur ne craint rien du vent ni de la pluie et traverse toutes les saisons.»

Le jeune homme pleura d'enivrement en s'agenouillant devant la Sarrasine, qui lui disait:

– Comme je t'ai attendu, avant même que je te connusse! Que de fois, avec quelle ardeur, je me suis répété: Quand viendra-t-il dans ma chambre, celui dont mon espérance m'assure qu'avec lui et jusqu'à la mort je serai reine et heureuse. Au milieu du chaos de dangers qui nous pressent, hâte-toi, ami de mon cœur! Tout ici t'appartient.

Son visage brillant et pur, ses mains délicates teintées de henné, ses petits pieds fardés, tout son corps d'ambre et de jasmin répandaient la douce lueur d'une lampe de mosquée. Jusqu'à l'aube dans la citadelle, on entendit les hululements des femmes auprès du cadavre royal, et, tout autour de la ville, les tambours des chrétiens qui se réjouissaient. Eux, cependant, ils semblaient le repos d'un agneau dans les bras de son jeune berger, ou l'innocent enroulement d'une couleuvre sans venin qui s'est glissée, pour s'y réchauffer, sur le cœur d'un enfant qu'elle aime. Dans ces minutes, où il rassasiait les désirs de son corps et de son âme, Guillaume vivait hors du temps. Aussi quelle surprise, quand Oriante se soulevant sur son coude lui dit, au milieu de la nuit:

– Toi qui es du Christ, pourquoi en livrant la ville à tes frères chrétiens n'en serais-tu pas le premier roi et libre de choisir ta reine?

– Eh! Lumière de ma vie, Étoile du matin et Porte du ciel, il est bien sûr que tous, chrétiens ou païens, voudraient se ranger sous votre loi, mais ils auraient tôt fait de me trouver de trop, et si vous voulez j'aime autant ne pas tenter l'aventure, car après la tendre preuve que me donne cette nuit, je n'imagine plus pouvoir vivre et mourir qu'en votre amitié totale et sacrée.

– Oui, totale et sacrée, mais précisément une telle amitié, il faut qu'elle soit hors de pair, et comprends bien, je te le dis à cette heure de vérité où tu me tiens sur ton cœur, je ne pourrais pas me passer, que tu m'en blâmes ou m'en approuves, je ne pourrais pas me passer que l'on portât devant moi, non pas des fleurs ou des trésors, mais les étendards, et que les visages fussent non pas souriants et admiratifs, mais inclinés par le respect et l'obéissance. J'ai besoin que l'obéissance craintive courbe ceux qui m'entourent, et je ne pourrais pas plus respirer sans ma puissance que sans ton amour.

Il fut étonné qu'elle éprouvât du goût dans un tel moment pour ce genre de discussion, et sans trop l'écouter il l'embrassait avec un redoublement d'amitié et de gaieté. L'innocent ne trouvait dans cette irritation de l'orgueil de sa maîtresse qu'un excitant au plaisir.

L'aube de cette nuit se leva sur une suite de jours inimitables. Guillaume sortit de cette chambre et de leurs secrets, le cœur enthousiasmé. Tous les rosiers étaient morts et les rossignols partis, mais la Sarrasine remplissait de chants et de parfums l'univers. Sur Qalaat flottaient ces hymnes de gratitude qui surgissent du fond de l'être, après le plaisir, comme des fleurs mystérieuses épanouies en une nuit à la surface des eaux profondes. De ces caresses et de cette âme qui viennent de l'accueillir, Guillaume emporte un sentiment si fort qu'il les quitte presque avec joie pour mieux en jouir et pour vivre dans une imagination d'amour et de beauté, plus forte qu'une présence réelle. Ce n'est qu'après un délai qu'il aura besoin de revoir son amie et de repeupler auprès d'elle ses forces. Il s'agite, il chante, il se remémore et bénit le ciel. Mais dans quelques heures, après ce répit de quiétude, de large respiration et d'une sorte d'immunité, sous peine d'une angoisse bientôt intolérable, et comme si sa provision de vie s'était épuisée, il faudra qu'il rejoigne la Sarrasine et que de sa voix, de son regard, de tout ce qui émane de son corps et de son âme, elle le recharge de confiance.

Les deux jeunes gens craignaient à toutes les minutes une révolution intérieure ou l'assaut victorieux des chrétiens. Ce danger constant, cet encerclement de menaces développaient chez Oriante je ne sais quoi d'exalté dans la tendresse, chez le jeune chrétien un invincible élan du désir, et chez tous deux l'ardeur insensée des éphémères qui, voulant surmonter la brièveté du temps par l'intensité de la passion, s'écrient: «Si nos forces doivent être brisées par le destin, que ce soit l'amour plutôt qu'un coup sanglant qui nous désarme.»

Quelle contrariété, quand les femmes du sérail viennent familièrement soulever les tentures de la chambre dorée et interrompre leurs délices! Elles ont à raconter à Oriante les plaisirs et les déplaisirs de leurs nouvelles unions. Impossible de refuser d'entendre ces filles dévouées, qu'une offense pourrait rendre dangereuses. Oriante se contraignait à les recevoir, et bientôt, se livrant tout entière à l'impression du moment, elle faisait de ces colloques qu'elle avait redoutés la plus éblouissante dépense de fantaisie, avec l'insouciante furie du papillon de nuit qui ne sait plus rien dès que s'allume le flambeau.

Guillaume s'enflammait d'écouter les charmants emportements de cet esprit qui, par son mélange d'innocente ruse et de rêverie tendre et folle, lui semblait unique au monde, mais très vite: «Je ne veux ni vous voir ni vous entendre, ni vous respirer, songeait-il; je désire votre silence, mes yeux fermés, aucun trouble, afin que je puisse, par un sixième sens plus subtil, de cœur à cœur, vous connaître et nous lier.» Tant de grâce et d'invention et ce perpétuel bondissement le gênaient pour écouter, au plus profond d'Oriante, ce qu'il préférait à tous ces éclats, la note vraie de son âme.

Dans les jardins de l'Oronte, aux temps faciles, avant le siège, il eût imaginé certainement que sous un sabre levé, cette Oriante éclaterait en supplications, les genoux dans la poussière, les bras nus, la bouche entr'ouverte, et réduite par la terreur à consentir à toutes les exigences, mais à l'épreuve voici que cette âme se révélait royale, c'est-à-dire résolue à diriger le destin, et incapable de rien accepter qui la diminuât, et violente, excessive, démesurée, elle possédait dans son arrière-pensée la raison la plus lumineuse. Il l'estimait comme une vertu vivante. Préférer à soi-même une autre qui, elle-même, nous préfère à soi; désirer de mourir à deux, pour épanouir une seule vie plus belle; appeler la volupté avec la certitude d'y tuer nos humanités et d'en surgir créature céleste … premières minutes sublimes d'un tel amour comblé. Tous les philtres de fierté, de décence ingénue et d'exaltation tendre, dont Oriante avait jusqu'alors composé son charme, recevaient de l'incessante présence de la mort un surcroît de force. Guillaume avait l'idée de tenir dans ses bras un jeune héros.

Les deux amants passaient leurs jours et leurs nuits dans un état, de vibration de leurs âmes, montées au plus haut point et pourtant accordées étroitement, «Puissions-nous, chantait Oriante, confondre nos minutes dernières, comme nous mêlons ici nos heures les plus vives, et sceller dans le repos sous une seule pierre notre inséparable accord; mais si la fortune adverse obtient de nous séparer, elle nous fera souffrir sans parvenir jamais à rompre notre unité, car mon ivresse s'est glissée en toi et la tienne en moi, et j'ai laissé ton cœur recevoir de mon cœur une empreinte immortelle. Va, fuis, je te garde aussi sûrement que tu m'emportes, l'un à l'autre mariés par mon choix!» Et Guillaume l'ayant dans ses bras continuait de la poursuivre, avec autant d'ardeur que s'il ne l'eût jamais atteinte. Attachés l'un à l'autre, ils s'appelaient comme si le fleuve Oronte les eût séparés.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
100 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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