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Читать книгу: «Un jardin sur l'Oronte», страница 7

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Et s'il ne saisit pas son amie par la main, pour l'entraîner avec lui dans l'abîme, ce fut moins par un reste d'amour que par haine, ne voulant plus qu'ils eussent rien en commun et préférant la solitude à ce mauvais compagnonnage dans la mort.

– Fille au sang de vipère! lui dit-il à mi-voix en arabe.

Et tout haut, en s'adressant aux chevaliers francs qui remplissaient la salle:

– Ainsi, messires, votre belle conquête fut le fait d'une félonie, et le fruit d'un accord de votre lâcheté avec la trahison d'une femme païenne.

A peine a-t-il dit que déjà un des convives, de toutes ses forces, lui a lancé une lourde coupe qui le frappe au front et le renverse sanglant. Et plusieurs de le frapper!.. Mais en même temps, Oriante s'est jetée à la poitrine du blasphémateur. Elle s'y est jetée vraiment comme un jeune tigre, poitrine contre poitrine. Qu'elle veuille le déchirer ou bien le préserver, elle est trempée du sang qui jaillit du front ouvert; elle s'écroule avec lui sur le sol, et gêne par tant de zèle la première fureur de la meute féroce. C'est en vain que le jeune homme, dans les convulsions de la colère et de la souffrance, se débat contre ses ennemis et peut-être contre cette femme dont l'amour funeste l'a perdu; il est serré comme par les anneaux d'un serpent par tout le corps de sa maîtresse: elle le protège avec ardeur et le couvre de paroles brûlantes, indistinctes pour tous, hors pour lui:

– Si vous mourez, dit-elle, que ce soit avec la certitude de mon amour.

Il repousse avec horreur cette caresse de la trahison et du désespoir. Cependant toutes les femmes, comme un essaim d'abeilles affolées, tournoient dans la salle. Elles craignent que le premier massacre ne recommence et que tant de sacrifices n'aient été inutiles. Seuls Isabelle et le vénérable évêque gardent leur raison au milieu de cette émeute brutale, où la seule chance de salut pour Guillaume est dans l'acharnement de ces hommes, si empressés à le frapper qu'ils s'en empêchent les uns les autres. Avec quelle peine enfin l'évêque arrive à faire entendre ses paroles de modération! Il obtient que le coupable, déjà demi-mort, sera livré aux hommes d'armes, pour qu'ils en fassent bonne garde jusqu'à l'heure de le juger.

XVII

Les hommes d'armes emportent sire Guillaume et, nulle prison n'étant prête, le jettent dans une écurie. Ils le suspendent par les mains au plus haut du râtelier, de telle manière que ses pieds ne touchent pas terre et que tout son corps tire cruellement sur ses bras. Puis ils s'en vont, sans même prendre soin de fermer les portes, car il se mourait.

A peine sont-ils partis qu'Oriante et Isabelle qui les avaient suivis se glissent dans l'écurie. Elles y apportent leur pitié, des larmes et une ardente activité. Elles voudraient dénouer ou couper la corde qui suspend leur ami, mais elles n'y parviennent pas et se font reconnaître de lui sans parvenir à le secourir. Oriante le serrant de ses deux bras à la ceinture essaye de le soulever. Vains efforts! Alors Isabelle, se courbant contre terre, presse le malheureux de poser ses pieds sur son dos pour se procurer quelque soulagement.

– Ange de la mort! lui dit-il avec amour en se ranimant, et c'est elle seule qu'il veut voir.

Mais Oriante n'accepte pas qu'un brouillard, fût-il d'agonie, s'interpose entre aucune âme et son âme de feu et la rejette au second plan. A la fois tendre et impérieuse, son jeune visage appuyé contre le cœur de son amant, elle le somme de lui répondre:

– Vas-tu mourir en me haïssant?

– En souffrant par toi, oui certes.

– Dis-moi comment j'aurais pu t'éviter cette souffrance?

– Il fallait ne pas me trahir.

Ah! peu importe à Oriante la majesté de la mort! De cette majesté même elle n'accepte pas les leçons.

– Te trahir! dit-elle, et toi, comment nommes-tu ton refus, inavoué mais certain, de défendre Qalaat contre tes coreligionnaires chrétiens? Tu nous avais engagés dans une résistance purement passive, où tu ne voyais, à part toi, aucun espoir sérieux de succès. Pourquoi? Ah! je te comprends. Tu ne pouvais pas frapper tes frères chrétiens. Mais à ton tour comprends ma nature! Comprends qu'Oriante n'est pas née pour admettre qu'il y ait des vainqueurs qu'elle renonce à s'assujettir. Je ne pouvais pas me résigner à être comme une morte. Il faut connaître ce que sont les femmes, ou du moins leurs reines. Tu peux me demander de ne plus vivre; c'est peut-être le devoir d'une femme de mourir avec celui qu'elle aime, mais, tant que je respire, il m'est impossible de ne pas obéir à la force royale qu'il y a en moi.

– C'est cette force royale que j'aimais en toi, et c'est d'elle que j'ai souffert et que je meurs. N'espère pas que je n'aie pas déchiffré à la longue tes paroles rusées, ton visage trompeur et quelque chose d'âpre et de calculé sous tant de rêves exaltés et tendres. Nul ne peut passer à la portée de ton regard ou de ton imagination, plus étincelante encore, que tu ne veuilles te l'assujettir. Que de fois, Lumière de ma vie, tu m'as déplu sans que je cesse de t'admirer et de t'adorer! Personne ne pouvait empêcher que je ne fusse à ta discrétion dès l'instant que je te connus, «A la vie, à la mort!» entendis-je alors mon cœur murmurer. Adieu, visage chéri, et qu'elle soit bénie, celle, plus douce que toi, dont tu m'as donné le secours. Puissiez-vous avoir, l'une et l'autre, autant de joies que tu m'as vu de peines!

– Injuste ami, sache donc, si je t'ai fait souffrir, que je t'aimais dans chacune de mes respirations, dans mes repas, dans mon sommeil, à toutes les minutes les plus humbles de ma vie, aux plus méchantes, si tu crois qu'il en fût; et quand je ne pouvais être ton bonheur, j'ai voulu être ton tourment, plutôt qu'absente de tes heures. Mais je ne pouvais pas consentir à déserter le premier rang.

– Adieu, dit-il, voici le moment que nous avons toujours prévu et tel à peu près que je l'appelais, puisque ton amitié m'assiste. Merci de la coupe de vin que tu m'as donnée, le premier soir de ton chant. Depuis je n'ai plus cessé d'être ivre de bonheur et de malheur. Au seuil des ténèbres, je songe qu'entre toutes les femmes d'Asie la plus précieuse fut mon amie. Par toi j'ai connu tout l'éclat de la jeunesse, de la douleur et de la joie. Adieu, Beauté du monde et Raison de ma vie!

Elle l'écoutait, le serrait dans ses bras, le baisait au cœur et chantait d'une voix pressée des serments éternels d'amour:

– Prends ton repos en pleine confiance. C'est toi que j'attendais au jardin de l'Oronte, avant ta venue, et que j'ai reconnu; toi que j'ai compris ne pouvoir pas écarter quand pour notre malheur, sois béni, tu réapparus, mon amour; toi qui viens follement de nous perdre et que jusqu'à ma mort, si je dois te survivre, je conserverai dans mon cœur.

– Mourir et toi survivre! suivez-moi toutes deux. Nous revivrons nos meilleures minutes dans une fixité éternelle. Ma bien-aimée, sortons ensemble de tout cela, et viens partager mon repos resserré.

Ainsi échangent-ils en paroles caressantes et tragiques les secrets de l'amour et de la mort… Cependant ils ne sont plus seuls. A la porte quelqu'un les écoute…

L'évêque n'a pu rester dans la salle du festin. Du premier jour qu'il a vu sire Guillaume, il a compati à ce jeune homme dont il comprend qu'on lui doit pour une bonne part les âmes de ces Sarrasines, et qu'il fut auprès d'elles un avant-courrier de la grâce. Tout à l'heure il a laissé les chevaliers à leurs beuveries; par les couloirs obscurs il s'est fait conduire jusqu'au cachot improvisé du malheureux, et maintenant, la main sur la lourde porte à demi ouverte, il écoute ces chuchotements, ces plaintes, ces délires qui relient le ciel à la terre. Il entend ces suprêmes paroles de sire Guillaume à sa maîtresse:

– Je désire que ce soit Isabelle qui me tienne la main et me ferme les yeux. Votre image demeurera sous mes paupières baissées, mais j'ai confiance qu'Isabelle m'assistera plus sûrement que vous qui n'êtes pas née pour vous détourner, fût-ce une seconde, de votre personne. Cependant, je voudrais entendre jusqu'à la fin votre voix; non pas vos pensées, qui sont mélangées, mais votre voix toute pleine du ciel où je désire aller… Ce n'est pas vous que j'aime, et même en vous, je hais bien des choses, mais vous m'avez donné sur terre l'idée du ciel, et j'aime cet ange invisible, pareil à vous, mais parfait, qui se tient au côté de votre humanité imparfaite… Adieu, meilleure que moi qui vous juge si durement et vous aime; adieu, je vais m'agréger, dans l'étoile d'où vous venez, à l'éternelle perfection dont vous êtes une émanation… Et toi, ma chère Isabelle, merci!

Le vénérable évêque ne contient pas son émotion plus longtemps. Il se hâte de retourner à la salle des fêtes. Il y raconte aux chevaliers comment ces deux païennes aident ce rebelle à bien mourir et déjà lui ont entr'ouvert le ciel. Tous suivent le vieillard. Des porteurs de torches les encadrent et les accompagnent. Ils pénètrent en masse dans la pauvre écurie. Quel spectacle! Ce jeune homme qui meurt, ces jeunes femmes qui l'assistent, ces visages délicats tourmentés par la fièvre, ces robes magnifiques déchirées et souillées de sang, Isabelle courbée contre terre qui s'épuise comme une sainte et comme une bête à soulever ce corps expiré, Oriante qui le presse dans ses bras, ce cadavre, ces deux beautés émouvantes comme l'amour et la compassion, tout révélait une crise, un éclatement, le plus haut point d'une tragédie à triple secret. Et ces hommes qui, la minute d'avant, haïssaient ce jeune guerrier et qui viennent de trouver leur plaisir à le frapper jusqu'à la mort, quand ils lui voient ces deux consolatrices, s'émerveillent: ils entourent d'une sorte de respect religieux cette brillante énigme poétique dont ils ne possèdent pas la clé.

Leurs pensées s'en allaient plus loin qu'ils n'éprouvaient le besoin de le dire, au moins à leur suzerain. Mais Oriante s'adresse à celui-ci, à l'évêque et à tous les chevaliers:

– Que n'aurais-je pas fait pour garder sire Guillaume à notre œuvre! Vous vous êtes privés, messires, bien injustement, d'un frère, plus malheureux que coupable.

Et l'évêque:

– Il ne faut pas détester les morts ni les pleurer avec excès, mais il convient de construire sur leurs tombeaux. Que celui de sire Guillaume nous rappelle ses fautes, ses misères et son repentir! Dame Oriante, vous obéissiez à une juste gratitude et à un instinct divin, en cherchant à ramener à la foi celui par qui vous l'aviez d'abord reçue. Près d'ici, dans un monastère élevé par nos soins à tous, nous ensevelirons sire Guillaume, et c'est vous, nobles dames converties, qui aurez la garde de ses restes. Vous-même, Oriante, après votre mort, vous y trouverez votre repos, et l'on déposera sur votre tombe l'offrande de tout un peuple enfin pleinement converti.

Il fait un geste, et tous s'agenouillent sur la paille de la pauvre écurie. Il bénit le corps en récitant les prières chrétiennes, que répètent tous les assistants. Puis avec les chevaliers il se retire, pour que les femmes puissent entonner les lamentations accoutumées, et c'est Isabelle qui, s'avançant d'un pas dans le cercle funèbre, les ouvre par ce gémissement du poète:

«Quand tu auras reçu les hommages du monde toute ta vie, ou que tu auras reposé avec ta bien-aimée toute ta vie, comme ton heure sonnera enfin, il te faudra partir, et ce sera un rêve que tu auras fait toute ta vie. Alors que tu aies été un amant sincère ou une autre Sémiramis, deux ou trois jours s'étant écoulés, il ne restera plus de toi qu'un conte. Eh bien! tâche que ce soit un beau conte à conter dans les jardins de l'Oronte.»

Le conteur se tut. On n'entendait plus que le ruissellement des grandes roues hydrauliques, qui n'avaient pas cessé en puisant l'eau du fleuve de faire à son récit, dans cette nuit claire d'Asie, une orchestration de plainte, de pleurs et d'extravagance. Nous restâmes quelques minutes encore à écouter cette musique qui flotte depuis des siècles sans arrêt sur Hamah. Son plain-chant, aussi bien que la magie de ce soir syrien, demeure mêlé étroitement au récit que je viens d'essayer de retracer. Comment exprimer les prestiges de ce poème d'opéra sur un fond de gémissement éternel?

– Allons, me dit l'Irlandais, en regardant sa montre, voici deux heures du matin, il est temps d'aller dormir.

Il logeait à la gare du chemin de fer dans une chambre que la Compagnie tient à la disposition des voyageurs recommandés, et moi j'allais retrouver, sur une voie de garage, le wagon qui m'avait amené. Nous fîmes route ensemble, assaillis de fois à autre par les aboiements de grands chiens que nous dérangions, et continuant à remuer ces images d'amour et de souffrance.

– Ah! j'oubliais, me dit mon compagnon au moment de nous séparer, j'oubliais de vous signaler ce qu'à sa dernière page le rédacteur du manuscrit raconte, qu'enfant il a connu la belle Oriante, devenue l'abbesse suzeraine du monastère de Qalaat-El-Abidin, et qu'il tient son récit de son aïeule, Isabelle la Savante, étant issu lui-même, à la troisième génération, d'un mariage qu'elle fit, peu après la mort tragique de Guillaume, avec un des chevaliers du prince d'Antioche.

Charmes, juillet-octobre 1921.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
100 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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