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III. Avant la guerre, on avait déjà commencé à construire le nouvel Hôtel-Dieu…

Avant la guerre, on avait déjà commencé à construire le nouvel Hôtel-Dieu, mais les bâtiments de l’ancien hôpital attristaient encore le parvis de Notre-Dame.

Il n’en est resté debout qu’un corps de logis, isolé, en façade sur le quai, et masquant les laideurs des ruelles sombres qui serpentent entre la place Saint-Michel et la place Maubert.

Ce coin de l’ancien Paris, échappé à la pioche des démolisseurs, confine au pays Latin, mais les étudiants le dédaignent et se cantonnent de préférence aux environs du Luxembourg.

Les bas-fonds de la rive gauche sont trop noirs et trop humides pour ces jeunes gens qui aiment l’air et le soleil.

Au contraire, les ouvriers et les petits industriels s’en accommodent, parce qu’ils trouvent à s’y loger à bon marché.

C’est un des quartiers les plus peuplés de la grande ville, et, quoiqu’il ne soit guère habité que par des pauvres, ce n’est pas un quartier mal famé. Les cabarets n’y manquent pas, mais on y travaille du matin au soir; on s’y couche de bonne heure et les attaques nocturnes y sont rares.

On y vit un peu comme dans une petite ville de province, car on y voisine beaucoup et on se met volontiers sur les portes pour regarder les passants.

C’est encore ainsi maintenant; c’était bien pis, ou bien mieux, en 1870.

Hervé de Scaër s’en aperçut lorsque, le surlendemain de son entrevue avec la marquise de Mazatlan, il se décida à entreprendre le voyage de la place Vendôme à la rue de la Huchette, à seule fin de savoir ce que devenait Alain Kernoul qui ne lui avait pas donné signe de vie depuis la nuit du samedi au dimanche gras.

Hervé craignait qu’il ne fût mésarrivé à ce brave garçon et désirait lui venir en aide, le plus tôt possible.

Hervé n’avait pas revu non plus monsieur ni mademoiselle de Bernage, ni la quêteuse havanaise. Il n’avait revu que Pibrac, au Cercle; Pibrac, mal dégrisé, qui, avec la ténacité d’un ivrogne, s’était remis à lui dire du mal de son futur beau-père et à le taquiner à propos de la blonde qu’il avait surnommée Double-Blanc.

À en croire ce garnement, Bernage était un vieux coureur hypocrite et la blonde une dévergondée dangereuse.

Ces propos d’homme entre deux vins ne méritaient pas d’être pris au sérieux, et pourtant ils n’avaient pas laissé d’affecter désagréablement Hervé, qui était devenu très impressionnable depuis ses dernières aventures.

Il venait de passer deux jours à y réfléchir et il n’était pas parvenu à les tirer au clair. Son entretien avec la marquise, dans la rue de Lisbonne, avait été si écourté qu’il n’avait pas eu le temps de lui demander certaines explications, faute desquelles l’histoire qu’elle racontait restait très ténébreuse.

Ainsi, elle disait avoir été la meilleure amie d’Héva Nesbitt; comment se faisait-il donc qu’elle eût attendu dix ans avant de rechercher ceux qui l’avaient fait disparaître? Et ce débarquement clandestin sur la côte de Bretagne, pourquoi n’en avait-elle pas profité pour se renseigner sur les circonstances de la disparition, en s’adressant à Hervé de Scaër qu’elle savait être dans le pays? Et plus tard, depuis qu’elle s’était fixée à Paris, pourquoi, au lieu d’entrer aussitôt en relations avec lui, avait-elle attendu qu’un hasard le lui fît rencontrer au bal de l’Opéra?… Un hasard prévu, puisqu’elle avait écrit d’avance la lettre qu’elle lui avait remise dans la loge.

Autant d’énigmes qu’Hervé n’était pas en état de deviner.

Il avait d’ailleurs d’autres sujets de préoccupation.

Sans ajouter foi aux accusations de Pibrac, il commençait à se défier un peu du père de Solange. M. de Bernage, qui ne se faisait pas scrupule de mentir à propos du but de sa prochaine visite à la marquise, lui semblait presque suspect. L’empressement que ce dernier mettait à marier sa fille au dernier des Scaër pouvait bien cacher une arrière-pensée. Ce soupçon naissant tourmentait Hervé plus que de raison.

Et l’étrange incident du carnet volé lui revenait à l’esprit.

Le voleur ne s’était plus montré depuis la tentative manquée sur la place Vendôme. Cela ne prouvait pas qu’il eût renoncé à rentrer en possession d’un objet auquel il paraissait tenir tout autant que s’il lui eût appartenu légitimement, et Hervé avait hâte de savoir si ce chenapan ne s’était pas retourné contre Alain Kernoul.

Pour le savoir, il fallait d’abord trouver le domicile du gars aux biques, et Hervé, entré par le boulevard Saint-Michel dans la rue de la Huchette, cheminait, le nez en l’air, en regardant du côté des numéros pairs.

Il ne tarda guère à voir le 22, plaqué sur une large, haute et vieille maison, irrégulièrement percée de fenêtres de dimensions inégales.

Plus de murs que d’ouvertures dans cette longue façade, coupée à chaque bout par une ruelle aboutissant au quai.

En bas et à peu près au milieu, une porte bâtarde qui n’était pas fermée, et au-delà une allée sombre.

Ce triste logis convenait fort bien à un ménage persécuté par la fortune et répondait à l’idée que Scaër s’était faite de l’immeuble où Alain abritait sa misère… et sa malade.

Il ne s’agissait plus que d’y entrer, mais à quel étage perchait le couple et à qui s’en informer? Ces masures-là n’ont jamais de concierge.

Il y avait bien, au rez-de-chaussée, trois ou quatre boutiques, mais elles étaient closes et il ne paraissait pas que, depuis des temps reculés, elles eussent jamais été louées, car les volets tombaient de vétusté.

Les fenêtres aussi étaient fermées, et Hervé aurait pu croire que personne n’habitait cette bâtisse vermoulue si, en se reculant pour mieux voir, il n’eût remarqué, sur le rebord d’une croisée du cinquième étage, des pots de fleurs, une caisse peinte en vert et un treillage en fil de fer évidemment destiné à supporter au prochain printemps des tiges de plantes grimpantes.

– C’est le jardin de Jenny l’ouvrière, chantonna Hervé. Je parierais volontiers que c’est Alain qui le cultive pour sa bonne amie.

L’indication, à vrai dire, était insuffisante, mais faute de renseignements plus précis qu’il n’espérait pas obtenir, il se décida à tenter l’ascension, non sans avoir préalablement observé et noté comment la fenêtre était placée.

C’était la dernière à gauche en regardant la maison: la plus rapprochée, par conséquent, d’une des deux ruelles qui coupaient à angle droit la rue de la Huchette, et elles s’ouvrait immédiatement sous la gouttière du toit.

Donc, pour arriver à ce logement – le seul qui parût être occupé – il fallait monter tout en haut de l’escalier et s’adresser à gauche.

Si Alain ne demeurait pas là, Hervé trouverait du moins à qui parler.

Il entra donc bravement dans cette allée où on n’y voyait goutte et, en poussant jusqu’au bout, il finit par mettre le pied sur une marche déjetée et la main sur une rampe branlante.

Le plus fort était fait. Il tenait maintenant le fil conducteur et il n’avait plus qu’à le suivre jusqu’au bout.

Il pesta bien un peu contre le pauvre diable qui campait dans un taudis où on risquait de se casser le cou quand on venait le voir, mais il se reprocha aussitôt ce mouvement d’impatience et il continua son escalade en se disant que ce n’était pas la faute d’Alain, s’il était si mal logé.

Hervé fit à tâtons la première partie du chemin; puis, les ténèbres s’éclaircirent. À chaque étage, il y avait ce que, dans la langue des propriétaires d’immeubles, on appelle un jour de souffrance, c’est-à-dire une étroite ouverture garnie d’un vitrage et recevant un peu de lumière par la cour de la maison.

Au château de Trégunc, l’escalier d’une des tours, bâtie au seizième siècle, était éclairé de la même façon par des barbacanes percées dans l’épaisseur du mur.

La ressemblance s’arrêtait là, mais il n’en fallut pas davantage pour rappeler à Hervé le manoir où il était né.

Cette évocation du passé ne dura d’ailleurs que le temps qu’il mit à atteindre le dernier palier.

Là, il s’arrêta pour reprendre haleine et il vit, se faisant vis-à-vis, deux portes, dont une n’avait pas de serrure.

L’autre n’avait pas de sonnette, mais il y heurta, sans hésiter.

Elle ne s’ouvrit pas à la première sommation, et après avoir un peu attendu, Hervé recommença en frappant plus fort.

Cette fois, il entendit qu’on marchait dans l’intérieur de l’appartement, mais comme on n’ouvrait toujours pas, il cria très haut:

– Je cherche Alain Kernoul. Est-ce ici?

– Qu’est-ce que vous lui voulez? demanda une voix connue d’Hervé qui s’empressa de répondre:

– Je veux te voir, mon gars. Ouvre à ton maître.

L’effet de cette déclaration fut immédiat et décisif. La porte s’ouvrit toute grande et Alain se montra. Il n’était plus habillé en troubadour, mais peu s’en fallut que Scaër n’éclatât de rire en le voyant affublé d’une peau de bique en guise de robe de chambre, culotté d’un maillot sale et chaussé de savates éculées.

Son costume était comme une enseigne qui indiquait tout à la fois sa nationalité, sa profession et sa misère: Bas-Breton, figurant au théâtre et va-nu-pieds à la ville.

– Vous ici, notre maître! s’écria le pauvre diable.

– Il faut bien que j’y vienne, puisque tu ne viens pas chez moi, répondit brusquement Hervé. Pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis deux jours?

– Excusez-moi, monsieur. C’est que ma femme a été bien malade. Je ne pouvais pas la laisser seule.

– Bon!… et ton théâtre?

– J’ai manqué mon service hier et avant-hier. Je le ferai ce soir, si on veut bien me reprendre.

– Alors, elle va mieux, ta femme?

– Pas beaucoup mieux. Cette nuit, j’ai cru qu’elle allait passer… elle étouffait… mais la crise est finie… maintenant, elle dort.

– Ne la réveillons pas.

– Oh! elle ne dort jamais longtemps… malheureusement. Et elle sera bien contente de vous remercier. Je lui ai tout raconté… elle sait que je vous ai rencontré au bal, que vous m’avez donné vingt francs et que j’ai eu la chance de vous débarrasser d’un gueux qui allait vous tomber dessus. Elle se souvient très bien de vous avoir vu à Concarneau, il y a trois ans.

– Peste! quelle mémoire!… Je ne suis entré qu’une fois dans la baraque où elle dansait et je ne lui ai pas parlé.

– Eh bien, elle vous a remarqué tout de même… elle prétend qu’elle vous reconnaîtrait… et depuis que je lui ai dit que vous me permettriez de revenir travailler sur votre ferme de Lanriec, elle ne fait que prier le bon Dieu pour vous.

– Je lui revaudrai ça… et à toi aussi, mon gars. Vous pouvez compter sur moi tous les deux et je vais la recommander à une dame qui lui viendra en aide. Si ta malade peut être sauvée, on la sauvera… mais tu habites une drôle de maison… pas de portier… pas d’éclairage… j’ai eu bien de la peine à te dénicher ici.

– Je m’y suis mis parce que je n’avais pas le choix. On ne voulait de nous nulle part et on nous a permis de demeurer ici pour rien.

– Comment!… il existe à Paris un propriétaire qui loge les gens gratis!

– Oui, notre maître, c’est comme ça. Je ne paie pas un sou de loyer, ni pour l’appartement, ni pour les meubles.

– Quoi! s’écria Hervé, les meubles aussi sont gratis!

– Oh! ils ne sont pas beaux, mais j’ai été bien heureux de les trouver. On nous avait chassés du garni où nous logions, et nous étions sur le pavé, à l’entrée de l’hiver. Pour Zina, c’était la mort. Nous chantions dans les cours, quand on voulait bien nous le permettre, mais nous ne gagnions pas toujours de quoi manger et il nous est arrivé plus d’une fois de coucher dehors sur un banc.

– Quel miracle vous a tirés de cette misère!

– Un miracle?… oui… c’en est un. Figurez-vous qu’un soir, nous crevions de faim et nous rôdions devant les cafés du boulevard Saint-Michel… nous n’osions pas demander l’aumône, mais nous espérions qu’on nous la ferait… les étudiants ont bon cœur… malheureusement il pleuvait et il ne passait presque personne. Eh! bien, le bon Dieu voulut qu’une dame s’arrêta et nous parla. La figure de Zina lui avait plu. Elle nous questionna. Je lui dis que nous étions dans la peine, sans argent, sans abri, et que nous ne demandions qu’à travailler pour gagner notre vie. Elle voulut savoir si nous étions de Paris. Je lui répondis que nous venions d’arriver de la province et que nous n’y connaissions personne. Là-dessus, elle nous dit: je ne me charge pas de vous nourrir, mais je puis vous loger. Venez avec moi.

– Et elle vous amena ici?

– Tout droit. Elle avait dans sa poche la clef de la porte de la rue, la clé de l’appartement que vous voyez, des allumettes et un rat de cave pour monter l’escalier, car la maison était déjà abandonnée. Elle nous fit entrer; elle nous montra les quatre pièces et le mobilier du logement. Enfin, elle nous dit: le propriétaire voyage à l’étranger, il ne reviendra que dans un an; il a des raisons pour ne pas louer sa maison pendant son absence, mais il m’a chargé d’y installer un gardien. Je ne vous connais pas encore mais vous m’inspirez confiance et je vous offre l’emploi. Il sera bien facile à remplir, car vous n’aurez qu’à surveiller et à me rendre compte…

– Surveiller quoi?

– Ah! voilà!… cette dame m’explique que la propriété se composait de quatre corps de logis formant un carré, avec des façades sur trois rues et sur le quai Saint-Michel… que toutes les portes étaient condamnées, excepté celle de la rue de la Huchette par laquelle nous venions d’entrer, personne ne pourrait s’introduire à notre insu, dans les bâtiments qui entourent la cour centrale.

Nous serions là pour avertir la dame si nous nous apercevions qu’on y pénétrait, et pour lui signaler tout ce qui s’y passerait. À cette condition, nous aurions sans rien payer la jouissance du logement et des meubles, jusqu’au retour du propriétaire absent, c’est-à-dire pour un an.

– Tu t’es empressé d’accepter?

– Oui, notre maître. Ai-je mal fait?

– Je ne dis pas cela. Et tu l’as revue, cette charitable gérante d’immeubles qui vous héberge pour rien?

– Pas souvent. Elle vient à peu près une fois par mois et elle ne reste pas longtemps. Elle est venue la semaine dernière et en voilà pour trois semaines. Mais s’il y avait du nouveau ici, je lui écrirais.

– Alors, tu sais qui elle est.

– Je ne sais que l’adresse qu’elle m’a donnée… Mme Chauvry, à Clamart… elle m’a défendu d’aller la voir.

– Décidément, c’est un vrai roman que cette histoire, et cette femme me fais l’effet de ne pas valoir grand-chose. Pourquoi tant de précautions et tant de mystères?

– Ma foi! notre maître, je n’en sais rien et je ne cherche pas à le savoir… mais je la bénis tous les jours. Sans elle, ma pauvre Zina serait morte de misère. Elle ne va guère bien, mais nous avons eu de bons jours quand elle avait encore la force de travailler et j’espère que le printemps la remettra. Je ne me déplais pas ici, mais quand je pourrai partir avec elle pour Lanriec, je serai bien content de rendre les clés à Mme Chauvry… en la remerciant… et je ne lui dirais pas où nous allons…, pas plus que je ne lui ai dit que j’étais du Finistère et que Zina dansait sur la corde… Moins on parle, mieux ça vaut.

– Approuvé, mon gars. Je suppose que tu ne parleras pas de ma visite.

– Oh! non… d’autant que la dame m’a bien recommandé de ne recevoir personne et de voisiner le moins possible. C’est ce que je fais… et c’est tout au plus si on connaît ma figure dans le quartier, car je ne sors guère que pour aller à mon théâtre et pour acheter des remèdes… quand j’ai de quoi payer le pharmacien. Zina ne bouge plus de sa chambre depuis un mois.

Ce colloque se tenait dans une pièce dépourvue de meubles et éclairée par une fenêtre unique donnant sur la cour, une cour carrée, dominée des quatre côtés par de hauts bâtiments. Cela ressemblait au préau d’une prison.

Les murs s’effritaient et l’herbe poussait entre les pavés.

– Parbleu! dit Hervé, voilà un immeuble où les voleurs ne seront pas tentés d’entrer par escalade ou par effraction. Ils n’y trouveraient rien à prendre. C’est à se demander s’il a jamais été habité… et le propriétaire, s’il compte y demeurer en revenant de voyage, aura fort à faire pour s’y installer commodément. Quelle drôle d’idée il a eue d’y placer quelqu’un pour garder des ruines! Et quelle surveillance peux-tu exercer du haut de ton cinquième étage sur cette grande caserne? As-tu seulement le moyen d’y faire des rondes?

– J’ai la clef d’une porte qui est en bas, au fond de l’allée par laquelle vous êtes arrivé, et cette porte s’ouvre dans la cour que vous voyez.

– T’en es-tu servi, de la clef?

– Une seule fois… en rentrant du théâtre, après minuit. J’ai cru apercevoir d’ici de la lumière au rez-de-chaussée du bâtiment qui est à notre gauche. Ça m’a étonné et je suis descendu. Quand je suis entré dans la cour, la lumière avait disparu. J’ai écrit dès le lendemain à Mme Chauvry. Elle est venue ici deux jours après et elle m’a dit que j’avais rêvé. J’ai fini par croire que j’avais pris pour une illumination le reflet de la lune sur les vitres… cette nuit-là, elle était dans son plein, la lune, et tout en haut du ciel… depuis, je n’ai plus jamais rien vu…

– Je ne comprends toujours pas pourquoi cette femme t’a mis dans ce logement. Peu importe, d’ailleurs, puisque ta malade en a bénéficié, mais j’espère lui trouver prochainement un domicile plus confortable, en attendant que tu t’établisses avec elle à Lanriec.

– Je voudrais que ce fût demain.

– Et ce ne sera guère avant la fin de l’été, car je tiens à être là pour vous installer et je vais voyager pendant quelques mois. Maintenant, mon gars, parlons un peu de ce coquin dont tu m’as débarrassé sur la place Vendôme. Tu ne l’as pas revu?

– Non, monsieur Hervé. Et vous?

– Pas davantage. Je pensais bien qu’il n’aurait pas l’audace de se présenter chez moi.

– Il aurait pu vous suivre dans la rue.

– Je crois bien que je ne l’aurais pas reconnu.

– Oh! non… vous n’avez fait que l’entrevoir au bal… et d’ailleurs il change de figure à volonté.

– Avant-hier, dimanche, sur le boulevard de la Madeleine, il m’a semblé un instant qu’un individu me suivait; j’ai dû me tromper, car il a disparu presque aussitôt, mais un homme averti en vaut deux et j’ouvre l’œil quand je sors. Le principal, c’est que ce gredin ne s’occupe pas de toi, mon brave. Moi, je saurai me garder.

– Vous ferez bien, notre maître, car on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il vous en veut… je ne sais pas pourquoi, par exemple.

Hervé, lui, le savait bien, mais il ne jugea pas à propos de raconter à Alain l’histoire du carnet volé qu’il avait trouvé dans la poche de son habit et qui y était encore, car il aimait mieux le porter sur lui que de le serrer dans un meuble qu’on aurait pu forcer pendant son absence.

Hervé s’était juré de ne parler à qui que ce fût de cet incident bizarre, et il n’avait pas tort.

Alain ne disait plus mot. Un bruit le fit tressaillir.

– C’est Zina qui tousse, murmura-t-il. Voulez-vous la voir?

– Je suis venu pour cela, mais si ma visite devait l’agiter…

– Non… non… au contraire… elle nous a entendus à travers la cloison et ne sachant pas qui est là, elle se tourmente, j’en suis sûr.

– Alors, conduis-moi près d’elle.

Le gars aux biques ouvrit doucement une porte et s’effaça pour laisser passer le seigneur de Scaër.

Zina était assise près de la fenêtre, dans un de ces sièges à bascule que les Américains appellent rocking-chairs, et qui sont plutôt faits pour balancer une créole paresseuse, que pour reposer une malade fatiguée d’être au lit.

Elle avait dû être charmante et ses traits amaigris n’avaient rien perdu de leur régularité. Le profil surtout était resté pur et la pâleur de son visage faisait encore ressortir l’éclat de ses yeux où brillait le feu de la fièvre.

Hervé s’approcha d’elle, le sourire aux lèvres, quoique ce triste spectacle l’eût profondément remué.

– Merci d’être venu, monsieur, lui dit-elle d’une voix faible comme un souffle. Je vous attendais.

– Vous me reconnaissez donc?

– Oh! oui… vous n’avez pas changé, tandis que moi…; mais je me sens mieux, puisque je vous vois.

– Vous irez mieux encore quand vous serez en Bretagne.

– C’est donc vrai!… je pourrai mourir dans le pays d’Alain!

– J’espère bien que vous n’y mourrez pas. Je compte même que vous serez guérie avant d’y aller, car vous aurez maintenant les soins qui vous ont manqué jusqu’à présent. Vous me permettrez de vous faire transporter dans une maison de santé.

Et comme la jeune fille regardait Alain, Scaër se hâta d’ajouter:

– Vous verrez votre ami tous les jours, je vous le promets. Et je ferai en sorte qu’il ne soit plus obligé de gagner misérablement sa vie, en figurant sur un théâtre. Il a sauvé la mienne. Je serai toujours son obligé… mais ne parlons pas de cela, et laissez-moi m’émerveiller de l’aventure qui vous a procuré cet abri. Étrange logis!… Étrangement meublé!… Plus étrange encore la femme providentielle que vous avez rencontrée sur le boulevard Saint-Michel! Et je me demande qui a pu habiter ici avant vous.

– Personne, je crois bien, dit Alain. Les meubles avaient l’air d’avoir été emmagasinés pêle-mêle après le décès d’un locataire. Et ils ne valaient pas la peine que je me suis donnée pour les raccommoder. Ils ne tenaient pas debout. Le lit n’avait que trois pieds, et les chaises n’en avaient plus du tout. Eh! bien, il a un avantage, ce pauvre logement… il est au midi, et dès qu’il fait un rayon de soleil, Zina en profite.

– C’est si bon, le soleil, murmura la malade.

– Et puis on a une vue superbe, par-dessus les maisons… la tour de l’église Saint-Séverin, le clocher de Saint-Étienne-du-Mont, le dôme du Panthéon… et de l’air, du bon air qui fait tant de bien à Zina.

– Alors je vais ouvrir la fenêtre, dit Hervé, après avoir consulté des yeux la jeune femme.

Il l’ouvrit toute grande et la malade le remercia d’un signe de tête.

Alain avait dit vrai: la vue était très étendue et surtout très originale.

La maison où perchait le pauvre ménage dominait toutes celles qui lui faisaient vis-à-vis de l’autre côté de la rue. Sur la rive gauche de la Seine, le terrain s’élève en pente douce depuis la rivière jusqu’au sommet de la montagne Sainte-Geneviève et, au-dessus des toits accidentés qui s’étageaient comme les vagues d’une mer houleuse, où les cheminées figuraient assez bien des récifs, se dressait la colossale coupole du Panthéon.

Ce paysage étrange ne rappelait pas du tout à Hervé les landes fleuries de sa Bretagne, mais Hervé prit plaisir à le contempler, parce que le spectacle était nouveau pour un homme qui n’a jamais logé dans un grenier, – même à vingt ans.

C’était Paris vu d’en haut, comme le voient les oiseaux qui volent dans le ciel et les ouvrières qui travaillent dans les mansardes.

Au-dessous de cet observatoire, où Zina cultivait des fleurs, au mépris des règlements de police, s’étendait, comme un fossé profond, la rue de la Huchette, étroite et sombre, presque silencieuse, car les voitures n’y passent guère, et, même le mardi gras, on n’y rencontre pas de mascarades.

En avançant la tête, Hervé vit à sa droite une coupure et reconnut une ruelle devant laquelle il avait passé en venant du boulevard Saint-Michel.

Le logement occupait un des angles du quadrilatère et devait avoir aussi des ouvertures sur cette voie latérale qui aboutissait au quai.

– Décidément, vous êtes ici comme dans une citadelle… pas de voisins… pas de murs mitoyens… personne n’entrera chez toi sans ta permission… surtout si, quand tu t’absentes, tu as soin de fermer la porte de la rue de la Huchette.

– Je n’y manque jamais, notre maître. Vous l’avez trouvée ouverte parce que je venais de rentrer, mais, le soir, quand je sors pour aller au théâtre, je la ferme à double tour et j’emporte la clef.

– Et tu n’as pas peur de laisser ta petite femme toute seule!

– J’y suis habituée, dit la malade en souriant tristement. Il faut bien que mon cher Alain gagne notre vie, puisque je ne peux plus travailler… mais, je l’avoue, je préfèrerais qu’il eût un autre état.

– Comment diable! a-t-il eu l’idée de se faire figurant?

– Quand notre patron m’a renvoyée, parce que je ne pouvais plus danser, le garçon qu’il a engagé pour remplacer Alain a eu pitié de nous. Il avait joué des bouts de rôles au Châtelet. Il nous a adressés au régisseur qui n’a pas voulu de moi, mais qui a pris Alain tout de suite.

– Et Alain s’est fait au métier…, lui, un gars de Trégunc, qui ne savait que garder les chèvres et qui ne parlait que le bas-breton!

– Pardon, notre maître, dit Alain; en voyageant avec la troupe du vieux Zika, j’avais appris à faire la parade devant la baraque. C’est plus difficile que de figurer.

– D’accord; seulement, je ne te vois pas bien en homme d’armes du moyen âge ou en seigneur de la cour de Louis XIV… et je te vois encore moins en paillasse. Mais il ne s’agit pas de cela; il s’agit de guérir ta femme. As-tu seulement un médecin qui la soigne?

– Hélas! non, monsieur Hervé. Elle allait à la consultation gratuite… à l’Hôtel-Dieu… elle n’y va plus… elle n’aurait plus la force de descendre et de remonter cinq étages.

– Donc, il faut qu’elle sorte de ce grenier… et le plus tôt sera le mieux. Dès demain, je m’occuperai de la faire admettre dans une maison de santé.

Et comme Alain baissait le nez, sans mot dire:

– Bon! reprit Hervé, je devine… tu ne veux pas te séparer d’elle. Eh! bien, qu’à cela ne tienne! Je vous trouverai un logement que vous habiterez tous les deux et où rien ne manquera à ta chère malade. Tu ne tiens pas à rester ici, je suppose?

– Oh! non.

– Et tu veux bien entrer à mon service?

– Oh! oui.

– Alors, je te prends, dès à présent… et quand je dis: à mon service, je n’entends pas: comme domestique. Le fils de Pierre Kernoul n’est pas fait pour porter la livrée et je n’ai pas besoin de valet de chambre, puisque présentement je demeure à l’hôtel; mais je puis avoir besoin d’un homme dévoué… quand ce ne serait que pour veiller au grain, comme on dit chez nous. Ce chenapan qui m’a suivi l’autre nuit recommencera peut-être. Tu seras mon garde du corps.

– Oh! pour ça, notre maître, comptez sur moi.

– Et, je te le répète, tu ne quitteras pas ta femme. Je vous caserai dans mon quartier, près de la place Vendôme. Tu viendras tous les matins prendre mes ordres pour la journée, mais tu ne seras plus obligé d’aller figurer, le soir, sur la scène du Châtelet… ni de te déguiser en clodoche, ajouta gaiement Hervé. Je pense que ça ne te fera pas de peine.

Alain ne répondit que par un geste expressif. Il était si ému que les mots ne lui venaient pas pour remercier.

Zina pleurait de joie.

– C’est convenu, reprit Scaër, et ce sera l’affaire de quelques jours. En attendant que vous déménagiez, je reviendrai vous voir… et je vous amènerai peut-être une dame qui s’intéresse aux malades… Mais non, au fait! celle qui vous héberge gratuitement vous a recommandé de ne recevoir personne… il faut éviter de la mécontenter, tant que vous serez chez elle… mais quand tu partiras, mon gars, tu feras bien, je crois, de ne pas lui dire où tu vas. Je ne sais pourquoi cette bienfaitrice d’occasion m’est suspecte.

– Je n’oserais pas m’en aller sans l’avertir.

– Eh bien! la veille du jour où je viendrai vous chercher, tu lui écriras pour lui annoncer, sans autre explication, que vous êtes obligés de quitter Paris.

– Oui… seulement, il y a les clefs qu’elle m’a confiées.

– Ce serait peut-être le cas de les mettre sous la porte. Elle n’aurait rien à dire. Mais, après tout, elle vous a rendu service… et tu pourras les laisser à quelque boutiquier du voisinage. Nous verrons cela quand vous partirez. Maintenant, je m’en vais… et je n’ai pas perdu ma journée puisque nous sommes d’accord… mais cette espèce de caserne abandonnée m’intrigue… je voudrais en faire le tour extérieurement… je ne serais même pas fâché de visiter la cour où tu es descendu une nuit, au clair de la lune.

– Je vais vous y conduire, notre maître.

– Vous ne m’en voudrez pas de l’emmener, demanda doucement Hervé en s’adressant à la malade.

Il ne lui avait pas encore dit: «Madame» et il ne l’appelait pas non plus par son petit nom de Zina.

– Je ne vous en veux pas et je vous bénis, murmura-t-elle en lui tendant une main si fine et si blanche que le baron de Scaër se décida à répondre:

– Croyez, chère madame, que je suis votre ami et traitez-moi comme tel, toujours et en toute occasion.

Il n’alla pas jusqu’à la baiser, cette main, comme il avait baisé, rue de Lisbonne, l’aristocratique main de la marquise le Mazatlan. La situation n’était pas la même et, au cinquième étage, cette politesse de l’ancien régime eût été ridicule, mais il la serra avec effusion, presque avec tendresse, comme il aurait serré la main d’une jeune fille de son monde, éprouvée par le sort et restée digne de respect.

Alain n’en revenait pas d’entendre son jeune maître parler si courtoisement à la pauvre Zina. En Cornouailles, les seigneurs ne sont pas fiers, mais ils n’ont pas coutume de donner aux femmes de leurs paysans des poignées de main à l’anglaise. Et de cette démonstration affectueuse, le gars aux biques inféra que M. de Scaër, qui devait s’y connaître, voyait que Zina était d’une race supérieure à sa condition présente.

C’était à peu près ce que pensait Hervé, mais pour le moment il avait en tête d’autres soucis que celui de rechercher l’origine d’une enfant volée par des saltimbanques, et il se hâta de sortir avec Alain, non sans avoir dit encore quelques bonnes paroles à la jeune femme, clouée sur son fauteuil.

Le maître et le serviteur eurent tôt fait de descendre au rez-de-chaussée et là, Alain, après avoir poussé jusqu’au fond de l’allée noire, ouvrit, avec une clef qui grinça dans la serrure rouillée, la porte de la cour intérieure.

Hervé entra le premier et se mit à regarder curieusement les hauts bâtiments qui l’entouraient. Il n’y remarqua rien qu’il n’eût déjà vu de la fenêtre du logement occupé par Alain, mais il put constater que la cour avait été autrefois divisée en quatre compartiments, – un pour chaque corps de logis. On y voyait encore les trous creusés dans le pavage pour y planter les grilles de séparation.

Donc, primitivement, il y avait eu là quatre maisons distinctes qui n’en faisaient plus qu’une et qui devaient appartenir maintenant au même propriétaire.

Il y avait aussi quatre portes, en comptant celle qu’Alain venait d’ouvrir, quatre portes, dont trois paraissaient être condamnées depuis longtemps, car les araignées avaient fait leurs toiles dans les jointures.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
420 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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