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Читать книгу: «Le morne au diable», страница 17

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– Ah! je connais trop ces vains prétextes que l’on offre à l’ambition.

– Mais, monseigneur, ça a l’air cette fois-ci d’être parfaitement préparé. La frégate qui a amené le bonhomme Chemeraut est remplie d’armes et de munitions de guerre; il y a là-dedans de quoi armer et révolutionner tous les Cornouaillais du monde; de plus vous pouvez compter sur une douzaine de vos partisans…

– De mes partisans? et où cela? s’écria Monmouth.

– A bord de la frégate de Chemeraut. Ces braves gens m’attendent, c’est-à-dire vous attendent, monseigneur, avec une impatience incroyable. Il y a surtout un forcené, nommé Mortimer, que Chemeraut a eu toutes les peines du monde à retenir à bord, tant cet enragé était possédé du désir de me serrer… je veux dire de vous serrer dans ses bras, monseigneur, car je nous confonds toujours.

Angèle, voyant l’air accablé de son mari, lui dit:

– Mon Dieu, mon ami, qu’avez-vous?

– Il n’y a plus à hésiter, dit Monmouth, je dois déclarer toute la vérité à M. de Chemeraut…

– Grand Dieu! Jacques, que dis-tu?

– Vous voulez être vice-roi! A la bonne heure, monseigneur.

– Non, monsieur… je veux vous empêcher de vous perdre pour moi; ma reconnaissance n’en sera pas moins éternelle pour le service que vous avez voulu me rendre…

– Comment, monseigneur, ce n’est pas pour être vice-roi que vous me dépossédez de ma principauté?

– Mes partisans sont à bord de la frégate; si j’acceptais votre offre généreuse, monsieur, demain vous seriez reconnu… perdu…

– Mais, monseigneur…

– Sans cette circonstance qui, je vous le répète, doit vous faire découvrir d’un moment à l’autre… j’aurais peut-être accepté votre généreux dévouement; l’erreur de M. de Chemeraut eût au moins duré quelques jours… et je pouvais vous mettre à l’abri de ses ressentiments; mais accepter votre offre, monsieur, sachant la présence de mes partisans à bord de la frégate, ce serait vous exposer à un danger certain… Je n’y consentirai jamais.

– Monseigneur, vous oubliez donc qu’il s’agit pour vous d’une prison perpétuelle, si vous ne voulez pas vous mettre à la tête de ce soulèvement?

– C’est parce qu’il s’agit pour moi d’échapper à un danger que je ne veux pas vous sacrifier, monsieur. Lorsque j’appris que vous étiez parti prisonnier du colonel Rutler, j’allais courir à votre poursuite afin de vous enlever de ses mains.

– Mon Dieu, Jacques! pensez-y donc, la prison… une prison éternelle! mais c’est impossible… et moi… moi, que deviendrai-je, si l’on m’empêche de vous accompagner? Non, non, vous ne refuserez pas le sacrifice de cet homme généreux.

– Angèle, dit le prince d’un ton de reproche, Angèle… Et cet homme généreux… l’abandonnerons-nous lâchement lorsqu’il se sera dévoué pour nous? Pour échapper à la prison… le condamnerons-nous à une captivité éternelle?..

– Lui…

– Mais sans doute… N’est-il pas maintenant possesseur d’un secret d’État? M. de Chemeraut ne sera-t-il pas furieux de se voir joué? Je vous dis qu’il n’échappera pas à une prison perpétuelle lorsque la méprise sera découverte.

– Mordioux! monseigneur, mêlez-vous de ce qui vous regarde, s’il vous plaît, s’écria Croustillac, et ne m’ôtez pas le pain de la bouche, comme on dit… Prisonnier d’État! peste! vous êtes bien dégoûté… Mais vous ne savez donc pas que ça me fera une retraite assurée… un abri certain pour mes vieux jours? Franchement la vie aventureuse m’ennuie, il faut une fin, je voulais quelque chose de stable… jugez si cela me convient… Prisonnier d’État! diable! ne l’est pas qui veut, monseigneur; par pitié, je vous le répète, n’ôtez pas cette dernière ressource à mes vieux ans… ne détruisez pas mon avenir.

– Écoutez-moi, brave et digne chevalier, lui répondit affectueusement Monmouth en lui serrant la main, je ne suis pas dupe de vos ingénieuses défaites…

– Monsieur, je vous jure…

– Écoutez-moi, je vous en prie; lorsque vous m’aurez entendu, vous ne vous étonnerez plus de mon refus… Vous verrez que je ne puis accepter votre généreux sacrifice sans être doublement coupable… Vous comprendrez les douloureux souvenirs, pour ne pas dire les remords… que vos offres de dévouement, que les événements présents éveillent en moi… Et vous, Angèle, mon enfant bien-aimée… vous apprendrez enfin un secret que jusqu’à présent j’ai dû vous cacher; il faut une circonstance aussi grave que celle où nous nous trouvons pour me forcer à vous faire cette douloureuse révélation.

CHAPITRE XXVII.
LE MARTYR

– Mon Dieu, Jacques, que voulez-vous dire? vous m’effrayez, dit Angèle en voyant l’agitation de Monmouth.

– Vous savez, dit le prince à Croustillac, par suite de quels événements politiques j’ai été arrêté et mis à la Tour de Londres en 1685?

– Vous m’excuserez, monseigneur, si je n’en sais pas un mot; je suis ignorant comme une carpe à l’endroit de l’histoire contemporaine, ce qui, soit dit en passant, et sans me vanter, rendait mon rôle outrageusement difficile… car j’avais toujours peur de dire quelque ânerie… et de compromettre ainsi, non ma réputation de savant, je n’en ai cure, mais votre fortune dont je m’étais imprudemment chargé.

– Eh bien donc, dit Monmouth, après la mort de mon père, lorsque le duc d’York, mon oncle, monta sur le trône sous le nom de Jacques II, j’entrai dans une conspiration contre lui. Je ne chercherai pas à justifier ma conduite… aujourd’hui les années, les réflexions m’ont éclairé; je le reconnais, j’étais aussi coupable qu’insensé; le jeune comte d’Argyle était l’âme de ce complot; tout se tramait pour ainsi dire sous les yeux du prince d’Orange, alors stathouder, à cette heure roi d’Angleterre… Argyle connaissait mon action sur le parti protestant, mon ambition, mes ressentiments contre Jacques II; il n’eut pas de peine à m’associer à ses desseins; bientôt, grâce à mon nom, à mon influence, je fus le chef de la conjuration…

J’avais des intelligences en Angleterre… on n’attendait plus, disait-on, que ma présence pour renverser du trône un roi papiste et pour me proclamer à sa place. Je partis du Texel avec trois bâtiments chargés de soldats que j’avais embauchés; Argyle, m’ayant devancé en Écosse, avait payé de sa tête l’audace de sa tentative. J’abordai en Angleterre à la tête de quelques partisans dévoués. Je reconnus alors combien j’avais été trompé. Trois ou quatre mille hommes, au plus, se joignirent à la poignée de braves qui s’étaient associés à mon sort, et parmi lesquels on comptait Mortimer, Rothsay, Dudley. Le fils de Monck, le jeune duc d’Albemarle, s’avança contre moi à la tête de l’armée royale; je voulus brusquer la fortune, tenter un coup décisif: j’attaquai l’ennemi à Sedgemore, près de Bridge-Water, je fus battu… malgré des prodiges de valeur de ma petite armée et surtout de ma cavalerie, commandée par le brave lord Georges Sidney…

En prononçant ce mot, la voix du prince s’altéra, une douloureuse émotion se peignit sur ses traits.

– Georges Sidney! mon second père… mon bienfaiteur! s’écria Angèle, c’est en combattant pour toi qu’il est mort! C’est donc à cette bataille qu’il a été tué… tel était donc le secret que tu me cachais?..

Le duc baissa la tête, garda un moment le silence et reprit:

– Tout à l’heure tu sauras tout, mon enfant… Notre déroute fut complète. Blessé, j’errai au hasard, ma tête était mise à prix. Je fus arrêté le lendemain de cette fatale défaite et conduit à la Tour de Londres; on instruisit mon procès. Reconnu coupable de haute trahison, je fus condamné à mort.

– Ah! s’écria Angèle en poussant un cri d’effroi et en se précipitant dans les bras de Jacques, tu m’as trompée? Mon Dieu, je te croyais seulement exilé!

– Calme-toi, calme-toi, Angèle… oui, je t’avais caché cette condamnation, autant pour ne pas t’inquiéter que pour… Puis, après un moment d’hésitation, Monmouth ajouta: – Tu vas tout savoir… Il me faut du courage, oui, bien du courage, pour te faire cette révélation.

– Pourquoi? qu’as-tu donc à craindre? dit Angèle.

– Hélas… pauvre enfant, lorsque tu m’auras entendu, peut-être, tu me regarderas avec horreur.

– Toi, toi! Jacques, crois-tu cela? mon Dieu! le pourrais-je jamais?

– Enfin, reprit Monmouth avec effort, quoi qu’il arrive, je dois parler… au moment peut-être de nous séparer pour toujours.

– Jamais… oh! jamais! dit Angèle avec désespoir.

– Mordioux! je jetterai plutôt M. de Chemeraut du haut en bas du Morne-au-Diable, sous le plus mince prétexte, s’écria Croustillac. Ensuite de quoi, avec vos esclaves, nous aurons bon marché de l’escorte. Mais j’y pense… voulez-vous tenter ce moyen? Combien avez-vous d’esclaves capables de s’armer, monseigneur?

– Vous oubliez, chevalier, que l’escorte de M. de Chemeraut est considérable; les nègres pêcheurs sont partis, il n’y a pas ici plus de quatre ou cinq hommes… Toute violence est impossible… La Providence veut sans doute que j’expie un grand crime… Je me résignerai.

– Un crime! toi, Jacques! coupable d’un grand crime. Jamais je ne le croirai! s’écria Angèle.

– Si mon crime fut involontaire, il n’en fut pas moins horrible… Angèle, à cette heure, il est de mon devoir de te révéler tout ce que je dois à Sidney, à ton noble parent qui prit tant de soin de ton enfance, pauvre orpheline! Pendant que tu achevais ton éducation en France, où il t’avait conduite, Sidney, que j’avais vu en Hollande, s’était attaché à mon sort; une singulière conformité de goûts, de principes, de pensées, nous avait rapprochés; mais il était si fier, que je fus obligé d’aller au-devant de lui. Combien je me félicitai de lui avoir le premier serré la main… Jamais âme humaine n’approcha de la beauté de l’âme de Sidney! Jamais il n’existera de caractère plus noble, de cœur plus ardent, plus généreux! Rêvant le bonheur des peuples, trompé comme je le fus peut-être moi-même sur la véritable portée de mes desseins, il crut servir la sainte cause de l’humanité, il ne servit que la funeste ambition d’un homme! Pendant que la conspiration s’organisait, il fut mon émissaire le plus actif, mon confident le plus intime. Te dire, mon enfant, l’attachement profond, aveugle, de Sidney pour moi, serait impossible; une seule affection luttait dans son cœur avec celle qu’il m’avait vouée, c’était sa tendresse pour toi, toi sa parente éloignée qu’il avait recueillie; oh! combien il te chérissait! A travers les agitations et les périls de sa vie de soldat et de conspirateur, il trouvait toujours quelques moments pour aller embrasser son Angèle. A son retour… c’était toujours les larmes aux yeux qu’il me parlait de toi… Oui, cet homme d’une folle intrépidité, d’une énergie indomptable… pleurait comme un enfant en me disant tes grâces naïves, les qualités de ton cœur, ta jeunesse studieuse et triste, pauvre petite abandonnée, car tu n’avais au monde que Sidney… A la fatale journée de Bridge-Water, il commandait ma cavalerie; après des prodiges de valeur, il fut laissé pour mort sur le champ de bataille; quant à moi… emporté par un flot de fuyards, grièvement blessé, il me fut impossible de le retrouver.

– N’est-ce donc pas à cette journée qu’il mourut? dit Angèle en essuyant ses yeux.

– Écoute, écoute… Angèle… Oh! tu ne sais pas comme mon cœur se brise à ces souvenirs…

– Et le nôtre donc, monseigneur! dit Croustillac. Brave Sidney!.. Un je ne sais quoi me dit qu’il n’était pas mort à cette journée de Bridge-Water… et que nous le retrouverons encore…

Monmouth tressaillit, resta un moment accablé et reprit:

– Allons, courage! Je vous le disais donc, Sidney fut laissé pour mort sur le champ de bataille; je fus arrêté, condamné, et mon exécution fut fixée au 15 juillet 1685. On m’avait signifié ma sentence, je devais être exécuté le lendemain, j’étais seul dans ma prison. Au milieu des funèbres méditations où j’étais plongé durant les heures terribles qui précédèrent le moment de mon supplice… je te le jure, Angèle, je te le jure devant Dieu qui m’entend, si quelques pensées douces et consolantes vinrent me calmer… ce furent celles que je donnai au souvenir de Sidney, en évoquant les beaux temps de notre amitié… Je le croyais mort, et je me disais: – Dans quelques heures je serai pour jamais réuni à lui… Tout à coup la porte de mon cachot s’ouvrit, Sidney parut…

– Mordioux!.. tant mieux… J’étais bien sûr qu’il n’était pas mort, s’écria Croustillac.

– Non… il n’était pas mort, répondit le duc avec un soupir. Plût au ciel qu’il fût mort en soldat sur le champ de bataille!

Angèle et l’aventurier regardèrent Monmouth avec étonnement.

Celui-ci continua:

– A la vue de Sidney, je crus être le jouet d’une vision produite par l’agitation de mes esprits; mais je sentis bientôt ses larmes couler sur mes joues, mais je me sentis bientôt serré dans ses bras. – Sauvé!.. vous êtes sauvé!.. me dit-il à travers des pleurs de joie. – Sauvé? lui dis-je en le regardant avec stupeur. – Sauvé! oui… Écoutez-moi… reprit-il; et voici ce qu’il me raconta. Le roi mon oncle ne pouvait ouvertement m’accorder ma grâce, la politique s’y opposait; mais il ne voulait pas faire périr le fils de son frère sur l’échafaud. Instruit par un de ses courtisans, qui était néanmoins de mes amis, de la ressemblance qui existait entre Sidney et moi, ressemblance qui t’a si vivement frappée la première fois que je t’ai vue, chère enfant, dit Monmouth à Angèle, le roi Jacques avait secrètement procuré à Sidney les moyens de s’introduire dans ma prison; cet ami dévoué devait prendre mes vêtements, je devais prendre les siens et sortir de la Tour à l’aide de ce stratagème. Le lendemain, apprenant mon évasion, le dévouement de Sidney resté prisonnier à ma place, le roi le ferait mettre en liberté et ordonnerait de me rechercher activement; mais ces ordres ne seraient qu’une apparence; on favoriserait en secret mon départ pour la France. Je devais seulement écrire au roi pour lui donner ma parole de ne jamais rentrer en Angleterre.

– Eh bien! dit Angèle intéressée au dernier point par ce récit, tu acceptas l’offre de Sidney, et il resta prisonnier à ta place?..

– Hélas! oui, j’acceptai, car tout ce que me disait Sidney ne me paraissait que trop vraisemblable; sa présence à cette heure dans la Tour, malgré la sévère surveillance dont j’étais environné, devait me faire croire qu’une volonté toute-puissante concourait mystérieusement à mon évasion.

– N’en était-il donc pas ainsi? s’écria Angèle.

– Rien ne semble pourtant plus naturellement arrangé, dit Croustillac.

– En effet, dit Monmouth en souriant avec amertume, rien n’était plus naturellement arrangé; il ne fut que trop facile à Sidney de me persuader… de détruire mes objections.

– Et quelles objections pouvais-tu faire? dit Angèle, qu’y avait-il donc d’étonnant à ce que le roi Jacques ne voulût pu faire couler ton sang sur l’échafaud, en facilitant secrètement ta fuite?

– Et puis, Sidney aurait-il pu s’introduire si facilement auprès de vous, monseigneur, sans le secours d’une suprême influence? ajouta l’aventurier.

– Oh! n’est-ce pas, s’écria le duc avec une triste satisfaction, n’est-ce pas que tout ce que disait Sidney devait me sembler… probable, possible? n’est-ce pas que je pouvais le croire?

– Mais sans doute! dit Angèle.

– N’est-ce pas, continua le prince, n’est-ce pas qu’on pouvait ajouter foi à ses paroles sans être égaré par la peur de la mort, sans être entraîné par un lâche, par un horrible égoïsme? Et encore, je vous le jure, oh! je vous le jure, je ne me rendis pas tout d’abord à ce que me disait Sidney! avant d’accepter la vie et la liberté qu’il venait m’offrir au nom du roi mon oncle, je me demandai quel serait le sort de mon ami si Jacques ne tenait pas sa promesse; je me dis que la plus grande punition que pût mériter un homme capable d’en avoir fait évader un autre était la prison… alors… en admettant cette hypothèse, une fois libre, quoique réduit à me cacher, je disposais d’assez de ressources pour ne pas quitter l’Angleterre avant d’avoir à mon tour délivré Sidney… Que vous dire de plus?.. L’instinct de la vie… la peur de la mort sans doute, obscurcirent non jugement… troublèrent ma raison… j’acceptai, car je crus à tout ce que me disait Sidney. Hélas!.. combien j’étais insensé!

– Insensé, mordioux! c’est en n’acceptant pas que vous auriez été un insensé, s’écria Croustillac.

– Qui donc, mon Dieu, aurait hésité à ta place? dit Angèle.

– Non, non, je vous dis que je ne devais pas accepter; mon cœur, sinon ma raison, devait se révolter à cette proposition trompeuse. Mais que sais-je… une sanglante fatalité… peut-être un affreux égoïsme me poussaient… j’acceptai… je serrai Sidney dans mes bras, je pris ses vêtements et je lui dis… à demain… avec la conviction que le lendemain je le verrais. Je sortis de ma chambre, le geôlier m’attendait à la porte; grâce à ma ressemblance avec Sidney… il ne s’aperçut de rien et me conduisit à la hâte par un chemin secret jusqu’à une sortie de la Tour; j’étais libre… J’oubliais de vous dire que Sidney m’avait indiqué une maison de la Cité où je pourrais en toute sûreté l’attendre… car il devait, disait-il, revenir le lendemain me rejoindre pour concerter notre départ; enfin, dans cette maison de la Cité je retrouverais mes pierreries que j’avais confiées à Sidney à mon départ de Hollande, et dont la valeur était énorme… Enveloppé de son manteau, manteau que vous portiez tout à l’heure, et qui est resté sacré pour moi, je me dirigeai vers la maison de la Cité. Je frappai; une vieille femme vint m’ouvrir me conduisit dans une chambre écartée, et me remit un coffret de fer dont Sidney m’avait donné la clef, j’y trouvai mes pierreries. Brisé de fatigue, car les insomnies qui précèdent le jour du supplice sont bien affreuses, je m’endormis… Pour la première fois depuis ma condamnation à mort, je cherchai le sommeil sans me dire que l’échafaud m’attendait au réveil… Lorsque je me levai le lendemain, il était grand jour, un brillant soleil pénétrait à travers mes rideaux; je les ouvris, le ciel était pur, il faisait une radieuse journée d’été… Oh! j’eus alors des élans de bonheur et de joie impossibles à rendre… J’avais vu ma tombe ouverte et j’existais! j’aspirais la vie par tous les pores. Éperdu de reconnaissance, je me jetai à genoux, et j’enveloppai dans la même bénédiction Dieu, le roi, Sidney! je m’attendais à voir cet ami si cher… d’un moment à l’autre; je ne doutais pas, oh! non, je ne pouvais pas douter de la clémence du roi… Tout à coup j’entendis au loin la voix de ces crieurs qui annoncent les événements importants; il me sembla qu’ils prononçaient mon nom… je crus que c’était une illusion… C’était bien mon nom. Oh! alors un effroyable pressentiment me traversa l’esprit, mes cheveux se dressèrent sur ma tête… j’étais resté à genoux, j’écoutais avec d’horribles battements de cœur; les voix approchèrent… j’entendis encore mon nom mêlé à d’autres paroles; un éclair de joie aussi folle que mon pressentiment avait été horrible changea ma terreur en espoir… Insensé… je crus que l’on criait les détails de l’évasion du duc de Monmouth. Dans mon impatience, je descends dans la rue, j’achète cette relation; je remonte le cœur palpitant, serrant ce papier entre mes mains.

En disant ces mots, Monmouth devint d’une pâleur effrayante; il se soutint à peine; une sueur froide inonda son front.

– Eh bien! s’écrièrent Angèle et Croustillac qui ressentaient une angoisse poignante.

– Ah! s’écria le duc avec une explosion déchirante, c’étaient les détails de L’EXÉCUTION du duc de Monmouth.

– Et Sidney! s’écria Angèle.

– Sidney était mort… pour moi… mort martyr de l’amitié… Son sang, son noble sang avait coulé sur l’échafaud au lieu du mien… Maintenant, Angèle, malheureuse enfant! comprends-tu pourquoi je t’ai toujours caché ce funeste secret 4?

En disant cet mots, le prince tomba assis dans un fauteuil en cachant sa figure dans ses mains. Angèle se jeta à ses pieds en étouffant ses sanglots.

CHAPITRE XXVIII.
L’ARRESTATION

Le chevalier, profondément attendri par le récit de Monmouth, essuya furtivement ses larmes, et se dit:

– Je comprends maintenant ce que voulait me dire cet animal de Rutler, avec son éternel poignard, lorsqu’il me parlait de mon exécution…

– Angèle, Angèle, mon enfant, dit le duc en relevant son noble visage baigné de larmes et en serrant la jeune femme entre ses bras, pourras-tu jamais me pardonner le meurtre de Sidney, mon ami, mon frère, ton seul parent, ton seul protecteur?

– Hélas! ne l’avez-vous pas remplacé auprès de moi… Jacques… J’avais pleuré sa mort, croyant qu’il avait été tué sur un champ de bataille. Croyez-vous que mes regrets seront plus cruels maintenant que je sais qu’il a sacrifié sa vie pour vous, qu’il a fait ce que je ferais pour toi avec tant de bonheur… Jacques, mon amant, mon époux!

– Ange bien-aimée de toute ma vie, s’écria le duc, tes paroles n’apaisent pas la violence de mes remords, mais au moins tu sauras quelle reconnaissance religieuse j’ai toujours eue pour Sidney, pour ce saint martyr de l’amitié. Que te dirai-je de plus? Je passai deux jours dans un état voisin de la folie; lorsque je revins à moi, je trouvai une lettre de Sidney. Il avait fait en sorte qu’elle ne me fût remise que le soir du jour où il périssait pour moi; il m’expliquait son pieux mensonge, il n’avait pas vu le roi Jacques.

– Il ne l’avait pas vu! s’écria Angèle.

– Non; tout ce qu’il m’avait dit était faux… Aussi tu comprends si j’ai raison de maudire toujours la coupable facilité avec laquelle je me suis laissé persuader. Maintenant qu’il est mort pour moi… la fable à laquelle j’ai cru me semble folle, monstrueuse… Non, il n’avait pas vu le roi. Dépositaire de mes pierreries, il en avait distrait de quoi se procurer une somme considérable, grâce à laquelle il avait gagné un des officiers de la Tour, lui demandant pour toute grâce de me voir une dernière fois… Cet officier était-il d’accord avec Sidney pour la substitution de personne qui devait me sauver? fut-il aussi dupe de notre ressemblance, et ne s’aperçut-il de rien? je ne le sais… Le lendemain on vint chercher Sidney, il suivit ses bourreaux, mais il refusa de parler de peur qu’on ne le reconnût à sa voix… Le sacrifice fut accompli, ajouta Monmouth en essuyant ses larmes qui avaient encore coulé à ce récit. Je quittai Londres secrètement et je me rendis en France sous un faux nom pour t’y chercher, Angèle… Sidney m’avait donné tout pouvoir pour la retirer des mains des personnes auxquelles il l’avait confiée, dit le prince en s’adressant à Croustillac. Frappé de sa beauté, de sa candeur, de ses adorables qualités, me sentant digne et capable de remplir les derniers vœux de Sidney en faisant le bonheur de son enfant d’adoption… j’épousai cet ange, nous partîmes pour les colonies espagnoles, je croyais y être en sûreté. Tout en prenant les plus grandes précautions pour n’être pas reconnu… le hasard me fit rencontrer à Cuba un capitaine anglais que j’avais vu à Amsterdam. Je me crus découvert… Nous partîmes. Après quelques mois de voyage, nous vînmes nous établir ici. Afin de dérouter les soupçons, de pouvoir veiller sur ma femme et de n’être pas soumis à une réclusion qui m’eût été mortelle, je pris tour à tour les déguisements que vous savez, et je pus impunément parcourir l’île… Grâce à mes pierreries, nous achetâmes plusieurs petits navires, par l’intermédiaire de maître Morris, homme sûr et probe, qui savait, sans être dans le secret, à quoi s’en tenir sur les prétendus veuvages de ma femme. Non seulement nos armements de commerce augmentèrent peu à peu notre fortune… que nous pouvions avoir un jour à transmettre à des enfants… mais ils nous permirent d’avoir toujours à notre disposition un moyen d’évasion… Le Caméléon n’a pas été construit dans un autre but… et je l’ai même, au grand effroi d’Angèle, commandé comme flibustier, dans une rencontre avec un pirate espagnol… Nous vivions donc ici très heureux, presque tranquilles, lorsque j’appris que le chevalier de Crussol, à qui j’avais autrefois sauvé la vie, arrivait comme gouverneur… Quoiqu’il fût homme d’honneur, je craignis de me découvrir à lui… Mon premier mouvement fut de quitter la Martinique avec ma femme… mais j’appris alors la déclaration de guerre de la France contre l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande, et… que certains bruits commençaient à circuler en Angleterre sur la manière miraculeuse dont j’avais été sauvé… Mes partisans s’agitaient, dit-on; je n’avais aucune justice à attendre de Guillaume d’Orange; je devais donc me croire plus en sûreté dans cette colonie que partout ailleurs… j’y demeurai, malgré la présence de M. de Crussol; mais en redoublant de précautions. Les prétendus veuvages de ma femme, les fréquentes visites du flibustier, du Caraïbe et du boucanier formèrent bientôt un ensemble de faits si incompréhensibles, qu’il fut impossible de deviner la vérité; ce qui nous servait d’un côté… nous fut cependant presque fâcheux. M. de Crussol, curieux de connaître la femme étrange dont on parlait de tant de façons différentes, vint au Morne-au-Diable; la fatalité voulut que j’y fusse alors, sous les traits du boucanier; je ne pus éviter la rencontre du gouverneur, que nous étions loin d’attendre.

Malgré la barbe épaisse qui déguisait mes traits, M. de Crussol avait conservé de moi un trop vif souvenir pour me méconnaître complétement; aussi, pour s’assurer de la vérité, il me dit brusquement: «Vous n’êtes pas ce que vous paraissez être.» Craignant que tout ne fût révélé à Angèle, qui me savait proscrit, mais qui ignorait les dangers auxquels j’étais alors exposé si mon existence était connue, je dis à M. de Crussol: – Au nom d’un service passé, je vous demande le silence… Mais je vous dirai tout… En effet, je ne lui cachai rien. Il me jura sur l’honneur de me garder le secret et de faire son possible pour que nous ne fussions pas inquiétés… il a tenu sa promesse… mais en mourant..

– Il a tout avoué au père Griffon par scrupule de conscience, dit le chevalier.

– Comment savez-vous cela? dit le duc.

Croustillac raconta alors à Monmouth comment le mystère de son existence avait été révélé au confesseur du roi Jacques, et comment le père Griffon avait involontairement causé cette trahison.

– Maintenant, chevalier, dit Monmouth, vous savez au prix de quel admirable sacrifice je dois cette vie que j’ai juré de consacrer à Angèle… je vous ai dit les affreux remords que me causent le dévouement de Sidney; vous comprendrez, je l’espère, chevalier, que je ne veuille pas m’exposer à de nouveaux et cruels regrets en causant votre perte.

– Ah! vous croyez, monseigneur, que ce que vous venez de nous raconter là est fait pour m’ôter l’envie de me dévouer pour vous? Mordioux! vous vous trompez furieusement!

– Comment, s’écria le duc, vous persistez?

– Si je persiste! je persiste doublement, s’il vous plaît, et par une raison toute simple… Tenez, monseigneur… pourquoi vous cacherais-je cela?.. Tout à l’heure… c’était bien plus pour l’amour de madame la duchesse que je voulais vous servir que par dévouement raisonné pour vous; ça ne doit pas vous offenser, monseigneur, je ne vous connaissais pas… Mais maintenant que je vois ce que vous êtes, mais maintenant que je vois comment vous regrettez vos amis, et comment vous reconnaissez ce qu’ils font pour vous… madame votre femme serait une véritable Barbe-Bleue, elle serait le diable en personne, elle serait amoureuse de tous les boucaniers, de tous les anthropophages des Antilles, que je ferais pour vous tout ce que je faisais pour madame la duchesse, monseigneur!

– Mais, chevalier…

– Mais, monseigneur… tout ce que je puis vous dire, c’est que vous me donnez envie d’être pour vous un second Sidney… voilà tout… Eh! mordioux, c’est tout simple, on n’inspire jamais ces dévouements-là sans les mériter.

– Je veux vous croire, chevalier; mais on est indigne de ces dévouements-là… quand on les accepte volontairement.

– Ah! mordioux! monseigneur, sans reproche… vous êtes aussi têtu avec votre générosité que cet ours de Flamand était insupportable avec son poignard… Voyons… raisonnons un peu… Ce que vous voulez avant tout, n’est-ce pas? c’est me sauver de la prison.

– Sans doute…

– Car je ne crois pas que vous soyez très pressé d’abandonner madame la duchesse. Eh bien! en disant qui vous êtes au bonhomme Chemeraut, me sauverez-vous? Je ne suis pas un grand clerc, mais il me semble que toute la question est là, n’est-ce pas, madame la duchesse?

– Il a raison, mon ami, dit Angèle en regardant son mari d’un air suppliant.

– Je poursuis, reprit fièrement Croustillac. Or, vous dites donc au bonhomme Chemeraut: «Monsieur, je suis le duc de Monmouth, et le chevalier que voici n’était qu’un mauvais plaisant…» Soit… jusque-là ça va bien. A cette ouverture, le Chemeraut vous répond: «Monseigneur, consentez-vous, oui ou non, à être le chef de l’insurrection en Angleterre?»

– Jamais… jamais! s’écria le duc.

– Très bien, monseigneur. Maintenant je sais ce que vous a coûté l’insurrection… maintenant j’ai le bonheur de connaître madame la duchesse; comme vous, je dirais… «Jamais…» Seulement, que répond le bonhomme Chemeraut à ce jamais? le bonhomme Chemeraut vous répond: – «Vous êtes mon prisonnier…» Est-ce vrai?

– Malheureusement, cela est possible, dit Monmouth.

– Hélas! cela n’est que trop réel! dit Angèle.

– «Quant à ce drôle, quant à cet intrigant, continuera le bonhomme Chemeraut en s’adressant à moi, dit Croustillac, quant à cet imposteur, à ce chevalier d’industrie, comme il s’est impudemment joué de moi, comme je lui ai confié une demi-douzaine de secrets d’État plus importants les uns que les autres, et particulièrement comme quoi les confesseurs de deux grands rois ont joué à l’aiguillette empoisonnée avec la confession de leurs pénitents… il va être traité selon ses mérites…» Or, ledit bonhomme Chemeraut, d’autant plus furieux que je lui aurai fait avaler une plus énorme quantité de couleuvres, ne me ménagera pas, et je m’estimerai très heureux s’il me fait pourrir dans un cul de basse fosse au lieu de me faire pendre haut et court, vu ses pleins pouvoirs, ce qui serait une autre manière de me réduire au silence.

– Ah! ne parlez pas ainsi… cette idée est affreuse… s’écria Angèle.

– Vous le voyez bien, généreux insensé, dit à son tour le duc avec attendrissement, vous reconnaissez vous-même l’imminence du danger auquel vous vous êtes exposé pour moi.

4.Voici comment finit le paragraphe de Hume déjà cité:
  «Après son exécution, ses partisans conservèrent l’espérance de le revoir à leur tête; ils se flattèrent que le prisonnier qu’on avait exécuté n’était pas le duc de Monmouth, mais qu’un de ses amis qui lui RESSEMBLAIT BEAUCOUP AVAIT EU LE COURAGE DE MOURIR POUR LUI.
  – Sainte-Foix, dans une lettre sur le Masque de fer (Amsterdam, 1768), ajoute:
  «Il est certain que le bruit courut dans Londres qu’un officier de l’armée de Monmouth qui lui ressemblait beaucoup, fait prisonnier et sûr d’être condamné à mort, avait reçu la proposition de passer pour lui avec autant de joie qui si on lui eût accordé la vie, et que, sur ce bruit, une grande dame, ayant gagné ceux qui pouvaient ouvrir son cercueil, et lui ayant regardé le bras droit, s’écria: Ah! ce n’est pas le duc de Monmouth!»
  Enfin, Sainte-Foix, qui cherche à prouver que le Masque de Fer n’était autre que le duc de Monmouth, cite un passage d’un autre ouvrage anglais, par Pyms, et dans lequel on lit:
  «Le comte Danby envoya chercher le colonel Skelton, qui avait eu ci-devant la lieutenance de la Tour, et à qui le prince d’Orange l’avait ôtée pour la donner au lord Lucas. —Skelton, lui dit le comte Danby, hier au soir, en soupant avec Robert Johnston, vous lui dites que le duc de Monmouth était vivant et enfermé dans quelque château en Angleterre. – Je n’ai point affirmé cela, puisque je n’en sais rien, dit Skelton, mais j’ai dit que, la nuit d’après la prétendue exécution du duc de Monmouth, le roi, accompagné de trois hommes, vint lui-même le tirer de la Tour, et que le duc fut emmené par lui.»
  Sainte-Foix cite encore une conversation du père Tournemine, et ajoute:
  «La duchesse de Portsmouth dit au père Tournemine et au confesseur du roi Jacques qu’elle reprocherait toujours à la mémoire de ce prince l’exécution du duc de Monmouth, après que Charles II, à l’heure de la mort et prêt à communier, avait fait promettre devant l’hostie, que Huldeston, prêtre catholique, avait secrètement apportée, avait fait promettre au roi Jacques (alors duc d’York) que, quelque révolte que tentât le duc de Monmouth, il ne le ferait jamais punir de mort. —Aussi le roi Jacques ne l’a-t-il PAS FAIT MOURIR, répondit le père Sunders.»
  Nous ne multiplierons pas les citations. Nous voulions seulement établir que la donnée de ce récit n’était pas absolument une fiction romanesque, et que si elle ne reposait pas sur une certitude historique absolue, elle était du moins basée sur une possibilité vraisemblable.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 сентября 2017
Объем:
430 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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