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Читать книгу: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6», страница 8

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SCÈNE II
(La maison où se réunissent les conspirateurs.)
DAGOLINO, DORO, BERTRAM, FEDELE
TREVISANO, CALENDARO, ANTONIO
delle BENDE, etc., etc
CALENDARO, entrant

Sommes-nous tous réunis?

DAGOLINO

Tous, puisque vous voilà; il ne manque que les trois qui sont à leur poste, et notre chef Israël qu'on attend d'un instant à l'autre.

CALENDARO

Et Bertram, où est-il?

BERTRAM

Ici.

CALENDARO

Il vous a donc été impossible de mettre au complet votre compagnie?

BERTRAM

J'ai bien en vue quelques-uns, mais je n'ai pas voulu leur confier notre secret ayant d'être assuré qu'ils fussent dignes de le connaître.

CALENDARO

Nous n'avons pas besoin de nous confier à leur discrétion. Qui, d'ailleurs, sauf nous-mêmes et nos plus intimes affidés, connaît bien l'étendue de nos projets? La plupart croient recevoir l'impulsion secrète de la seigneurie10 afin de punir quelques jeunes nobles des plus dissolus, et dont les excès semblent défier les lois; mats une fois le glaive tiré, et bien enfoncé dans le vil cœur des sénateurs les plus odieux, ils n'hésiteront pas à continuer de frapper sur les autres, encouragés comme ils le seront par l'exemple de leurs chefs; et quant à moi je leur montrerai ce qu'ils ont à faire, de manière à ne leur permettre pour leur salut et pour leur honneur de ne s'arrêter que quand tous auront péri.

BERTRAM

Comment dites-vous? tous!

CALENDARO

Qui voudrais-tu donc épargner?

BERTRAM

Épargner! je n'en ai pas le pouvoir; je voulais seulement demander si, parmi cette odieuse réunion d'hommes, vous ne pensiez pas qu'il pût s'en trouver dont l'âge, dont les qualités enfin, pussent appeler notre pitié?

CALENDARO

Oui, la pitié que mérite et qu'obtient la vipère, quand, étant coupée en morceaux, ses tronçons séparés viennent au soleil exhaler leur venin le plus âcre et le plus virulent. J'aimerais tout autant épargner l'une des dents qui se trouvent dans la gueule du redoutable reptile que d'épargner un de nos tyrans: chacun d'eux forme l'anneau d'une longue chaîne. – C'est une seule masse, le même souffle, le même corps; ils mangent, boivent, vivent et s'allient ensemble; ils se réjouissent, ils oppriment, ils tuent de concert-il faut qu'ils meurent de concert.

DAGOLINO

Un seul qu'on laisserait vivre serait aussi redoutable que tous ensemble; qu'ils soient dix, ou qu'ils soient mille, leur nombre n'est pas ce qui nous effraie, c'est l'esprit de l'aristocratie qu'il s'agit d'anéantir; et si nous laissions debout une seule racine de ce vieil arbre il couvrirait bientôt le sol, et ranimerait sa verdure malfaisante et ses fruits empoisonnés. Bertram, il nous faut du courage.

CALENDARO

Songes-y bien, Bertram, j'ai les yeux sur toi.

BERTRAM

Qui pourrait me soupçonner?

CALENDARO

Ce n'est pas moi; si je le faisais, tu ne serais plus maintenant ici à parler de ta foi, mais nous redoutons ta douceur naturelle et non pas ta perfidie.

BERTRAM

Vous devriez savoir, vous tous qui m'entendez, qui je suis, un homme soulevé, comme vous-mêmes, pour renverser la tyrannie; un homme, je l'avoue, naturellement bon, comme il l'a prouvé à plusieurs d'entre vous; et quant à sa bravoure vous pouvez en parler, vous, Calendaro, qui l'avez vue mise à l'épreuve; ou si vous en doutiez encore, je pourrais vous apprendre à la connaître.

CALENDARO

A votre aise; quand nous aurons mis à fin notre entreprise; mais en ce moment il ne faut pas qu'une querelle particulière vienne la troubler.

BERTRAM

Je ne suis pas querelleur; mais je puis frapper l'ennemi avec autant d'intrépidité qu'aucun de vous; pourquoi, d'ailleurs, m'avez-vous choisi pour être l'un des chefs de nos camarades? Toutefois j'avoue ma faiblesse, je n'ai pas encore appris à envisager un massacre général sans quelque sentiment d'effroi; la vue du sang ruisselant, inondant des têtes blanchies par l'âge, ne me présente aucune idée de gloire, et je n'appelle pas un triomphe la mort d'hommes surpris sans défense. Je sais pourtant bien, et trop bien, que nous devons en agir ainsi avec ceux dont la conduite justifie de telles représailles; mais s'il en était quelques-uns que l'on pût sauver de ce destin déplorable, j'en conviens, pour nous et pour notre honneur, pour nous garantir de cette souillure qui s'attache d'ailleurs à l'idée de massacre, j'en eusse été enchanté, et en cela je ne crois pas offrir le moindre prétexte au dédain ni à la défiance.

DAGOLINO

Calme-toi, Bertram, et reprends courage, nous ne te soupçonnons pas; ce n'est pas nous qui exigeons de pareilles actions; c'est la cause que nous défendons. Nous saurons bien laver toutes nos souillures dans la fontaine de la liberté.

(Entrent Israël Bertuccio et le Doge déguisé.)
DAGOLINO

Salut, Israël.

CONSPIRATEURS

Ah! mille fois salut-brave Bertuccio! tu es en retard. – Quel est cet étranger?

CALENDARO

Il est tems de le nommer. J'ai fait connaître à nos camarades que tu voulais ajouter un frère à notre cause; ils sont disposés à l'accueillir parmi eux; et telle est notre confiance en tout ce que tu fais, qu'approuvé par toi, il est aussitôt approuvé de tout le monde. Maintenant, laisse-le se découvrir lui-même.

ISRAEL BERTUCCIO

Étranger, approchez-vous! (Le Doge se découvre.)

CONSPIRATEURS

Aux armes! – Nous sommes trahis! c'est le Doge! Meurent tous les deux! notre traître capitaine et le tyran auquel il nous a vendus!

CALENDARO, tirant son épée

Arrêtez, arrêtez! Celui qui avance sur eux, d'un pas, est mort. Écoutez du moins Bertuccio. – Comment! vous pâlissez à la vue d'un vieillard qui se trouve au milieu de vous, seul, sans gardes et sans armes? Parle, Israël, que veut dire ce mystère?

ISRAEL BERTUCCIO

Laisse-les, laisse-les avancer; ingrats suicides, qu'ils frappent leurs propres cœurs; car c'est de nos vies que dépendent la leur, leur fortune et leurs espérances.

LE DOGE

Frappez! – Si je craignais la mort, et une mort plus terrible que ne pourrait me l'infliger aucun de vos vils poignards, je ne serais pas venu ici. – Oh! le noble mouvement, en effet, qui vous porte à montrer tant de bravoure contre une pauvre tête chenue! Les chefs généreux, qui, voulant réformer leur pays et détruire le sénat, frémissent de rage et de terreur à la vue d'un seul patricien! – Massacrez-moi, vous le pouvez; je ne m'en soucie pas. – Israël, voilà les hommes, les cœurs généreux dont vous me parliez? Regardez-les donc!

CALENDARO

Vraiment, il nous a fait rougir, et avec raison. Comment, avec votre dévouement dans Bertuccio, votre chef dévoué, avez-vous pu tourner vos épées contre lui et son compagnon? Remettez-les dans le fourreau, et entendez-le.

ISRAEL BERTUCCIO

Je dédaigne de parler; ils peuvent, ils doivent savoir, qu'une ame comme la mienne est incapable de trahison. Jamais je n'ai abusé du pouvoir qu'ils m'ont donné d'adopter tous les moyens qui pouvaient servir leur cause. Ils peuvent être sûrs que quiconque sera jamais introduit ici par moi, n'aura plus qu'à choisir d'être, ou notre frère, ou notre victime.

LE DOGE

Et que serai-je, moi? L'accueil que vous me faites me permet de douter de la liberté du choix.

ISRAEL BERTUCCIO

Monseigneur, si ces furieux avaient levé sur vous leurs armes, ils m'auraient immolé avec vous; mais, voyez, ils rougissent déjà de cet instant de délire: ils courbent devant vous leurs têtes, et croyez-moi, ils sont encore tels que je vous les ai dépeints. – Veuillez leur parler.

CALENDARO

Oui, parlez, nous sommes tous disposés à vous écouter avec respect.

ISRAEL BERTUCCIO, aux conspirateurs

Vous n'avez rien à craindre; tout, au contraire, à espérer. – Écoutez donc, et jugez de la vérité de mes paroles.

LE DOGE

Vous voyez devant vous, comme on vient de le dire, un vieillard sans armes et sans défense; hier je paraissais à vos yeux revêtu de la dignité de Doge, souverain apparent de nos cent îles, couvert de la pourpre et sanctionnant les édits d'une puissance qui n'est ni la vôtre ni la mienne, mais celle de nos maîtres-les patriciens. Pourquoi étais-je maître du palais ducal? vous le savez, ou du moins je pense que vous le savez; pourquoi suis-je ici en ce lieu? c'est à celui qui a été le plus outragé, à celui d'entre vous qu'on a le plus avili, qu'on a foulé aux pieds au point de lui laisser à douter s'il était quelque chose de plus qu'un ver de terre, c'est à lui à répondre pour moi. Demandez-lui qui l'a conduit parmi vous? Vous connaissez mon dernier affront; tout le monde le connaît, tout le monde l'a vu d'un autre œil que les juges qui en profitèrent pour m'abreuver de nouveaux outrages. Épargnez m'en le récit. – C'est là, c'est au cœur que l'on m'a frappé! – Mais des paroles, déjà peut-être trop inutilement prodiguées, ne feraient que mieux témoigner de ma faiblesse, et je suis venu ici pour fortifier les forts, pour les presser d'agir, et non pour faire parade des armes d'une femme. Mais qu'ai-je besoin de vous presser? Nos injures personnelles prennent leur source dans les abus d'un ordre de choses-je ne l'appellerai pas république ou royauté, puisqu'il ne comporte ni peuple ni souverain, puisqu'il a tous les vices de l'ancien gouvernement de Sparte, sans en avoir les vertus-la valeur et la tempérance. Les maîtres de Lacédémone étaient de braves soldats; mais les nôtres sont des Sybarites, et nous des Ilotes; moi, je suis le plus humble et le plus asservi. Cependant ils m'ont revêtu d'une robe triomphale, mais c'est ainsi qu'autrefois les Grecs enivraient leurs esclaves pour amuser les loisirs de leurs enfans. Eh bien! ce monstre politique, cette parodie de gouvernement, ce spectre qu'il faut exorciser avec du sang, c'est pour l'anéantir que vous vous êtes réunis. Quand nous y serons parvenus, nous ramènerons les anciens jours de justice et de loyauté, nous constituerons une chose publique, dont une sage liberté deviendra la base: non pas un partage aveugle d'autorité, mais des droits également répartis et proportionnés entre eux comme les colonnes d'un temple, avec le temple lui-même, contribuant séparément à la beauté de l'ensemble; nous lui prêterons et nous en recevrons une force réciproque, au point que nul citoyen ne puisse être sacrifié sans que l'harmonie générale n'en soit troublée. Dans cette généreuse entreprise que vous allez exécuter, je viens réclamer l'honneur de vous seconder-si vous avez en moi quelque confiance: autrement n'hésitez pas à me frapper, – ma vie est à votre disposition, et j'aime mieux mille fois expirer sous les coups d'hommes vraiment libres, que de vivre un jour de plus pour exercer la tyrannie que font peser sur nous d'autres tyrans; car, pour moi, ô mes compatriotes, je ne le suis, ni ne le fus jamais. – Relisez nos annales: j'ai commandé dans maintes cités, dans maintes contrées étrangères; qu'elles disent si j'étais un oppresseur, ou bien un citoyen plein de bienveillance et de sollicitude pour mes semblables. Ah! si j'avais été ce que le sénat voulait que je fusse, un porteur de robe pompeuse et de paroles dictées, un mannequin posé sur un trône pour figurer la puissance souveraine, un fléau du peuple placé dans leurs mains; un empressé signeur de sentences; l'ame damnée des Quarante et du sénat, toujours prêt à souscrire aux mesures sanctionnées par les Dix, toujours sans avis arrêté sur celles qu'ils n'avaient pas encore ratifiées; le vil flatteur des patriciens, un chétif instrument, un sot, une marionnette. – Jamais il ne se fût rencontré parmi eux un infâme qui m'insultât comme on vient de le faire. Mes propres affronts sont venus joindre leur voix à celle de la pitié que les malheurs publics m'inspiraient depuis long-tems, comme beaucoup le savent, et comme ceux qui l'ignorent pourront bientôt s'en convaincre. Quoi qu'il en soit, et sans calculer les résultats, je dévoue à la patrie les derniers jours de ma vie, ma puissance actuelle telle qu'elle est, celle, non pas d'un Doge, mais d'un homme qui avait quelque grandeur en lui-même avant d'être dégradé par ce titre, celle d'un homme auquel il reste encore une ame forte et quelques talens personnels. Je place sur cette chance et ma gloire (car j'avais acquis quelque gloire) et mon existence (faible don, puisqu'elle est sur le point de s'éteindre), et mon cœur, et mon ame, et toutes mes espérances. Accueillez ou repoussez-moi: je m'offre à vous tel que je suis, prince qui veut être citoyen ou rien au monde, et qui, pour le redevenir, a fait le sacrifice de son trône.

CALENDARO

Longue vie à Faliero! – Venise enfin sera libre!

CONSPIRATEURS

Longue vie à Faliero!

ISRAEL BERTUCCIO

Camarades, dites maintenant: ai-je bien fait? cet homme-là ne vaut-il pas une armée pour notre cause?

LE DOGE

Ce n'est pas ici le moment des félicitations ou des transports d'allégresse. – Suis-je admis parmi vous?

CALENDARO

Oui, et le premier, parmi nous, comme tu l'étais à Venise. – Sois notre commandant, notre général.

LE DOGE

Commandant! général! – Je fus général à Zara; commandant à Rhodes et à Cypre; prince à Venise. – Je ne puis rétrograder-c'est-à-dire, je ne suis pas propre à conduire une bande de patriotes; en déposant les dignités dont j'étais revêtu, ce n'a pas été dans le dessein d'en accepter d'autres, mais seulement de redevenir l'égal de mes semblables. – Maintenant, au fait: Israël m'a développé tout votre plan: il est hardi, mais il peut réussir, avec mon aide. Il faut le mettre de suite à exécution.

CALENDARO

Dès que tu le voudras-n'est-il pas vrai, mes amis? J'ai tout préparé pour un coup soudain: quand donc faudra-t-il le frapper?

LE DOGE

Au lever du soleil.

BERTRAM

Quoi, sitôt!

LE DOGE

Sitôt? – dites, si tard. Chaque heure augmente le danger, surtout à compter de l'instant où je suis venu vous rejoindre. Ne connaissez-vous donc pas le Conseil et les Dix? leurs espions, l'œil des patriciens toujours inquiet de la fidélité de leurs esclaves, et surtout maintenant de celle de leur prince? Frappez, je vous le répète, et sans retard, frappez l'hydre au cœur, – ses têtes suivront bientôt sa destinée.

CALENDARO

J'y consens de l'ame et de l'épée: nos compagnies sont prêtes, soixante hommes dans chacune, et toutes sous les armes, par l'ordre d'Israël. Tous sont à leur poste respectif, tous veillent dans l'attente de quelque mouvement; c'est à chacun de nous maintenant à nous tenir prêts à agir. Le signal, monseigneur?

LE DOGE

Quand vous entendrez la grosse cloche de Saint-Marc, que l'ordre du Doge peut seul ébranler (dernier et misérable privilège qu'ils ont laissé à leur prince), vous marcherez sur Saint-Marc.

ISRAEL BERTUCCIO

Et alors?

LE DOGE

Vous vous avancerez dans différentes directions; chaque compagnie prendra une route particulière; vous ferez tout en marchant retentir les cris: «Aux armes! Voici la flotte des Génois, que le point du jour a fait distinguer devant le port!» Vous entourerez le palais, et dans la cour vous trouverez mon neveu et un nombre considérable de cliens de nos familles, armés et disposés à se joindre à vous; tandis que la cloche retentira, vous crierez: «Saint-Marc, l'ennemi est sur nos rivages.»

CALENDARO

Je comprends, maintenant; mais, monseigneur, poursuivez.

LE DOGE

Tous les sénateurs accourront au conseil (ils n'oseraient tarder au terrible signal qui partira de la tour de leur saint patron). Nous les trouverons alors réunis comme dans les champs la moisson jaunie; et, pour les faire tomber, l'épée sera notre faucille. Que si quelques-uns faisaient remarquer leur absence ou leur lenteur, ils gagneraient à cela d'être saisis dans l'isolement et l'épouvante, puisque déjà tous les autres auraient vécu.

CALENDARO

Ah! que cette heure n'est-elle venue! nous ne les ferons pas languir; nous les tuerons de suite.

BERTRAM

Un mot encore, avec votre permission. Je répéterai la question que j'avais déjà faite avant que Bertuccio ne fortifiât notre cause de cet illustre allié qui la rend beaucoup plus sûre: en conséquence, elle semble devoir permettre quelques lueurs de merci pour une partie de nos victimes. – Tous périront-ils dans le massacre?

CALENDARO

Tous ceux que je rencontrerai, moi et les miens, je te le garantis; ils auront la merci que nous pouvions attendre d'eux.

CONSPIRATEURS

Tous! oui, tous! Est-ce le moment de parler de pitié? Quand donc en ont-ils montré? Quand seulement ont-ils feint d'en éprouver?

ISRAEL BERTUCCIO

Bertram, cette fausse compassion est déplacée, elle fait injure à tes camarades et à ta cause elle-même. Ne vois-tu pas que, si nous épargnons un seul noble, il ne vivra que pour venger les victimes? Comment d'ailleurs distinguer l'innocent des coupables? Leur conduite est une. – C'est l'expression d'un système commun, la source de l'oppression générale. C'est beaucoup que nous permettions de vivre à leurs enfans, et je ne sais même s'il serait prudent de les épargner tous. Le chasseur peut bien réserver un seul petit dans l'antre du tigre, mais qui songerait à sauver le père ou la mère sans s'exposer à périr lui-même sous leurs dents? Quoi qu'il en soit, je me soumets à l'avis du Doge Faliero; c'est à lui de prononcer si l'on en peut sauver un seul.

LE DOGE

Ne m'interrogez pas, – ne me tentez pas par une telle question. – Vous-mêmes décidez.

ISRAEL BERTUCCIO

Vous êtes le seul qui connaissiez bien leurs vertus privées. Pour nous, nous n'avons connaissance que de leurs vices publics, que de leur infâme tyrannie, qui nous les a fait mortellement haïr. Dites s'il en est un seul parmi eux qui mérite miséricorde?

LE DOGE

Le père de Dolfino était mon ami, Lando combattit à mes côtés, Marc Cornaro partageait à Gênes mon titre d'ambassadeur, je sauvai la vie à Veniero, que ne puis-je le faire une seconde fois! Que ne puis-je les sauver eux et Venise! Tous ces hommes ou bien leurs pères étaient mes amis, avant de devenir mes sujets; mais dès ce moment ils m'abandonnèrent comme les feuilles qui cessent de protéger la fleur dès qu'elle vient à se flétrir; ils m'ont laissé frapper, je ne les empêcherai pas de l'être.

CALENDARO

Eux et la liberté vénitienne ne peuvent exister ensemble.

LE DOGE

Oui, mes amis, vous connaissez, vous avez mesuré l'étendue des maux de la république; mais vous ignorez quel venin fatal le gouvernement qui nous opprime verse sur les sources de la vie, sur les liens sacrés de l'humanité, sur tout ce que nous avons de meilleur et de plus cher. Tous ces nobles étaient mes amis; je les chérissais, et long-tems ils répondirent à mes sentimens affectueux; nous avons servi et combattu, nous avons ri et pleuré tous ensemble; nos chagrins, nos plaisirs, tout était commun entre nous; des alliances resserraient encore chaque jour les nœuds qui nous unissaient; enfin nous nous voyions chargés des mêmes années et des mêmes honneurs, jusqu'au moment où leurs vœux, plutôt que les miens, m'appelèrent au trône ducal. Adieu, dès-lors, adieu à tous les souvenirs de notre vie, à cette communauté de pensées, à ces doux épanchemens d'une vieille amitié; alors que les hommes, surchargés d'années et de travaux dont l'histoires s'est désemparée, adoucissent l'amertume des jours qui leur restent en recueillant avidement leurs souvenirs, et croient retrouver sur le front de leurs anciens compagnons le miroir d'un demi-siècle! Aussi long-tems qu'il reste sur la terre deux de ceux qui jadis y faisaient briller leur bravoure, leur enjouement et leur esprit, nous revoyons en eux plus de cent autres personnages qui n'existent plus; ils les font renaître pour nous, ou du moins ils nous offrent l'occasion de soupirer sur eux, et de reparler des événemens dont rien n'évoque plus le glorieux souvenir, rien que le marbre!.. Mais hélas! que fais-je! et où me laissé-je entraîner!

ISRAEL BERTUCCIO

Monseigneur, vous êtes fort ému: ce n'est pas le moment de s'arrêter sur de pareilles choses.

LE DOGE

Un moment encore, – je ne m'en défends pas: mais considérez les vices honteux de ce gouvernement. Dès l'instant qu'ils m'eurent fait Doge, adieu tout le passé, adieu tout ce que j'avais été ou plutôt ce qu'ils étaient pour moi: plus d'amis, plus d'affection, plus d'intimité de commerce: ils n'osaient m'approcher, leur visite eût donné de l'ombrage; ils ne pouvaient m'aimer, la loi le leur interdisait; ils m'entourèrent de difficultés, c'était la politique de l'état; ils me manquèrent d'égards, c'était leur droit de sénateur; ils m'offensèrent, il le fallait pour le bien de la chose publique. Ils ne pouvaient diriger ma conduite, cela eût inspiré des soupçons. Ainsi j'étais l'esclave de mes propres sujets, ainsi j'étais l'adversaire de mes propres amis; j'avais au lieu de gardes des espions, au lieu d'autorité une robe de pourpre, au lieu de liberté des protestations pompeuses, au lieu de conseil des geôliers, des inquisiteurs au lieu d'amis, et l'enfer au lieu de la vie! Une seule source de bonheur me restait, et ils l'ont empoisonnée. Mes chastes dieux domestiques furent brisés sur mon cœur, et sur leurs ruines vint grimacer le rire insultant de la débauche.

ISRAEL BERTUCCIO

Vous avez été profondément outragé, mais la nuit prochaine saura vous faire noblement justice.

LE DOGE

J'avais tout supporté, – ils me frappaient, je ne répondais pas; mais cette dernière goutte a fait déborder la coupe d'amertume; loin de redresser une insulte aussi grossière, ils l'ont sanctionnée; alors je sentis se ranimer mes autres sentimens-les sentimens qui m'assiégeaient bien long-tems auparavant, même au milieu de mon apparente tranquillité, même à cette première heure où ils renièrent leur ami pour en faire un souverain comme les enfans prennent des hochets pour les amuser, et bientôt après le mettent en pièces. Dès cette heure je ne vis plus que des sénateurs silencieusement soupçonneux dans leurs rapports avec le Doge, luttant avec lui de terreur et de haine mutuelles, redoutant qu'il n'essayât de secouer leur tyrannie, et lui de son côté ayant en horreur ses tyrans. Ces hommes n'ont donc pas pour moi de vie privée, ils ne peuvent réclamer les nœuds qu'ils ont brisés chez les autres, je ne vois en eux que des sénateurs coupables d'actes arbitraires, et comme tels je les juge dignes de mort.

CALENDARO

Et maintenant, à l'action! A nos postes, camarades, et puisse cette nuit être la dernière de verbiage: que n'y sommes-nous déjà! Au point du jour, la grosse cloche de Saint-Marc ne me surprendra pas endormi.

ISRAEL BERTUCCIO

Dispersez-vous donc à vos différentes stations; de la vigilance et du courage! songez aux maux que nous supportions, aux droits que nous voulons reconquérir. Encore une nuit, et nos périls toucheront à leur fin! Soyez attentifs au signal, et marchez aussitôt que vous l'entendrez. Pour moi, je vais rejoindre ma troupe; il faut que chacun soit prompt à faire son devoir; le Doge va retourner au palais, afin de tout préparer pour l'action! nous nous quittons pour nous retrouver libres, et couverts de gloire!

CALENDARO

Doge, la première fois que je vous saluerai, l'hommage que je prétends vous faire, sera la tête de Steno sur la pointe de mon épée.

LE DOGE

Non; laisse-le à des mains plus obscures, et ne t'arrête pas à une aussi misérable proie, avant que la partie ne soit gagnée: son offense, après tout, ne fut que le simple développement de la corruption générale de notre odieuse aristocratie; il n'aurait pu, – il n'aurait osé la risquer dans un tems moins dépravé; j'ai dépouillé toute haine personnelle à son égard; elle s'est évanouie dans la pensée de nos glorieux projets. Un esclave m'insulte-t-il? c'est à son orgueilleux maître que j'en demande vengeance; s'il me la refuse, il prend sur lui la responsabilité de l'affront; et c'est lui qui doit m'en rendre raison.

CALENDARO

Pourtant, comme c'est à lui que nous devons immédiatement l'alliance qui assure et sanctifie mieux encore notre entreprise; je lui dois assez de reconnaissance pour souhaiter de le traiter moi-même suivant ses mérites: ne le puis-je pas?

LE DOGE

Vous ne songez qu'à couper la main, moi je vise à la tête. Vous ne voulez punir que le disciple; c'est le maître que je prétends frapper: vous avez en vue Steno, et moi le sénat. Je n'interromprai pas, par les souvenirs d'une haine partielle, le cours d'une vengeance terrible, qui doit frapper sans distinction, telle que les éclats du feu céleste, alors qu'ils remplacèrent deux villes corrompues par les stagnantes eaux de la mer Morte.

ISRAEL BERTUCCIO

Partez donc à vos postes! je demeure un moment pour accompagner le Doge jusqu'à notre dernier lieu d'assurance, pour voir si quelque espion ne s'est pas glissé sur nos traces; de là, je cours rejoindre ma bande sous les armes.

CALENDARO

Adieu donc jusqu'à l'aurore.

ISRAEL BERTUCCIO

Puisse tout vous réussir.

CONSPIRATEURS

Nous ferons notre devoir. – Sortons! Monseigneur, adieu!

(Les conspirateurs saluent le Doge et Israël Bertuccio; ils se retirent, conduits par Philippe Calendaro. Le Doge et Israël Bertuccio demeurent.)
ISRAEL BERTUCCIO

Ils sont dans nos mains. – Ils ne peuvent nous échapper! C'est à présent que tu es vraiment un souverain, et que ton immortelle renommée va planer au-dessus des plus hautes. Avant nous, des hommes libres avaient déjà frappé des rois, des Césars étaient tombés victimes, et des mains patriciennes avaient déjà touché des dictateurs, de même que des patriciens avaient senti des poignards populaires; mais quel prince avait jusqu'à présent conjuré pour la liberté de son peuple? quel prince, pour affranchir ses sujets, avait risqué le salut de ses jours? toujours et à jamais ils conspirent contre leurs concitoyens; et, pour mieux charger leurs mains de chaînes, ils occupent contre les nations voisines leur ardeur belliqueuse, de sorte qu'ils savent légitimer la servitude par d'autres servitudes; et nouveaux Léviathans insatiables, ils se nourrissent partout de désastres et de morts, sans en être jamais gorgés! Maintenant, monseigneur, à notre entreprise; elle est grande, mais plus grande est la récompense. Pourquoi demeurez-vous distrait? il n'y a qu'un moment vous étiez tout de feu.

LE DOGE

C'en est donc fait, faut-il bien qu'ils meurent?

ISRAEL BERTUCCIO

Qui?

LE DOGE

Ceux que le sang, les égards, qu'une foule de circonstances et d'années avaient faits mes amis-les sénateurs!

ISRAEL BERTUCCIO

Vous avez rendu leur sentence, et, sans doute, elle est juste.

LE DOGE

Oui, elle le semble, et elle est telle à vos yeux. Vous êtes un patriote, un Gracchus plébéien-l'oracle de la révolte-un tribun du peuple; – je ne vous blâme pas, vous suivez votre mission. Ces nobles vous ont prodigué l'insulte, l'esclavage et le mépris; ils m'ont traité de même. Mais vous, jamais vous n'aviez conversé avec eux; jamais vous n'avez rompu leur pain, ni partagé leur sel; jamais vous n'avez porté leur coupe remplie à vos lèvres; vous ne fûtes pas élevé, vous n'avez pas ri ni pleuré avec eux; vous ne leur avez pas donné de fêtes; vous n'avez pas souri de les voir sourire, et vous n'avez pas, en échange du vôtre, réclamé maintes fois leur propre sourire; vous ne les avez jamais porté, comme je l'ai fait, dans votre cœur. Mes cheveux sont blancs, comme le sont les leurs, ceux des plus anciens du sénat; je me rappelle le tems où toutes nos boucles étaient noires comme l'aile des corbeaux; ou nous allions au loin saisir notre proie le long des îles envahies par le Musulman impie. Et maintenant, puis-je voir de sang-froid le poignard se faire jour dans leurs seins? il me semble que chaque coup doit être mon suicide.

ISRAEL BERTUCCIO

Doge! Doge! cette incertitude est au-dessous d'un enfant; si vous n'êtes pas une seconde fois devenu tel, rappelez votre énergie vers le but que vous vous êtes tracé, et ne nous obligez pas, vous et moi, à rougir de honte. Par le ciel, j'aimerais mieux tout abandonner maintenant, ou bien échouer dans nos desseins, que de voir l'homme que je respecte, descendre d'aussi hautes pensées à d'aussi vulgaires faiblesses! Vous avez vu du sang dans les batailles; vous avez vu couler, tantôt le vôtre, tantôt celui des autres que vous répandiez; comment donc pouvez-vous tressaillir à l'idée de quelques gouttes tirées des veines de pareils vampires, qui ne font, après tout, que rendre ce qu'ils ont arraché du cœur de plusieurs millions de citoyens.

LE DOGE

Pardonnez! bientôt je vous suivrai pas à pas, et mes coups se régleront sur les vôtres; ne croyez pas que je sois irrésolu; non, c'est même la certitude de tout ce qu'il me faut faire; qui me fait, en ce moment, frémir. Mais oublions enfin, pour toujours, ces soucieuses pensées, dont vous seul et la nuit avez reçu la confidence également peu dangereuse pour les deux. Quand l'heure arrivera, c'est moi qui sonnerai le tocsin, et frapperai le coup qui doit dépeupler tant de palais, précipiter à terre les plus hauts arbres généalogiques, écraser leurs fruits parfumés, et flétrir, pour jamais, leurs fleura radieuses. C'est là ce que je veux-ce que je dois-ce que j'ai juré de faire; rien ne peut m'empêcher de suivre mes destinées; mais encore, m'est-il permis de tressaillir à l'idée de ce que j'étais et de ce que je vais être. Pardonnez-moi.

ISRAEL BERTUCCIO

Redevenez homme; je n'éprouve pas de semblables remords, je ne les comprends même pas: pourquoi songeriez-vous à changer? vous vous êtes déterminé, et vous agissez encore en toute liberté.

LE DOGE

Oui, il est bien vrai, vous n'éprouvez pas de remords, je n'en sens pas non plus; s'il en était autrement, je te poignarderais ici pour sauver un millier de vies, et par ta mort empêcher le meurtre. Vous n'en éprouvez pas-vous courez à cette boucherie comme si ces hommes de hautes classes étaient des bœufs réunis dans un abattoir! Et quand tout sera fait, vous serez libres et enjoués, vous laverez tranquillement le sang qui vous couvrira les mains. Pour moi qui aurai devancé tes compagnons et toi-même dans ce massacre inouï, que serai-je? que verrai-je? qu'éprouverai-je? oh ciel! Oui, tu as bien fait de rappeler que ma résolution, ma conduite étaient libres, – mais vous avez eu tort de croire que je voulusse de moi-même agir ainsi. – Ne soupçonnez-ne craignez rien; je serai votre plus impitoyable complice, et pourtant, je ne suis plus ma volonté libre, ni mes sentimens réels. – Tous deux me retiennent en arrière, mais l'enfer est en moi, autour de moi, et semblable au démon qui croit et redoute, il faut que j'agisse et que j'abhorre. Séparons-nous, va réjoindre tes amis; de mon côté je vais presser la réunion des cliens de ma famille. Sois sûr que la grosse cloche de Saint-Marc va réveiller tout Venise, à l'exception de ses sénateurs massacrés. Avant que le soleil ne se lève sur l'Adriatique, une voix lamentable, le cri du sang couvrira le mugissement des ondes. Ma résolution est prise, éloignons-nous.

10.(retour) Ceci est un fait historique.(Note de Lord Byron.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
04 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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