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Читать книгу: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6», страница 7

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ANGIOLINA

Souvenez-vous du moins de ce que vous fûtes.

LE DOGE

Ce serait en vain, les souvenirs de bonheur cessent de le procurer quand celui de la peine est encore cuisant.

ANGIOLINA

Au moins, quelles que soient les affaires qui vous pressent, laissez-moi vous conjurer de prendre un instant de repos: voilà plusieurs nuits que votre sommeil est tellement agité que j'aurais cru devoir vous réveiller si je n'eusse espéré que bientôt la nature allait dompter les cruelles pensées qui semblaient vous troubler. Une seule heure de repos vous rendra à vos travaux avec de nouvelles pensées plus vigoureuses et plus fraîches.

LE DOGE

Je ne le puis, – et je le pourrais que je devrais résister encore; jamais le besoin de veiller ne fut plus impérieux. Encore quelques jours, oui, quelques jours, quelques nuits d'insomnie et je reposerai bien. – Mais où? – N'y pensons pas. Adieu, mon Angiolina.

ANGIOLINA

Un instant encore, – laissez-moi un instant de plus près de vous; je ne puis me décider à vous quitter ainsi.

LE DOGE

Approche donc, ma chère enfant: – pardonne; tu méritais un meilleur sort que le partage du mien, à l'instant où mes yeux plongent dans la sombre vallée qu'enveloppe l'immense manteau de la mort. Quand je ne serai plus-et peut-être sera-ce plus tôt que mes années ne semblent l'annoncer, car il y a dans ces murs, au dehors et partout autour de nous, un mouvement qui doit bientôt peupler les cimetières de cette ville, bien autrement que ne le firent jamais la peste ou la guerre, – quand je ne serai rien, oh! permets-moi d'espérer que ce que je fus sera quelquefois encore un nom sur tes lèvres si pures, une ombre dans ton imagination, celle d'un objet qui ne voudrait pas obtenir des pleurs, mais un souvenir. – Chère enfant! laisse-moi m'éloigner, – le tems presse.

(Ils sortent.)
SCÈNE II
(Un endroit isolé près de l'arsenal.)
ISRAEL BERTUCCIO et PHILIPPE CALENDARO
CALENDARO

Quel accueil a-t-on fait, Israël, à votre dernière plainte?

ISRAEL BERTUCCIO

Un favorable, et pourquoi?

CALENDARO

Est-il possible! quoi! on le punira?

ISRAEL BERTUCCIO

Oui.

CALENDARO

Par quoi? une amende ou la prison?

ISRAEL BERTUCCIO

Par la mort! -

CALENDARO

Alors, vous rêvez, ou vous pensez suivre mon conseil, en tirant la vengeance de votre propre main.

ISRAEL BERTUCCIO

Sans doute! et pour n'assouvir que ma haine, j'oublierai la grande justice que nous méditions de rendre à Venise! et changeant une vie d'espérance contre une vie d'exil, je penserai à n'écraser qu'un scorpion, tandis que mille autres continueront à déchirer mes amis, mes parens, mes compatriotes! Non pas, Calendaro; les gouttes de sang qu'on a fait jaillir de mon visage auront pour expiation tout le leur, – et non-seulement le leur, car nous ne voulons pas seulement venger nos injures privées: de tels soins conviennent aux hommes violens, aux passions égoïstes; mais ils sont indignes d'un tyrannicide.

CALENDARO

Je n'oserais, je l'avoue, me vanter d'une patience comme la vôtre. Si j'avais été là quand vous fûtes insulté, je l'aurais poignardé, ou je serais mort moi-même en voulant inutilement contenir ma rage.

ISRAEL BERTUCCIO

Grâce au ciel, vous n'y étiez pas, car vous auriez tout perdu, et telle qu'elle est, notre cause est encore dans une situation prospère.

CALENDARO

Mais vous avez vu le Doge? que vous a-t-il répondu?

ISRAEL BERTUCCIO

Qu'il n'y avait pas de punition à espérer contre un homme comme Barbaro.

CALENDARO

Je vous l'avais bien dit, qu'il était ridicule d'attendre quelque justice de ces gens-là.

ISRAEL BERTUCCIO

Du moins cette confiance dans leur équité a-t-elle endormi leurs soupçons; si j'avais gardé le silence, il n'est pas un sbire qui n'eût tenu l'œil sur moi, comme méditant une secrète et vigoureuse vengeance.

CALENDARO

Mais alors que ne vous adressiez-vous au conseil? Le Doge est un automate, à peine s'il peut obtenir justice pour lui-même. Pourquoi vous réclamer de lui?

ISRAEL BERTUCCIO

C'est là ce que vous saurez plus tard.

CALENDARO

Et pourquoi pas maintenant?

ISRAEL BERTUCCIO

Patientez jusqu'à minuit. Consultez vos montres, et recommandez à vos amis de disposer leurs hommes; – faites que tout soit prêt pour frapper le grand coup, peut-être dans quelques heures; depuis long-tems nous attendions le moment favorable; le cadran peut le marquer dans le cercle commencé, peut-être le soleil de demain l'éclairera-t-il: un plus long délai doublerait nos dangers. Voyez donc à ce que tous soient exacts au lieu de nos rendez-vous, tous armés, excepté les gens qui approchent les Seize, et qui resteront parmi les troupes pour attendre le signal.

CALENDARO

Voilà des paroles qui répandent dans mes veines une nouvelle vie; vos hésitations continuelles m'avaient rendu malade; les jours succédaient aux jours, et ne faisaient qu'ajouter de nouveaux anneaux à nos chaînes. De fraîches offenses infligées à nos frères, à nous-mêmes, redoublent encore à chaque instant l'arrogance et la force de nos tyrans. Laissez-nous courir sur eux, peu m'importent les conséquences qui seront après tout la mort ou la liberté; mais mon cœur saigne d'attendre toujours vainement l'une ou l'autre.

ISRAEL BERTUCCIO

Calendaro, morts ou vivans, nous serons libres, le tombeau n'a pas de chaînes. Vos montres sont-elles en règle? et les seize compagnies sont-elles complétées à soixante?

CALENDARO

Toutes, à l'exception de deux dans lesquelles manquent vingt-cinq hommes.

ISRAEL BERTUCCIO

Nous pouvons nous en passer. Quelles sont ces deux compagnies?

CALENDARO

Celles de Bertram et du vieux Soranzo; ils montrent pour notre cause moins d'ardeur que les autres.

ISRAEL BERTUCCIO

Votre bouillant caractère accuse de froideur tous ceux qui ne partagent point votre impatience; mais; croyez-moi, dans les esprits les plus concentrés comme dans les plus emportés, on peut rencontrer un courage également intrépide; ne redoutez rien d'eux.

CALENDARO

Je ne crains rien du vieillard, mais il y a dans Bertram une disposition compatissante qui peut devenir fatale à une entreprise comme la nôtre. J'ai vu cet homme insensible à sa propre misère, bien que la plus grande, pleurer sur celle des autres comme un enfant; et dernièrement encore j'ai remarqué que, dans une querelle, la vue du sang l'avait fait trouver mal; c'était pourtant celui d'un misérable.

ISRAEL BERTUCCIO

Les vrais braves ont les yeux et le cœur tendres, ils gémissent souvent de ce que le devoir leur ordonne. Je connais de long-tems Bertram, jamais sur la terre il ne fut d'ame plus loyale.

CALENDARO

Cela peut être, je crains moins la trahison que la faiblesse; après tout, comme il n'a ni maîtresses, ni femmes pour profiter de sa mollesse d'esprit, on peut le mettre à l'épreuve. C'est par bonheur un orphelin sans autres amis que nous; mais une femme, un enfant l'auraient trouvé moins résolu qu'eux-mêmes.

ISRAEL BERTUCCIO

De pareils liens n'ont plus de force sur les ames appelées à la haute destinée d'extirper de leur patrie le germe de la corruption. Il nous faut oublier tous nos sentimens, à l'exception d'un seul. – Il nous faut déposer toutes les passions qui ne serviraient pas notre grand projet; il ne faut plus voir qu'une chose, notre patrie, et regarder la mort comme un objet d'envie, si le sacrifice de nos jours est accueilli par le ciel et sanctionne à jamais la liberté de nos concitoyens.

CALENDARO

Mais si nous échouons?

ISRAEL BERTUCCIO

Mourir pour une belle cause, ce n'est pas échouer: le sang des victimes peut arroser l'échafaud; leurs têtes peuvent se dessécher au soleil; leurs membres être exposés aux portes des villes, aux créneaux des citadelles, mais leur ame planera toujours au-dessus victorieuse. Que les années se pressent et que d'autres infortunés partagent leur sort, tout cependant contribuera à les grandir dans la pensée et dans les profonds regrets de la postérité, et c'est encore à leurs voix que le monde s'élancera plus tard vers la liberté. Que serions-nous aujourd'hui, si Brutus n'avait pas existé? Il mourut en voulant affranchir Rome; mais il laissa une leçon qui ne mourra jamais, – un nom devenu un talisman, une ame qui se multipliera à l'infini au travers des siècles, tant que les hommes pervers jouiront du pouvoir, tant que les peuples pencheront vers la servitude. On les surnomma, lui et son digne ami, les derniers des Romains. Reconnaissons-les pour nos dignes pères, et soyons les premiers des nobles Vénitiens.

CALENDARO

Nos pères n'auront pas échappé au joug d'Attila, en se réfugiant dans ces îles où des palais se sont élevés à leurs voix sur des sables ravis aux inondations de l'Océan, pour reconnaître, à la place du roi des Huns, la tyrannie de mille despotes. Mieux eût valu mille fois fléchir devant lui; mieux eût valu prendre pour souverain un Tartare que ces hommes, mélange odieux de bassesse et d'orgueil! Le premier, du moins, était un homme: il avait pour sceptre son épée. Ces êtres, sans autre force que leurs lâches artifices, commandent à nos glaives, et nous gouvernent d'un mot comme par l'effet d'un charme.

ISRAEL BERTUCCIO

Il sera bientôt rompu. Vous dites que tout est prêt; je n'ai pas fait aujourd'hui ma ronde accoutumée, et tu sais bien pourquoi; mais ta vigilance aura suppléé parfaitement la mienne: grâce à l'ordre que nous a donné le dernier Conseil de redoubler d'efforts pour réparer la flotte, nous avons pu, sans éveiller des soupçons, introduire dans l'arsenal un grand nombre de nos affidés, soit comme autant d'ouvriers nécessaires à l'équipement, soit comme des recrues faites à la hâte pour compléter l'armement projeté. – Tous ont-ils reçu des armes?

CALENDARO

Oui; ceux du moins dont nous étions sûre; il en est quelques-uns qu'il serait bon de tenir dans l'ignorance jusqu'au moment de frapper, et d'avoir seulement alors recours à eux; quand, dans la chaleur et la confusion générales, ils n'auront aucun prétexte de ne pas agir, et suivront aveuglément ceux qui sauront les conduire.

ISRAEL BERTUCCIO

Fort bien dit; – et avez-vous remarqué tous ceux de cette espèce?

CALENDARO

La plupart du moins: j'ai d'ailleurs averti les autres capitaines d'avoir les mêmes précautions avec ceux de leurs compagnies. Autant que j'ai pu voir, nous sommes assez nombreux pour assurer le succès de l'entreprise, si nous commençons demain; mais chaque heure de retard nous expose à un millier de périls.

ISRAEL BERTUCCIO

Il faut que les Seize se réunissent à l'heure habituelle, excepté Soranzo, Nicoletto Blondo, et Marco Giuda, qui feront la garde dans l'arsenal, et prépareront tout en attendant le signal dont nous conviendrons.

CALENDARO

Nous n'y manquerons pas.

ISRAEL BERTUCCIO

Les autres se réuniront ici; j'ai à leur présenter un étranger.

CALENDARO

Un étranger? – Est-il dans le secret?

ISRAEL BERTUCCIO

Oui.

CALENDARO

Et vous n'avez pas craint d'exposer la vie de vos amis en vous confiant imprudemment à quelqu'un que vous ne connaissiez pas?

ISRAEL BERTUCCIO

Je n'ai risqué d'autre vie que la mienne-quant à cela, vous pouvez en être sûrs. C'est un homme qui peut doubler nos chances de réussite en se joignant à nous, et qui, s'il s'y refuse, n'en est pas moins à notre merci. Il viendra seul avec moi, il ne peut nous échapper, mais il ne voudra pas s'esquiver.

CALENDARO

Avant de l'avoir vu, je ne veux pas le juger. – Est-il de notre condition?

ISRAEL BERTUCCIO

Oui; du moins par ses sentimens, bien qu'il soit né de parens nobles; c'est un homme fait pour relever ou renverser un trône. – Un homme qui a fait de grandes choses, et vu bien des catastrophes; ennemi des tyrans, bien qu'élevé à l'ombre de la tyrannie; intrépide à la guerre et sage au conseil; noble de cœur, bien qu'il le soit de race; emporté sans être imprudent, et avec tout cela doué d'une ame énergique et passionnée, que l'on a blessée dans ses affections les plus délicates; et une fois aigri et insulté, il n'est pas de furie dans les fastes de la Grèce semblable à celle qui, de ses mains brûlantes, lui dévore les entrailles, et le rend capable de tout pour obtenir vengeance. Ajoutez qu'il porte un cœur généreux, qu'il voit et comprend l'oppression du peuple, qu'il partage ses souffrances. A tout prendre, en un mot, nous aurons besoin de tels gens, et de tels gens ont besoin de nous.

CALENDARO

Et quel sera le rôle que vous prétendez lui faire jouer parmi nous?

ISRAEL BERTUCCIO

Peut-être celui de chef.

CALENDARO

Quoi! vous déposeriez entre ses mains le commandement!

ISRAEL BERTUCCIO

Vous l'avez dit. Mon but est de faire triompher notre cause, et non de me pousser au pouvoir. Mon expérience, votre propre choix, quelque habileté peut-être, m'avaient désigné pour occuper le poste de commandant jusqu'à ce qu'il s'en présentât un plus digne: et ce dernier, si je l'ai trouvé comme vous-mêmes vous pourrez le décider, pensez-vous que l'égoïsme puisse me faire hésiter un instant, et qu'ambitieux d'une autorité passagère, je sacrifie à de misérables vues nos graves intérêts, plutôt que de la céder à quelqu'un que des qualités mille fois supérieures appellent à l'honneur de nous conduire? Non, non, Calendaro, connaissez mieux votre ami, mais tous vous pourrez en juger. – Séparons-nous, et songeons à nous trouver réunis pour l'heure indiquée. De l'activité, et tout ira bien.

CALENDARO

Généreux Bertuccio, je vous ai toujours connu loyal et intrépide, et toujours vous m'avez vu prompt à exécuter les plans que votre tête et votre cœur avaient combinés. Je ne demande donc pas d'autre chef; quant à ce que décideront les autres, je l'ignore, mais dans tout ce que vous résoudrez je suis à vous comme je l'ai toujours été. Adieu, nous nous reverrons à minuit.

(Ils sortent.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
(Une place entre le canal et l'église de Saint-Jean et Saint-Paul: au-devant une statue équestre. – Dans le canal on aperçoit, à quelque distance, une gondole.)
LE DOGE. Il entre seul et déguisé

Je vais donc entendre l'heure-l'heure, dont le son, en se prolongeant dans le silence de la nuit, devrait frapper ces palais d'un ébranlement sinistre, et, faisant tout-à-coup tressaillir leurs marbres, arracher ceux qui dorment encore à quelque hideux songe, présage avant-coureur de tout ce qui les menace. Oui, ville orgueilleuse, il faut te délivrer du sang impur; qui fait de ton enceinte le refuge de la tyrannie. C'est à moi que ce devoir est imposé, je ne l'ai pas demandé: je fus même puni de l'insouciance avec laquelle j'ai vu cette contagion patricienne se répandre en tous lieux jusqu'au moment où elle troubla mon sommeil; moi aussi, je suis infecté, et il faut effacer mes taches pestilentielles dans une onde salutaire. – Voilà le temple colossal où reposent mes pères! Leurs sombres statues répandent leur ombre sur les dalles qui seules séparent les vivans d'avec les morts; là, tous les grands cœurs de notre fière maison sont réunis dans une urne, et après avoir animé de nombreux héros, forment aujourd'hui dans des caveaux souterrains une pincée de poussière. – O toi, temple des saints gardiens tutélaires de notre maison! voûtes où dorment deux Doges mes aïeux, morts, l'un de ses travaux, l'autre sur les champs de bataille; et près d'eux, une longue suite de nobles ancêtres, grands hommes de guerre et d'état, dont j'ai reçu en héritage les grands soucis, les blessures et le haut rang, – entr'ouvre en ce moment leurs tombes, et peuplant tes ailes de leurs ombres illustres, laisse-les sortir de leur retraite pour me contempler. Je les prends tous à témoin des motifs qui m'ont fait accepter une pareille tâche. J'en appelle au sang généreux qui les animait, à la gloire de leur blason, à leur grand nom enfin, déshonoré en moi, et non par moi, mais par d'ingrats patriciens que nous avons protégés pour les conserver nos égaux et non pour en faire nos maîtres. – J'en appelle à toi surtout, brave Ordélafo, qui mourus en combattant dans les plaines de Zara: réponds, l'hécatombe que ton descendant y dressa avec le sang de tes ennemis et de ceux de Venise, méritait-elle une pareille récompense? Ames sublimes, abaissez sur moi vos bienveillans regards; ma cause est la vôtre autant que la vie présente peut encore se rattacher à vous. – Votre gloire, votre nom m'a été transmis; tout se rattache au sort futur de notre commune race. Favorisez mes desseins, je rendrai cette cité immortelle et libre, et le renom de notre famille, digne, plus digne aujourd'hui et pour jamais de ce que vous fûtes autrefois.

(Entre Israël Bertuccio.)
ISRAEL BERTUCCIO

Qui va là?

LE DOGE

Ami de Venise.

ISRAEL BERTUCCIO

C'est lui. Salut, monseigneur; vous êtes en avance.

LE DOGE

Je suis prêt à me rendre à votre réunion.

ISRAEL BERTUCCIO

Deux mots, auparavant-certes je suis fier et ravi de votre confiant empressement. Ainsi vos doutes sont dissipés depuis notre dernière entrevue?

LE DOGE

Non pas-mais j'ai mis sur cette chance le peu de vie qui me reste: le dé était déjà jeté quand j'ai pour la première fois prêté l'oreille à vos projets de trahison. – Ne frémissez pas, c'est le mot, et je ne puis façonner ma langue à donner de beaux noms à des actions repoussantes, tout en étant déterminé à les commettre. Dès l'instant où je vous permis de tenter votre souverain sans vous faire aussitôt charger de chaînes, je devins le plus coupable de vos complices: maintenant faites, si cela vous convient, pour moi, ce que j'aurais pu faire pour vous.

ISRAEL BERTUCCIO

Voilà, monseigneur, des paroles étranges et bien peu méritées; je ne suis pas un espion, et ni vous ni nous ne sommes des traîtres.

LE DOGE

Nous! -nous!, – Peu importe, vous avez acquis le droit de me confondre avec vous. – Mais, au point important-si cette tentative réussit, et que Venise, plus heureuse, conduise dans la suite sur nos tombes respectées ses générations affranchies; si ses enfans, de leurs petites mains, viennent jeter des fleurs sur la cendre de ses libérateurs, sans doute alors les effets auront sanctifié notre cause, et nous serons inscrits tels que les deux Brutus dans les annales de l'avenir! Mais s'il en est autrement, si nous échouons, après avoir tramé de secrets complots et recouru au glaive homicide, alors, malgré nos intentions généreuses, nous serons encore des traîtres, honnête Israël-toi, non moins que celui qui était ton souverain il n'y a pas six heures, et qui maintenant partage en frère votre rébellion.

ISRAEL BERTUCCIO

Je pourrais vous répondre; mais ce n'est pas le moment de nous arrêter à cela. Allons au rendez-vous, on pourrait nous observer si nous nous arrêtions ici.

LE DOGE

Nous le sommes, et nous l'avons été.

ISRAEL BERTUCCIO

Observés! et par qui? – ce fer-

LE DOGE

Remettez-le; il n'y a pas ici de témoin mortel: regardez là-que voyez-vous?

ISRAEL BERTUCCIO

Seulement la statue d'un grand homme d'armes sur un fier coursier, qui se détache dans la faible lumière de la lune.

LE DOGE

Eh bien! cet homme d'armes, c'était le père des ancêtres de mon père: cette statue lui fut érigée par Venise, qu'il avait deux fois sauvée. – Pouvez-vous distinguer s'il nous regarde ou non?

ISRAEL BERTUCCIO

Pure imagination, monseigneur; les yeux sont refusés au marbre.

LE DOGE

Mais non pas aux morts. Je te le répète, il y a dans ces objets un esprit qui agit et voit encore; qu'on ne voit pas, mais que l'on sent; et, s'il existe un charme capable de réveiller les morts, il n'en peut exister de plus forts que les motifs qui nous réunissent. Te semble-t-il que des ames comme celles, de ma race puissent reposer, quand moi, leur dernier descendant, je viens comploter sur le seuil de leurs sépulcres avec des plébéiens?

ISRAEL BERTUCCIO

Mais vous auriez aussi bien fait de peser tout cela avant de vous engager dans notre grande entreprise. – Vous en repentiriez-vous?

LE DOGE

Non-mais je sens l'étendue de ma résolution; je ne l'oublierai jamais; je ne puis renoncer tout d'un coup à une vie de gloire, ni me ravaler à ce que nous allons faire; en un mot, je ne puis commander le massacre sans un instant de pose. Ne craignez rien, cependant; ces réflexions elles-mêmes et le souvenir de ce qui m'a conduit au milieu de vous doit vous servir de garantie. Il n'est pas, dans votre troupe, d'ouvriers aussi impatiens que je le suis, aussi avides d'une justice implacable, et les moyens auxquels ces odieux tyrans m'ont forcé à recourir me les font abhorrer mille fois plus encore, augmentent encore ma soif de vengeance.

ISRAEL BERTUCCIO

Avançons-écoutez-l'heure sonne.

LE DOGE

Allons, c'est le signal de notre mort ou de celle de Venise. – Marchons.

ISRAEL BERTUCCIO

Dites plutôt que c'est le signal triomphant de sa liberté naissante. – De ce côté. – Nous touchons au lieu de la réunion.

(Ils sortent.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
04 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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