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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 7

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Montmartre. – Le Musée de Cluny

Journée encore bien remplie: le matin à Montmartre, l’après-midi à Cluny, le soir au théâtre.

Le nombre des curieux et des pèlerins qu’attire l’église du Sacré-Cœur est considérable. Cette construction grandiose, dans le style bysantin, de cent mètres de long, et dont la flèche aura quatre-vingts mètres de haut, s’élève sur une éminence qui a elle-même cent vingt-huit mètres d’altitude. C’est de ce site exceptionnel qu’il faut voir Paris et tous ses monuments. La vue de cette grande capitale, se développant aux pieds de la magnifique basilique qui la domine et semble la protéger, est indescriptible. C’est de là qu’il faut contempler la tour Eiffel, pour comprendre sa prodigieuse hauteur.

En ce moment on ne peut juger la basilique du Sacré-Cœur, enfouie comme elle l’est dans les échafaudages. De loin, on ne peut pas non plus se rendre compte des fondations cachées dans le sol. Ces fondations sont déjà une première église souterraine, qui à elle seule coûte plus de quatre millions. Quoi qu’il en soit, je crains que l’ensemble ne paraisse toujours un peu lourd, un peu écrasé.

Jusqu’à présent, vingt-deux millions ont été dépensés, mais les recettes sont supérieures à ce chiffre, l’argent ne manquera pas. Le devis général s’élève à quarante millions.

Actuellement quatre clochetons dégagés de tout échafaudage, se détachent de la maçonnerie. Au milieu, s’élève la niche monumentale dans laquelle sera placée plus tard la statue du Sacré-Cœur. On n’a point encore commencé la grande coupole tout en pierre (c’est un des caractères distinctif de cet édifice colossal, qu’il n’y entre ni fer, ni bois, ni ardoises), devant être placée à l’intersection de la nef et du transept: elle sera dans le style de Saint-Pierre de Rome. L’échafaudage pour la construction de cette coupole ne sera pas une petite affaire.

La deuxième plate-forme atteindra juste à la hauteur de la colonne Vendôme. Sur cette plate-forme on dressera deux sapines de vingt mètres de hauteur chacune, et qui seront reliées par des croisillons. On se trouvera alors à la hauteur de cinquante-trois mètres, et ce ne sera pas fini. Sur ces sapines mêmes, il faudra élever une énorme charpente de dix-huit mètres, laquelle atteindra la naissance de la flèche, en sorte que le sommet de l’échafaudage se trouvera à soixante-douze mètres au-dessus du sol. Ainsi construit, cet échafaudage aura coûté cent cinquante mille franc.

Après cela on songera au campanile qui ne mesurera pas moins de quatre-vingts mètres de haut. Il y aura encore l’installation de l’éclairage électrique dans toute la basilique, et l’organisation des combles sur lesquels on pourra se promener. Plusieurs centaines de personnes pourront aller et venir, comme en plein boulevard, sur les toitures tout en pierre de l’édifice, d’où on jouira d’un splendide panorama, la vue s’étendant sur un espace de près de soixante kilomètres autour de Paris.

Un escalier intérieur, très bien éclairé par des prises de jour pratiquées dans l’épaisseur des murs, conduira sur ces toitures, d’un travail jusqu’ici inconnu.

C’est dire qu’il faudra encore plusieurs années pour que ce plan gigantesque soit entièrement achevé. La mosaïque sera l’ornementation intérieure des murs. Cette décoration des basiliques primitives s’harmonisera d’ailleurs mieux que toute autre avec le style byzantin.

Toutes les chapelles sont affectées aux grandes corporations modernes, Chapelles de la Marine, de l’Armée, de la Justice sous le vocable de Saint-Louis, des Arts, de l’Industrie, du Commerce. Les chasseurs auront aussi la leur due à l’initiative de Monsieur le Comte de Chabot et c’est la duchesse d’Uzés qui sculpte, m’a-t-on dit, la grande statue de Saint-Hubert qui en sera le principal ornement. Le croirait-on, la corporation qui passe pour la plus athée, la plus irréligieuse, y est aussi représentée, les médecins auront leur chapelle.

On est admis à faire figurer son nom parmi les fondateurs de l’Eglise sur des pierres qui coûtent cent vingt et trois cents francs, suivant qu’elles sont plus ou moins en vue. Treize mille trois cent quatre-vingt-trois pierres à cent vingt francs et deux mille sept cent douze à trois cents francs sont déjà retenues, il faut y ajouter la demande de cent quatre-vingt-dix-huit claveaux et de trente-trois pierres de bandeaux.

C’est à Annecy que se fera le moulage de l’énorme cloche La Savoyarde, qui sera la reine des bourdons de France, offerte par la Savoie, son nom l’indique.

Ce bourdon, du poids de près vingt mille kilogrammes, de quatre mètres de haut, de dix mètres de circonférence, donnera comme son, le contre ut, et s’entendra à quarante kilomètres.

Le battant en fer forgé sera du poids de huit cent trente-cinq kilos; l’anneau qui le fixera au cerveau de la cloche, à lui seul pèsera quatre-vingt-quatorze kilos.

Le mouton de bois qui supportera la Savoyarde doit-être taillé en plein cœur de chêne, dans un arbre superbe, un des rois des forêts du Limousin, offert par le comte de Montbron.

La Savoyarde ne sera pas encore la plus pesante des cloches fondues jusqu’à ce jour.

On sait, en effet, que la fameuse cloche de Moscou, la Géante, était si lourde qu’il fallait vingt-cinq hommes pour la mettre en branle. Son poids était de trois cent mille livres.

En Chine, notamment à Pékin, on en voit plusieurs qui pèsent soixante mille kilos.

A Marseille, le bourdon de Notre-Dame-de-la-Garde est d’un poids d’environ dix-huit mille kilos.

Quant à la célèbre cloche de la «Liberté», à Philadelphie, elle pèse cent cinquante mille livres, et il faut douze hommes pour la mouvoir.

En ce moment les dames catholiques parisiennes et provinciales travaillent avec zèle au tapis splendide qui ornera le chœur.

Le dessin de ce tapis représente Paris et Montmartre, qui se trouvent au centre. Les armes de Paris, soutenues par deux grandes chimères, sont placées dans la partie inférieure et accostées à droite et à gauche par deux blasons rappelant que Henri IV et Jeanne d’Arc ont campé l’un et l’autre à Montmartre avec leurs soldats.

Au-dessus de Paris, sur la première marche de l’autel, l’abbaye de Montmartre représentée par ses trois écus successifs. Celui du milieu est la croix de Lorraine. Deux motifs de style roman, enguirlandés de banderoles, portant le nom des nobles ouvrières, sont placés sur les côtés; enfin, dominant tout l’ensemble, les armoiries des deux archevêques constructeurs de la basilique. Ce tapis reviendra à cent mille francs.

Chacun sait que c’est à Poitiers en 1871, pendant nos désastres que le vœu national prit naissance. Approuvé par les évêques, béni par sa Sainteté Pie IX, adopté par des milliers d’adhérents, reconnu d’utilité publique par l’assemblée législative, on peut dire qu’il est devenu moralement grand et vraiment national.

Durant ma visite de ce matin, c’est du fond du cœur que j’ai demandé à Dieu qu’il répande ses meilleures bénédictions sur ma chère patrie.

Le musée de Cluny ou Palais des Thermes oblige à faire un peu d’histoire. Le palais primitif entouré de magnifiques jardins fut l’œuvre des Romains. A partir du IVe siècle, les rois Francs l’habitèrent jusqu’au Xe; puis il fut abandonné et les Normands achevèrent en partie sa ruine. Au XIVe siècle, il fut acheté par Pierre de Chalus, abbé de Cluny, et resta, jusqu’à la révolution, la propriété des moines qui d’ailleurs possédaient déjà, auprès de la Sorbonne, un collège ayant une grande réputation. En 1790, il devint propriété nationale, fut vendu et passa en plusieurs mains.

M. du Sommerard l’achète en 1833 pour y installer des curiosités archéologiques, des meubles rares, des objets d’art qu’il a passé la plus grande partie de sa vie à réunir. Ce vieux palais n’est-il pas un cadre à souhait pour y collectionner des antiquités? Hautes murailles crénelées, fenêtres à meneaux, balustrades ajourées, portes avec arc surbaissé, clochetons, gargouilles, frises enguirlandées d’animaux et de feuillages finement fouillés dans la pierre. La chapelle est un bijou d’élégance à mettre dans un écrin, comme le Campanile de Florence que Charles-Quint trouvait si beau qu’il aurait voulu le conserver dans un étui.

M. du Sommerard qui avait consenti à céder ses collections à la ville de Paris pour la somme de cinq cent quatre-vingt dix mille francs, et à la condition d’en rester le conservateur, mourut en 1842.

«La ville de Paris ayant alors pris possession effective de l’hôtel et des collections, les rétrocéda à l’Etat l’année suivante, avec les ruines romaines des Thermes de Julien, limitrophes de l’hôtel de Cluny.

Ces ruines, seuls vestiges de l’occupation de Lutèce par les Romains, servaient autrefois de caves à un tonnelier, et les voûtes, couvertes de terre végétale, soutenaient un jardin où le brave homme cultivait des légumes, et même aussi des arbres fruitiers. Louis XVIII fit abattre, en 1820, les maisons qui obstruaient ces ruines curieuses, fit enlever les terres qui les écrasaient, et restituer la forme des bâtiments enfouis, par un travail de restauration intelligente; des fouilles habilement menées amenèrent de nouvelles découvertes intéressantes.

La partie la mieux conservée est la grande salle, dont la voûte s’élève à quarante pieds de hauteur, d’une architecture étonnante par le grandiose des proportions. On croit que ce hall immense constituait la piscine froide des bains romains».

Le musée rétrospectif de Cluny est un amas, une profusion de richesses qu’il faut aller voir et revoir, Voilà des meubles incomparables de tous les pays, des tapisseries merveilleuses, des tombeaux, des bas-reliefs, des autels, des chaires, un lutrin gothique, des cheminées superbes, des médailles, des émaux, des ivoires, d’admirables dentelles, des objets de serrurerie et de ferronnerie, des panoplies encombrées d’armes de toutes les époques, des marbres, des bronzes, des tableaux, des vitraux, des statues, des vases précieux, des bijoux anciens, des instruments de musique extraordinaires, des voitures de galla, des chaises à porteurs d’une élégance hors-ligne, des traîneaux sculptés en forme de cygne; les carrosses sont magnifiques et vraiment «beurrés d’or», suivant l’expression pittoresque d’un gardien.

La collection céramique m’a paru très remarquable par ses nombreux spécimens de tous les temps et de toutes les écoles: faïences hollandaises, italiennes, mauresques, arabes, chinoises, japonaises et françaises comprenant les plus beaux modèles de Bernard Palissy.

La collection de chaussures m’a également intéressée. La chaussure, comme la numismatique, raconte l’histoire des peuples d’une façon plus fragile, sans doute, que le bronze ou l’argent, mais la forme des souliers a varié sous chaque règne, et cela est tout à fait amusant à constater. Anciennement, n’était pas cordonnier qui voulait, ce n’était pas une mince corporation que celle de la chaussure. Au XIVe siècle Paris avait une rue qui s’appelait: la rue Aux Petits Solers de Bazenne, et ce nom lui venait des cavetonniers ou fabricants de petits solers, qui s’y trouvaient en grand nombre. On peut voir à la bibliothèque nationale une ordonnance du roi Jean datée du 30 Janvier 1350, dans laquelle sont indiqués les prix des diverses chaussures depuis huit deniers jusqu’à quatre sols. Au XIIe siècle, les souliers sont pointus; puis viennent les souliers à la poulaine, mode inventée par un comte d’Anjou qui avait une difformité aux pieds. On finit par allonger si démesurément cette pointe recourbée, qu’on nomme poulaine, que l’Eglise s’en mêle et la défend aux clers et aux moines. Charles V à son tour fait paraître un édit qui proscrit la poulaine sous des peines sévères. Il paraît qu’avant nous les Grecs et les Romains avaient donné l’exemple en portant d’extravagantes chaussures. Nous en avons comme preuve ces sages paroles de Cicéron: «Si vous me donniez, dit-il, des souliers sicyoniens, je ne m’en servirais pas: c’est une chaussure trop efféminée, j’en aimerais peut-être la commodité; mais à cause de son indécence, je ne m’en permettrais pas l’usage».

La poulaine cède le pas à la chaussure large, très large, et donne lieu à la phrase proverbiale que nous prenons maintenant au figuré: Etre sur un grand pied. Du reste, dès le VIIIe siècle, nous voyons les souliers accentuer fortement la forme du pied droit et la forme du pied gauche pour mettre à l’aise les cors qui font souffrir les natures sensibles.

Le soulier se présente sous Louis XIV avec un talon rouge modérément haut pour les hommes, ridiculement élevé pour les femmes, voici pourquoi: la Reine Marie-Thérèse d’Autriche est de petite taille, elle ne trouve d’autre moyen de corriger ce défaut naturel qu’en portant des talons pyramidaux. Le peuple, les religieux et les religieuses gardent des souliers plats, et ce soulier plat fut pour Mme de la Vallière, lorsqu’elle entra aux Carmélites, un assujetissement des plus pénibles à cause de sa claudication. La cour enjoliva ses talons de peintures charmantes représentant des amours, des fleurs, des bergères signées Watteau. Sur les talons de Louis XIV étaient peintes des batailles signées Joseph Sarrocel.

Sous Louis XV, les dames portent des mules avec escarboucles, et la Camargo inaugure à l’Opéra un soulier qui fait fortune. La Pompadour revient aux souliers pointus avec une rosette et une boucle, cette mode passe à la chaussure des hommes et Louis XVI élargit si bien la boucle de ses souliers qu’elle effleure le parquet des deux côtés. Après la Terreur, nous voyons paraître timidement la bottine pour dame et la botte hessoise et Souvaroff pour homme.

Je ne sais si l’on collectionnera nos chaussures actuelles; mais en tout temps le soulier ne devrait avoir qu’une devise: commodité.

Le temps passe… avant de partir je veux donner un coup d’œil aux dentelles. Il y a là des points à l’aiguille et de vieilles guipures sortis bien certainement de la main des fées. Où sont-elles les élégantes, les reines de la mode ou les vraies reines, peut-être, dont elles faisaient jadis ressortir la beauté?

 
«Quoique j’aye assez de beauté
«Pour asseurer sans vanité
«Qu’il n’est point de femme plus belle
«Il semble pourtant à mes yeux
«Qu’avec de l’or, de la dentelle
«Je m’ajuste encore bien mieux!»
 

La beauté des choses a été plus durable que celle des personnes.

Je reviendrai certainement passer quelques heures encore dans ce musée qui est une évocation saisissante des richesses et des splendeurs du passé.

Mercredi, 25 Septembre 1889.

"Le Prince Soleil" au Châtelet.
Le Dôme Central.
L’Exposition de nos manufactures nationales

C’est hier soir que nous étions au Châtelet. Ah! quelle féerie que Le Prince Soleil! C’est un rêve vécu dont il est impossible de rendre compte. Vingt-deux tableaux se succèdent, tous plus extraordinaires, plus fantastiques les uns que les autres. Le ballet est un fouillis de maillots roses et de jupes de gaze. La danseuse étoile et la Mouche d’or font des merveilles; la danse des éventails est pleine d’originalité, où vous voyez cent cinquante personnes accompagnent en s’éventant, les plus jolis airs. Il y a un naufrage épouvantable où personne ne se noie. A la bonne heure, voilà comment je comprends les accidents en mer.

On voit la Suède, le Portugal, Gibraltar, l’Océan Indien, le Japon, le royaume du soleil; on assiste à des fêtes populaires et à des réceptions royales, dont tous les personnages, vêtus de soie, de pierreries et d’or, se meuvent dans des décors étincelants. Bref, de huit heures du soir à minuit, on voyage en plein conte de fées. C’est une fascination, un éblouissement à vous donner le vertige. Ah! sultane Schehérazade, où êtes-vous? Vos récits deviennent ternes comme un coucher de lune comparé aux éclatants rayons du Prince Soleil.

Quand vous arrivez de l’Exposition, on vous demande tout de suite: «Avez-vous vu la Tour, le Dôme central, le Palais des Machines?» Le fait est que cette trinité titanesque est bien faite pour vous troubler. On le serait à moins. Après cela vous percevez deux sentiments très distincts et diamétralement opposés: d’un côté, votre extrême petitesse personnelle; de l’autre, la prodigieuse grandeur de l’humanité!

Le Dôme Central est une œuvre superbe, «pondérée de lignes, harmonieuse de formes» d’une circonférence de trente-deux mètres de diamètre, et dont la coupole atteint une hauteur de cinquante-cinq mètres au-dessus du sol. Son ornementation est fort belle; quatre cartouches symboliques représentent les quatre forces principales de la nature appliquées à l’industrie: la vapeur, l’électricité, l’air et l’eau. Entre ces cartouches sont inscrits les noms des quatre arts que leur nature met en contact avec l’industrie: l’architecture, la sculpture, la peinture et la musique.

Tout en haut une peinture d’un grand effet, imitation de mosaïque, représente la caravane des peuples du globe dans leur costume national et pittoresque, marchant à ce rendez-vous général qu’on nomme l’Exposition.

Ce magnifique dôme renferme de magnifiques choses; contenant et contenu sont dignes l’un de l’autre.

Nos quatre grandes manufactures nationales s’épanouissent ici: Sèvres, Beauvais, les Gobelins et les mosaïques de l’Ecole du Louvre. Celles-ci, déjà remarquables quoique ne datant que d’hier. Quant aux tapisseries des Gobelins, malgré les produits admirables des Orientaux, elles restent sans rivales. Ces panneaux sont de véritables peintures où les nuances sont aussi fondues, aussi adoucies que celles d’un pinceau. Les porcelaines de Sèvres sont bien belles aussi: pâtes irréprochables, dures ou tendres, ainsi que cette porcelaine nouvelle, faite d’une pâte ni dure ni molle et qui rappelle celle de Chine, dont les Célestes gardent toujours le secret; peintures d’une finesse exquise, dessins d’une correction parfaite, mais point de nouveautés de genre ni de forme. Si j’osais hasarder une critique, je dirais que ce genre compassé, un peu raide et régulier, paraît presque démodé, si on le compare à l’imprévu des décorations, au caprice et à l’élégance de formes des autres expositions. La fantaisie qui se niche partout n’a point encore osé franchir le seuil de Sèvres qui reste le temple austère de l’art classique. Après cela, on entre dans un torrent de merveilles qui vous entraîne à l’infini, et l’on rapporte, de cette vision féerique, un fouillis inextricable de souvenirs…

Me voici donc devant une feuille blanche et un encrier noir, essayant de ressaisir, de rattraper tout ce que j’ai vu, mais c’est impossible; je ne puis me rappeler que ce qui m’a frappée davantage et d’ailleurs je suis encore si éblouie, toutes ces merveilles dansent ensemble une si jolie farandole dans mon imagination, que je sens bien que je ne pourrai jamais mettre d’ordre dans ma mémoire. Mais tous les livres ne sont-ils pas là pour vous promener méthodiquement et remettre les choses en place.

Jeudi, 26 Septembre 1889.

L’Hôtel de Ville

De la fenêtre de ma chambre, je plonge sur plusieurs cours intérieures, sombres, étroites, sales! J’entrevois le réduit noir d’un charbonnier, le pétrin d’un boulanger, le four d’un pâtissier, le laboratoire d’un charcutier. Ah! ce dessous de Paris est bien à l’antipode du dessus, et je n’aurais jamais cru que le beau côté pouvait avoir un si vilain envers. De quels antres sortent cette charcuterie appétissante, ces affriolants gâteaux, ces excellents petits pains frais, croissants d’un sou, croissants de deux sous, qui tiennent une si grande importance dans la boulangerie parisienne. Certaines maisons en vendent jusqu’à dix mille par jour. Le pain de Paris, au dire des étrangers, des provinciaux, et je suis de ce nombre, est du vrai gâteau. Le pain de luxe se divise en deux grandes variétés: le pain français et le pain viennois. Celui-ci est plus agréable au goût; mais ne se conserve pas. Détail plein d’enseignement: le pain viennois, aujourd’hui le pain de consommation courante à Paris, ruina celui qui en inaugura la vente. Le comte Zang, secrétaire de l’ambassade d’Autriche, fonda, en 1840, la première boulangerie qui se servit des procédés de fabrication communément employés à Vienne. Le comte Zang avait installé sa boulangerie rue Richelieu. Dès le matin, on faisait queue pour acheter ses petits pains et ses croissants. Le comte Zang, grisé par le succès, voulut faire grand et se ruina en frais d’installation. Il dut quitter Paris après les évènements de 1848.

Mais le pain viennois est resté à la mode. C’est celui qu’on vous présente, fluet et à gerçures, en tire-bouchon, rond, et cinq fois fendu; celui-ci a nom: «l’Empereur»; il y a aussi le petit mirliton Richelieu et le brahoura ou nonette.

Cependant le pain français est d’une vente plus considérable que le pain viennois.

Le plus apprécié des pains de luxe français est le pain de gruau. Puis viennent le pain de gluten, le pain de seigle, le pain noir, ce qui ne laisse pas que d’étonner fort nos paysans bas-bretons, qui s’écrient d’un ton de suprême dédain: «ça du pain de luxe, jamais! Fi donc!»

De mon lit, j’entends le refrain monotone d’un frileux grillon attiré par la chaleur du four. Il chante toute la nuit. Cette petite voix infatigable, qui domine toutes les rumeurs de la ville, me fait rêver. Il m’apporte comme un écho du pays: le grillon chante aussi à nos foyers bretons.

J’ai dépensé ma matinée à l’Hôtel de Ville et au bazar qui porte son nom. Ah! ce bazar, quelle cohue! quelle bousculade! Ce doit être un lieu de prédilection pour les pickpockets. Du reste nous voyons chaque jour aux fait-divers que ces honorables industriels ne savent pas résister à la tentation.

L’Hôtel de Ville est bâti sur l’emplacement même du magnifique Hôtel de Ville pétrolé, incendié par les communards de 1871, celui-ci avait coûté quinze millions. Celui-là atteindra le chiffre de vingt-cinq millions quand toutes les décorations intérieures seront terminées.

Voilà donc le monument qui remplace aujourd’hui la modeste maison aux Piliers de 1529.

Dans ce temps-là les échevins royalistes étaient logés comme de simples bourgeois, aujourd’hui nos édiles socialistes sont logés comme des rois.

Il y a beaucoup de gens ainsi: autocrates pour tout ce qui est au-dessous d’eux, égalitaires pour tout ce qui est au-dessus. J’ai connu un maître de maison, imbu de ces bons principes qui n’a jamais permis que ses domestiques mangeassent du poulet.

Revenons à l’Hôtel de Ville actuel, l’un des plus beaux et des plus vastes monuments de Paris. Il présente un quadrilatère de cent cinquante mètres sur quatre-vingt-dix, et recouvre une surface de treize mille mètres carrés.

Très belle la cour d’honneur, dite cour Louis XIV, entourée d’une galerie vitrée. Encore plus belle la galerie vestibule du rez-de-chaussée, avec son plafond cintré en pierre et ses douze colonnes de six mètres de hauteur en granit de la Côte-d’Or, aussi beau que du marbre.

La partie centrale est précédée d’un parvis entouré de balustres de marbre et ornée de deux superbes bronzes: l’Art et la Science. Beaucoup de statues, ce qui donne grand air. Sur le fronton deux statues soutenant les Armes de la Ville, au-dessus une troisième statue assise personnifiant la Cité. Même décoration des deux côtés du cadran de l’horloge: un homme et deux enfants représentant le Travail et l’Etude.

Les quatre façades logent dans cent dix niches principales, les célébrités parisiennes: Jean Goujon, François Muiron, de Harley, l’Estoile, etc… Enfin des statues partout, même sur les toits.

J’ai visité les superbes appartements du préfet, non habités. Le conseil municipal, qui est un petit état dans le grand, a mis son veto. Il n’entend pas que le préfet s’installe chez lui, que dis-je, chez eux, et le préfet cède.

J’ai remarqué dans cette enfilade grandiose la salle des Prévôts où sont gravés, sur des plaques de marbre, les noms des Magistrats municipaux de la Ville de Paris. Cette salle est partagée en trois nefs, séparées par deux rangs de belles colonnes en pierre, la magnifique salle Saint-Jean de quarante-sept mètres de long sur dix-sept mètres de large, formant nef avec travées latérales.

C’est dans cette salle qu’a lieu le tirage au sort; chaque arrondissement occupe une travée, et c’est ainsi qu’elle peut contenir tous les conscrits de Paris à la fois. La Salle des Fêtes est au-dessus, un double escalier orné de statues de marbre y conduit. Cette salle est splendide, tout y est beau, sauf pourtant le plafond bien froid, bien nu et qui attend, faute d’argent probablement, les peintures de maîtres qui doivent l’embellir et l’harmoniser avec un ensemble qui ne laisse rien à désirer.

C’est égal, quand cette salle est remplie de belles toilettes, de fleurs, de musique, de lumière, le coup d’œil doit être féerique.

Cette après-midi nous avons fait quelques visites. J’ai été heureuse de voir enfin la Vicomtesse de Renneville, la fondatrice de la Gazette Rose qui fut longtemps le code very select du hight life, et avec laquelle j’étais en correspondance depuis plusieurs années sans la connaître.

On gratte en ce moment toutes les affiches des élections, ce travail qui ne semble rien ne coûtera pas moins de trente mille francs à la Ville de Paris.

Tous ces murs sont bariolés, c’est une débauche de couleurs et de noms, une véritable orgie de nuances, avec calembour. Quelques candidats, M. Hervé du Soleil, entr’autres, avaient eu recours à un procédé plus nouveau: à l’aide de je ne sais quel moyen, il a fait imprimer son nom sur l’asphalte des trottoirs. Les mauvais plaisants prétendent que c’est trop se mettre sous les pieds des électeurs. Sous leurs yeux, passe encore; mais sous leurs pieds…

Les élections de dimanche ont porté le coup fatal et final à Boulanger et au boulangisme.

Les collectionneurs vont avoir beau jeu. Collectionner est pour certaines gens une fièvre non intermittente. On collectionne tout depuis les boutons de culotte… jusqu’aux affiches électorales. Ces dernières font le bonheur des chiffonniers qui les vendent bien, et comme rien ne se perd, leurs débris servent à fabriquer des poupées, des bourres de fusils, et surtout des boutons de bottines.

Ces affiches, transformées en feuilles de carton de l’épaisseur d’un bouton, sont alors coupées en bandes, puis présentées à une machine qui découpe le bouton et fixe la tige qui formera la queue.

Les boutons sont durcis dans des étuves chauffées à cent cinquante degrés, puis vernis et séchés.

Une seule usine fabrique cinq millions de ces boutons par jour.

Grandeur et décadence des professions de foi!

Ce soir, dîner en ville chez des Parisiens pur-sang fort aimables, fort spirituels, mais qui ne comprennent pas qu’on puisse vivre ailleurs que dans leur Paris.

Vendredi, 27 Septembre 1889.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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