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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2», страница 6

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Le Jardin des Plantes, l’Eldorado

Longue promenade au Jardin des Plantes, magnifique parc d’une contenance d’environ trente hectares et comprenant le jardin botanique et les galeries zoologiques; le labyrinthe et la vallée suisse qui renferme la ménagerie.

Le jardin des Plantes est divisé dans sa longueur en deux parties bien distinctes symétriquement dessinées: l’une se compose des carrés de l’école botanique, des bosquets de printemps, d’été, d’automne, d’hiver, et des deux belles allées de tilleuls plantés par Buffon. La fosse aux ours, les serres et les pépinières la séparent de l’autre partie, qui se subdivise en vallée suisse et jardin anglais, lequel ne forme en définitive qu’un grand et un petit labyrinthe.

C’est sur le grand labyrinthe que s’élève le majestueux cèdre du Liban rapporté tout petit de Keew près Londres par Bernard de Jussieu, non dans son chapeau, comme le dit la légende, mais simplement dans un pot à fleur. Il n’y a pas de Suisse sans chalets, ceux-ci sont tous habités et forment le jardin zoologique à proprement parler.

J’ai fait comme les enfants et acheté les petits pains traditionnels qui doivent régaler les habitants de ce lieu de délices si apprécié du peuple parisien surtout. Nous avons donc fait la connaissance de Mignon, un jeune tigre, de mademoiselle du Cap, une superbe hyène, de la Cochinchinoise, une panthère solennelle et de son époux Gaston; de deux lions Jean-Bart et la belle Fathma, du tigre Néron et de la tigresse Joséphine, de Dora une ourse du Tonkin; ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que tous ces animaux arrivent à l’appel de leur nom, assurent leurs gardiens. Malgré les soins qu’on leur prodigue, ils semblent malheureux, étiolés, dans leurs cages grillées de quelques pieds, ces pauvres exotiques qui avant la captivité ne connaissaient que l’immensité des forêts ou des déserts. En revanche les ours n’ont point l’air d’engendrer mélancolie dans leurs fosses profondes; ils font les beaux, marchent debout, tendent les bras vers le public; celui-ci leur jette des morceaux de pain, qu’ils reçoivent très adroitement dans leur gueule ouverte.

Nous avons salué Rousset, Henriot, Tonkinois, Mathieu un ours brun, Matelot un ours cocotier, Firmin un ours bien léché, l’Africain, un ours terrible et le Petit-Vieux, doyen vénéré des ours du jardin, une belle assistance comme on voit.

Les zèbres sont également très voraces; leur grande mâchoire constamment dilatée est une cible que les enfants criblent de balles de mie de pain. Très bien éduqués aussi les éléphants: ce sont d’amusants escamoteurs d’une adresse charmante; leur trompe passe au-dessus de plusieurs personnes, pour venir prendre fort délicatement le morceau de gâteau que vous tenez en main.

De coquettes volières logent confortablement la gent emplumée. La belle collection des oiseaux doux et inoffensifs m’a charmée. Oiseaux aquatiques, oiseaux des montagnes, oiseaux des plaines, quelle variété de formes et de plumages! Comme les flamants sont donc jolis dans leur toilette rose! Tous ces cosmopolites ont leur cachet particulier; mais nos oiseaux français ont aussi leur mérite. Fauvettes, pinsons, mésanges, pierrots se donnent des airs d’écoliers en vacances qui font plaisir à voir.

Les serres, parfaitement entretenues, renferment d’innombrables spécimens de plantes exotiques; les deux plus grandes sont, dit-on, les plus belles serres de France, de véritables palais de cristal.

Tous les animaux volant, rampant, marchant, nageant se sont donnés rendez-vous dans les vastes salles d’histoire naturelle. Très intéressante la collection des écureuils, je n’aurais jamais cru qu’il y avait tant de variétés chez ces charmants rongeurs.

Pas si agréables à voir les serpents, on les regarde avec dégoût, et même avec effroi en se rappelant l’histoire de ce savant, mort de la piqure d’un serpent, empaillé depuis vingt ans. C’est l’exacte vérité. L’empailleur avait laissé à cet ophidien d’une espèce très dangereuse ses crochets, des tubes pleins de venin; le savant l’ignorait, on avait oublié ce détail, tout en étudiant son serpent sans y prendre garde, il fait jouer la mâchoire qui se referme sur sa main; les crochets fonctionnent et le venin, presque foudroyant, qui n’avait rien perdu de sa force, au contraire, s’inoculait en quelques minutes dans le sang du malheureux, nouvelle victime à ajouter au long martyrologe de la science.

La salle des fruits me paraît unique dans son genre. C’est une séduction pour l’odorat. Tous les fruits des cinq parties du monde sont là, au naturel, conservés dans l’esprit de vin. Ils répandent un parfum de fruits à l’eau-de-vie tout à fait allèchant.

Bref, le muséum avec ses jardins, ses serres, ses herbiers (hortos sicos, jardins secs), sa ménagerie, ses amphithéâtres et ses laboratoires, ses galeries de zoologie, de botanique, de géographie, de minéralogie, en un mot avec toutes ses collections est un grand établissement national, d’une haute importance, marchant en tête des autres établissements de ce genre en Europe destiné tout à la fois à l’enseignement supérieur et à la vulgarisation des sciences naturelles.

Nous sommes rentrées par une brise frisquette comme disent les marins, le temps est toujours beau mais les nuages s’amoncellent à l’horizon, le soleil par instant reste voilé.

Aussitôt après dîner, nous nous sommes dirigées vers les théâtres de notre voisinage. Quelle audace de songer à y entrer sans places retenues d’avance. L’Odéon était comble, Cluny aussi, au Chatelet même déveine; le Prince Soleil, qu’on y joue, est un souverain auquel il faut avoir demandé audience depuis plusieurs jours pour être reçu. Longue queue à l’Opéra-Comique, nous entrons dans le flot, au bout d’une demi-heure d’attente nous allons enfin franchir le seuil sacré. Soudain un gardien de la paix, de planton à la porte nous glisse à l’oreille: «Mesdames, quelles places avez-vous donc?» «Aucune.» «A la bonne heure, car il n’y en a plus, ce flot vous conduit aux combles dans les places à vingt sous.» Horreur!

De guerre lasse nous allons nous échouer à l’Eldorado, juste à temps pour prendre les deux derniers fauteuils.

On nous sert les traditionnelles trois prunes à l’eau-de-vie, une opérette et beaucoup de chansonnettes dont quelques unes d’un goût douteux. Je constate avec regret que cet esprit, sel attique dont nos pères savaient si bien se servir n’existe plus. Notre génération ne demande point de sel fin, le gros sel de cuisine lui suffit. J’ai acheté la Tour Eiffel, la meilleure chansonnette du répertoire.

Nous sortons à minuit. Brrr… Aïe! Il pleut à verse, surprise désagréable. On court, on s’agite, on hêle les cochers, qui répondent ou ne répondent pas; à cette heure là ils sont les maîtres. Quelques parapluies s’ouvrent. Heureux ceux qui ont eu la précaution d’en apporter! Hélas! pour nous préserver nous ne pourrions ouvrir que nos éventails… Enfin nous saisissons au passage un automédon libre et de bonne volonté; sauvées, mon Dieu! Nous sommes loin de nos pénates, mais qu’importe… en route, et fouette cocher!

Samedi, 21 Septembre 1889.

Entrées à l’Exposition, quatre-vingt-dix-sept mille neuf cent seize. Hier, elles avaient été de cent onze mille sept cent cinquante.

Intermittence de pluie et de soleil, un temps d’intérieur.

Nous nous sommes consacrées aux Beaux-Arts, exposition merveilleuse de peintures et de sculptures à laquelle toutes les nations civilisées ont pris part. Tout cela est impossible à décrire; on a calculé que si tous les tableaux français et étrangers qui sont ici, étaient posés à la file les uns des autres, ils se développeraient sur une longueur d’une lieue un quart environ. Cela donne une idée des productions artistiques de notre époque.

Je ne suis point assez connaisseur pour me permettre aucun jugement ni en sculpture ni en peinture. Cependant les paysages finlandais m’ont absolument séduite. Ils sont ravissants; quelle suavité de couleurs! c’est leur ciel sans doute qui donne à la campagne ces teintes rêveuses et poètiques, que je ne retrouve nulle part.

La sculpture est splendidement représentée, le génie français, disent les connaisseurs, s’y affirme d’une façon plus triomphante encore que dans la peinture. J’admire l’Ecole française, mais j’avoue modestement mon faible pour la sculpture italienne. Elle s’attache particulièrement aux enfants, dont elle excelle à rendre les poses, l’attitude, l’expression. Tous ces petit êtres qui rient, qui pleurent, qui s’amusent, qui effeuillent une rose ou réchauffent un oiseau ont été pris sur le vif et, si ce n’était la pâleur du marbre, sembleraient vivants.

Les Italiens habillent avec une entente parfaite leurs modèles. Leurs étoffes sont si souples, leurs broderies si délicates, les gazes si légères, qu’elles laissent deviner les formes sans rien accentuer.

La sculpture française a plus de force et de grandeur. Elle s’inspire de sujets d’un ordre plus élevé; aussi ses statues, en général plus grandes que nature, ne peuvent prendre place que dans des musées ou des palais. La sculpture italienne a plus de grâce et de douceur. Par ses proportions et les sujets qu’elle choisit, elle peut entrer dans tous les salons, c’est la sculpture de la famille et de l’intimité.

Cependant je ne suis jamais passée dans la magnifique galerie Rapp, consacrée à l’Ecole française, sans m’arrêter devant une jeune mère qui coupe du pain pour ses deux marmots lesquels, accrochés à ses jupes, se lèvent sur la pointe de leurs petits pieds pour atteindre plus vite la tartine convoitée. Leur mine éveillée et le charmant sourire de la mère qui les couve du regard, tout cela vous retient. C’est un chef-d’œuvre inspiré par la vie réelle; c’est tout un poème, le poème émouvant de la famille. De temps en temps on rencontre ainsi quelques délicieux sujets.

A mon humble avis, l’ensemble offre encore trop de nudités. Ce sont, j’en suis persuadée, des sujets d’études remarquables, de grandes difficultés vaincues; mais pour les curieux, les profanes qui n’entendent rien aux difficultés de l’art, pour tous ceux qui passent et ne retiennent que l’impression du moment, ces proportions colossales, ces statues dans des postures fatigantes, aux muscles tendus, aux nerfs cordés, aux expressions de visages tourmentés, semblent voulues, cherchées, et ne rendent nullement les réalités de la vie.

Ah! que ces garçonnets et ces fillettes occupés aux choses familières de l’existence, qui pêchent assis sur un rocher, qui lisent ou cueillent des fleurs, que ces enfants nus de la tête aux pieds doivent donc avoir froid!

On les regarde sans illusion. Ce sont des statues superbes, j’en conviens; mais cela reste du marbre. Chez les Italiens, les enfants sont d’une grâce et d’une vérité qui les rendent vivants.

Ciel! j’entends d’ici les vrais artistes m’écraser. Oser émettre une telle opinion. Quel crime! Puisque justement on reproche sans cesse à l’Italie la mièvrerie de ses compositions et la mollesse de son ciseau.

Les découvertes scientifiques du XIXe siècle sont renversantes. La science semble à son apogée; l’art se maintient à un niveau satisfaisant; cependant il est à craindre que s’égrenant, s’éparpillant sur tant d’individus, il ne finisse par s’amoindrir. «Le talent n’est que la menue monnaie du génie.»

Dans le passé, le génie n’eut que de très rares représentants; actuellement, tout le monde s’en croit un petit brin. Jadis, il naissait par siècle un ou deux génies sublimes qui s’appelaient Michel-Ange chez les sculpteurs, Raphaël chez les peintres, Dante chez les poëtes, Mozart chez les musiciens. Chacun de ces élus arrivait dans son genre à la plus haute expression de l’art et devenait un génie national.

Le sentiment artistique est de tous les âges; mais l’explosion géniale, qui à elle seule illumine parfois toute une époque, est toute personnelle. Il y a des moments ou l’art reste stationnaire et même semble décliner, quand il cherche une autre voie.

A l’heure présente, la musique par exemple subit certainement une crise. Elle a banni de ses compositions savantes et mathématiques la douce mélodie; la pauvrette ne peut plus chanter dans les âmes et prendre son vol, on lui a coupé les ailes et pourvu que nos compositeurs modernes possèdent à fond le code de l’harmonie cela suffit. Et pourtant la mélodie c’était le génie, l’harmonie c’est le talent.

Quel dévergondage de notes, quelle orgie de cuivres à présent dans certains opéras. L’orchestre n’a plus pour mission d’accompagner et de soutenir les chants, il a sa partie distincte qu’il tient aussi à faire valoir, et l’audition de cet imbroglio musical devient pour les simples mortels qui l’écoutent attentivement, un véritable travail. Mme de Sévigné, en parlant de la musique de Lulli, disait: «Il n’y en aura pas de plus belle au Paradis.»

Eh! bien, je ne ferai pas entendre ce cri d’admiration pour la musique actuelle. Non, bien sûr, cette musique-ci n’est pas celle du Paradis. Les mélodies célestes sont autre chose que cela. Elles savent parler à l’âme un ineffable langage dont la musique du jour, dans un grimoire savant et compliqué, embrouillé et obscur, ne peut donner aucune idée.

C’est la musique de l’avenir; on dit que nos oreilles s’y feront, tant mieux. La musique est donc arrivée à une époque de transition, mais il ne s’ensuit pas que cette nouvelle musique, pas plus que la nouvelle littérature, soit supérieure à celle du passé. Au contraire.

Pour la science, c’est tout différent: la science est un capital qui va toujours en s’augmentant. Chaque génération nouvelle tire profit de l’héritage légué par sa devancière. Voilà l’explication des progrès incessants et indéfinis de la science, qui ne recule jamais, comme cela peut arriver à l’Art.

Les élections. – L’Exposition. – Les fêtes

Dimanche, 22 Septembre 1889.

Grand jour des élections!

Les afficheurs sont aujourd’hui les maîtres de Paris.

Ils ont mis leur colle et leurs affiches partout, sur les plus beaux monuments, sur les statues même, sans respect pour les illustres qu’elles représentent.

Nous sommes en septembre, et comme autrefois à Rome, à cette époque, ils usent et abusent de ce que l’on appelait septembri libertas.

C’est une véritable débauche, une frénésie, une fureur.

Et les philosophes s’en vont répétant le mot connu: «colle dessous, colle dessus, colle partout!»

On voit des affiches de toutes les couleurs, jaunes, vertes, rouges, bleues, violettes, etc.

On calcule qu’il est dépensé six cent mille kilogrammes de papier à affiches pendant la période électorale à Paris seulement. Un joli chiffre comme on voit.

Il pleut à verse. Puisse cette douche calmante rafraîchir les cerveaux surexcités par la politique.

On dit que chaque peuple n’a que le gouvernement qu’il mérite; eh! bien, il faut croire que nous ne valons pas grand chose à en juger par nos gouvernants.

Le Pilori a publié dernièrement cette jolie chansonnette qui peint la situation:

GRANDES MANŒUVRES ÉLECTORALES
(Air de: LA BOITEUSE.)
 
Au ministère, en ce moment,
Il y a tout un chambardement:
On prépar’, pour les élections,
De grandes mobilisations,
Chaque jour arriv’nt par paquets
Des préfets et des sous-préfets,
Des maît’ d’écol’, des percepteurs,
Que c’est comme un bouquet de fleurs!
 
REFRAIN:
 
Il faut les voir tous ces Parlementaires,
Pots-d’vins par devant, pots-d’vins par derrière,
Il faut les voir, disant d’un air confit
A l’électeur: «Mon p’tit! mon p’tit! mon p’tit!»
Pendant que l’écho leur répond:
«Fripons! fripons! fripons!»
« – Ah! dit le peuple, tas d’coquins,
Vous êtes fins, mais cett’fois j’vous tiens,
Oui, je vous tiens!»
 
 
De tous côtés on en fait v’nir
Des milliers par les trains d’plaisirs;
En guise de préparation,
On les mèn’ voir l’Exposition,
Et, quand, levant leurs nez au ciel,
 
 
Ils ont bien vu la tour Eiffel,
Leur cornac les pri’ poliment
D’crier: Vive le Gouvernement!
 
Au refrain
 
Puis on les conduit chez Carnot,
Qui, toujours raid’ comme un poteau
Et souriant d’un air serein,
Leur donne à tous un’ poigné’ de main.
Après, Rouvier et Thévenet
Les prennent en leur cabinet;
Enfin, vient le tour de Constans
Qui leur tient le discours suivant:
 
Au refrain
 
«Faut que chacun dans vot’ région,
Vous m’ fassiez un’ bonne élection,
Sinon – retenez c’ que j’ vous dis —
J’vous fauch’rai tous comm’ des épis!
Au contrair’ si ça marche bien,
Avec vous je n’ serai pas chien,
J’ vous promets mêm’, cré nom de nom,
Un tout p’tit bout d’mon saucisson!
 
Au refrain
 
Ces deux mots à peine entendus,
Chacun reçoit un’ pil’ d’écus,
C’ qui fait que le plus attiédi
Paraît tout d’ suite ragaillardi.
Bientôt, i’ r’prenent, gais et contents,
Le ch’min de leurs arrondiss’ments,
Emportant d’ merveilleux engins
Pour la grande pêche aux bull’tins!
 
Au refrain
 
Electeurs, vous êt’s avertis
Qu’ les v’là lâchés sur le pays;
Ils vont mentir, d’ici quéqu’temps.
Pis que des arracheurs de dents,
Ce qu’ils diront n’est pas dang’reux,
Mais ne les quittez pas des yeux;
Méprisez tous leurs sots caquets,
Et prenez garde aux pickpockets!
 
Au refrain

Dimanche soir, le soleil un peu pâli a daigné paraître. Cette après-midi il nous a envoyé quelques sourires que nous eussions trouvés charmants s’ils avaient été moins mélancoliques; c’est déjà l’automne, et l’automne fait penser à l’hiver. Foule énorme partout, fort gaie, fort réjouie. On ne s’imaginerait jamais que les destinées du pays sont en jeu, sauf cependant qu’à l’Exposition comme ailleurs, le beau sexe domine; ce vingtième dimanche de l’Exposition, pourrait être appelé la journée des dames. C’est à peine si l’on aperçoit quelques timides pantalons, quelques jaquettes isolées dans ce flot de jupes et de chapeaux coquets. Décidément la politique est bien plus absorbante en province qu’à Paris. La province, à défaut de tous les plaisirs qui encombrent la capitale et attirent ses habitants, la province en est réduite à faire de la politique une occupation. Je n’ose pas dire une distraction.

Ici les fêtes succèdent aux fêtes et ne se comptent plus; promenades de tous les exotiques de l’Exposition, illuminations, retraites aux flambeaux, lunchs et punchs, vins d’honneur, et les banquets donc! ils pleuvent depuis celui du 14 juillet, d’homérique mémoire. On parle maintenant d’organiser, au Palais de l’Industrie une fête monstre pour les victimes de la catastrophe d’Anvers. Je crois qu’il n’y a plus rien à inventer, et cependant, pour la solennité des récompenses, ce même Palais de l’Industrie, recevra pour la vingt-cinquième fois, depuis le commencement de l’Exposition, une nouvelle décoration. Ah! il faut être inventif pour trouver ainsi toujours du nouveau, mais il paraît que l’imagination parisienne n’est jamais à bout.

A l’Exposition. – Histoire de l’habitation et du travail

Lundi, 23 Septembre 1889.

Entrées à l’Exposition, cent trente-huit mille six cent cinquante-sept.

Vent sec, beau temps sans pluie ni boue, extrêmement agréable pour marcher.

Toute la nuit il y a eu foule et encombrement dans les principaux quartiers où les journaux affichaient sur des transparents les résultats des élections au fur et à mesure qu’ils arrivaient. Les agents sur pied ont fait quelques arrestations, il y a toujours des turbulents. Dans notre quartier, beaucoup de criailleries dont Boulanger était en principe le prétexte, et quelques chansons que criaient à tue-tête les bandes qui montaient et descendaient le Boul’miche (lisez: Boulevard St-Michel). En somme, Paris est resté sage pendant le dépouillement du scrutin.

Un peu attrapés les bons Anglais qui abondent en ce moment; au spectacle de l’Exposition, ils avaient rêvé d’ajouter celui des élections. Une petite émeute agrémentée de boxe, de savate, avec quelques coups de fusils, ne leur aurait pas déplu. Toujours les mêmes, les Anglais. Ceux-ci font penser à leurs compatriotes, qui impassibles, la lorgnette en main, regardaient brûler Paris en 1871.

La République est victorieuse, c’est le triomphe du nombre… et puis l’immense succès de l’Exposition lui apporte un fameux appoint. Monsieur Carnot, très correct, rélève la République que le grigou de Grévy rapetissait à sa mesure.

Les feuilles gouvernementales exultent, comme le disait l’une d’elles ce matin: «Qui donc voulait l’étrangler cette excellente personne, cette république adorable, cette mère modèle qui protège également tous ses enfants. Tous les peuples pour l’aimer, pour la mieux comprendre, devraient la demander en mariage. Ils reviendraient à l’âge d’or et trouveraient le bonheur parfait.»

Nous avons donc passé notre journée à l’Exposition, où nous nous sommes croisées plusieurs fois avec l’ambassade marocaine.

El Caïd, El Hadj, et leur suite, sont de beaux hommes, ayant grand air, beaucoup de dignité dans la démarche et portant avec élégance le haïk blanc et le fez rouge.

Nous nous sommes consacrées aujourd’hui à l’histoire de l’habitation et à l’histoire du travail au Palais des Arts libéraux.

L’histoire de l’habitation, en quarante-trois spécimens, par l’ingénieur M. Charles Garnier, est fort attachante. Reconstituer les premières demeures de l’homme, rendre les diverses phases par lesquelles il passe pour sortir de la barbarie, les transformations successives qu’il opère petit à petit autour de lui, c’est faire comprendre la longue bataille qu’il dut livrer non seulement aux animaux féroces, mais encore aux éléments déchaînés contre lui; c’est raconter d’une manière saisissante cette marche triomphale, qui, à travers les siècles, doit le mener à la civilisation.

Cette série commence par la caverne d’un Troglodyte, sombre grotte creusée par la nature, et que l’homme n’a pas même essayé d’améliorer. Puis viennent des huttes en terre, des cabanes de roseaux de l’époque lacustre, des paillotes, des tentes, demeures des peuples nomades. Nous nous arrêtons devant les chaumières de nos ancêtres les Gaulois, plantées, comme celles des Germains, à l’ombre des chênes. Ces grands arbres font penser aux Druides dont voici en effet, tout près, les pierres énigmatiques, dolmens et menhirs.

Puis enfin la terre et le bois prennent une forme, la pierre s’y ajoute et la maison est bâtie.

La série se continue avec les spécimens de l’architecture romane, gothique et de la renaissance. Nous arrivons aux plus belles périodes de notre art national «qui, en toute équité, arrive bon premier, dans ce handicap d’un nouveau genre.»

Des habitations Phéniciennes et Assyriennes apparaissent à notre vue. L’Egypte est toute pimpante avec ses colonnettes et ses couleurs vives.

Entrons chez les Hébreux, et admirons-y une riche collection d’antiquités juives. Mêmes curiosités en Etrurie; c’est une hôtellerie du temps qui vous offre les meubles, tables, lits, escabeaux, amphores, ustensiles de ces époques lointaines.

Arrêtons-nous devant ces deux maisons gallo-romaine et grecque, que l’on dit d’une fidélité de reproduction étonnante.

Voilà les maisonnettes de bois naturel de la Norvège, et celles en bois ouvragé de la Russie. Voici l’antre des Lapons et des Esquimaux, ces demeures primitives des neiges et des glaces éternelles côtoient les demeures du Soudan et de l’Arabie, où le soleil est du feu, et c’est vraiment charmant de parcourir chaque hémisphère, sans ressentir ni froid ni chaud. Les constructions chinoises et japonaises sont pleines de fantaisie et de légèreté, avec leurs toits clochetonnés et brillants, leurs cloisons de bambous, leurs fenêtres de papier multicolore.

Nous arrivons aux derniers spécimens de la barbarie existant de nos jours, les cabanes informes des tribus de l’Afrique centrale, et les tentes des Peaux-rouges. Ces tentes pointues sont soutenues à l’aide de longues perches ou branches d’arbres réunies au sommet. Au centre, une excavation dans la terre sert de cheminée; au-dessus, un trou dans la toile permet à la fumée de s’échapper tant bien que mal. Elles sont là, debout ces tentes primitives, auprès des maisons des Astèques et des Incas, suprêmes vestiges d’une étonnante civilisation détruite à jamais.

Et nous voilà devant la tour Eiffel, le contraste est grand, mais qu’importe! Il ne rend que plus saisissante la comparaison entre le passé plein d’essais et de tâtonnements, et le présent qui résume sous nos yeux, les progrès constants et les résultats admirables de la civilisation moderne.

L’histoire du travail, au Palais des Arts libéraux, semble au premier abord un dédale effrayant. Il faut prendre son temps pour examiner la plus vaste encyclopédie d’objets, grands et petits, de choses hétérogènes, de machines simples ou compliquées, longue chaîne qui se rive aux grossiers ustensiles de première nécessité, pour aboutir aux conceptions du luxe le plus raffiné.

C’est une exhibition incomparable, qui attire l’œil autant qu’elle étonne l’esprit. Tous les spécialistes se trouvent donc en présence de ce qui concerne leur partie. «C’est une étude complète de ce qui fut, par la comparaison de ce qui est.»

On a groupé en suivant l’ordre chronologique, tous les produits du travail humain, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Des personnages de grandeur naturelle, complètent l’illusion. Ici, devant cette caverne, voilà un homme primitif, habillé de sa longue chevelure, qui travaille une pierre, un silex, dont il doit faire plus tard une arme tranchante.

Là, devant cette hutte en terre, une femme que la coquetterie n’a point encore conseillée, pétrissant la terre, s’essaie à confectionner des poteries informes.

C’est ainsi que dans toutes les branches d’industrie, on trouve le commencement pour arriver en descendant les âges, à l’outillage perfectionné des Arts et Métiers, aux ateliers gigantesques du Creusot, aux machines formidables des chemins de fer avec leurs trains luxueux. A cette section se trouve le premier wagon-salon construit pour le duc de Wellington.

Un jour, peut-être, nos machines actuelles que nous trouvons si perfectionnées, prendront place à leur tour comme ce wagon-salon, au nombre des souvenirs rétrospectifs. L’électricité est appelée à révolutionner le monde. Que de surprises elle ménage à l’avenir!

Je me suis vivement intéressée à l’histoire de la musique, c’est-à-dire à la reconstitution de tous les instruments depuis la flûte en roseau des premiers pasteurs, la harpe égyptienne conservée au Louvre, le Rébec copié sur une statue du musée de Chartres, jusqu’aux pianos, dont quelques modèles ont des panneaux de verre qui permettent en jouant de se rendre compte du mécanisme, jusqu’à l’orgue colossal, effrayant. Instruments à cordes et instruments à vent; quelle nombreuse famille ils forment, aussi bien chez les anciens que chez les modernes.

L’histoire du théâtre: costumes, affiches, programmes, portraits des virtuoses, architecture des salles, machinerie, cette machinerie si simple autrefois, si compliquée aujourd’hui qu’il faut être de la partie pour y comprendre quelque chose. Cette histoire du théâtre m’a paru très complète aussi.

Les travaux de sculpture et de peinture sont absolument remarquables. On suit là, pas à pas tous les efforts faits par l’homme, depuis le premier coup de pinceau et la première pierre taillée, pour progresser et perfectionner ses œuvres.

Très intéressante la reproduction avec personnages de grandeur naturelle des ateliers de céramique et de cloisonnés chinois à toutes les phases du travail. De loin on croirait ces ouvriers vivants.

L’aérostation a aussi ses représentants personnifiés par la timide Montgolfière et l’audacieux ballon.

Des plans de ponts, de barrages, de phares; des cartes de cosmographie et de géographie se développent sur un espace immense.

Quel est l’irrévérencieux qui s’était permis au siècle dernier de faire cette réponse en parlant des savants? «Un savant c’est un monsieur décoré qui ne sait pas la géographie.» Nous n’en sommes plus là, si tant est que cette épigramme ait jamais été vraie. Et combien de Français, savants ou hardis voyageurs, s’en vont aujourd’hui dans les pays les plus lointains à travers les glaces et les déserts, étudier la géographie sur place.

Saluons dans tous ces charmants spécimens, le daguerréotype, principe de tant d’inventions précieuses.

Je n’ai fait que passer dans la section d’anthropologie, sans doute c’est l’histoire de l’homme, mais c’est aussi celle de ses difformités, de ses maladies, de ses souffrances physiques. Ces corps écorchés, ces chairs qui semblent palpiter encore, tout cela m’a paru trop vrai. Parcourus aussi rapidement les instruments de chirurgie. Ils sont innombrables. Toutes ces scies, ces ciseaux, ces lames, ces pinces aux mille formes, en bel acier poli, brillant, me faisaient frissonner. Je croyais les voir et les entendre fonctionner dans la chair vive et le sang chaud.

Ah! ciel, si le destin m’avait fait naître du côté fort, je n’aurais jamais pu être chirurgien.

Mardi, 24 Septembre 1889.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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