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Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.1», страница 4

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CHAPITRE VI
Kehl, Strasbourg, douloureuse histoire, Bade et ses environs, Fribourg-en-Brisgau, Heidelberg, la Forêt-Noire

Après quarante-huit heures de séjour à Bâle, nous montons en wagon avec deux Russes qui vont comme nous à Strasbourg. – Nous voyageons aussi avec des officiers prussiens que nous perdons pour en reprendre d’autres à chaque station.

Le soir, très tard, nous entrons à Kehl, impossible d’aller plus loin. Nous sommes régalées dans notre hôtel du bruit d’un banquet à l’occasion de la paix. Hélas! c’est partout le chant de gloire des vainqueurs. Le lendemain, j’ai visité Kehl presqu’entièrement détruit par le canon de Strasbourg: la gare n’existe plus. C’est une arrivée continuelle de troupes allemandes débarquant au chant de l’hymne national, avec des bouquets au canon de leurs fusils. Ces chants allemands sont assez beaux et graves, mais ils tintent à mon oreille comme un glas. Départ pour Strasbourg; le pont de Kehl n’est encore réinstallé que provisoirement.

Nous allons tout doucement; on distingue parfaitement d’ici Strasbourg et ses ruines. Nous y arrivons au bout d’une demi-heure: les Prussiens travaillent à réparer les portes de la ville. Il y a à la gare un encombrement de troupes impossible à décrire. Je ne sais comment réussir à avoir mes bagages. Cependant les employés, grands et petits, sont polis à l’égard de tout ce qui parle français. Je pense qu’il est dans leur nouvelle tactique de se rendre aimables.

Enfin j’ai mes bagages, sans trop d’ennuis, et je me dirige vers la place Kléber dont la statue n’a pas été endommagée; mais l’hôtel de l’état-major qui tient tout un des côtés de la place est complètement détruit, le cours de Broglie, le théâtre et la bibliothèque sont dans le même état. Quant à la cathédrale, les Prussiens y ont déjà fait quelques réparations, mais les magnifiques vitraux sont tous brisés, et ce seul dommage est évalué à un demi-million. Nous avons voulu faire l’ascension de la tour: Georgette était la plus intrépide, mais arrivée à une hauteur de quatre cents pieds, j’ai refusé d’aller plus loin, me sentant prise de vertige. La vue était cependant bien belle: même d’où nous étions, nous apercevions les Vosges et le Rhin, brillant au soleil comme un large ruban d’argent. Mais la merveille des merveilles est la magnifique horloge, qui date du quatorzième siècle, où nous avons vu sonner trois heures. Le coq a déployé ses ailes, la mort est apparue avec sa faux, puis trois apôtres ont salué Notre-Seigneur en passant devant lui, et sont allés frapper leur coup sur le timbre. Une visite très intéressante aussi a été celle du Temple protestant St-Thomas, qui renferme le tombeau du maréchal de Saxe par Sigalle, puis deux momies d’un seigneur allemand et de sa jeune fille en costume de fiancée.

Pauvre Strasbourg, combien faudra-t-il d’années pour cicatriser tes plaies et relever tes ruines?

Pendant que tu saignes encore, la nature a repris ses airs de fête. Les cigognes, oiseaux sacrés du Rhin, insoucieuses de la guerre et des révolutions bâtissent leur nid. La terre a revêtu ses parures de fleurs et les arbres leurs verdoyants feuillages.

Les Strasbourgeois qui aimaient la France, comme des fils aiment leur mère, font mal à voir, les femmes particulièrement ont un air d’abattement qui vous va droit au cœur. On vient de me raconter une histoire qui prouve leur patriotisme. Dans la maison qui touche l’hôtel où nous sommes descendues, habite une dame veuve, que le hasard nous faisait suivre ce matin en revenant de la messe. Avant-hier, cette dame logeait chez elle trois officiers prussiens qui se plaignaient de ne pas être admis dans son salon. Hier au soir, ils reçoivent une invitation. Ils arrivent à huit heures.

Le salon était obscur; à la lueur de la lampe unique qui l’éclairait, ils entrevoient plusieurs femmes vêtues de noir et assises au fond de la pièce.

La maîtresse de la maison les voyant entrer va à eux, les amène à la première de ces dames, et la leur présentant:

«Ma fille, dit-elle; son mari a été tué pendant le siège.»

Les trois Prussiens pâlissent. Leur hôtesse les amène à la seconde dame.

«Ma sœur, qui a perdu son fils unique à Frœschwiller.»

Les Prussiens se troublent. Elle les amène à la troisième.

«Madame Spindler, dont le frère a été fusillé comme franc-tireur.»

Les trois Prussiens tressaillent. Elle les amène à la quatrième.

«Madame Brown, qui a vu sa vieille mère égorgée par les uhlans.»

Les Prussiens reculent. Elle leur désigne la cinquième.

«Madame Hullmann qui» mais les trois Prussiens ne la laissent pas achever, et, balbutiant, éperdus, ils se retirent précipitamment comme s’ils eussent senti l’anathème et les malédictions de ces pauvres femmes en deuil tomber sur leur tête.

10 mai 1871.

Les évènements en France n’ont fait que s’aggraver; ils ont dérangé tous mes plans de retour immédiat.

Je me décide à aller voir Bade qui n’est qu’à huit lieues de Strasbourg.

Le chemin de fer marche tranquillement, ce qui permet d’admirer une nature luxuriante, et de jolis villages qui semblent avoir été jetés là tout exprès pour faire point de vue au premier plan, pendant qu’au second plan se déroule une série de collines couronnées de ruines féodales. Voici Achern où l’on garde les entrailles de Turennes, à un quart d’heure tout au plus de Salzbach où le héros fut tué.

Voici Bükl qui se montre fier de son vin rappelant de loin notre Bourgogne, nous a-t-on dit, car nous n’en avons pas bu. Les grands vins allemands sont hors de prix, nous nous contentons de la bière de Strasbourg que nous trouvons bonne.

On prétend que la meilleure bière du monde sort de la brasserie que le domaine de la couronne de Bavière possède à Munich depuis plusieurs siècles; mais, comme nous n’avons point non plus goûté cette bière là, nous ne pouvons faire la différence.

Depuis quinze jours, nous sommes à Bade, la plus coquette des villes; je croyais n’y venir que pour quelques jours; hélas! l’insurrection de Paris n’est pas encore calmée. N’est-ce pas horrible cette guerre civile, cette guerre fratricide succédant à la guerre étrangère?

Il est probable que je vais me diriger sur la Belgique, ne voulant pas séjourner plus longtemps en pays ennemi. Cependant Bade me semble un vrai paradis pour les touristes.

Le Palais des Jeux est splendide. Deux fois par semaine nous y allons entendre d’excellente musique dans la salle des roses, tendue de satin blanc et décorée de guirlandes de roses en relief. Je vais aussi lire les journaux au cabinet de lecture où l’on peut coudoyer quantité de princes et princesses de toutes nationalités. Le roi et la reine de Naples habitent Bade en ce moment. La reine est une femme encore belle et sympathique, qui ressemble bien aux portraits que j’ai vus d’elle. Nous passons nos soirées dans le salon de la conversation ou au théâtre, un vrai bijou. Tout est élégant et luxueux à Bade: l’allée de Lichtenthal nous a rappelé les Champs-Elysées, tant il y passe de fringants équipages; seulement, au lieu de conduire au bois de Boulogne, elle conduit à la Forêt-Noire. Le Palais du grand-duc, la villa de la princesse Stéphanie de Bade sont remarquables. La cathédrale est richement décorée à l’intérieur: parmi ses curiosités on voit le squelette de Sainte Rosalie, entièrement recouvert de joyaux. L’ancienne chapelle des chanoines de Lichtenthal possède une autre relique du même genre.

La Trinkhall est l’établissement thermal proprement dit de Bade (Baden veut dire Bains en allemand); c’est aussi un fort joli édifice; sa façade comprend seize colonnes d’ordre corinthien. Sur le fronton un bas-relief représente la nymphe des eaux, qui, d’un côté, accueille les malades et qui, de l’autre, les renvoie heureux et guéris.

On arrive à la galerie par un large perron et deux entrées latérales. Le fond de cette galerie se compose de quatorze panneaux, peints à fresque, représentant les principales légendes du pays.

Je me les suis fait expliquer. Est-il rien de plus charmant que les légendes? Elles sont la poésie des siècles, elles sont les broderies et les fleurs jetées sur le canevas sévère de l’histoire.

J’ai voulu faire usage de ces eaux qui sortent toutes chaudes de dessous terre, mais cela ne m’a pas réussi comme à bien d’autres du reste. Dame! ces eaux guérissant les malades doivent rendre malade les bien portants. C’est logique.

J’ai fort remarqué une chapelle entièrement revêtue de marbre blanc et dont la toiture est en lames de cuivre.

Nous y sommes entrées pendant une cérémonie du culte schismatique qui m’a beaucoup intéressée; le patriarche qui officiait avait un air vénérable, et ses chants grecs étaient d’une douceur, d’une harmonie incomparables. Il y a eu aussi pendant notre séjour une grande kermesse qui a duré huit jours avec toutes sortes de divertissements. Un tir où l’empereur et ses généraux ont été fusillés bien souvent… en effigie. Un panorama où l’on voyait toutes les principales batailles de la dernière guerre, c’est-à-dire une marche triomphale de la Prusse. Un carrousel superbe, des musiciens et chanteurs en masse. Tout cela avait beaucoup d’attraits pour Georgette; elle est encore à l'âge heureux où l’on ne se rend pas compte des choses: ce qui la faisait rire me faisait soupirer.

Nous avons visité plus d’une fois le grand bazar. Que de tentations! il y a là de quoi vider bien des bourses: verreries de Bohême, peintures sur porcelaines, variété de bijoux, horloges, coucous de toute espèce, bois sculptés de la Forêt-Noire, bibelots de tous genres et de toutes dimensions. Nous avons été raisonnables, si raisonnables que nous n’avons rien acheté. Une seule jolie chose peut tenter, mais la vue de tant de jolies choses n’excite plus le désir, elle le rassasie.

Je suis restée plus longtemps à Bade que je n’aurais voulu, mais il y avait tant d’excursions délicieuses à faire aux environs! Nous sommes donc allées au château grand-ducal ou vieux château. On y pénètre par une porte majestueuse. Ces ruines ont grand air. La salle des chevaliers est une vaste pièce à ciel ouvert; au centre une table champêtre avec un arbre au beau milieu. Une terrasse permet de circuler autour des ruines. Le panorama en est déjà superbe, mais si l’on veut monter jusqu’à la vieille tour, alors on jouit d’une vue qui s’étend sur toute la vallée de Bade, et quand le temps est clair, sur Kehl, Strasbourg et Rastadt. Au centre de la terrasse, dans une embrasure de pierres se trouve ce que l’on appelle la Colsharf, c’est-à-dire une réunion de cordes de boyaux tendues, lorsque le vent passe en les agitant, elles font entendre des sons d’une mélodie suave, d’une douceur infinie, c’est la harpe éolienne en un mot.

Nous sommes revenues du vieux château par Les Rochers: ce sont des masses de porphyre colossales aux déchirures profondes, aux crevasses béantes, reliées entre elles par des ponts et des sentiers où l’on peut circuler sans aucun danger.

Visite fort intéressante aussi au château d’Eberstein, ouvert toute la journée; Salle des chevaliers ornée d’armures et de vitraux anciens, appartements du duc et de la duchesse, tout cela superbe; balcons circulaires, terrasses, tentures magnifiques, vues merveilleuses.

Le château de la Favorite s’élève au centre d’un parc enchanteur, aussi romantique que possible: devant la principale façade s’étalent un vaste lac et un escalier grandiose, orné de statues. Le château de la Favorite doit sa fondation à la princesse Sybille, veuve de Louis-Guillaume, vainqueur des Turcs. La princesse eut-elle dans sa vie de gros péchés à se reprocher? toujours est-il, c’est que, à côté du joli château où rien ne manquait, on montre l’ermitage où la princesse s’en allait faire pénitence, et l’on y voit, en effet, les instruments de la macération la plus raffinée, un lit de paille, un cilice, une discipline, une ceinture armée de pointes de fer.

Au rez-de-chaussée du château, on vous fait regarder ce que je n’avais encore vu nulle part: «une cuisine d’apparat». Cette cuisine est ornée d’une collection de plats, d’assiettes, de cristaux de tout genre, et d’un service complet de table, représentant, en porcelaine, des jambons, des poulets et des canards, du gibier et un choix de légumes les plus variés.

Au premier étage, on vous montre une suite d’appartements intéressants au point de vue de la décoration et de l’ameublement, la chambre chinoise est fort remarquable, et le boudoir des glaces aussi: dans cette dernière pièce, on voit le portrait de la princesse sous quatre-vingts costumes différents.

La grande et somptueuse salle à manger pour les réceptions de gala, est du plus grand effet, et par l’élégance de ses dispositions et par la richesse de ses ornementations. Aux quatre coins de la salle sont des jets d’eau, que paillettent d’or tour à tour le soleil et les lustres; tout en haut se trouve une galerie circulaire pour les musiciens.

Après cela, on entre dans une enfilade de pièces originales, assez curieuses à voir.

En sortant du château, on admire à droite et à gauche des galeries en forme de cloîtres, donnant sur des massifs de verdure qui ont grand air.

Promenades charmantes encore dans la vallée de la Mürg, à la cascade de Géroldsau, au Chalet des Chèvres où vous voyez paître en liberté une centaine de chèvres, blanches comme leur lait, portant au cou une mince clochette dont on entend avec plaisir tinter le léger carillon.

«Le duché de Bade est l’un des plus beaux joyaux de la confédération germanique. Fribourg-en-Brisgau, Heidelberg et Baden-Baden forment un trio de villes-jardins inconnues en France.» Oui, le grand duché de Bade avec sa légendaire forêt noire, moins noire que son nom, est le jardin superbe de l’Allemagne. Il faut la voir, il faut l’admirer, cette promenade là; c’est un rêve en action.

Fribourg-en-Brisgau est une ville frappée au coin de la couleur locale et de l’antiquité.

On contemple d’abord l’université avec ses créneaux, l’hôtel-de-ville avec ses vieilles peintures, la cathédrale avec sa merveilleuse tour. Cette cathédrale construite en pierre de grès rouge, est l’une des plus belles églises gothiques de l’Allemagne. Elle remonte au treizième siècle. La tour haute de cent vingt-huit mètres est un chef-d'œuvre d’architecture et de sculpture; elle se termine par une flèche en pierre à jour, travail surprenant de hardiesse et de légèreté. Cette tour est comme celle de Strasbourg, l'œuvre d’Ewin de Steinbach, et un peu celle aussi de sa fille, la belle Sabine.

Si l’on en croit l’histoire, Sabine vivait au milieu des ouvriers de son père, les aidant de ses conseils, travaillant même avec eux, puisque certaines sculptures fines comme des broderies, à Strasbourg comme ici sont dues à ses mains délicates. Ils la faisaient juge de leurs différends et l’avaient surnommée «La Reine du travail.»

C’est à Fribourg-en-Brisgau qu’il faut venir pour s’extasier tout à son aise devant les reliques du passé.

Vieilles maisons, vieilles ruelles, vieux porches, vieilles tours, pignons gothiques, cloîtres sévères, peintures murales extérieures et décorations de fer forgé, voilà ce que l’on voit à Fribourg-en-Brisgau, la perle du pays, disent les guides.

Heidelberg est une ravissante ville de vingt-cinq mille âmes, intelligente et savante. Son université célèbre date de 1386; elle fut fondée par l’électeur Rupert Ier. Le pape Urbain VI contribua aussi à sa création.

Elle compte trente professeurs distingués, et beaucoup de jeunes gens sérieux. Ce n’est point à Heidelberg qu’il faut venir chercher le type romanesque du coureur ou de l’étudiant… qui n’étudie pas.

Cette ville possède un musée remarquable, des collections scientifiques d’une grande valeur, et une bibliothèque dite palatine, d’environ deux cent mille volumes, au nombre desquels le catéchisme de Luther annoté de sa main.

Très beau, le palais du grand duc qu’on a surnommé l’Alhambra de l’Allemagne, rempli d’une foule de précieuses choses. Très belles les deux églises de St-Pierre et du St-Esprit. Cette dernière, comme l’église française à Berne, sert également aux protestants et aux catholiques qui y font successivement leurs offices.

Les ruines, dues aux Français, du vieux château électoral sont excessivement curieuses: ces ruines monumentales, ces tours éventrées par nos canons au dix-septième siècle, décorant comme à plaisir des hauteurs boisées, dominent majestueusement encore la vallée de Neckar. Elles sont là comme pour raconter l’histoire et résumer le passé. Les habitants de ce château l’embellirent jadis suivant leurs goûts et leur époque, et l’on trouve ici:

«Un porche gothique et les colonnes de granit envoyées par le pape à Charlemagne, là, une façade italienne avec des nymphes et des chimères; ailleurs, une ordonnance couronnée de frontons; plus loin, la grosse tour fendue qui dresse vers le ciel sa brèche gigantesque. Les granits et les marbres gisent pêle-mêle, sous les pieds, enfouis dans l’herbe chevelue, les plantes grimpantes, les lierres tenaces.

Un seul souvenir s’est conservé intact, c’est la cave ou plutôt le célèbre tonneau des Palatins. Ce foudre titanesque a douze mètres de long; il peut contenir trois cent mille bouteilles de bière; le dessus forme terrasse, l’on y dîne et l’on y danse.

Quant à la Forêt-Noire, où le beau Danube bleu prend sa source, c’est un parc colossal, c’est un gigantesque bois de Boulogne, et je ne sais comment peindre mon admiration. C’est le paradis terrestre pendant l’été, car l’hiver le climat devient fort rude, et la neige y tombe au moins durant six mois. Elle féconde ainsi la luxuriante végétation qui doit se réveiller au printemps et prépare la floraison de ces fameux mérisiers qui produisent le kirsch-wasser (eau de cerises) si apprécié du monde entier.

«De toutes parts, dès qu’on s’engage dans l’une ou l’autre des vallées profondes qui partent du Rhin pour finir dans le royaume de Wurtemberg, à soixante-quinze kilomètres de là, on ne voit que forêts sombres de sapins couvrant les montagnes, collines et monticules, on n’entend que rivières et ruisseaux qui murmurent, en cascadant dans l’herbe et la mousse.

«Partout des habitations, soit groupées, soit isolées. Partout du monde; un perpétuel va-et-vient de gens et de bêtes allant aux champs de la vallée, ou montant aux pâturages. Les maisons sont bien, dans tout le massif qu’on désigne sous le nom conventionnel de la Forêt-Noire, celles que les marchands de jouets nous ont depuis longtemps montrées: petits chalets bas, en bois, drôlement assis, avec un pignon grossier, qui forme abri.

«Et les routes plantées d’arbres fruitiers! Et les vignes! Quelles admirables routes et quelles superbes vignes! Elles sont bien de taille à fournir à l’Allemagne entière de ce vin du Rhin dont elle est fière, et non sans raison, il faut bien en convenir. La toilette de ces vallées plantureuses et pittoresques est si bien faite!»

Le grand duc de Bade doit donner certainement les ordres les plus stricts pour que cette contrée riante, charmante, captivante, soit tenue l’été d’une manière irréprochable, avec des allées spacieuses et propres et des gazons fleuris comme on n’en déploie qu’autour des châteaux.

CHAPITRE VII
Rastadt, Carlsruhe, Francfort, Mayence, Les rives du Rhin, Coblentz, Cologne, Aix-la-Chapelle

La première ville où nous nous arrêtons en quittant Bade, est Rastadt, ville murée du grand duché de Bade. C’est en cette ville qu’eurent lieu en 1713 et 1714 entre Villars et le prince Eugène, les conférences qui amenèrent la paix de Bade et assurèrent la possession de l’Alsace à la France.

Nous visitons ensuite la jolie ville de Carlsruhe, capitale du grand-duché, ville intéressante et industrielle. Le palais du grand duc est un très vaste bâtiment, mais d’un style un peu lourd; les jardins qui en dépendent sont fort beaux; il y a aussi un joli théâtre et un musée remarquable.

Carlsruhe se présente sous un aspect gai et sémillant. Une cité âgée d’un siècle et demi est encore dans sa prime jeunesse, et celle-ci est de date toute récente: elle fut fondée en 1715 par Charles-Guillaume, margrave de Bade-Dourlach qui en fit sa résidence et lui donna le nom de Carlsruhe, c’est-à-dire «Repos de Charles.» Ce n’était auparavant qu’un simple rendez-vous de chasse.

Notre curiosité n’a pas le temps de se reposer à Francfort, autrefois l’une des quatre villes libres de la confédération germanique. Beaucoup d’édifices du moyen-âge émaillent la ville. Nous avons visité la magnifique cathédrale où l’on couronnait les empereurs (on la répare en ce moment), l’hôtel-de-ville dit Rœmer où siège le Sénat, le palais de la Tour-et-Taxis où se tiennent les séances de la diète, de très beaux musées, la synagogue des Juifs, le monument des Hessois, la vieille maison de la rue des Juifs, berceau de la famille Rothschild, Francfort est aussi la patrie de Gœthe. Cette ville possède des places superbes, un grand jardin botanique, un théâtre, de vastes hôpitaux; enfin c’est une grande, riche et très belle ville. C’est de Francfort que fut lancé le 1er décembre 1813 le manifeste des souverains alliés contre Napoléon.

Nous traversons le Rhin pour aller à Mayence, l’une des trois forteresses fédérales de l’Allemagne.

Les Prussiens, les Autrichiens et les Hessois y tiennent garnison.

Cette ville n’est pas, comme Carlsruhe, de date récente. Elle fut fondée par Drusus, treize ans avant Jésus-Christ, et devint une place importante sous les Romains. Rebâtie par les rois Francs, Charlemagne se plut à l’embellir.

Mayence qui s’étend sur le penchant de plusieurs collines forme deux quartiers bien distincts, dont l’un est spacieux et élégant.

Cette ville renferme des richesses artistiques en grand nombre, galeries de peintures, musées d’histoire naturelle et d’antiquités romaines, cabinets de monnaies et de médailles.

Nous avons salué sur la place qui porte son nom la statue en bronze du célèbre Gutemberg auquel Mayence s’honore d’avoir donné le jour.

Il y a plusieurs belles églises, la cathédrale dite le Dôme m’a paru un peu lourde, elle est cependant renommée.

Mayence est souvent visité par les touristes, mais il paraît que les rois d’Allemagne ne s’y aventurent guère. Ce qui m’a été dit à ce sujet m’a donné en même temps la signification de la main levée pour prêter serment, qu’on voit sculptée sur la façade latérale de la célèbre cathédrale. L’empereur François d’Autriche, dernier empereur du Saint-Empire et beau-père de Napoléon Ier, se trouvait à Mayence à la fin du dernier siècle, et le clergé le reçut si bien qu’il fit à l’archevêque la promesse que l’empereur allemand qui viendrait la prochaine fois à Mayence devrait construire à ses frais les deux tours qui manquent à la cathédrale.

L’empereur François avait évidemment l’intention de revenir et de faire construire les tours, mais son futur gendre l’en empêcha et le Saint-Empire cessa d’exister.

L’archevêque avait fait sculpter la main pour que la promesse impériale ne fût pas oubliée.

Or, il paraît que cette main sculptée gêne le vieux Guillaume qui se soucie fort peu de construire à ses frais les tours d’une cathédrale catholique.

Je crains donc que celle-ci n’attende longtemps encore ses tours et qu’elle soit obligée de se contenter de ses plans… restés en plan.

Un immense pont de bateaux de six cents mètres communique avec Cassel, qui forme comme un faubourg de Mayence. Nous n’avons pas idée de ce genre de pont en France.

C’est ici que le Rhin a sa plus grande largeur. Avant de quitter Mayence, nous n’oublions pas d’y faire un déjeuner au jambon, puis nous nous embarquons sur un confortable bateau à vapeur, et de dix heures du matin à sept heures du soir, nous descendons, mollement bercées, le Rhin jusqu’à Cologne.

Les rêveries de mon esprit sont aussi bercées de mille souvenirs dont quelques-uns bien tristes. Naguère encore, le grand pont du Rhin était gardé par deux sentinelles, d’un côté la sentinelle badoise et de l’autre la sentinelle française. Hélas, il n’y a plus de sentinelle française! Ah! cette revanche des Allemands contre les Français, avec quelle perfidie et quelle patience elle a été préparée!

Jamais les braves Gaulois n’auraient su feindre et dissimuler comme les Germains, «cette nation passée maîtresse en tous genres de fourberie,» disait Tacite, il y a dix-huit siècles.

Mais le bateau à vapeur marche, le paysage se déroule, c’est une suite d’enchantements, le regard est ravi; presque continuellement les deux rives du fleuve sont bordées de hautes montagnes, au sommet desquelles sont perchés, comme autant de nids d’aigles, de vieux châteaux gothiques.

 
«Et si haute que fut la tour ou la montagne,
N’avaient besoin, pour prendre un château rude et fort,
Que d’une échelle en bois, pliant sous leur effort,
Dressée au pied des murs, d’où ruisselait le souffre,
Ou d’une corde à nœuds, qui dans l’ombre du gouffre,
Balançait ces guerriers moins hommes que démons,
Et que le vent, la nuit tordait au flanc des monts.»
 

D’autres châteaux sont plantés au beau milieu du fleuve, dans des îles enchantées. – En voilà une, là-bas, qui fait penser à Roland. La tradition fait mourir l’héroïque paladin au col de Roncevaux. On parlera toujours de la célèbre épée Durandal et du cor merveilleux dans lequel Roland aurait exhalé son âme valeureuse, pour faire parvenir jusqu’à Charlemagne le cri de suprême détresse.

«Dieu me garde d’enlever un seul joyau au cycle épique des chevaliers de la Table-Ronde! Mais à côté de la tradition guerrière, il y a la tradition amoureuse, qui éclaire d’un plus doux rayon cette grande figure de Roland, et qui en complète la poétique transformation.

Suivant une légende allemande, le héros, après avoir si vaillamment combattu, si bruyamment soufflé dans son cor, ne serait pas resté parmi les cadavres encombrant le val de Roncevaux. Un miracle de l’amour l’aurait ressuscité d’entre les morts, et, malgré ses innombrables blessures, il serait revenu sur les bords du Rhin, où le rappelait la foi jurée à la belle Hildegonde.»

Voici la légende:

«Hildegonde et Roland étaient fiancés, quand le héros dut partir avec l’armée pour l’Espagne. Remarquons ici qu’en qualité de neveu de Charlemagne, dont la résidence était à Aix-la-Chapelle, et qui visitait volontiers ses vignobles des bords du Rhin, notamment Rudesheim, Roland a dû passer une partie de sa jeunesse dans ces contrées. Rien d’étonnant dès lors qu’il y ait engagé son cœur. Hildegonde se montra digne de l’amour d’un tel guerrier. Elle l’attendit fidèlement, et quand lui vint la nouvelle du désastre de Roncevaux et de la mort de Roland, ne voulant pas se donner à un autre, elle prit le voile et se cloîtra dans l’abbaye de Nonnenwerth.

Jugez de la douleur de Roland quand il apprit que sa fiancée s’était donnée à Dieu pour toujours! Afin de pouvoir du moins apercevoir quelquefois sa forme chérie dans les jardins du couvent, il se fit construire le burg qui a conservé son nom, et y passa le reste de ses jours, les yeux presque constamment tournés vers le monastère. Les restes d’un vieux burg, en face des sept montagnes, près de Bonn, en témoignent de manière à ébranler les plus incrédules. Une tour en ruines, encore aujourd’hui désignée sous le nom de Coin de Roland (Rolandseck), plane presque à pic sur une très ancienne abbaye construite dans une île au milieu du Rhin, et qui a continué de s’appeler l'île des Nonnes (Nonnenwerth).»

Deux lignes de chemin de fer courent à droite et à gauche pour rappeler le voyageur aux réalités du XIXe siècle. La vigne grimpe partout où il y a quelques pouces de terre. Nous apercevons en passant les caves creusées dans la montagne qui renferment les précieux vins de Johannisberg. Je m’aperçois qu’un sentiment de jalousie se mêle à mon admiration, pendant toute cette journée. Je ne crois pas que nous ayons rien d’équivalent en France, et je comprends notre ambition, d’avoir voulu, hélas! posséder ce beau Rhin allemand.

Il est bien calme aujourd’hui, bien souriant, dans sa majestueuse sérénité et l’on oublie ses emportements, la course vertigineuse de ses flots bleuâtres qui roulent parfois avec une rapidité à faire frémir.

Voici Coblentz. C’est une ville à part; ses édifices et ses églises surtout sont beaux. J’y ai remarqué un monument élevé au général Marceau. Mais son altière forteresse entourée de sept enceintes est ce qu’il y a de plus remarquable.

Coblentz fut jadis une des villes habitées par les empereurs carlovingiens et plus tard par les électeurs de Trêves.

Je visite Coblentz avec intérêt en songeant à mon grand-père qui, au début de la révolution française, y arriva avec bien d’autres émigrés, et concourut d’une manière active à la formation de l’armée de Condé. Je conserve précieusement sa décoration du Lys, une fleur de lys d’argent surmontée de la couronne royale et nouée d’un ruban blanc, que les soldats seuls de l’armée de Condé avaient le droit de porter.

Lors de la Restauration, en 1814, cette décoration reprit faveur et devint comme un signe de ralliement qui servait à distinguer les royalistes, mais bientôt elle tomba dans le domaine public, chacun put la prendre, et cette facilité de la porter à sa guise, lui ôtant tout mérite, sa vogue fut promptement passée.

Aujourd’hui elle n’a plus place que dans les souvenirs de famille ou les musées d’antiquités.

Cologne est une grande et belle ville de cent mille habitants, mais d’un aspect triste. Bâtie en demi-cercle, défendue par quatre-vingt-trois tours, elle est reliée par un pont fixe, qui a remplacé un pont de bateau, à la petite ville de Deutz, sur la rive opposée du Rhin.

Deutz, ville presque entièrement peuplée de juifs devient ainsi le faubourg d’une ville essentiellement catholique et qui possède un nombre infini d’églises. La reine de toutes est son immense cathédrale, la plus belle que j’ai vue. Commencée en 1248, interrompue pendant plusieurs siècles, elle n’a été achevée que tout dernièrement en 1861. Dame! ici la légende est joliment en faute! La cathédrale de Cologne ne devait jamais être finie, disait-elle.

Oyez pourquoi: Un jeune architecte, désolé de n’avoir pu faire agréer son projet par l’archevêque Conrad qu’aucun plan ne pouvait satisfaire, s’en était allé sur les bords du Rhin dans le dessein de mettre fin à ses jours. Au moment où il allait se précipiter dans le fleuve, un vieillard qui n’était autre que le diable lui apparut tout à coup et lui offrit, en échange de son âme un plan merveilleux, le plan de la cathédrale actuelle.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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