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Читать книгу: «Lettres à Mademoiselle de Volland», страница 45

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CXXVI

Paris, le 22 septembre 1769.

Oh, oui! vous avez bien deviné cela, bonne amie! Grimm m'écrivait la veille de la dernière représentation, de Berlin, qu'il ne lui restait plus que cinq ou six cents lieues à faire. Il est arrivé une scène tout à fait sanglante à cette dernière représentation, qui a pensé troubler tout te spectacle. Au moment où l'on entend du bruit dans la maison, et où Saint-Albin menace de tuer te premier qui osera mettre la main sur sa maîtresse, une jeune femme qui était aux premières loges poussa un cri aussi aigu que celui de Saint-Albin, et se trouva mal. Cette jeune femme se montrait au spectacle la première fois après son mariage, comme c'est l'usage. Cela m'a valu la visite de son mari, qui a grimpé à mon quatrième étage pour me remercier du plaisir et de la peine que je leur avais faits. Ce mari est avocat général au parlement de Bordeaux; il s'appelle M. Dupaty. Nous causâmes très-agréablement. Lorsqu'il s'en allait, et qu'il fut sur mon palier, il tira modestement de sa poche un ouvrage imprimé sur lequel il me pria de jeter tes yeux avec indulgence, s'excusant sur sa jeunesse et la médiocrité de son talent. Le voilà parti; je me mets à lire, et je trouve, à mon grand étonnement, un morceau plein d'éloquence, de hardiesse et de logique: c'était un réquisitoire en laveur d'une femme convaincue de s'être un peu amusée dans la première année de son veuvage, et menacée, aux termes de la loi, de perdre tous les avantages de son contrat de mariage. J'ai appris depuis que ce même magistrat adolescent s'était élevé contre les vexations du duc de Richelieu, avait osé fixer les limites du pouvoir du commandant et de la loi, et faire ouvrir les portes des prisons à plusieurs citoyens qui y avaient été renfermés d'autorité. J'ai appris qu'après avoir humilié le commandant de la province, il avait entrepris les évêques qui avaient annulé des mariages protestants, et qu'il en avait fait réhabiliter quarante. Si l'esprit de la philosophie et du patriotisme allait s'emparer une fois de ces vieilles têtes-là, oh la bonne chose! Cela n'est pas impossible. Lorsque je revis M. Dupaty, je lui dis qu'en lisant son discours, ma vanité mortifiée n'avait trouvé de ressource que dans l'espérance que, marié, ayant des enfants, la soif de l'aisance, du repos, des honneurs, de la richesse le saisirait, et que tout ce talent ne réduirait à rien. Vous auriez souri de la naïveté avec laquelle il me promettait le contraire247.

J'ai encore huit ou dix jours au moins à porter l'ennuyeux tablier. Je pense que depuis que vous vous êtes félicitées du retour du beau temps, si les eaux de la Marne se sont renflées en proportion de celles de la Seine, la bourbeuse rivière couvre les vordes, et vous tient assiégées dans votre château. Il y a longtemps qu'on a dépouillé les comètes de toute influence sur nos affaires; est-ce à tort ou à raison? ma foi, je n'en sais rien. Vous direz, vous, qu'elles font perdre au jeu; mais maman dira, elle, qu'elles y font gagner; et puis ce sera comme toutes les choses de ce monde, qui ne peuvent nuire à l'un qu'elles ne soient utiles à l'autre. Vitrichy ou plutôt Villie était un médecin prussien qui publia plusieurs ouvrages, entre autres celui dont vous me parlez, où il traita de quelques propriétés merveilleuses du succin et autres substances naturelles. Il n'est point mort à Francfort, comme le dit le président de Thou, mais à Libuze. Si vous en voulez savoir davantage et qu'il y ait dans le canton quelqu'un qui ait besoin d'un autre philtre que celui d'un bon verre de vin que vous lui présenteriez en le regardant d'une certaine façon, je me le ferai prêter. Eh bien, vos récoltes ne sont donc pas achevées? et les chenilles sont donc en train de vous dispenser de celle des navettes? Aussi, que ne les faisiez-vous excommunier?

L'ouvrage de Neuilly est très-beau à voir; mais l'architecte est toujours claquemuré par sa maladie. M. et Mme de Trudaine m'ont pris dans une belle passion; il n'a tenu qu'à moi d'aller dîner deux ou trois fois à Châtillon en petit comité. Je n'en ai rien fait, parce que je suis un ours; mais j'ai promis, cela ne me coûte rien, parce que je ne m'engage jamais à tenir mes promesses. Je ne puis rien vous dire ni de M. ni de Mme Bouchard, que je n'ai point vus. Un anachorète ne vit pas plus retiré que moi Je me garderai bien de vous envoyer mes Dialogues; j'y perdrais le plaisir que j'aurais à vous les lire. D'ailleurs, sans me méfier de votre pénétration, je crois qu'il faut un petit commentaire. Cet ami qui était en quatrième avec les deux moines et moi, c'est un nommé Touche, dont vous aurez pu entendre parler à Mme Le Gendre qui le connaissait et l'estimait. Vos jours et vos yeux! Oh! je vous conseille de vous avancer davantage si vous ne voulez pas que Mme Casanove aille à l'enchère sur vous. Voici une nouvelle toute fraîche qui vous fera plaisir: le prince de Galitzin vient d'obtenir l'ambassade de La Haye, la meilleure de toutes et la moins pénible. Le voilà riche et paresseux à jamais; le voilà au centre de la peinture; le voilà proche de ses amis; je suis sûr que la tête lui en tourne. Il part de Pétersbourg avec sa femme, qui fera ses couches à Berlin d'où ils se rendront en Hollande.

Je veux mourir, si je vois dans ce fragment épistolaire autre chose que ce que vous y voyez; un homme qui, à l'occasion d'une bagatelle qui a pu vous être agréable, pousse sa pointe, et court après l'avantage d'avoir à se justifier auprès de vous des tendres sentiments qu'il a pris sans votre aveu, et qu'il ne désespérait pas de vous faire agréer. Cela n'est pas maladroit. Qu'il y réussît ou non, il se serait expliqué; mais il ne vous connaît guère: vous ne répondrez pointa cela.

Bonsoir, mesdames et bonnes amies. Je suis harassé de fatigue, et il est temps que Grimm rentre dans sa boutique.

CXXVII

Paris, le 1er octobre 1769.

Grimm n'est pas encore arrivé; ainsi, bonne amie, je porte encore le tablier de sa boutique; mais je commence à m'en lasser, et je ne sais plus ce qui me fait désirer son retour, si c'est le plaisir de revoir un ami, ou celui d'être soulagé d'un fardeau qui me pèse.

L'édition de l'abbé Galiani, mes planches, la corvée de Grimm, le Salon et mes petites affaires particulières m'accablent. Le soir, je suis quelquefois si las que je n'ai pas la force de manger; cela est à la lettre.

Vous ai-je dit que Greuze venait de recevoir le remboursement du mépris qu'il avait eu jusqu'à présent pour ses confrères? Son but était d'être peintre d'histoire. Il a présenté pour sa réception un tableau d'histoire; ce tableau était mauvais; ils ont accepté son mauvais tableau, et l'ont reçu comme peintre de genre. Sa femme s'en ronge les poings de foreur.

Mademoiselle Volland, mettez-vous en prière le soir, et demandez à Dieu le prompt retour de Grimm, et le prompt départ d'un de ses compatriotes appelé Weinacht, ou en langue chrétienne Noël Ce Weinacht ou Noël est le miré de l'impératrice; voilà la troisième ou quatrième fois qu'il m'enivre avec d'excellents vins que nous buvons à la santé de Sa Majesté; mais je pense que puisque ceci est affaire de prières, vous feriez bien de renvoyer cette commission à mon amoureuse.

Sur ma bonne foi! Oh! l'on peut m'y laisser en toute sûreté. J'ai eu le malheur de voir mon extrait baptistaire hier, avant-hier: ah! mademoiselle Volland, que je suis vieux! Si je suis nul, je vous réponds qu'il y en a qui ont fermé boutique de meilleure heure. J'ai je n'oserais vous le dire: cet âge est effrayant!

Je remis, il y a quelques jours, entre les mains de Molé cette comédie de Voltaire248. Je n'en entends point parler; je crains bien qu'elle ne me revienne avec un refus.

Ma petite bonne est dans les grandes affaires: il s'agit du bouquet de son papa; ce n'est pas une bagatelle; il faut être sublime. Je traverse à grands pas le salon du clavecin, parce qu'il ne faut pas que j'entende, et je vous jure que je n'entends rien: il ne faut pas apercevoir un bouquet qui doit nous être présenté.

Ce Dialogue entre d'Alembert et moi; et comment diable voulez-vous que je vous le fesse copier? c'est presque un livre; et puis, je vous l'ai dit, il faut un commentateur.

Ni moi ni personne ne sait un mot de la maladie de M… C'est un secret entre son médecin, sa femme et lui Je n'ai point de nouvelles connaissances, et je n'en veux point; je n'y vois rien à gagner pour soi, et tout à perdre pour ceux qui nous aiment. J'ai fait quelques voyages à la campagne de M. de Salverte: le moyen de s'y refuser?

Quelle fantaisie vous prend d'observer cette comète? Il y a près de cent ans que les comètes ne signifient plus rien.

L'abbé Le Monnier m'a donné une commission; je m'en suis bien acquitté; il m'a dit des injures, et puis je n'en ai plus entendu parler. Je ne sais ce que sont devenus M. et Mme Bouchard.

Bonjour, mesdames et bonnes amies. Portez-vous bien; revenez bien vite; et n'oubliez pas, le jour de la Saint-François, d'embrasser une bonne maman pour moi, avec vos bouquets. Présentez-lui mes souhaits et mon dévouement éternel. Vous revenez donc bientôt? Ah! la bonne nouvelle!

CXXVIII

Paris, le 18 octobre 1769.

Enfin, il est de retour, de mardi dernier, à ce qu'on dit; mais certains apprêts fort antérieurs, un voyage à la Briche, une santé bonne à la vérité, mais qui marquait déjà un peu de déchet, me font soupçonner un arrangement que je n'ai garde de blâmer. Il était très-naturel que nous nous vissions le mercredi; en effet, son tartare vint me dire qu'il m'attendait à onze heures; mais à cette heure-là même le carrosse de M. de Salverte devait me venir prendre pour aller passer le reste de la journée à la campagne. Je ne vous ai jamais dit un mot de ces honnêtes gens-là. M. de Salverte me paraît faible de santé, un peu vaporeux, inattendu cherchant le mot désobligeant, et heureusement ne le trouvant pas toujours; aimant le faste, la table, le bon vin, même un peu plus qu'il ne faut pour sa force. Mme de Salverte parle assez bien; est cachée, silencieuse; on la croirait fausse, à la juger sur sa physionomie; elle est certainement sèche, mais je ne la crois pas mauvaise. Pour Mme Devaisnes, c'est une des femmes ou plutôt des enfants les plus aimables qu'il soit possible de voir; de la raison, de la vivacité, de la gaieté, de la naïveté avec un peu de réflexion, une figure assez agréable, tout plein de talents; elle a tout cela et je l'aime beaucoup. J'oubliais de vous dire que M. de Salverte est très-despote et très-personnel; M. Devaisnes commence à perdre ce ton léger et charmant qu'il tenait du grand monde; soit que le séjour habituel à la campagne, soit que des pensées plus sérieuses l'aient un peu rembruni, je lui soupçonne plus d'ambition qu'il n'en montre. On arrive tard, on se met à table tout en arrivant: on mange bien, on boit encore mieux: on n'est ni bien gai, ni bien triste; on joue après dîner à des jeux d'exercice, on se promène, on cause, on se sépare toujours en souhaitant de se revoir. Le jeudi, comme je suis veuf, madame et mademoiselle étant à Sèvres, je donnai à Grimm rendez-vous chez moi; il vint de bonne heure, et nous nous séparâmes fort avant dans la nuit. Je ne vous parle pas du plaisir que nous eûmes à nous revoir, après une absence de cinq mois. Je l'aime, et j'en suis tendrement aimé. C'est tout dire. Je ne finirais pas si je m'embarquais dans l'histoire des agréments de son voyage; le roi de Prusse l'a arrêté trois jours de suite à Potsdam, et il a eu l'honneur de causer avec lui deux heures et demie chaque jour. Il en est enchanté; mais le moyen de ne pas l'être d'un grand prince, quand il s'avise d'être affable? Au sortir du dernier entretien, on lui présenta de la part du roi, une belle boîte d'or. Cela est fort bien; le prince de Saxe-Gotha a fait encore mieux: il lui a donné un titre, je ne sais quel, et il a attaché à ce titre une pension de douze cents livres. Ajoutez à cela un ventre très-rondelet et une lace lunaire qu'il a rapportés de son voyage, et vous trouverez qu'il n'a pas tout à fait perdu son temps sur les grands chemins. Mais je crains bien que le plus précieux de ces avantages, la santé, ne soit pas de longue durée. Tout à l'heure, vous saurez pourquoi je le présume. Rendez-vous pris chez moi encore pour le lendemain, c'est ce jour-là que je lui ai remis le tablier de la boutique, avec un volume de papiers effrayant. Nous en lûmes ensemble quelques-uns; j'avais choisi les plus amusants; malgré cela, le peu d'attention qu'ils exigeaient lui avait coloré les pommettes des joues d'un incarnat de fâcheux augure; la chaise de paille le tuera, s'il ne prend garde. Je lui demandai en grâce de ménager la pacotille que je lui remettais, de manière à vivre quelque temps là-dessus. C'était en effet la meilleure récompense que je pusse obtenir de ce pénible travail; il me l'a promise; me tiendra-t-il parole? j'en doute. Il a vu sa mère qui a quatre-vingt-cinq ou six ans passés, et qui jouit de la plus belle santé et de toute sa raison. Il a vu des frères, des neveux, des nièces dont il est enchanté. Au milieu de toutes ces agréables distractions-là, il a eu la bonté de se ressouvenir de Mlle Diderot, et de lui apporter un fardeau de musique imprimée des auteurs les plus renommés, et aussi belle que de la musique gravée. J'allai hier voir ma femme et ma fille; je comptais passer la journée en tête-à-tête avec elles, et je suis tombé dans une cohue de vingt-deux personnes. Nous avions fait la partie d'aller aujourd'hui au Grandval, mais nous en avons été détournés par une compagnie qui avait choisi le même jour. Nous y allons demain mardi; nous passerons ensemble deux heures et demie en allant, et deux heures et demie très-douces en revenant; voilà ce que nous nous sommes dit, et ce qui est vrai; mais ce qui ne l'est pas moins, et ce que nous ne nous sommes pas dit, c'est que le baron s'emparera de moi. Et vous, mesdames, quand me restituerez-vous les autres absents qui me sont chers? Voilà de beaux jours que je maudis de bon cœur; je mène la vie la plus retirée; j'y suis si bien fait, qu'il m'est arrivé une fois de m'habiller et de me déshabiller tout de suite.

Je vous salue, et vous embrasse de tout mon cœur. Si Mlle Volland voulait être sincère, elle m'avouerait qu'elle avait oublié le jour de ma fête.

CXXIX

Paris, le 2 novembre 1769.

Je vous ai écrit deux fois, bonne amie, avant que de faire mon petit voyage du Grandval. Je vous ai parlé du retour de Grimm. Je crois vous avoir dit que sa tournée avait été d'environ deux mille cinq cents lieues; qu'il n'avait pas perdu tout son temps sur les grands chemins, quoiqu'il se fut refusé aux propositions les plus avantageuses; qu'on lui avait donné à Gotha un titre honorifique avec une pension de douze cents livres; que le duc d'Orléans lui avait permis d'accepter l'un et l'autre, et qu'enfin il était riche, s'il était modéré dans ses désirs. Je vous ai priée de remercier mon amoureuse de son baume, dont le sédiment délayé avec un peu d'eau-de-vie de lavande m'a guéri d'un bobo au sein, qui commençait à m'inquiéter par son retour opiniâtre.

Le baron m'a témoigné tant d'humeur de ce qu'après lui avoir promis d'aller vivre avec lui à la campagne, je lui avais manqué de parole; il menait une vie si déplaisante, sa femme, ses enfants, sa belle-mère me désiraient si fort, qu'il a fallu céder. J'ai donc passé dix jours au Grandval; comme on les y passe: dans la plus grande liberté, et la plus grande chère.

Je me suis presque engagé à y retourner jusqu'à la Saint-Martin, que nous reviendrons tous ensemble à Paris; à moins que je n'exécute un projet proposé de folie, dans un de ces moments où l'on est si content d'être les uns à côté des autres, qu'on se sent pressé du désir d'y rester, c'est de passer une bonne partie de l'hiver à la campagne. Je me débarrasserais là d'une multitude de besognes importunes qui me pèsent sur les épaules, et peut-être en entamerais-je quelques importantes qui me rendraient honneur et profit, et qui me conduiraient jusqu'à la fin de ma carrière; elle est bien plus avancée que je ne croyais, à moins que je ne veuille la mesurer par la santé; je suis vieux, mais il est sûr qu'il n'y paraît pas; on ne le croirait jamais, à moins que je ne révèle mon secret, ce que je ne fois pas volontiers avec les femmes que j'aime et dont je veux être aimé aussi longtemps que je pourrai leur en imposer. Mademoiselle, n'allez pas commettre cette indiscrétion-là avec mon amoureuse; elle a, je crois, la meilleure opinion de moi; je ne veux pas la perdre; laissez-lui tout le mérite qu'elle peut avoir à me résister. Vous voyez bien qu'il n'est bon ni pour elle ni pour moi de savoir qu'en renonçant à moi elle ne renonce à rien.

Voilà donc maman gaie connue moi; se portant bien comme moi; libre de toute indisposition, comme moi; jeune comme moi? Dites-lui, en lui présentant mon respect, que je m'en réjouis autant que vous.

J'ai rêvé au motif du voyage de Vialet, et voici ce qui m'a passé par la tête. Le projet de M. Deparcieux d'amener les eaux de la rivière d'Yvette au haut de l'Estrapade est arrêté. M. Perronet, qui en est chargé, n'ayant plus pour Vialet une aversion dont la cause ne subsiste plus, et sentant le besoin qu'il a de ses talents, le fait-il venir pour lui succéder dans la conduite de cette entreprise, ou mieux encore, pour remplacer Chésy à l'École, tandis que celui-ci conduira les travaux de l'Yvette? Mais alors, une autre chose qui pourrait bien arriver, c'est que le beau-frère, qui n'a pas plus de religion qu'il ne faut, trouvera plus d'avantage à lui donner sa fille qu'à Digeon, qui n'a que des espérances, et que Digeon lut éconduit.

Je suis veuf; j'arrive du Grandval; et aussitôt ma femme et ma fille partent pour aller à la campagne; elles y resteront jusqu'à dimanche prochain, que j'irai les rechercher. Si je me détermine hindi à aller passer la semaine, et faire la Saint-Martin avec le baron, au Grandval, je ne manquerai pas de vous en informer.

Le tablier de la boutique de Grimm reste encore pour jusqu'à ce qu'il soit délivré des embarras que son absence de cinq mois lui a accumulés. Ajoutez à cela que tout mon temps au Grandval s'en va à blanchir les chiffons des autres.

Je vous salue, vous embrasse, et vous présente à toutes trois les sentiments du plus sincère et du plus tendre respect. À Paris, le lendemain de la Toussaint.

CXXX

Bourbonne-les-Bains, le 15 juillet 1770.

Mademoiselle, ce n'est pas à vous que je dis, c'est à celles qui m'aiment.

Je ne suis pas venu en province pour mon amusement: je m'y attendais à beaucoup d'affaires déplaisantes, et j'y en ai trouvé plus que je n'en espérais. Nous partîmes, Grimm et moi, le même jour que vous; mais il y a toute apparence que vous n'étiez pas à moitié de votre route que la nôtre était achevée. Ç'a été l'affaire de trente-cinq heures. Grimm a dîné et soupé une fois avec nous; le lendemain de notre arrivée, il est parti pour Bourbonne; il y a passé cinq jours sans moi, trois jours avec moi; et moi, cinq jours sans lui. Je ne vous dirai rien de la santé de Mme de Meaux et de madame sa fille, que vous ne connaissez point, et qui ne peuvent vous inspirer un grand intérêt. Mais je puis vous dire des nouvelles positives de celle de M. et de Mme de Sorlières; je n'ai pas manqué un seul jour de les aller voir: c'était un si grand plaisir pour eux et une si bonne œuvre de ma part! Mme de Sorlières est fort bien; elle a de la gaieté autant que sa position lui en permet. Je ne me suis point aperçu, en comparant son visage et son humeur de Paris avec le visage et l'humeur que je lui ai vus à Bourbonne, que l'un ou l'autre eût souffert de son voyage. M. de Sorlières est à peu près tel qu'il était; il prétend que son bras a pris un peu plus de liberté; mais en vérité on le dispenserait volontiers de la preuve qu'il en donne; cela fait une peine infinie à voir; il lui faut deux bonnes minutes au moins pour porter sa main jusqu'à son menton, et c'est un long voyage pour cette main. Sans les douleurs de sa jambe et de sa cuisse, il en ignorerait l'existence. Ces douleurs sont pourtant moins aiguës; il peut monter un escalier; mais c'est une si terrible corvée que de le descendre, que s'il arrive en visite à l'heure de la promenade, on prend son parti, on le laisse par égard et l'on s'en va. Mme de Sorlières ne sort point: je ne l'ai aperçue hors de chez elle qu'une seule fois, c'était au jardin des Capucins, qui est ouvert à tous les malades. Quand je quittai Bourbonne, M. de Sorlières se disposait à s'abandonner à toutes les ressources des eaux, en les prenant à la fois en boisson, en bains et en douches. Ce qui me fâche, c'est que son embonpoint se soutient. Sa maladie est, je crois, une de celles qui ne guérissent point sans empirer. Je voudrais qu'il s'élevât subitement dans cette masse de liqueurs et de chairs une fièvre violente qui le secouât fortement.

Bourbonne est un séjour triste, le jour par la rencontre des malades, la nuit par le fracas de leur arrivée; et puis, nulle promenade, un pavé détestable, des environs arides et déplaisants; des habitants que 50,000 écus ne peuvent enrichir tous les ans, parce que les denrées de consommation en emportent les deux tiers au loin; point de vivres, même pour de l'argent; des logements très-chers; des hôtes avides qui regardent les malades comme les Israélites regardent les cailles et la manne dans le désert. J'ai passé là une partie de mon temps à m'instruire des eaux, de leur nature, de leur ancienneté, de leur effet, de la manière d'en user, des antiquités du lieu, et j'en ai fait une lettre249 à l'usage des malheureux que leurs infirmités pourraient y conduire; et puis il ne fallait pas que des mille et une questions que le docteur Roux et mes amis ne manqueraient pas de me faire, je n'eusse réponse à aucune. Mon dessein était de ne voir personne; malgré que j'en eusse, il a fallu voir tout le monde. J'ai passé mes premiers jours à Langres dans ma famille et celle de mon gendre futur. Je disais, en arrivant, à Grimm: «Je crois que ma sœur sera bien caduque»; jugez de ma surprise, lorsqu'elle s'est élancée vers notre voiture avec une légèreté de biche, et qu'elle m'a présenté à baiser un visage de Bernardin. Toute la ville était en attente sur l'entrevue des deux frères, qui ne se sont pas encore aperçus; ce n'a pas été la faute d'allées, de venues, de pourparlers, de négociateurs mâles et femelles. La fin de tout cela c'est que les deux frères ne sont point raccommodés, et que la sœur et le frère, qui étaient bien ensemble, seront brouillés. Cela me peine beaucoup; je n'ai trouvé qu'un moyen de m'étourdir là-dessus, c'est de travailler du matin au soir; c'est ce que je fais et continuerai de faire. Votre douce solitude pourrait bien être troublée par une compagnie nombreuse: si l'abbé Le Monnier me tient parole, nous mettrons pied à terre à votre grille en même temps. Je prendrai la liberté de vous demander asile pour mon conducteur. M. et de Sorlières sont dans le dessein de vous aller voir. Je ne sortirai point d'ici sans avoir arrangé mes affaires. J'ai promis à Mme de Meaux et à M. de Sorlières de les visiter encore une fois; ils comptent peu sur ma parole; cependant je la tiendrai: c'est le sacrifice de deux jours. Je reviendrai à Langres dans le commencement de septembre, me rasseoir un moment au milieu des miens; et le 9 ou le 10, je me mettrai en chemin pour ma grande tournée. Je n'ai point oublié que c'est après-demain la fête de mademoiselle… Je joins, mesdames, mon hommage à vos souhaits, et je vous supplie de le faire agréer. Si Mme de Blacy est persuadée de mon sincère attachement, elle ne doutera pas de l'inquiétude que j'ai sur le dérangement de sa santé: je vous prie de dire à mon amoureuse que je ne me ferai jamais à ces sortes d'alarmes; il faut pour mon bonheur, ou qu'elle se porte bien, ou que j'ignore qu'elle se porte mal. L'honneur de sa guérison serait bien capable d'abréger mon séjour ici; mais je ne croirai pas aisément que ma personne fasse un miracle que celles d'une bonne sœur et d'une maman comme je n'en connais point ne sauraient faire; elle sera guérie quand j'arriverai, et je n'aurai qu'à jouir de sa bonne santé. Croiriez-vous bien qu'au milieu de mes soucis, je n'ai pas cessé de souffrir de l'incertitude des récoltes? Il faisait des pluies continuelles; je voyais des champs couverts, et je ne savais pas si l'on recueillerait un épi Joignez à cette idée le spectacle présent de la misère. Je commence à me rassurer depuis que je vois la terre se dépouiller; et, à en juger par le soulagement que j'éprouve, il fallait que la crainte de la disette pour mes semblables entrât considérablement dans mon malaise. Maman, consolez-vous de vos mauvaises récoltes; nous aurons la soupe et le bouilli, nous boirons de la bière, et nous serons contents. Le bon dîner est celui qu'on fait avec ceux qu'on aime; et je vous aime autant que je vous respecte. Vous seriez bien aise, mademoiselle, de trouver ici un mot doux, mais votre lettre m'a fait trop de peine, pour n'en pas avoir de ressentiment: je vous aime bien; mais, par Dieu! je ne vous le dirai pas.

M. Le Gendre n'est donc plus! s'il avait voulu finir un ou deux ans plus tôt, il aurait été plus regretté. Voilà sa fille sortie du couvent et bien mariée; et son fils sur le point d'être claquemuré dans un collège. Comme tout se retourne!

Bonjour, mesdames et bonnes amies. Je vois arriver avec joie le moment de vous embrasser. Recevez toutes trois mon respect.

247.J-B. Mercier-Dupaty (1744-1788), auteur des Lettres sur l'Italie qui eurent tant de vogue, et à mortier du parlement de Bordeaux. Le plaidoyer dont il s'agit et que ne mentionne pas Quérard est intitulé: Discours de M. Dupaty, avocat général dans la cause d'une veuve, accusée d'avoir forfait avant l'an du deuil. 1769, in-8.
248.Voir précédemment, page 321.
249.Voir le Voyage à Bourbonne, tome XVII.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
760 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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