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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 5

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IX

Qui va là? – s’écria lord Cockermouth entendant marcher dans son appartement, où, depuis le dîner, il s’occupoit avec lady de l’ordonnance du banquet du lendemain. Qui va là?

– C’est moi, mon commodore.

Et Chris, s’approchant par derrière, se pencha à l’oreille du comte. – Il y a du nouveau, dit-il, j’ai quelque chose à vous communiquer.

– Madame, voulez-vous me faire la faveur de vous retirer? j’ai besoin d’être seul avec Chris.

La comtesse, qui avoit remarqué le chuchotement mystérieux et insultant du valet, se leva avec un geste d’indignation et sortit.

– Mon commodore, tout à l’heure, en promenant Bérébère, votre cavale, j’apperçus, rôdant sur les bords du torrent, master Pat: je descendis aussitôt de cheval, et je me glissai dans les broussailles pour l’épier; je le vis s’arrêter sous le Saule-creux, fouiller la terre, en retirer une boîte, puis la remettre en terre et s’éloigner.

Alors, avec précaution, je me glissai au pied du saule, je creusai au même endroit, et je déterrai ce coffret d’acier que voici: le fermail est à secret, il m’a été impossible de l’ouvrir.

Après bien des efforts, à coups de hache, ils parvinrent à effondrer le couvercle. Un billet fraîchement cacheté s’y trouvoit seul: Cockermouth s’en saisit avidement. Pendant qu’il le parcouroit du regard sa figure changea plusieurs fois d’expression; la curiosité fit place à la surprise, la surprise à la rage étouffée.

Le soir, lorsque Chris vint pour le débotter du comte, il le trouva au milieu de sa chambre, debout, immobile comme un Hermès dans sa gaine, la tête penchée et les yeux engloutis sous ses sourcils refrognés; il fumoit.

– Chris, tu as donc de la rancune, tu as donc une rancœur contre Pat?

– Oui, commodore, un vieux levain de haine que je garde là, et qui n’en démarrera pas!

– Et d’où vient cette haine?

– D’un affront sanglant, mon commodore. Il y a bien de cela deux ans; un dimanche, j’offris à Pat, d’entrer avec moi à la taverne. En pleine place, Pat me fit un refus, prétendant qu’il avoit pour habitude de ne boire qu’à ses repas, et de l’eau. – Tu ne veux pas boire avec un vieux matelot? lui dis-je, tu fais bien le gros-bonnet, mon bouvier! – Monsieur Chris, puisque vous faites l’insolent, me répliqua-t-il, je vous déclarerai que je n’ai jamais bu et ne boirai jamais avec un Anglois, si ce n’est dans son crâne. – Là dessus, mon commodore, enflammé par ces injures, oubliant que le temps étoit loin où je brisois un François sur mon genou comme une baguette, je m’élançai sur lui et je le frappai violemment; mais lui, jeune et vigoureux, de deux ou trois coups de poing m’assomma, aux grands applaudissements de tout le village, qui crioit: Mort à l’Anglois!

Oh! j’ai cela sur le cœur! ça m’y pèse comme un boulet, mon commodore. Chris, avaler un pareil affront! Chris, un ancien flibustier! Chris, le tigre d’abordage! Chris, l’anthropophage! comme on m’appeloit. Dieu me damne! je ne veux pas qu’on enterre ma haine! je ne partirai pas de ce monde sans avoir mis le genoux sur sa poitrine et mon couteau dans sa chienne de gorge!

– Veux-tu associer ta haine, Chris?

– Vous me faites trop d’honneur, commodore.

– Veux-tu associer ta vengeance?

– Vous me faites trop d’honneur, mon commodore.

– Va chercher deux bouteilles de rum et ta pipe.

– Chris revint aussitôt garni de provisions, et le comte referma sur lui les portes aux verrouils…

Les gents du château remarquèrent de la lumière, toute la nuit, dans la chambre de leur seigneur.

X

Les extorsions du comte, sa haine publique pour les Irlandois, la cruauté avec laquelle il avoit traité les malheureux tombés entre ses mains, dans les soulèvements du midi de l’Irlande, ne lui avoient pas gagné les cœurs des montagnards de Kerry, que le clergé entretenoit chaleureusement dans leur mauvaise disposition; car le clergé de toute l’Irlande exécroit Cockermouth, et pour bonne raison: en 1723, au Parlement, soi-disant Irlandois, c’étoit lui qui avoit proposé, sérieusement et tenacement dans un long discours, de faire revivre le supplice de castration contre les prêtres catholiques. Cette motion, accueillie avec transport, adoptée par le Parlement, transmise en Angleterre et fortement recommandée à sa majesté, n’avoit été rejetée que par l’interposition du cardinal Fleury auprès du ministre Walpole.

Aussi la journée du 15, anniversaire de la naissance du Head-landlord de Cockermouth-Castle, fut-elle comme à l’ordinaire un jour de calme et de travail. Les villageois ne prirent aucune part aux fêtes du château, les cloches ne fatiguèrent point l’écho de leur tintement solemnel. Seulement, les fermiers, tenanciers et ouvriers vinrent, dès le matin, faire leur indispensable salutation; seulement, une centaine de mendiants de la contrée vinrent au son de la cornemuse, rendre hommage-lige à la cuisine.

La comtesse fit dresser une table dans une salle basse du château, et servir à ces derniers un déjeûner copieux, dont elle et Déborah firent les honneurs. C’étoit d’un bel exemple: cette noble dame et sa belle jeune fille élégamment vêtues, mais simples de manières, dans cette salle enfumée, au milieu d’une horde de misérables, veillant avec sollicitude à ce que chacun eût une égale pitance; réservant les pâtisseries aux enfants et les pièces délicates aux vieillards; répondant à touts avec bonté; donnant aux plus souffrants des paroles de consolation, et des vêtements aux plus dénués.

Durant tout le festin, bruyant comme un festin de gueux, des tostes fréquents furent portés à lady Cockermouth et à miss Déborah. Au dessert les cornemuses recommencèrent à sonner de plus belle; et un vieux d’entre ces truands, qui avoit qualité de minstrel, chanta des chansons populaires et des chants à la gloire de leurs nobles hôtesses.

Dès la nuit tombante, l’avenue et la grande cour du château furent illuminées; et les piétons, et les cavaliers, et les carrosses arrivèrent en foule.

Les conviés se composoient des châtelains et des gentilshommes des environs et de quelques villes à la ronde. Le falot à la main, une troupe de valets attendoient sur le porche, et introduisoient dans le grand salon d’été où recevoient le lord comte Cockermouth, en grand costume de commodore, et la comtesse, belle encore et d’une beauté intéressante même à travers une forêt d’atours. Déborah, belle comme sa mère, mais sans chamarrures, pour échapper aux simagrées de bon ton dont son âme préoccupée auroit eu beaucoup à souffrir, se perdoit le plus possible dans la foule, et s’y tenoit modestement cachée comme une violette sous une touffe de feuilles.

Mais à l’arrivée de l’époux de convention, elle fut arrachée à sa solitude et présentée à toute sa future famille, venue pour conclure le marché. Déborah, d’une façon affable, les salua touts sans dire mot, et paya simplement en révérences leurs congratulations et les madrigaux de son prétendu.

C’étoit un gentilhomme du comté, jeune premier de quarante ans, issu d’une famille qui avoit été recommandable, autrefois, sous Charlemagne, et qui jadis avoit suivi Guillaume le Conquérant. Ce noble rejeton n’avoit pas dégénéré; l’ambition de ses ayeux l’animoit toujours; seulement, au lieu de conquérir des nations, il conquéroit des filles. Sa vie étoit vouée aux bonnes fortunes. Depuis peu d’années, il étoit revenu de Londres habiter dans le sein de sa famille pour rétablir santé, fort détériorée par ses travaux; et, depuis son retour, la population à l’entour des domaines paternels s’étoit presque doublée. Les paysannes le fuyoient comme la peste, ou comme Daphné fuyoit Apollon; mais, comme Daphné, les pauvres bergères ne se changeoient pas en lauriers. Pour mettre fin à ses débordements, on avoit avisé de lui donner Déborah, qui, en vérité, n’étoit considérée que comme un liniment; et notre graveleux gentillâtre s’étoit prêté volontiers à cette manigance qui lui livroit entre les mains une femme admirable, et de l’argent pour prolonger ses conquêtes sur son déclin. L’argent est le nerf de la guerre.

Déborah ne le connoissoit que par les renseignements qu’on lui avoit insinués. Mais à la première vue de ce galant, qui exhaloit une forte odeur de libertinage, la plus novice enfant eût ressenti un dégoût insurmontable. Notre nature se révolte d’elle-même au contact de ce qui peut lui être funeste, comme les lèvres répugnent au poison.

A peine soustraite à l’impertinence obséquieuse de son préposé, Déborah se glissa hors du salon, et courut à son appartement. Là, en grande hâte, elle arracha ses fanfreluches de fête, alluma plusieurs bougies, qu’elle plaça près des croisées, s’enveloppa d’un manteau, et, marchant sur la pointe des pieds et retenant son haleine, descendit au jardin, où elle disparut au milieu de l’obscurité.

De temps en temps, au salon, lord Cockermouth tiroit sa montre: il étoit dans son fauteuil comme dans un siége de torture, et ne prenoit aucune part aux conversations. A huit heures trois quarts sonnées il se leva, et se promena parmi les groupes de causeurs, laissant errer ses regards sur l’assemblée, qu’il paroissoit dénombrer tacitement; puis il sortit, et se rendit dans la seconde cour intérieure.

– Qui marche par ici? Est-ce vous, mon commodore?

– Ah! c’est toi, Chris, parlons bas. Es-tu prêt? l’heure approche.

– Oui, mon commodore.

– As-tu ta carabine?

– Chargée jusqu’à la gueule, mon commodore.

– L’as-tu vue?

– Non, commodore.

– Elle n’est plus au salon.

– Regardez, son appartement est éclairé: sans doute elle fait ses préparatifs.

– Va fermer le guichet de la Tour de l’Est et la porte du grand corridor, et nous la tenons prisonnière. Pas de bruit. Fais vite. Je t’attends ici.

– Maintenant tout est fermé, mon commodore.

– Bon! suis-moi: prenons l’allée des ifs.

– Bombardement de sort! mon commodore, le ciel économise sur les chandelles, cette nuit: j’y vois autant par-devant que par-derrière.

– Tais-toi.

Arrivés à l’extrémité du clos, il montèrent sur une terrasse ronde qui flanquoit une de ses encoignures; c’étoit une ancienne tourelle presque rasée et remblayée de terre à l’intérieur; à ses pieds se croisoient deux sentiers.

– J’entends marcher, mon commodore, là, dans le chemin de Killarney.

– Ne vois-tu pas quelque chose qui passe de long en large?.. Chris, ne te penche pas tant sur le parapet, tu pourrois nous trahir.

– C’est lui!

– Le voici qui s’approche. Vois-tu assez clair?

– Assez pour le frapper au cœur!

– Va donc! as-tu peur, Chris?

– Oui, mon commodore, de le manquer… Ouf!.. Il l’a dans de ventre!

– Bien joué! bravo!

– Allons, le coup de grâce! dit Chris en sautant dans le chemin.

Mylord resta penché sur le parapet, lorgnant son valet à la besogne, outrageant sa victime et blasphémant Dieu.

– God-damn! mon commodore, que les papistes ont la vie dure! – Ah! monsieur Pat, vous ne voulez pas boire avec les Anglois, mais vous voulez… Tien! entends-tu!.. c’est Chris qui t’éventre!..

– De la part de lord Cockermouth.

– De compte à demi. En as-tu assez?

– Tu ne l’acheveras jamais à coups de crosse. Tiens, Chris, prends mon épée.

– Va donc! va donc! va donc! En veux-tu encore?

– Assez, assez, Chris! tu fais comme harlequin, tu t’amuses à tuer les morts.

Neuf heures sonnent: ou m’attend pour le banquet. Essuye mon épée: rends-la-moi; et va changer de vêtement.

Lord Cockermouth rentra au salon, s’excusa de son absence, et pria ses hôtes de vouloir bien passer dans la salle du festin. Immense galerie de toute la profondeur du château, aboutissant au jardin, et y communiquant par un vaste perron en éventail. La voûte en tiers-point étoit ornée entre les nervures d’un semis d’étoiles sur fond d’outremer. Les parois étoient revêtues de lambris de chêne sculptés grossièrement. Des débris d’armures et de pertuisanes rouillées couvroient les piliers alternant les grandes fenêtres à meneaux de pierre et à vitraux coloriés.

Dans la longueur de cette galerie une table de cent cinquante couverts se trouvoit dressée avec un luxe royal. Au milieu lord comte Cockermouth étoit placé vis-à-vis de lady; à la gauche de laquelle on avoit réservé une place pour Déborah, que redemandoit sans cesse son aimable futur. Comme la comtesse s’inquiétoit fort aussi de cette absence, le comte appela Chris, et lui dit, en faisant quelques signes d’intelligence: – Allez voir si ma fille ne seroit point en son appartement, et blâmez-la de son impolitesse.

Chris, la mine ébahie, revint presque aussitôt, en s’écriant: – Mon commodore, je n’ai point trouvé mademoiselle!

Cockermouth fit un mouvement de surprise. Chris s’approcha de lui, et ajouta tout bas: – Pourtant les portes étoient fermées, et les bougies brûloient encore…

A ces mots, il pâlit, et son bras, avancé pour saisir un flacon, tomba inerte sur la table.

Toute l’assemblée remarqua le trouble étrange de son hôte.

XI

A peine lord Cockermouth et Chris s’étoient-ils éloignés de leur victime, que Patrick arriva au rendez-vous par le chemin creux de Killarney. En approchant de la terrasse, son cœur gros d’inquiétude, tressaillit d’ivresse: dans le silence, un léger bruit d’haleine et de soupirs venoit caresser son oreille.

– To be!.. dit-il alors: mais nulle voix n’acheva la phrase de ralliement. To be! répéta-il avec plus de force.

Un râlement partit à ses pieds, et une voix mourante murmura: Or not to be.

– Qui donc m’a répondu? est-ce l’ombre d’Hamlet, ou est-ce vous, Déborah?

Alors, il apperçut un corps étendu en travers du chemin, et s’écria, tombant à deux genoux: – Debby assassinée!

Baignée dans son sang, elle avoit encore la face tournée contre terre. Il la releva et la fit asseoir sur l’herbe, en la soutenant dans ses bras, et cherchant par ses baisers à ranimer ses paupières closes.

– Debby! ô ma Debby! jette un dernier regard sur Patrick. C’est moi! c’est ton bien-aimé! M’entends-tu? Parle, où sont tes blessures?

– Patrick? Hélas! c’est toi! Va-t’en, ils te tueroient aussi les cruels!..

– Qui?

– Va-t’en! ne les vois-tu pas? ils vont te tuer! Fuis!.. Ils ont juré ta perte.

– N’aie pas peur. Dis où sont tes blessures, que je les étanche!.. Dis, connois-tu tes meurtriers?

– Tes soins seront vains, Patrick, je n’ai plus qu’à mourir… Ne me demande pas le nom de mes assassins! Il est de ces choses qu’on ne peut dévoiler: c’est un secret entre le ciel et moi. – Mon ami, avant que j’expire, pardonne-moi et bénis-moi! Pardonne-moi! Tout à l’heure, quand je suis tombée atteinte d’un coup de feu, mon esprit a conçu une horrible pensée dont le souvenir me glace de honte: oui! il faut que je te le dise!.. Je t’ai accusé de mon meurtre: oh! que je suis ingrate et coupable envers toi! et si mes égorgeurs m’eussent frappée en silence, j’aurois cru mourir par tes mains. Patrick, ne me maudis pas!

– Abomination! moi t’égorger, Déborah! vous n’avez pas foi en moi, Debby; cette pensée est l’œuvre du doute qui règne en votre âme.

– Non, Patrick, elle fut l’œuvre de mes esprits éperdus et de mes douleurs.

– Ce n’est pas l’instant, ce n’est pas l’heure des reproches, Déborah, je t’aime et te pardonne. A toi mon âme! à toi mon sang! à toi ma vie!.. Dis, que faut-il que je fasse?.. nomme-moi donc tes assassins! Pour la première fois mon cœur comprend le meurtre! pour la première fois la vengeance le déborde!.. J’ai besoin d’anéantir!.. je tuerai!..

– Vous oubliez Dieu, Patrick.

Ces simples mots éteignirent subitement sa passion, et chassèrent son délire.

– Votre voix est un baume qui calme, Debby, et vos paroles sont de la rosée.

Il me semble, Debby, que vos forces reviennent? Sans doute vos blessures sont moins graves que vous ne le pensiez? vous ne pouvez rester plus long-temps sans secours: dites, où faut-il que je vous conduise.

– En effet, je me sens mieux; la balle ne m’a frappée qu’à la jambe; l’obscurité m’a sauvée presque entièrement des coups d’épée. Aidez-moi seulement à me relever, je suis encore assez forte pour me traîner jusqu’au château. Mais, toi, mon Patrick, au nom du Ciel, je t’en supplie, va-t’en! tu n’es pas en sûreté ici: on en veut à tes jours, te dis-je! c’est toi qu’on a cru frapper en me frappant. Fuis!..

– Fuir! Et quoi donc?.. La mort? Non, qu’elle vienne! je la recevrai avec joie. Sans toi que me peut être la vie?

– Patrick au nom de Dieu cède à mes prières. Sur une terre étrangère, on a besoin d’or: prends cet écrin plein de joyaux que j’emportais; et pars en France, comme nous devions le faire touts deux. En cet état, je ne puis te suivre; mais crois à mon serment: sitôt que j’aurai recouvré quelque vigueur, je t’y rejoindrai.

– Fuir sans toi! plutôt la mort!

– Écoute mes prières: tu ne peux demeurer en ce pays plus long-temps, tu te perdrois et tu me perdrois. Si ce n’est ce soir, demain tu serois immolé! Que t’importe de me devancer en France de quelques jours. Pars; va tout préparer pour ma réception, pour la réception de ton épouse.

– Ne peut-il pas être des obstacles qui t’empêcheront de me rejoindre en mon exil?

– Il n’en peut plus être, Patrick; tout est changé, je ne m’enfuirai plus, je partirai devant touts, en plein jour. Je n’ai plus à trembler, maintenant c’est devant moi qu’on tremblera.

Tu viens de trahir ton secret, Debby, je connois ton meurtrier, qui devoit être le mien: tu me l’as nommé: c’est celui devant qui tu tremblois… Celui-là même a versé son propre sang! celui-là même a assassiné sa fille! C’est ton père!..

– Aide-moi à marcher, mon ami, et reconduis-moi jusqu’à l’entrée du clos.

– Tu souffres affreusement, pauvre amie, ne fais pas d’efforts pour me cacher tes douleurs; laisse passer tes soupirs, laisse couler tes pleurs. Mon Dieu! jusques à quand amoncelerai-je sur sa tête malheur sur malheur! – Je te l’avois bien dit, je suis maudit et funeste. Mes bras amoureux n’ont enlacé à toi qu’une lourde pierre qui t’entraîneroit d’abyme en abyme. Crois-moi, divisons nos destinées: que la tienne soit heureuse! que la mienne soit atroce!.. Je veux bien fuir loin de cette patrie, mais oublie-moi, mais ne viens pas me rejoindre, ne viens pas recoudre le tissu brillant de ta vie à mon manteau de deuil!

– Quand j’aurois besoin de tant de consolations, ce sont là vos paroles de reconfort: accablez-moi, Patrick, abreuvez-moi d’idées amères!

Pat, on pourroit te voir, ne m’accompagne pas plus avant; me voici dans la grande avenue. Vois-tu là-bas les croisées de la galerie resplendissantes du feu des bougies? Entends-tu le choc des verres et les éclats de joie?.. Je marcherai bien seule jusque-là. Donne-moi seulement une branche d’arbre pour assurer mes pas. – Adieu, Patrick, adieu! Sois tranquille, ni l’absence, ni le temps, ni l’espace n’auront pouvoir sur mon amour. Mon âme te suivra en touts lieux. Adieu! bientôt je serai près de toi.

– Adieu, Debby! A toi seule pour la vie! et, si Dieu veut, à toi seule pour l’éternité!..

– Comment te retrouverai-je à Paris?

– Il faut avoir recours à un expédient: mais lequel?.. Sur la façade du Louvre qui regarde la Seine, vers le sixième pilastre, j’écrirai sur une des pierres du mur mon nom et ma demeure.

Leurs lèvres se rencontrèrent alors, et restèrent long-temps accolées. Déborah, évanouie sous ce baiser déchirant, étoit renversée dans les bras de Patrick, qui chanceloit et s’appuyoit contre un des tilleuls de l’avenue. Enfin, ils s’arrachèrent à cet embrassement.

Patrick remonta la salle d’ombrage; il pleuroit abondamment, il se soulageoit; car il avoit refoulé dans son cœur touts ses sentiments de désespoir, pour ne pas accabler son amie.

Pleure, pauvre Patrick! soulage-toi!.. Pleure sur ton sort, il n’en peut être de plus affreux. Pauvre ami! à vingt ans t’enfuir seul de ta patrie, trempé des pleurs et teint du sang de ton amante!..

Déborah, courbée sur un bâton, se traînoit péniblement vers le château. Elle avoit renfermé ses souffrances et épuisé ses forces morales pour dissimuler à Patrick l’horreur de son état. Ses blessures saignoient toujours. Sa foiblesse augmentait à chaque pas.

Le festin s’avançoit. Lord Cockermouth affectoit une gaîté et une affabilité maladroites, qui faisoient transpirer d’autant plus sa préoccupation et son désappointement. Plusieurs fois il avoit été remarqué parlant tout bas à Chris. Lady s’agitait dans la plus violente inquiétude: elle étoit allée elle-même à la recherche de Déborah, dans son appartement et dans tout le château, et l’avoit fait appeler plusieurs fois dans le jardin et dans le parc. Touts les convives s’étoient apperçu de son absence, et prenoient un air mystérieux pour en causer. Beaucoup de propos méchants et moqueurs se promenoient de bouche en bouche. Le futur, accouplé à une chaise vide, paroissoit assez décontenancé: il ne savoit quoi penser de la disparition de sa prétendue, et se travailloit l’esprit pour découvrir en sa personne ce qui avoit pu lui inspirer une si énergique aversion.

Tout à coup, dans un intervalle de silence, on entendit à l’extérieur des pas sourds sur le perron: touts les regards se tournèrent de ce côté, et le calme devint général.

La porte agitée et ébranlée se ployoit comme sous le poids d’un corps.

– C’est elle!.. s’écria-t-on de toutes parts, c’est elle! ouvrez donc!

Chris alors se précipita sur la porte et l’ouvrit à deux battants. – Des cris d’horreur et d’épouvante retentirent dans la salle.

Déborah, pâle et couverte de sang, dans un désordre affreux, entra, fit quelques pas encore, et tomba de sa hauteur sur les dalles.

La terreur étoit au comble.

La comtesse, éperdue, poussant des plaintes et des cris désespérés, s’étoit jetée sur le corps de sa fille, qu’elle étouffoit sous ses embrassements.

Le comte appela les valets, et fit emporter Déborah.

La consternation régnoit dans l’assemblée: pleins d’effroi, les convives désertoient leurs places, et s’enfuyoient avec tant de hâte qu’ils se blessoient l’un l’autre.

Lord Cockermouth, lui seul, manifestoit du calme et du sang-froid, et vouloit retenir les fuyards.

– Messieurs, remettons-nous à table, s’il vous plaît? Ce n’est qu’un accident fâcheux qui n’aura point de suites graves: qu’il ne trouble en rien notre fête. Allons, mesdames, de grâce, à vos sièges.

Sans avoir égard aux prières de mylord, la foule se retiroit toujours.

– Messieurs, je vous en prie, à table! qui fuyez-vous? qui vous chasse? est-ce le malheur de miss Déborah? vous m’en voyez comme vous pénétré de douleur. Pauvre enfant! – Mais achevons le festin. A table, vous dis-je! M’entendez-vous, messieurs! Je suis touché de vos marques de condoléance pour ma fille; mais votre déférence, mais votre sensibilité va trop loin. Me laisserez-vous seul au milieu de la fête que je vous donne? Vous ne partirez pas, messieurs! Trembleriez-vous pour vos chers personnages? Vous n’êtes point ici dans un coupe-gorge, je crois! Vous êtes chez le Head landlord de Cockermouth-Castle, un vieux soldat, que vous outragez! Ah! vous me faites, messieurs, l’affront le plus insigne, l’affront le plus cruel: vous reniez votre hôte, vous repoussez son pain et son sel! C’est insulter à mes cheveux blancs, c’est insulter à la gloire de ma race! Vous ne partirez pas, vous dis-je, moi, je vous le défends, sans avoir rendu raison d’un tel outrage à votre hôte!.. Mais non: vous êtes touts des lâches! Sortez! sortez donc! je vous l’ordonne; vous souillez ma demeure, j’ai honte de vous!

Hurlant ces derniers mots, le comte, écumant de rage et de dépit, dégaina sa flamberge et la brandit autour de lui en s’avançant sur les convives retirés vers la porte; l’un d’eux, un vieillard, lui vint au devant d’un pas assuré, et lui dit, avec un faux air mystérieux: Mylord, vous avez du sang à votre épée…

A ces paroles, frappé en sursaut comme de la foudre, Cockermouth, refroidi, s’arrêta court, et de sa main laissa choir son épée, rouge encore du sang de Déborah.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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