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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 4

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– Bien, Debby, très-bien! merveilleusement pensé.

– Ainsi, Phadruig, le quinze de ce mois, à neuf heures précises, trouve-toi à l’entrée du parc: j’y serai.

– Oui, à l’entrée du parc, au pied de la terrasse, dans le chemin des saules.

– Cela est entendu?

– Irrévocablement.

– Patrick, me voici à toi, je me donne à toi!.. A genoux, inclinons-nous: – Dieu, qui habitez en notre cœur, bénissez notre union, bénissez notre amour; bénissez Déborah, qui se fait devant vous servante de Patrick, de Patrick, votre fidèle serviteur, son époux d’élection parmi les enfants des hommes! Dieu, protégez-le! dirigez-le et emplissez-le de votre esprit; car l’épouse suivra l’époux, mais l’époux, qui suivroit-il!

– Nature, terre, ciel, soyez témoins: pour la vie et pour l’éternité, que Déborah soit mon épouse et ma compagne; que je sois l’époux de mon épouse: ce sont nos vœux! Dieu, défends-moi! Dieu, protége-moi! et je défendrai et je protégerai celle qui se donne à moi sans défense.

– Donne-moi ton doigt, Patrick, que j’y passe cette bague: mon grand-père la portoit, et en expirant il me l’a léguée comme dernier, comme suprême souvenir: c’est une relique sacrée pour moi; j’y tiens comme à ma vie, et c’est pour cela que je te la donne: porte-la.

– Je vous remercie, mon amie. Oh, maintenant que je suis glorieux! Dans la vie et dans la tombe, que cette alliance demeure à mon doigt, où vous l’avez rivée! Oh! je suis fier de cette emprise comme un paladin.

– Voici déjà le ciel qui se blanchit à l’orient; ne nous laissons pas surprendre par l’aube; séparons-nous, Patrick: adieu, mon ami, adieu! jusqu’au jour où nous romprons nos fers.

– Adieu, Debby, adieu ma grande amie! adieu, mon amante; veillez bien sur vous. Si nous avons à nous écrire, nous déposerons nos lettres toujours au même lieu.

Solitudes, c’est pour la dernière fois que nous sommes venus vous troubler; vous ne serez plus éveillées par nos gémissements. Merci à vous, qui nous avez prêté tant de fois vos discrets ombrages! Nous vous délaissons à jamais pour une terre lointaine, qui comme vous nous sera hospitalière, et où notre amour trouvera, même au sein des villes et de la foule, le désert et la liberté que nous venions chercher au milieu de vos roches!

Un baiser, Debby.

– Mille!.. Patrick! Patrick, mon beau Coulin!

Déborah, éplorée, avoit jeté ses bras autour du col de Patrick, qui la pressoit sur sa poitrine palpitante, et qui promenoit ses lèvres, encore timides, mais brûlantes, sur son front rejeté en arrière. Ils ne pouvoient rompre leur étreinte; ils ne pouvoient surmonter une attraction qui les lioit.

C’étoit leur premier embrassement, il fut long: entrelacés de leurs bras, bouche à bouche, ils descendirent la clairière dans un si fol enivrement qu’ils dépassèrent le rivage, et entrèrent dans le lit du torrent jusqu’à mi-jambes. Ce péril détruisit le charme qui les possédoit.

Patrick s’enfonça dans le parc, et Déborah reprit le sentier inculte par lequel elle étoit venue. Plusieurs fois, encore, il lui sembla entendre marcher sur ses traces; elle s’arrêtoit pour écouter, mais le bruit cessoit: comme, dans les prés, les cris des gryllons cessent aussitôt que des pas approchent. Plusieurs fois ce froissement la précéda, et des cimes de buissons parurent agitées d’une façon surnaturelle. Une ronce qu’elle frôloit lui enleva son écharpe flottant sur ses épaules: elle rebroussa chemin pour la reprendre; la ronce se balançoit, mais l’écharpe avoit disparu. Sa frayeur devint grande, et précipita sa marche. Arrivée aux derniers taillis du sentier, une explosion d’arme à feu éclata sur sa tête; l’étonnement lui fit jeter un cri et fléchir les genoux: mais, reprenant aussitôt courage, elle descendit dans les fossés du château pour regagner la Tour de l’Est. Là, grands dieux, quelle fut sa stupeur! la poterne qu’elle avoit refermée sur elle, en sortant, se trouvoit ouverte.

VI

A huit heures du matin Chris entra dans la chambre du comte Cockermouth, lui apportant, suivant l’ordinaire, son dentifrice, c’est-à-dire un carafon de rum, qu’il vidoit avant le déjeûner. C’étoit là le seul cosmétique dont son maître faisoit usage.

– Eh bien, Chris, cette nuit, avons-nous fait vigie?

– Mon commodore, depuis que vous m’avez donné des lettres-de-marque, je n’ai pas cessé ma croisière; aussi, ai-je fait bonne chasse et bonne prise.

– Ventre de papiste! est-ce que…?

– Le doute n’est plus possible, mon commodore. Vers une heure du matin, j’entendis marcher dans le corridor de la Tour de l’Est, puis ouvrir et refermer la poterne; je m’élançai aussitôt à la poursuite de qui ce pouvoit être, suivant la même direction, mais à quelque distance. Quand, après avoir descendu par le sentier, j’arrivai à la grille du parc, je vis clairement, et de près comme je vous vois, mademoiselle Déborah qui côtoyoit le torrent. Lorsqu’elle fut proche du Saule-creux, un jeune homme parut tout à coup, et lui vint au-devant: c’étoit, je reconnus de suite sa chevelure et sa voix, monsieur le bouvier Pat! – Ah! mille trombes! si je ne m’étois retenu, mon commodore, sauf votre respect, j’aurois volontiers logé quelques balles dans les reins de ce mirliflore!.. A travers les broussailles, je m’approchai d’eux le plus possible, et j’écoutai: au bout d’une séquelle de choses qui n’étoient pas très-claires pour moi, j’entendis mademoiselle Déborah dire à Patrick: «Ne restons pas ici; ma mère m’a recommandé de nous tenir sur nos gardes: si, par hasard, nous étions espionnés, on pourroit, caché dans ces taillis, nous écouter et nous entendre; montons à la clairière.»

– Ventre de papiste! as-tu bien ouï cela?

– Oui, mon commodore, mot à mot. Ils montèrent donc sur la colline et allèrent s’asseoir sur la roche, au milieu des genêts; là, obligé, pour ne pas me découvrir, de rester assez loin, j’entendois mal leurs dialogues; cependant je puis vous affirmer, mon commodore, que ce brigand de Pat… Ah! si je ne m’étois retenu!..

– Ventre de papiste! ça tourne à mal…

– Voici, mon commodore, le mouchoir de my lord Pat, oublié dans la bruyère, et l’écharpe de mademoiselle Déborah. Je suivois de près mademoiselle à sa rentrée, et, avec votre excuse, mon commodore, je lui ai fait une fameuse peur: caché dans un buisson au moment où elle passoit, j’ai tiré en l’air ma carabine: quelle frayeur! mon commodore, je crois que ça la dégoûtera des maraudes nocturnes.

– Chien-de-mer! imbécile! au lieu de Déborah, c’est Pat qu’il falloit suivre pour lui décharger ta carabine dans la tête…

– Mon commodore, je ne fais rien sans votre ordre; si je n’avois craint de vous déplaire, volontiers, très-volontiers, j’aurois étranglé master Pat, à qui je garde rancune depuis long-temps. Tout à votre service, mon commodore!

Le comte rugissoit de colère, ses pieds rompoient les panneaux de son lit; ses poings frappoient la muraille.

– God-damn!.. Et tu n’as pas tué Patrick!.. hurloit-il. Lâche! va-t’en, va-t’en!

Tout à coup, il se jeta à bas du lit, en brisant sa table de nuit sur le plancher. Il ne se possédoit plus; son sang avoit reflué vers sa tête; ses regards étoient des coups de lance; il arpentoit la chambre traînant ses draps à sa suite; il agitoit ses jambes comme s’il eût voulu écraser quelque chose. Chris demeuroit pétrifié.

– Et tu ne l’as pas tué, Chris! hurloit-il de plus en plus avec rage; il écumoit. Va-t’en! te dis-je, va-t’en! je te briserois!.. Ne vois-tu pas ma colère? Va-t’en, je te tuerois!..

Chris sortit.

Lord Cockermouth, resta immobile un instant, puis soudain se saisit d’un cordon de sonnette, et l’agita violemment en se laissant tomber sur un fauteuil.

Presque aussitôt la comtesse accourut; appercevant le désordre de son époux et le désordre de la chambre, elle demeura stupéfaite à l’entrée.

– Ne m’avez-vous pas sonnée, mylord? Grands dieux! que vous est-il arrivé? Qu’est-ce donc que tout ceci?

Cockermouth, à la voix de son épouse, releva sa tête abattue sur sa poitrine; vainement, il essaya de s’arracher à son fauteuil, la violence l’avoit exténué; sa voix, cassée par la colère, étoit sourde et rauque.

– Ah! c’est vous, madame!.. Bien! toujours votre petit air candide qui vous sied à ravir. Je crois qu’à la potence même vous feriez l’ingénue. Bien! maintenant, prenez l’air patelin, Saint hearted milk-soup!

– Milord…

– Mylady.

– Qu’avez-vous, mon ami, parlez?

– J’ai à me louer de vous, mistress; vous êtes franche, sincère, soumise, obéissante; vous avez de nobles manières de voir et d’agir; vous ne sauriez déroger à votre rang ni à vos devoirs, vous ne sauriez forfaire à l’honneur de ma maison; vous êtes bonne mère, et de bon conseil et de bonne vigilance; recevez mes félicitations empressées.

Toutes ces congratulations étoient dites avec emphase et ornées de rires outrageants.

– Comte, vos plaisanteries sont amères.

– Qui se sent blessé porte la main à sa plaie.

– Expliquez-vous.

– Vous comprenez très-bien.

– Mylord, c’est de l’apocalypse.

– Ah! vous vouliez me jouer, madame l’ingénue! Vous vous êtes toujours fait une loi d’enfreindre mes commandements; vous vous êtes toujours ri de mes désirs; vous n’avez jamais voulu conserver la moindre dignité, ni observer la plus populaire bienséance; prenez garde! vous me poussez à bout!

– Mylord, je ne sais en quoi j’ai pu pécher.

– Ah! vous vouliez me jouer! Ah! vous vous êtes fait une loi de prostituer ma fille! Vous ne la prostituerez pas!.. Combien l’avez-vous vendue?

– Mylord, je suis mère! vous parlez d’une façon exécrable.

– Combien l’avez-vous vendue à M. Pat? Vous complotiez avec lui, vous facilitiez ses attentats, tandis que vis-à-vis de moi vous protestiez de son innocence, et repoussiez loin mes trop justes soupçons. Vous appelez cela de la finesse, sans doute. Madame, cette finesse-là mène à Newgate.

– Comte, vous m’outragez!.. vous m’accusez à faux!..

– Vous mentez, madame!

– D’où vous viennent ces idées monstrueuses?

– Monstrueuses! vous l’avez dit… Chris, cette nuit, a suivi votre fille dans le parc, et l’a vue avec Pat faire la tourterelle; il l’a entendue disant à ce bouvier: «Ne restons pas ici, ma mère m’a bien recommandé de nous tenir sur nos gardes…» Voici, mylady, d’où viennent ces idées monstrueuses! Qu’en dites-vous?

– Je vous supplie seulement de m’écouter, monseigneur; et vous verrez, malgré ces apparences, que ma conduite à été pure. – Quoique je ne pusse croire aux rapports de Chris, votre valet, craignant toutefois que vos soupçons ne vinssent à se confirmer, par foiblesse maternelle, j’avertis Déborah de vos doutes à son égard pour lui épargner les peines que lui feroit porter votre juste colère. Je l’interrogeai; elle m’avoua toute sa faute: depuis un an elle revoyoit Patrick, surtout au parc, dans des rendez-vous nocturnes: mais, en tout respect et tout honneur.

– Vous croyez!.. Baste!..

– Ne calomniez pas ma fille, mylord; faites le joli plaisant, n’avez-vous pas honte de votre esprit grossier? Jamais vous n’avez pu comprendre le chaste commerce de deux âmes; pour vous l’amour n’a jamais été qu’un faune ou un satyre.

– Un faune ou un satyre, en tout respect et tout honneur, mylady.

– Après les reproches et les avis que mes devoirs de mère me dictèrent, je la suppliai de rompre avec Patrick: elle me le promit à une seule condition: celle d’aller pour la dernière fois à un rendez-vous qu’elle avoit hier au soir même, afin de lire à Patrick son arrêt et de lui dire un éternel adieu. Elle m’accordoit tant que je ne pouvois lui refuser si peu. Je lui recommandai donc de se tenir sur ses gardes pour éviter vos espions, et ne pas perdre, par maladresse dans cette dernière entrevue, le fruit de ses bonnes résolutions. Voilà tout mon crime, j’en prends Dieu à témoin! jugez-le dans votre cœur. Quant à Déborah, je réponds d’elle, sur ma tête, à l’avenir.

– Sur votre tête!

– Elle a rompu à jamais ses relations avec Patrick; pour ce qui est de ses liens moraux… je ne sais: Dieu seul peut lire en notre âme!

– Elle a rompu à jamais ses relations!

– Oui, mylord.

– Vous croyez?

– Pour certain!

– Je suis ravi de cela, comtesse.

– On obtient plus par la douceur et les prières, que par les menaces et les mauvais traitements.

– Vous croyez?

– Pourquoi ces airs goguenards, mylord, je vous parle sérieusement: vous riez.

– Je souris du contentement que j’éprouve à penser que voici Déborah changée tout à mes vœux, tout à la gloire de ma race.

– Vous avez été mauvais fils: vous êtes mauvais époux, vous serez mauvais père, mylord.

VII

Lord Cockermouth avoit touts les dehors d’un vrai pourceau d’Épicure. Quoique grand, il étoit d’une circonférence inconnue sur le Continent: deux hommes n’auroient pu l’entourer de leurs bras. Sa panse retomboit comme une outre énorme et lui battoit les jambes: il y avoit bien quinze ans qu’il ne s’étoit vu les genoux. Sa tête, tout à fait dans le type anglois, sembloit une caboche de poupard monstrueux. La distance de sa lèvre supérieure à son nez, court et retroussé, étoit hideusement démesurée, et son menton informe se noyoit dans une collerette de graisse. Il avoit le visage violet, la peau aduste et rissolée, les yeux petits et entrebâillés; et suoit le roastbeef, le vin et l’ale par touts les pores. En un mot, cette lourde bulbe humaine se mouvant encore avec assez d’aisance et d’énergie, étoit un de ces polypes charnus, un de ces gigantesques zoophytes fongueux et spongieux, indigènes de la Grande-Bretagne.

Pour raviver ses revenus, épuisés par une jeunesse crapuleuse, lord Cockermouth, sur le retour de l’âge, quoique Anglois de pur sang, avoit épousé la fille d’un riche Anglo-Irlandois.

Sir Meadowbanks, son beau-père, s’étoit promptement repenti de lui avoir livré sa fille par vanité d’une alliance honorable; et pour réparer ses torts avoit déposé une généreuse affection sur Déborah. Durant les absences de son gendre, plusieurs fois il étoit venu habiter Cockermouth-Castle, et plusieurs fois il avoit emmené ses enfants dans son manoir de Limerick. Il avoit été long-temps consul des marchands anglois à Livourne, parloit parfaitement l’italien, et s’étoit plu à l’enseigner à Déborah, qui l’avoit à son tour enseigné à son ami Patrick. A sa mort, par testament olographe, sir Meadowbanks lui avoit fait la donation de touts ses domaines et le legs de sa bibliothèque italienne et de sa collection de tableaux, dont quelques-uns, des grands-maîtres, valoient leur pesant d’or. Enfin, sans déférence pour lord Cockermouth, il avoit donné la curatèle de cet héritage à un membre du barreau irlandois, M. Chatsworth, jeune homme d’un caractère probe et d’une fermeté inflexible, dont le nom seul faisoit trembler le vieux commodore.

Depuis son mariage, lord Cockermouth avoit été nommé gouverneur de plusieurs places dans les Indes, et, plusieurs fois, commandant ou commodore de petites escadres. Ces années d’absence avoient été les seules années de trêve et de consolation de son épouse. Dans touts ses gouvernements, il s’étoit fait abhorrer, lui, son nom et sa mémoire. Non pas qu’il fût injuste, mais parce qu’il avoit, au suprême degré, le caractère national, parce qu’il étoit inhumain. Il n’auroit point frappé l’innocent, mais il éprouvoit une joie sourde et féroce à suivre la loi le plus littéralement possible. Il n’auroit pas poussé au crime; mais, quand on avoit failli, il n’y avoit pas d’échappatoire possible, il poussoit à la mort. Dans touts les cas, il infligeoit le maximum des peines et des supplices. – Sur mer, il s’étoit acquis une réputation non moins effroyable. La seule vue de sa cornette rouge au grand mât, donnoit l’horripilation aux écumeurs. Malheur aux forbans qui se laissoient capturer par lui! – Aussitôt pris, aussitôt pendus. En vérité il étoit rare de voir son brick, en chasse ou en croisière, sans quelques douzaines de squelettes flottants parmi les vergues et les mâtures. Son fidèle Chris, ancien corsaire converti, et rentré dans le sentier de la vertu, étoit, par goût naturel, un de ses plus fervents pendeurs de pirates. Souvent, aussi, pour se donner quelques plaisirs, lord Cockermouth s’étoit fait octroyer des lettres-de-marque, et à ses frais et risques avoit armé en course. – Il posoit en principe philosophique que la race humaine est la race la plus féconde, et par conséquent celle de moindre valeur, et que sa fécondité étant toujours en raison du sang humain versé, il faut regarder à deux fois, non pour abattre un homme, mais un chêne. – Au demeurant, comme tous les êtres cruels envers les autres, il était fort complaisant pour sa personne et d’un égoïsme qui le faisoit remarquer même par ses compatriotes, passés maîtres en égoïsme. Éternellement gorgé de bonne chair, et presque toujours entre deux vins, dans ses moments d’abandon et de fines facéties, quelquefois, avec un rire, véritable onomatopée d’une serrure de prison de mélodrame, il se frappoit sur la panse en disant: Maudit ventre! déjà tu me reviens à plus de cent mille livres sterling.

Ajoutez à tout cela des prétentions aristocratiques outrées; un orgueil impudent; une morgue insoutenable; et une gravité phlegmatique, qui l’eût fait prendre pour un penseur, à ceux qui estiment profonds les gents taciturnes, et qui, à ce prix, sans doute, eussent faits moins de cas de saint Anthoine que de son compagnon.

Voilà, tout au juste, le brutal auquel on avoit donné à pâturer la pauvre miss Anna Meadowbanks, à peine âgée de seize ans; – mon esprit répugneroit à s’arrêter aux maux qui l’accablèrent. – Sans expérience aucune, ignorante de ses droits, douce, bonne, timide, l’âme emplie de terreur, cette enfant s’étoit courbée sans retour sous le sceptre, ou plutôt la massue de son époux. Et son cœur ardent, qui n’avoit pas trouvé à user ses passions, avoit répandu tout son amour concentré sur Déborah, seul lien qui le rattachoit à l’existence.

VIII

Une semaine s’étoit écoulée depuis leur dernière entrevue dans le parc; et, chaque jour, Déborah n’avoit pas manqué de diriger sa promenade vers le Saule-creux du Torrent, où, vainement, elle avoit déterré et ouvert un petit coffret d’acier, dépositaire habituel de leurs messages. Ce silence de Patrick l’auroit jetée dans une grande inquiétude, si, du haut de la Tour de l’Est, elle ne l’avoit apperçu plusieurs fois dirigeant sa charrue dans les terres en labour de la plaine.

Le 10, en approchant du saule, son cœur tressaillit de joie: la terre, à l’endroit du coffret, étoit fraîchement remuée; Patrick venoit d’y déposer ce billet.

«J’admire votre silence; et j’en tire bon augure: les bavards ne sont pas gents d’honneur. Si jamais on publioit votre correspondance, elle seroit certainement authentique.»

Le 11, Déborah confia au coffret cette lettre.

«Si vous admirez votre silence, moi, j’admire votre épigramme; et je trouve, dans ses monologues, votre esprit trop sévère envers lui-même.

»Loin de trembler maintenant à l’heure de l’exécution, je demeure inébranlable convaincue que notre vie et notre bonheur ne dateront que de notre fuite, comme l’islamisme n’a daté que de l’hégire de Mahomet. Vous le voyez, je vous rembourse votre sel attique en fleur d’Orient; quitte à quitte.

»A parler plus sérieusement, j’ai presque des remords, quand je pense à tout ce que je vais faire à ma pauvre mère. Souvent, lorsqu’elle me prodigue ses caresses, je me détourne pour laisser tomber quelques larmes arrachées par l’idée de ma trahison. Pourquoi n’est-elle pas cruelle comme mon père? on souffre moins à tromper un méchant. Je l’avouerai, dussiez-vous me traiter de folle ou de foible, tellement poussée à l’effusion par ses épanchements, tellement touchée de sa résignation, maintes fois, la pensée m’est venue de me jeter à ses pieds, et de lui dire: Ma mère, je suis bien criminelle envers vous… Il me semble que cela me soulageroit d’un poids énorme qui m’étouffe; mais soyez tranquille, Patrick, je n’en ferai rien. Croyez bien que j’ai assez de force pour résister à l’impulsion d’un sentiment qui nous perdroit, et qu’une impression passagère ne détruira pas l’œuvre délibérée de ma raison.

»Je suis toujours enfermée dans ma chambre, et ne vois point mon père, que maman espère bientôt appaiser. Il doit, assure-t-elle, m’accorder une amnistie générale pour sa fête; d’autant plus qu’il y est presque obligé pour la présentation de mon nouveau prétendu.»

Le 12, Déborah trouva ce mot.

«J’accuse réception de votre lettre. De grâce, noble amie, si vous avez quelques préparatifs à faire pour votre départ, faites-les dans le plus grand secret: craignez l’activité des espions de votre père, puisque vous êtes toujours en guerre ouverte. Vous savez à quel jeu nous jouons et vous connoissez notre enjeu.

»Ma vie n’est plus qu’une palpitation continuelle; mon âme est comme une hirondelle qui se balance sur un rameau flexible, battant des ailes, essayant son vol, avant de prendre son essor pour un rivage sans hiver.

»La face tournée vers l’Orient, je demeure debout comme un Hébreu mangeant la Pâque; les reins ceints, appuyé sur un bourdon.»

Le 13, Déborah répondit:

«My dear Coulin,

»Mon esprit reste ébahi, quand je songe à ce que peut une volonté invincible; et quand je songe que l’homme ne fait aucun usage de sa volonté, qui pourroit toujours être invincible. Sans doute cela est pour le bien de la société, car, si chacun de ses enfants avoit une volonté formelle, individuelle, spontanée, demain la société seroit morte.

»Les trompettes au son desquelles s’écroulèrent les murs de Jéricho, sont les symboles parlants de la volonté; sonnez-là, et les plus épaisses murailles tomberont.

«Après demain, les fers qui doivent enchaîner notre vie, les murs du cachot où elle devoit pourrir crouleront au son de notre volonté, et combleront l’abyme qui nous sépare.»

Le 14, Déborah ne put sortir qu’à la tombée du jour: entre-chien-et-loup, elle se glissa par les avenues détournées jusques au Saule-creux, et, avec l’empressement de la joie, elle s’agenouilla pour exhumer le coffret d’acier; mais son couteau entra dans la terre tout entier, sans aucun choc: – point de coffret!

Cette déception fut d’autant plus stupéfiante que la joie pressentie avoit été vive. Ses bras s’appesantirent, sa tête s’abandonna à son propre poids, son regard immobile resta fixé sur la terre; le travail de sa pensée, comme une horloge dont la chaîne s’est brisée, s’arrêta.

Revenue de ce premier étonnement, cette disparition s’expliqua simplement à son esprit: – Patrick, se dit-elle, n’aura pas voulu laisser enfoui ce coffret auquel il tenoit beaucoup, il n’aura pas voulu abandonner ce confident fidèle et secret, ce bijou qui pour nous exhalera toujours un doux parfum de souvenirs! Patrick sera venu le déterrer, Patrick a bien fait!

Et, satisfaite de la bonne action de son ami, elle regagna le château.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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