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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 6

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LIVRE DEUXIÈME

XII

Après avoir quitté Déborah, Patrick s’abandonna au désespoir: il désespéroit d’elle, il désespéroit de lui-même, il désespéroit de l’avenir et de la vie. Devoit-il partir, devoit-il demeurer? Quoi résoudre? C’étoit d’un lâche de délaisser son amie mourante, c’étoit d’un lâche de fuir le couteau des assassins, et cependant, si elle devoit succomber, il ne pourroit l’approcher à son lit de mort, il ne pourroit veiller et pleurer à son chevet; ce n’est point dans ses bras, ce n’est point sous ses baisers qu’elle exhaleroit l’âme: il ne pourroit que hurler dans le chemin comme un chien au seuil de la maison où son maître agonise. Et cependant, s’il tomboit sous le poignard et que Dieu la sauvât… Cruelle alternative! quoi faire? quel parti prendre?

Indécis, irrésolu, en proie à ce doute angoisseux, il alloit, et rôdoit à l’aventure, comme un loup, dans les champs de Killarney. Ses forces, épuisées, tout à coup lui manquèrent, ses genoux fléchirent, il s’évanouit sous le poids d’un sommeil de plomb.

A son réveil, l’éclat du jour l’éblouit: le soleil doroit déjà la cime des rochers de la Gorge du Diable, et les tours et les hautes murailles de Cockermouth-Castle. Ses regards étonnés s’égarèrent autour de lui: glacé de froid dans son manteau humide des brumes de la nuit et ruisselant de rosée, il étoit couché au pied d’un arbousier sur le bord du lac profond. Peu à peu ses membres engourdis sur le sol se déroidirent, et, chancelant, il se releva tout brisé et tout endolori.

La nuit avoit porté conseil: sans hésitation il tourna le dos à Cockermouth-Castle, et s’éloigna.

Le surlendemain, à la même heure, il étoit penché à la proue d’un sloop, sortant du port de Waterford; il envoyoit ses adieux à la verte Érin, à l’Irlande, sa mère infortunée, qui s’effaçoit à l’horizon, comme elle s’efface du livre des nations, et de ses yeux, attachés aux rives natales, tomboient de grosses larmes qui se noyoient dans l’Océan.

Sitôt qu’il fut arrivé à Paris, Fitz-Whyte alla saluer la plupart de ses compatriotes au service de France: ils étoient nombreux. Depuis deux siècles, depuis sa réunion à l’Angleterre, l’Irlande gémissoit écrasée par les persécutions les plus inhumaines; toutes ses tentatives pour briser ses fers n’avoient fait que les river et les souder plus profondément; pour échapper à ce joug odieux, au bourreau ou à la misère, ses malheureux enfants émigroient. De là, cette foule d’Irlandois aventuriers, dont l’histoire du continent et du Nouveau-Monde proclame la valeur et le génie.

Celui de touts qui l’accueillit le mieux et qui prit le plus vif intérêt à son sort, ce fut monseigneur Arthur-Richard Dillon, qui depuis peu venoit de passer de l’archevêché de Toulouse à celui de Narbonne, mais qu’il eût été plus juste de nommer, in partibus infidelium, archevêque de l’Opéra.

Ce beau prélat n’étoit guère plus connu de ses ouailles, que le prince Louis-René-Édouard-de-Rohan-Guéméné, évêque de Canople, de ses Égyptiens de Bochir.

Monseigneur Arthur-Richard étoit né à Saint-Germain-en-Laye, d’une famille originaire d’Irlande; et conservoit pour la terre infortunée trempée du sang de ses ayeux, une affection sentimentale, si naturelle à tout cœur aimant et sensible.

Aussi, lorsque Fitz-Whyte se présenta pour la première fois à son hôtel, se faisant annoncer comme un jeune pélerin du comté de Kerry, quoiqu’il fût de fort bonne heure, et que monseigneur ne fût point encore visible, il le fit introduire aussitôt dans sa chambre à coucher, et le reçut familièrement en peignoir de basin.

Les courtines de l’alcôve étoient soigneusement tirées, et sans quelque bruit d’haleine qui s’en échappoit, sans de jolies petites babouches et d’élégants vêtements de femme épars sur les meubles, on auroit pu le croire en dévote oraison.

Son affabilité chassa promptement la timidité et l’embarras de Patrick.

– Vous arrivez de notre chère patrie, mon jeune ami, lui dit-il, en lui prenant affectueusement la main et le faisant asseoir près de lui sur un canapé; – c’est bien à vous, et je vous en remercie, de vous être ressouvenu de moi comme compatriote et de m’avoir présumé de l’attachement pour mes frères d’Irlande; votre démarche auprès de moi est un témoignage d’estime qui m’honore et qui me pénètre. Parlez sans crainte, je vous suis tout dévoué.

Monseigneur étoit ce matin-là plus que jamais en disposition de tendresse et de générosité: vous le savez, et le plus brave poète l’a dit: Le plaisir rend l’âme si bonne. Fitz-Whyte parla longuement de ses malheurs d’une façon naïve et touchante qui le captiva tout à fait.

Durant son récit, ses regards émerveillés se promenoient sur le luxe et l’ameublement mondain de cette chambre. Quel constraste, hélas! avec l’abjection des prêtres irlandois! Ce qui surtout lui jetoit du désordre dans les idées, c’étoient ces parures féminines étalées au milieu des aumuces, des mîtres et des rochets, c’étoit une mantille jetée sur une crosse, et des jupons mêlés avec un pallium; il trouvoit bien une solution à ce problême, mais comme elle entachoit la chasteté de monseigneur Dillon, sa candeur ne pouvait l’admettre.

Tout à coup l’énigme s’expliqua d’elle-même, les rideaux de l’alcôve se soulevèrent, une jeune fille folâtre en sortit; et frappée d’étonnement à l’aspect de Patrick Fitz-Whyte, demeura en contemplation devant sa belle figure d’Ossian.

– Monsieur, s’écria-t-elle, vous êtes aussi beau que votre cœur! Le récit de votre infortune m’a touchée jusqu’aux larmes; et sur cette terre où vous êtes étranger vous pouvez déjà compter une amie, qui vous sera sincèrement dévouée.

– Et un ami, reprit aussitôt monseigneur de Narbonne, qui vous offre son appui et sa sollicitude.

– Dillon, dit la jolie fille en le caressant et le baisant au front, tu viens de faire une promesse, par-devant moi, qu’il faudra que tu tiennes; c’est un engagement sacré, je t’en ferai ressouvenir si tu l’oublies. Monsieur dès ce moment est mon favori…

– Et votre heureux esclave, madame, murmura timidement Patrick.

Monseigneur l’engagea à revenir incessamment, en lui assurant qu’à toute heure sa porte lui seroit ouverte. Alors Patrick fit une génuflexion pour baiser son émeraude archiépiscopale, et pour lui demander sa bénédiction, qu’il reçut avec recueillement.

Les bonnes grâces de monseigneur Dillon ne se démentirent pas dans les visites suivantes: Patrick le trouva toujours aussi empressé à le servir. Il est croyable, à la vérité, que la Philidore qui s’étoit éprise pour Fitz-Whyte d’un véritable intérêt, ne fut pas sans influence dans cette conduite.

Il n’est pas d’âmes plus généreuses, plus sensibles, plus compatissantes, que celles des pécheresses: habituées à suivre sans calcul, sans restrictions, touts leurs penchants, toutes leurs inclinations, touts leurs mouvements de nature; à subir la loi de leurs impressions, et à s’abandonner à touts leurs sentiments; elles font le bien comme elles font le mal. Si elles livrent leurs corps en péage à des bateliers, elles versent des parfums et des larmes sur les pieds de Jésus.

Quoique fils d’un paysan, Patrick, appartenant à une famille noble d’origine, ruinée par les saccages et les confiscations, entra peu de temps après dans les mousquetaires avec les plus ferventes recommandations au colonel et la protection distinguée de monseigneur Arthur-Richard Dillon, de Fitz-Gérald, brigadier d’armées; d’O-Connor, d’O-Dunne, du comte O-Kelly; de lord comte de Roscommon, de lord Dunkell, du comte Hamilton, de lord comte Airly-O-Gilvy, maréchaux-de-camp; et du duc de Fitz-James.

Sous un pareil patronage, il trouva son colonel, M. de Gave de Villepastour, plein d’égards, de dispositions favorables, de prévenances et de petits soins.

Étranger, parlant à peine le françois, jeté sans aucune étude préalable dans une carrière nouvelle, et si différente de sa vie passée, Patrick eût été très-isolé, très-décontenancé, et auroit eu sans doute beaucoup à souffrir de toutes les roueries soldatesques, si le hasard n’eût fait qu’il trouva dans ce même régiment un de ses anciens camarades d’enfance, Fitz-Harris, neveu de Fitz-Harris, abbé de l’abbaye de Saint-Spire de Corbeil.

Cette rencontre inattendue fut une grande joie pour Patrick; il accabla de caresses et de témoignages d’amitié ce vieux compagnon, qui les reçut aimablement et lui promit son dévouement et ses conseils.

XIII

Quelque temps après l’épouvantable scène du festin, lady Cockermouth mourut étouffée par une congestion sanguine. La commotion de son cerveau avoit été si violente qu’elle avoit aliéné sa raison.

Déborah, dont on avoit d’abord désespéré, se rétablissoit lentement, et, avec instance, redemandoit sa malheureuse mère, dont elle ignoroit la perte: – Une indisposition grave la retient alitée, lui disoit-on; aussitôt qu’elle sera mieux vous aurez sa visite.

L’air faux et embarrassé de ceux qui lui répondoit ceci l’avoit jetée dans le trouble, et avoit fait naître en son esprit un sombre soupçon qu’elle n’osoit pas manifester, mais qui la dévoroit. Chaque jour elle appeloit sa mère avec plus d’impatience, chaque jour on lui faisoit la même réponse. Quelques domestiques en habit de deuil ayant eu l’imprudence de se présenter en son appartement, elle vit clairement qu’on la trompoit, dissimula son chagrin, et saisissant un instant où par hasard sa garde s’étoit éloignée et l’avoit laissée seule, elle s’arracha de son lit, et malgré sa grande foiblesse, se traîna en s’appuyant contre les murailles, jusqu’à la chambre de sa mère. En entrant son anxiété l’oppressa: son cœur battoit à fracasser sa poitrine, elle ne respiroit plus… Des meubles poussiéreux, du froid et du silence… Personne!.. Les courtines du lit fermées!.. Dort-elle!.. Doucement elle s’approcha de l’alcôve, doucement elle souleva les rideaux: le lit désert!.. Personne!.. Elle poussa un cri d’horreur et tomba évanouie.

On ne la retrouva, glacée et mourante, sur ce parquet, qu’après de longues recherches dans tout le château. Ses blessures s’étoient rouvertes; son mal se compliqua dangereusement, et sa guérison devint plus languissante encore.

La disparition de Patrick Fitz-Whyte et les traces de sang trouvées dans le sentier de Killarney firent penser sans aucun doute qu’il avoit été assassiné. Cet événement répandit l’effroi aux alentours de Cockermouth-Castle. Quel pouvoit être l’auteur de ce meurtre? Les paysans n’ignoroient pas les rapports de leur frère avec la fille de leur seigneur; et leur bon gros jugement leur ayant toujours fait pressentir une fin malheureuse à cette liaison, ils savoient parfaitement à quoi s’en tenir dans le secret de leur cœur: un seul homme avoit pu avoir quelque intérêt d’assassiner Patrick; mais ils n’osoient qu’en frémissant murmurer le nom exécré de cet homme.

La scène du banquet fut promptement divulguée: la plupart des gentilshommes qui s’y étoient trouvés professoient pour lord Cockermouth non moins de mépris et de haine que les paysans; mais, comme rien ne leur commandoit la même circonspection, le bruit se répandit bientôt que, le comte, ayant surpris Patrick et Déborah en un rendez-vous d’amour, avoit tué celui-ci et blessé dangereusement celle-là; et qu’à la face de l’assemblée, dans un accès de colère, il avoit, au retour de son embuscade, dégaîné son épée encore tachée de sang. Ce récit confirma les paysans dans leur opinion, et les enhardit à parler.

Un ancien usage des Celtes s’est conservé jusqu’à ce jour dans les campagnes d’Irlande, comme dans celles d’Espagne: chaque personne qui passe près d’un lieu où quelqu’un a été tué ou enterré, ramasse une pierre, et la jette religieusement à cette place: petit à petit, cet amas de cailloux forme un tertre élevé qui, souvent, à la longue, finit par se couvrir de terre et de végétations, et ne plus sembler qu’un monticule naturel. Il n’est pas rare, même en France, de rencontrer, surtout dans les provinces armoricaines, de ces témoins de la piété de nos pères. Les savants les classent parmi les monuments gaulois, keltiques ou druidiques; et bien qu’en les fouillant on y ait souvent retrouvé des débris d’ossements humains, ces messieurs s’accordent fort mal entre eux sur l’origine de ces tumulus.

On voit encore aujourd’hui, dans ce sentier de Killarney, le monceau de pierres jetées au lieu trempé du sang de Déborah; et on le nomme encore la tombe de Mac-Phadruig, ou la tombe de l’amant.

Les clameurs qui s’élevèrent alors contre lord Cockermouth devinrent si générales et si directes, qu’il crut ne pouvoir sans danger les supporter plus long-temps, et qu’il falloit par n’importe quel moyen qu’il se lavât et se blanchît solemnellement aux yeux du public du crime atroce qu’on lui imputoit. On poussoit l’animosité jusques à l’accuser d’avoir empoisonné lady, et il ne pouvoit plus se montrer hors du château sans essuyer les huées des enfants, qui lui crioient, sans miséricorde: Mylord Caïn, qu’as-tu fait de Patrick?

Par des pratiques insidieuses, ayant arraché à Déborah le secret de l’existence et de la retraite de Fitz-Whyte, il déposa contre lui entre les mains de la Justice, le dénonçant et poursuivant comme assassin de sa fille.

La cause devant être jugée aux sessions qui alloient s’ouvrir à Tralée, dans les premiers jours de mars, il y entraîna la pauvre Debby, à peine convalescente.

Et justement ils arrivèrent à Tralée le jour de l’entrée des juges venus pour la tenue des Assises.

La besogne qui attendoit ces magistrats étoit assez honnête: sans compter la cause de Patrick, ils avoient à dépêcher une sixaine d’homicides, et une bonne douzaine de voleurs: ces formidables meurtriers irlandois n’étoient autres, les malheureux, que de bons paysans papistes qui avoient eu la monstruosité de se revancher sous les bastonades de leurs tenanciers anglois, et ces insignes larrons, que d’infortunées familles, plongées dans la misère par les dernières confiscations, qui, poussées par la faim et le froid, avoient dérobé quelques paniers de tourbe et quelques boisseaux de patates.

Déborah se trouvoit avec son père au balcon de l’hôtellerie, lorsque passèrent, se rendant à la Cour, les deux juges —justices– master Templeton et master Gunnerspoole, en grand et coquet costume de satin blanc à falbalas couleur de rose, et perruques colossales saupoudrées à blanc. Leur cortège se composoit du maire, des officiers municipaux, et de laquais en livrée blanche, portant de gros bouquets à leur boutonnière. Il ne manquoit plus qu’un tambourin et un galoubet pour achever de donner un air grivois à cette mascarade.

Toute la ville, l’œil caressant, le sourire sur les lèvres, étoit en mouvement comme par un jour de fête, et les rues, endimanchées, étoient pleines d’élégantes blanches, de bourgeois bleus et de soldats rouges.

La durée des sessions dans les petites villes, par le grand concours que les affaires civiles et criminelles occasionent, est un temps de foire et de réjouissance.

Lorsque les deux juges apperçurent à la croisée le comte Cockermouth, ils lui firent une gracieuse salutation. Pour se ménager leur prévarication, il étoit allé, dès leur arrivée, les visiter et leur faire sa cour assidûment. Une sympathie d’ivrognerie et de gloutonnerie avoit aussitôt établi entre eux une espèce de compagnonage; et presque chaque soir ils soupoient ensemble et plantureusement.

La coquetterie et l’air jovial de ces magistrats frappèrent d’étonnement Déborah, qui pour la première fois voyoit des juges: elle ne pouvoit se figurer que ce fussent là des pourvoyeurs de la mort. M. Templeton et Gunnerspoole étoient fleuris, replets, obèses, patus et râblus. Il faut, se disoit-elle, que ces messieurs aient une bien parfaite estime de leur infaillibilité, car assurément ni appréhension, ni regrets, ni remords ne les rongent. La gaîté du peuple, engendrée par la seule présence d’hommes venus pour le décimer, ne surprenoit pas moins péniblement Déborah. La foule veut des spectacles; tout ce qui fait spectacle lui est bon: prêtres, soldats, bateleurs, juges, rois et bourreaux.

La seconde cause appelée par la cour fut celle de Patrick. – Lord comte Cockermouth l’accusoit d’avoir séduit sa fille, de l’avoir engagée à s’enfuir avec lui, munie de ses bijoux et de ses pierreries, de l’avoir assassinée au rendez-vous fixé pour le départ, et de s’être enfui en France chargé de ses dépouilles pour échapper au glaive de la Justice.

Les faux témoins, achetés avec profusion, ne manquèrent point à leur devoir; ils mirent en vérité une conscience scrupuleuse à mériter leur salaire.

Deux faits évidents venoient fatalement à l’appui de ces accusations; la disparition des bijoux et des diamants de Déborah, et le billet renfermé dans le coffret d’acier déterré par Chris, que Cockermouth déclara avoir trouvé dans l’appartement de sa fille. Il ne contenoit que peu de mots, mais si accablants!

«Encore quelques heures, et nous n’appartiendrons plus qu’à Dieu: nous serons libres!

»A demain, my dear Déborah, comme il est convenu, quoi qu’il arrive, à neuf heures précises au pied de la terrasse dans le sentier creux de Killarney; venez sans crainte, votre Patrick y sera.

»N’oubliez pas, dans le trouble du départ, ce que vous possédez de précieux; pour vous j’ai horreur du besoin.»

Placée dans la plus douloureuse alternative, ne pouvant justifier son amant qu’en dévoilant son père, et ne pouvant sauver son père qu’en immolant son amant, Déborah se renferma inexpugnablement dans cette obscure dénégation: «Patrick est innocent, Patrick ne m’a ni volée ni assassinée. Mon père n’a pas tué Patrick, car Patrick est en France.» Il fut impossible de lui arracher une syllabe de plus.

Après quelques débats insignifiants, la Cour, trouvant sa religion assez éclairée, entra lestement en délibération, et lestement, l’heure du dîner approchoit, prononça la sentence condamnant par contumace Patrick, convaincu de séduction, de rapt, de vol et d’assassinat, à la peine capitale.

A la lecture de cet arrêt, Déborah se jeta à genoux au milieu du tribunal, en criant: Grâce pour Patrick, il est innocent!..

Les juges levèrent la séance, et le comte fit emporter sa fille évanouie.

Sur le soir, MM. Templeton et Gunnerspoole accoururent au souper magnifique que lord Cockermouth avoit fait préparé pour célébrer l’arrêt mémorable de leur justice éclairée et pure. Il poussa la barbarie jusqu’à vouloir y faire assister Déborah, mais elle se révolta ouvertement, et n’y parut point.

Toute la nuit, cependant, elle fut dans la nécessité d’entendre, de son lit, où elle gémissoit, leurs éclats de rire, leurs propos effrénés, leurs joies de bas lieux.

Au point du jour elle se leva sans bruit. Pour sortir, il falloit passer par la salle de l’orgie: le spectacle qu’elle y rencontra n’ébranla pas sa résolution, mais il remplit son âme d’une douloureuse pitié. Les deux juges, ivres-morts, avoient roulé sous la table; Chris était enveloppé dans la nappe parmi un monceau de bouteilles; et son père, tout couvert de sanies, dans le désordre de Noé, dormoit étendu sur le carreau.

Ayant trouvé place dans un carrosse public qui partoit, elle y monta pour s’éloigner au plus tôt de Tralée, et se rendre à Dingle-i-Couch, où on lui avoit fait espérer qu’elle trouveroit plusieurs bâtiments appareillant pour les côtes de France.

Peu de temps après son départ de Tralée, à la clôture des Assises, sur la grande place, Patrick Fitz-Whyte fut pendu en effigie.

XIV

Absorbée par la joie inquiète de revoir Patrick, Déborah, les yeux bandés, traversa la Normandie comme un amoureux mélancolique traverse la ville pour aller saluer sa bien-aimée. Que lui importoit Dieppe, son Saint-Jacques, ses Poletois et ses ivoiriers! que lui importoit la vallée d’Arques, son château et ses ruines! que lui importoit Rouen, son Saint-Ouen et son Bourg-Théroulde! que lui importoit Gisors, son église et sa tour! que lui importoit les odorantes pommeraies, les maisons de bois, les collines solitaires, le beau ciel bleu-turquin de ces vallées! Son âme n’aspiroit qu’à Patrick; son regard immobile ne cherchoit à percer le désespérant horizon que pour venir mourir à ses pieds. Voir sans Patrick, éprouver sans Patrick, admirer sans Patrick, c’eût été mal, si c’eût été possible. Il n’y a qu’un cœur désert ou un cœur meurtri qui puisse seul s’en aller voyageant et musant par le monde: le cœur désert pour combler son vide, le cœur meurtri pour essayer à oublier.

Comme une heure du matin sonnoit, le coche arrivoit aux portes de Paris: du sein de la nuit Déborah entendit alors s’élever la voix du rossignol qui chantoit. Ce gazouillis mélodieux, semblant fêter sa bienvenue et de la part de Dieu lui présager du bonheur, caressa voluptueusement son âme, et chassa les rêveries chagrines qui l’agitoient. Depuis ses derniers rendez-vous nocturnes, depuis que toute félicité lui avoit été enlevée, depuis l’excès de ses maux, elle n’avoit point ouï chanter le rossignol, le rossin-ceol; elle se crut retournée au temps où elle avoit passé de si belles nuits avec Patrick, assise au bord du torrent, parmi les rochers de la Gorge du Diable, ou errante dans les genêts épineux de Dove-Dale, le val de la tourterelle, élevant son âme par la contemplation de la nature et par le culte de l’amitié.

Dès les premières lueurs du jour, Déborah, dévorée d’inquiétude, et que les fatigues même du voyage n’avoient pu assoupir sur le lit où elle s’étoit jetée, sortit, accompagnée, pour la conduire, d’un garçon de l’auberge des Messageries. En arrivant au quai du Louvre, elle ressentit une violente émotion, à l’aspect de cette galerie qui borde au loin la Seine; cette longue façade insignifiante, à quelques mensonges près, se dérouloit pour elle comme un immense papyrus: elle le parcouroit du regard, elle y cherchoit l’hiéroglyphe dont elle seule avoit la clef. Ces murailles, muettes pour la foule, avoient une voix pour elle, une voix douce ou déchirante, une parole arbitre de son sort.

Une, deux, trois, quatre, cinq… Elle compte les pilastres: soudain sa joie éclate, elle apperçoit près du sixième, comme il avoit été convenu, des caractères tracés sur une des pierres du soubassement; elle s’approche, elle lit: Patrick Fitz-Whyte, hôtel des Mousquetaires. – Dans l’enivrement, elle chancelle, elle balbutie; elle n’a plus ni raison, ni bienséance, elle couvre de baisers ce mur dépositaire fidèle, elle passe sa main douce sur cette inscription, elle la caresse; elle pleure, elle sourit; elle parle irlandois; elle s’agenouille, elle prie… Puis, crayonnant quelques mots sur un portefeuille, elle le donne au domestique, ébahi: – Allez, s’il vous plaît, lui dit-elle, et de suite, à l’hôtel des mousquetaires; vous demanderez M. Patrick Fitz-Whyte, et lui remettrez ceci, à lui-même; tâchez de l’amener avec vous, je retourne à l’hôtellerie.

S’étant égarée plusieurs fois dans son chemin, en rentrant elle trouva Patrick, qui depuis long-temps l’attendoit; follement, ils s’élancèrent dans les bras l’un de l’autre, et confondirent, dans un savoureux baiser, leurs pleurs et leur ivresse. Ils se couvroient des plus tendres caresses, ils échangeoient les mots du plus pur amour. Patrick, après ces premiers transports, s’apperçut du deuil de Déborah; sa joie en fut troublée, des sentiments tristes, des regrets s’y mêlèrent. Déborah demeuroit en admiration devant l’élégance de son ami; la soubreveste de mousquetaire rehaussoit sa riche taille, et faisoit paroître dans touts ses avantages sa belle tête blonde.

Pendant le déjeûner, tour à tour, ils se racontèrent tout ce qui avoit marqué leur existence, tout ce qui leur étoit survenu depuis leur séparation. Déborah, pour détourner l’affliction et le désespoir du cœur de Phadruig, passa sous silence un seul fait, – priant Dieu qu’il fît qu’il l’ignorât toujours, – le jugement des juges de Tralée, et sa condamnation au gibet.

Ce jour même Patrick instala Déborah dans un petit logement de l’hôtel Saint-Papoul, situé rue de Verneuil.

Leur soin le plus empressé fut d’aller remercier le Seigneur, qui avoit protégé leur fuite et leur réunion, et de le prier de bénir leur alliance, de veiller sur eux, jeunes, sans appui, jetés sur une terre étrangère et dissolue, et de les confier à la vigilance de ses Anges, afin qu’ils les détournassent de tout scandale, et qu’ils les gardassent dans touts leurs chemins. Ils passèrent ainsi toute la soirée en dévotion, dans une chapelle obscure de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés; l’église étoit placide et solitaire, une seule lampe veilloit comme eux.

Patrick consacroit à Déborah touts les instants, touts les loisirs que lui laissoit son service militaire: il les employoit auprès d’elle à savourer les voluptés inépuisables de l’amour, de l’amitié, de la vie domestique, de la retraite. Fitz-Harris venoit très-rarement dîner avec eux, ou passer quelques heures en leur compagnie. Depuis long-temps il s’étoit fait un grand refroidissement dans leurs rapports. Les faveurs du colonel pour Patrick, et les marques publiques d’estime qu’il lui donnoit, avoient envenimé le cœur de Fitz-Harris, naturellement envieux. Il le jalousoit pour sa beauté, son esprit, son savoir, et même aussi pour Déborah. D’un autre côté, Patrick n’avoit pas été long à sentir qu’on ne pouvoit faire son ami qu’avec beaucoup de restriction et de réserve d’un homme aussi parleur, aussi conteur que Fitz-Harris: bavard mystérieux, ayant toujours quelque secret à promener d’oreille en oreille, s’épenchant à tout venant, honorant l’univers de ses confidences, et divulgant souvent même à son grand dommage, entraîné par sa monomanie de récit, ses plus délicates intimités, qu’il eût dû enfouir dans le plus profond de son cœur.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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