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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 2

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LIVRE PREMIER

I

Je ne sais s’il y a un fatal destin, mais il y a certainement des destinées fatales; mais il est des hommes qui sont donnés au malheur; mais il est des hommes qui sont la proie des hommes, et qui leur sont jetés comme on jetoit des esclaves aux tigres des arènes; pourquoi?.. Je ne sais. Et pourquoi ceux-ci plutôt que ceux-là? je ne sais non plus: ici la raison s’égare et l’esprit qui creuse se confond.

S’il est une Providence, est-ce pour l’univers, est-ce pour l’humanité, et non pour l’homme? Est-ce pour le tout et non pour la parcelle? L’avenir de chaque être est-il écrit comme l’avenir du monde? La Providence marque-t-elle chaque créature de son doigt? Et si elle les marque toutes, et si elle veille sur toutes, pourquoi son doigt pousse-t-il parfois dans l’abyme, pourquoi sa sollicitude est-elle parfois si funeste?

Les savants, pour qui rien n’est ténébreux, diront que la destinée de l’individu dérive immédiatement de son organisation; que l’homme sans perspicacité sera dupe, que l’homme fin sera dupeur, et saura éviter les pierres d’achoppement où le premier trébuchera. – Mais, pourquoi celui-ci est-il rusé, et celui-là est-il simple? Être simple et bon est-ce un crime qui vaille le malheur et le supplice? – A quoi les savants répondront: Celui-ci est simple, parce qu’il a la protubérance de la simplicité; et celui-là est fin, parce qu’il a la protubérance de la finesse. – Bien, mais pourquoi celui-ci a-t-il cet organe qui manque à l’autre? Qui a présidé à cette répartition? Quel caprice a donné à l’un la bosse du meurtre, et à l’autre la bosse de la mansuétude? Si dès la procréation, ce caprice a départi les bonnes et les mauvaises qualités des êtres, il a départi leurs destinées: les destinées sont donc écrites; il y a donc un destin! L’animal n’a donc pas son libre arbitre: il n’a donc pas le choix d’être doux ou d’être féroce, de souffrir ou de faire souffrir, d’aimer ou de tuer. – Les savants se lèveront et répondront encore: – Il n’y a ni bonne ni mauvaise passion: c’est la société qui postérieurement est venue, et qui a dit: Ceci est mal, ceci est bien. Ceci est bon parce que ceci m’est profitable; ceci est mauvais parce que ceci m’est nuisible. – Soit: mais si les hommes doivent vivre en société, pourquoi la Providence en fait-elle d’insociables, pourquoi va-t-elle contre son but? Est-elle donc extravagante? Une Providence ne sauroit l’être. D’ailleurs cette raison n’explique rien, car il est des hommes sociables victimes de la société; car il est des hommes bons dont l’existence est affreuse; car il est des hommes victimes d’événements indépendants de leur volonté, d’événements que leur esprit ne pouvoit prévoir, que nulle vertu humaine ne pouvoit parer.

Pour détourner du désespoir, on a, il est vrai, inventé la vie future, où le juste est récompensé, et le méchant puni; mais pourquoi récompenser le juste, qui n’a pas eu à opter entre la justice et l’iniquité? mais pourquoi châtier le méchant, qui n’a pas eu à choisir entre le crime et la bienfaisance? On ne doit récompenser et punir que les actes volontaires. C’est Dieu, et non pas le créé qu’il faudroit glorifier quand il a fait une bonne créature, et qu’il faudroit supplicier quand il en a fait une mauvaise. Il étoit bien plus simple, au lieu de faire deux existences, une seconde pour redresser les torts de la première, d’en faire une seule convenable.

Si le péché originel est une injustice, la destinée fatale originelle est une atrocité. La loi de Dieu seroit-elle pire que la loi des hommes? seroit-elle rétroactive?

Je ne m’arrêterai pas plus long-temps à ces pensées fatigantes et révoltantes: je ne chercherai point à expliquer ces choses inexplicables: si je m’y appesantissois longuement, je me briserois le front sur la muraille. J’étourdis ma raison toutes fois qu’elle interroge, et je m’incline devant les ténèbres.

Souvent j’ai ouï dire que certains insectes étoient faits pour l’amusement des enfants: peut-être l’homme aussi est-il créé pour les menus plaisirs d’un ordre d’êtres supérieur, qui se complaît à le torturer, qui s’égaie à ses gémissements. Beaucoup d’entre nous ne ressemblent-ils point par leur existence à ces scarabées transpercés d’une épingle, et piqués vivants sur un mur; ou à ces chauve-souris clouées sur une porte servant de mire pour tirer à l’arbalète?

S’il y a une Providence, elle a parfois d’étranges voies: malheur à celui marqué pour une voie étrange! il auroit mieux valu pour lui qu’il eût été étouffé dans le sein de sa mère.

C’est à vous, si vos cœurs n’y défaillent point, d’approfondir et de résoudre: quant à présent, pauvre conteur, je vais tout simplement vous développer des destinées affreuses entre les destinées. Bien plus heureux que moi vous serez, si vous pouvez croire qu’une Providence ait été le tisserand de pareilles vies, et si vous pouvez découvrir le but et la mission de pareilles existences.

II

Mylord, venez donc au balcon: le beau soleil couchant! Ah, vous êtes fortuné, mylord! tout jusques au ciel même qui se fait votre vassal et porte votre écusson au flanc. Regardez à l’occident; ces trois longues nuées éclatantes ne semblent-elles pas vos trois fasces d’or horizontales? et le soleil, votre besant d’or, au champ d’azur de votre écu?

– Mylady, vous semez mal à propos votre bel esprit: vous voulez, suivant votre coutume, détourner une conversation qui vous pèse, par un incident, par quelque mignardise; mais, vous le savez, je ne me laisse pas piper à vos pipeaux, et vous m’écouterez jusqu’au bout.

Je vous disois donc que si vous n’y prenez garde il arrivera malheur à votre fille. Je vous disois que dès l’origine j’avois prévu tout ce qui est survenu, que j’avois pressenti ce que vous auriez dû pressentir; et ce que toute autre mère à votre place eût pressenti. Vos flatteurs vous appellent naïve, mais vous êtes obtuse. Comme un nouveau-né, vous ignorez toutes bienséances. Sur mon épée, madame! vous n’avez de noble que mon nom.

Avant mon premier départ pour les Indes, ayant déjà remarqué en eux une lointaine inclination, et un commencement de liaison, je vous avois fortement recommandé et fait bien promettre de ne plus leur laisser aucun rapport; en tout point vous m’avez désobéi. Plus tard, lors de mon entrée en campagne, je vous renouvellai formellement le même ordre et vous me désobéîtes encore plus formellement. A mon retour de l’armée, je trouvai Déborah compagne de Pat; je trouvai Pat presque installé ici; Pat traité comme vous eussiez traité un fils; Pat assistant à toutes les leçons des maîtres de Déborah, et étudiant avec elle les arts d’agrément. Étiez-vous folle! Vous avez fait un joli coup en vérité! vous avez rendu un bon service à ce pauvre père Patrick! Aujourd’hui, il ne sait que faire de son garnement de fils, qui s’en va labourer un solfége à la main, un Shakspeare sous son bras. N’eût-ce été que par respect pour ma maison, vous n’eussiez pas dû attirer ici, et traiter de telle sorte, l’enfant d’un de vos fermiers, et d’un de vos fermiers irlandois et papiste!

– Cher époux, vous savez combien je vous suis soumise en toutes choses. Ce n’étoit point pour braver vos commandements, ce que j’en fis, mais purement pour l’amour de votre fille: seule, avec moi et quelques domestiques grondeurs, sans distraction aucune dans ce beau, ce pittoresque, mais taciturne, mais funèbre manoir, la pauvre enfant se mouroit d’ennui, et ne cessoit de redemander son Pat, qui l’égayoit de sa grosse joie, qui l’entraînoit dans le jardin et dans le parc; qui inventoit, pour plaire à sa noble petite amie, toute espèce de jeux et d’amusements.

Partageant ses jeux, ne devoit-il pas partager ses études? N’auroit-ce pas été cruel de le renvoyer à l’arrivée des professeurs de Debby? Puisqu’il étoit son compagnon, ne devois-je pas prendre à tâche de l’instruire et de le polir pour le rendre plus digne d’elle? Il avoit si bonne envie d’apprendre, et tant de facilité, le pauvre garçon! Cela donnoit de l’émulation à la paresseuse Debby. Puis, vous le savez, il étoit si gentil, si doux, si prévenant! Ah! que je souhaiterois à beaucoup de gentilshommes d’avoir de pareils héritiers!

– Toujours vos mêmes parades de générosité, toujours vos belles idées sur les gents de basse condition; vous aurez beau argumenter, un mulet et un cheval de race feront toujours deux, comme un Irlandois et un homme.

Où toutes ces prouesses de vertu vous conduiront-elles? Vos largesses envers les mendiants et les paysans vous feront, à la première rencontre, couper les jarrets par ces infâmes catholiques. Votre conduite à l’égard du petit Pat, où vous mènera-t-elle, où vous a-t-elle poussée? Debby et Pat, grandissant ensemble, se sont pris d’étroite amitié, puis à l’amitié a succédé l’amour: la jeune comtesse Déborah Cockermouth est amourachée du gars de votre fermier: mademoiselle en feroit volontiers son époux! Dieu me damne! cela me fait dresser les cheveux sur la tête! Mademoiselle refuse tout brillant parti; mademoiselle repousse tout noble requérant: J’ai fait vœu de chasteté, dit-elle. Ventre de papiste! quel est ce catholique baragouin? Dieu me damne! ça tourne à mal…

– Pourquoi vous enflammer ainsi? à quelle occasion tant de violence? Cette fantaisie de garder le célibat n’est qu’une lubie de jeunesse, qui lui passera, et tout d’abord qu’elle aura rencontré un cavalier de son choix et de son gré. Quant à Patrick, vous savez bien que tout est rompu entre elle et lui depuis long-temps; et que depuis votre farouche sortie contre lui, il n’a pas remis le pied au château.

– Tout est rompu entre elle et lui!.. Il n’a pas remis le pied au château!.. Qui vous a si bien informée? Madame, relâchez de votre surveillance, elle est vraiment trop rigide. Ah! tout est rompu entre elle et lui?.. parole d’honneur?.. C’est pour cela que mon fidèle Chris, maintes fois, l’a vu rôdant près du château; c’est pour cela qu’il a entendu plusieurs fois ce que vous eussiez dû entendre, la nuit, Déborah se relever, sortir et descendre du côté du parc. Ah! tout est rompu entre elle et lui!.. vraiment?.. C’est bien, restez dans votre quiétude: pour moi, je vais redoubler de sévérité; Chris l’espionnera; et si le malheur veut que cela soit, je prendrai des mesures qui ne seront pas douces à votre pimbêche de fille… Quant au paysan, c’est la moindre affaire.

– Vous êtes maître, mylord, et surtout maître de vos actions; je ne suis que votre humble servante, et je m’incline. Faites à votre guise; on recueille ce qu’on a semé.

– A vos souhaits, comtesse.

III

Le lendemain, après sa toilette, lady Cockermouth fit prier Déborah de vouloir bien se rendre auprès d’elle, par l’escalier dérobé, le plus secrètement possible, pour ne point attirer l’attention de son père.

Aussitôt Debby, très-inquiète, arriva mystérieusement; d’un pas craintif et d’un air caressant, elle s’approcha de sa mère pour la saluer d’un baiser, mais ses lèvres ne pressèrent que ses deux mains qui soutenoient son front abattu.

– Je vous remercie, mademoiselle, d’avoir bien voulu vous rendre avec empressement à mon invitation, lui dit la comtesse en découvrant son visage mélancolique; cédez toujours ainsi à mes douces et sages prières, vous ferez le bien, et vous épargnerez à vous et à votre mère infortunée de grands chagrins et de grands remords. J’ai tant besoin de consolation!.. et toute consolation ne me peut venir que de vous.

Une seule fois, dans votre enfance, Debby, je cédai à un de vos caprices: cette foiblesse maternelle, bien pardonnable, a déchiré ma vie, déjà tant empoisonnée: vous vous étiez éprise de belle amitié pour Pat, le fils du granger Patrick, vous recherchiez toujours sa société, vous l’invitiez à vos récréations, vous lui offriez vos jouets, vous agissiez avec lui comme avec un frère, vous deveniez maussade quand on l’éloignoit de vous; au lieu de m’opposer rigoureusement, et comme je l’eusse dû, à votre fréquentation de ce petit rustaud; – fréquentation tout à fait messéante et blessant violemment votre père, qui plusieurs fois m’avoit intimé l’ordre, de l’empêcher durement. Pour ne point vous enlever votre compagnon unique, pour ne point vous affliger, j’écoutai vos désirs instants, et je favorisai vos entrevues. J’avois pensé que ce n’étoit qu’un enfantillage de peu de durée, mais vous vous êtes montrée tenace en vos goûts; et, plus tard, je ne pus jamais vous convaincre qu’il étoit opportun et décent de rompre avec ce paysan devenu jeune homme; vous ne voulûtes pas comprendre que vous dérogiez à votre rang.

Vous n’avez pas oublié, sans doute, mon cœur en saigne encore, toutes les tempêtes que cette condescendance m’a fait essuyer, toutes les fureurs qu’elle a fait tomber sur vous et sur moi; n’étoit-ce pas assez?..

Je croyois mon péché expié, je croyois cette guerre lasse; je croyois éteint ce brandon de discorde; hélas, me serois-je abusée grossièrement?

Voici que la colère de votre père s’est réveillée plus véhémente que jamais: hier, affirmant que vous avez toujours des rapports avec M. Pat, il a invectivé contre vous, il m’a chargée de blâmes. J’ai tâché de l’appaiser, en témoignant de toutes mes forces de votre innocence. J’ai essayé de lui prouver que par méchanceté, sans doute, quelqu’un avoit égaré sa bonne foi. Je l’ai prié de ne point calomnier ma Déborah. J’ai repoussé loin cette perfide accusation. Non, Déborah, vous n’êtes point une fille à commerce nocturne: c’est une calomnie! Me démentirez-vous?.. Non, Déborah, vous n’avez pu prolonger, au péril de votre avenir, une liaison impardonnable, une liaison funeste à l’orgueil de votre père, une liaison funeste à mon repos! Me démentirez-vous?..

– O ma mère, ma mère, pardon!.. s’écria Déborah, tombant alors à ses genoux et cachant sa figure dans les plis de sa robe.

– Cessez vos cris, Déborah, craignez qu’ils n’attirent votre père, sortez de devant moi. Est-ce ainsi, mauvaise âme, que vous faites ma joie?

– O ma mère, pardon! ne me chassez pas, ce seroit me maudire, et je ne suis criminelle que de vos chagrins… Veuillez m’entendre?..

– Debby, ma fille, que vous êtes cruelle! Déjà ne m’aviez-vous pas assez causé de tourments? En quoi ai-je donc si peu mérité votre pitié? N’eût-elle pas été coupable votre inclination, que du jour où elle appesantissoit sur moi le bras de plomb de votre père, et sur vous sa malédiction, vous eussiez dû en faire le sacrifice. Prenez garde, qui ne sait pas faire un sacrifice souvent est sacrifiée.

– C’est qu’aussi souvent il est plus facile d’être immolé que de s’immoler. On ne tient pas compte des efforts vains, des luttes impuissantes, des combats secrets: en vérité, croyez-vous qu’il soit si aisé de s’arracher du cœur une amitié qui date du berceau, un amour développé avec la vie, une passion se reposant sur un être parfait, sur un être d’élection? Croyez-vous qu’un amour sans bornes, soit si commode à arracher, quand il est basé sur une profonde estime, et surtout quand le bien-aimé n’a d’autre crime que celui d’être né dans une crèche?

S’il en est qui peuvent à un signal donné désaimer ou prendre de l’amour, ce n’est pas moi. J’ai tout tenté; je me suis tout dit pour surmonter ma passion; et tout ce que j’ai fait pour la détruire n’a fait que la consolider. Enfin, j’ai cessé ce duel inégal avec la nature; et je me suis abandonnée au courant; dût-il m’entraîner dans un gouffre, résignée à tout, je le suivrai.

– A quelle école, s’il vous plaît, avez-vous appris un langage aussi odieux? Est-ce à l’école de votre paysan?

– Mon paysan n’est point un homme de scandale; et si mon langage est odieux, c’est que mon cœur est odieux, car il part de mon cœur. D’ailleurs je ne suis plus une enfant, je touche au tiers de la vie, et j’ai eu pour maître le malheur.

– Quels malheurs?.. Dieu du ciel! si votre père vous entendoit, vous seriez morte!..

– Ne suis-je pas résignée à tout?

– Les soupçons du comte votre père sont donc fondés?

– Oui, ma mère.

– Vous revoyez donc le garçon Pat?

– Oui, ma mère, je revois M. Patrick Fitz-Whyte.

– Depuis quand?..

– Depuis un an environ.

– Effrontée!.. Où pouviez-vous voir ce garçon?

– M. Patrick est venu quelquefois au château, en votre absence; mais habituellement nous nous rencontrons la nuit dans le parc. Je prends ici Dieu à témoin que pourtant nous n’avons jamais forfait à nos devoirs, et que nos entretiens n’ont jamais été qu’édifiants! M. Patrick est un noble homme, croyez bien!

– S’il m’étoit venu à la pensée que vous eussiez pu faillir, je serois plus coupable que vous ne le seriez vous-même, ma fille, si vous eussiez succombé: j’ai de l’estime pour vous, ma fille; ôter son estime a quelqu’un, c’est applaudir à ses vices, ou c’est le mettre dans le cas de se jeter au mal par dépit.

Votre père n’a encore que de vagues soupçons, et il est déjà possédé d’une colère outrée; prenez garde de les confirmer, je ne sais à quelle rigeur il pourroit être conduit. A la prolongation de vos liaisons avec Patrick, il attribue, fort justement sans doute, vos refus des divers gentilshommes qui vous ont été offerts. Prochainement il vous présentera un nouvel époux: si vous répondiez encore par un refus, son projet est de vous faire emprisonner dans une maison de correction d’Angleterre, jusqu’à ce que vous soyez revenue à des sentiments plus sociaux.

– Emprisonnée!.. Est-ce à dire que je sois une folle, une prostituée!.. Quant à un époux, seroit-ce Charles-Edward, je le repousserai! J’ai fait ce vœu que je tiendrai, ou d’être à mon Patrick ou d’être à Dieu.

– Déborah, vous êtes une mauvaise femme! Si vous respectez l’amour, vous ne respectez guère la piété filiale. Vous avez peu d’égards pour moi, pour moi votre tendre mère.

– Quoique je sois aigrie, ô ma mère! croyez à ma piété profonde. Mais il est inconcevable qu’on puisse se figurer que l’amour filial ne vive pas d’échanges et de soins; que dans l’amour filial les charges soient toutes pour l’enfant qui ne peut l’entretenir en bon point que par l’abnégation de soi-même, que par l’abnégation de sa raison, et, souvent, par la destruction de sa jeunesse et la ruine de sa vie. Croyez-vous qu’un amour puisse tenir, puisse exister à de pareilles conditions?

– Je ne pense pas que ces réflexions s’adressent à votre malheureuse mère: les charges entre nous deux ont été mutuelles, j’espère? Même, sans vous faire de reproche, je crois ma mesure plus comble que la vôtre. Que n’ai-je pas supporté, que n’ai-je pas souffert à cause de vous!

Parce que dans votre bas âge, involontairement j’avois favorisé vos rapports avec un enfant, on m’a fait coupable de ce qui s’en est suivi jusqu’en votre âge mûr. Ah! Déborah, vous aussi n’accusez pas votre malheureuse mère! oh! très-malheureuse!.. Vous parlez d’amour filial acheté par l’abnégation de soi-même, et par la ruine de son existence: c’est moi qui l’ai acheté à ce prix. Oh! tous mes rêves dorés de mon enfance!.. oh! la Providence fait bien de nous taire l’avenir!..

– Si vous pouviez lire en mon cœur, ma pauvre mère, vous verriez à quel point je vous aime. Laissez-moi baiser vos pieds, laissez-moi pleurer sur votre front! car il est des faits bien atroces dans la vie: vous que j’aime profondément, vous à qui je n’aurois voulu apporter que joie et bonheur; vous dont j’aurois voulu alléger les tortures; par un funeste sort, par je ne sais quel hasard, quelle fatalité, je vous ai toujours plongée dans le chagrin et le remords. C’est affreux à penser!

– Ma bonne fille, combien tes caresses épanouissent mon âme. Qui sait si des jours heureux ne nous sont pas réservés? Tu peux encore me faire goûter à la félicité. J’ai tant souffert, prends pitié de moi, ne me fais pas souffrir davantage, j’y succomberois! Promets-moi, c’est l’unique et dernier sacrifice que je te demande, promets-moi de ne plus revoir M. Patrick.

– Ne plus revoir M. Patrick!.. répéta Déborah consternée.

– Je sens bien qu’il est douloureux de renoncer à l’objet de ses affections; je sens bien que je vous demanderois là une chose difficile, si la renonciation étoit toute volontaire; mais n’est-il pas bien séant de prévenir une rupture inévitable et de la préparer soi-même? mais n’est-il pas habile de faire d’un événement, tout à fait en dehors de notre pouvoir, un acte de notre volonté plénière. Votre père, sachez bien, vous fait surveiller scrupuleusement depuis quelques jours, depuis qu’on lui a donné du soupçon. Vous ne tarderiez pas à être surprise par ses espions;… que Dieu vous en garde! vous seriez perdue, et votre mère aussi.

– Hélas! que ne me demandez-vous une chose possible.

– Je n’exige rien de vous, ma fille; je vous prie seulement d’éviter un piége, je vous prie seulement de vous garder d’un abyme de maux; je vous supplie d’avoir pitié de moi!

Oppressée et sanglotante, Déborah tomba aux pieds de sa mère, et, dans cette pose, demeura taciturne et morne comme une sculpture. Après ce long silence, relevant la tête et soulevant ses paupières, elle dit froidement: Je ferai selon votre désir, ma mère, je me garderai de cet abyme de maux; accordez-moi seulement une grâce?

– Parlez, ma fille.

– Permettez-moi de revoir encore une seule fois M. Patrick, pour lui dire adieu, pour lui apprendre son arrêt au moins de ma bouche? Cette nuit, nous avons rendez-vous dans le parc: j’irai, je lui dirai tout!..

– Déborah, laissez que je vous presse sur mon cœur! je savois bien que vous étiez bonne. Ainsi, dorénavant, vous cesserez toute entrevue?

– Je vous le jure.

– Puissiez-vous toujours vous maintenir en aussi sage disposition; puisse ce changement ne pas être passager, votre mère sera bien heureuse! Ainsi vous ne démentirez pas mes dénégations? J’ai répondu à votre père de votre bonne conduite. Bientôt ses soupçons tomberont, et, honteux de vous avoir accusée faussement, peut-être reviendra-t-il à la douceur.

Il est juste, en effet, de prévenir ce pauvre garçon, et de le prévenir avec ménagement; ce seroit mal en effet de rompre malhonnêtement avec lui, et de le jeter dans l’inquiétude. Allez, une dernière fois, à votre rendez-vous; mais prenez garde de vous laisser surprendre par les gents de votre père.

Voici la cloche du déjeûner. Vite, retournez dans votre appartement: de là, comme de coutume, vous vous rendrez à la salle. Évitez d’avoir l’air embarrassé; il faut que votre père ignore ce qui vient de se passer entre nous.

Durant ces dernières paroles la comtesse Cockermouth tenoit embrassée Déborah, qui, préoccupée, restoit froide, semblant souffrir de ces caresses, et les recevoir de l’air paterne avec lequel on reçoit des félicitations non méritées.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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