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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 25

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XVIII

Ma tâche est triste; mais puisque je me suis engagé à dire ces malheurs, je l’accomplirai. Je m’étois cru l’esprit plus fort, le cœur plus dur ou plus indifférent; j’avois cru pouvoir toucher à ces infortunes et en sculpter le long bas-relief avec le calme de l’artisan qui façonne une tombe; combien je me suis abusé! A mesure que j’avance dans cette vallée de larmes, mon pied soulève un tourbillon de mélancolie qui s’attache à mon âme comme la poussière s’attache au manteau du voyageur. Pas un outrage dont j’aie donné le spectacle, qui n’ait allumé en moi une colère véritable; pas une souffrance que j’aie peinte qui ne m’ait coûté des pleurs. Courage, ô ma muse! encore quelques pages, et toutes ces belles douleurs ramassées par toi avec un soin si religieux, toutes ces belles douleurs jusqu’à ce jour ignorées du monde, étouffées, perdues, comme de petites herbes sous les gerbes de faits éclatants et sans nombre qui jonchent le sol de l’histoire, auront trouvé leur dénouement et revêtu une forme qui ne leur permettra plus de mourir, de mourir dans la mémoire des hommes.

Devant le corps inanimé de Fitz-Harris, Patrick demeura anéanti. Ce qui se passoit en lui étoit trop profond et trop intérieur pour que rien en transpirât. De long-temps il ne donna pas une seule manifestation. Non, il étoit là immobile et muet. Le coup l’avoit percé de part en part. La douleur, comme le clou de Sisara, le tenoit adapté au sol. C’étoient deux cadavres en présence: l’un tout-à-fait froid, l’autre se refroidissant; l’un glacé par le désespoir, l’autre glacé par la mort.

Quand le porte-clefs vint comme de coutume apporter le morceau de pain de ses prisonniers, le bruit qu’il fit en ouvrant la trappe rendit tout-à-coup Patrick à l’existence. Il se souleva, et d’une voix déchirante jeta ces mots vers la voûte: – Mon frère est mort!..

Cette visite, en obligeant Patrick à rompre le beau silence que gardoit sa douleur, ouvrit une issue à son oppression: de profonds soupirs s’exhalèrent de sa poitrine gonflée; jusque là il étoit demeuré l’œil sec, et il se prit à fondre en larmes.

– O mon frère! s’écria-t-il alors, pourquoi m’as-tu abandonné? Après une aussi longue et aussi étroite communauté, ne devions-nous pas mourir ensemble? Pourquoi me laisses-tu seul dans cet abyme? Ne t’aimois-je pas assez, n’avois-je pas assez de tendresse pour toi?..

Mais non, que dis-je? tu as bien fait de mourir, ô mon frère! la mort a mis fin à tes souffrances. On a souvent tort de naître; on n’a jamais tort de mourir. Naître pour en venir là, en venir là après être né, à quoi bon?.. La vie, qu’est-ce donc après tout pour la plupart, sinon une longue suite, une longue multiplicité de douleurs, entre deux énigmes, entre l’énigme de la naissance et l’énigme de la mort?

Va, tu as bien fait de mourir, tu as bien fait de te dissoudre, ô mon frère! Quand, rendu à la liberté et au monde, tu eusses passé quelques heures de plus sur cette terre, qu’y aurois-tu acquis? N’avois-tu pas déjà épuisé toutes les moins pires choses humaines? N’avois-tu pas eu un berceau et le zèle d’une mère? N’avois-tu pas traversé l’enfance qui jouit sans arrière-pensée? N’avois-tu pas eu un premier amour? N’avois-tu pas eu vingt ans? Ce qui te restoit à connoître, ce n’étoit plus que des fripperies; ce qui te restoit à subir, ce n’étoit plus que des décrépitudes. Tu as bien fait de mourir, ô mon frère!

Mais je suis ton aîné, et j’aurois dû te précéder dans le chemin de la mort. Pourquoi, plutôt que toi, la mort m’a-t-elle épargné?.. Oh! n’en sois pas jaloux, mon frère! Dieu, sans doute, a sur moi quelque secret dessein qu’il n’auroit su accomplir sur toi. Toi, tu pouvois mourir, tu n’étois pas lié; tu ne laisses rien derrière toi; mais moi, j’ai dans quelque coin perdu du monde une femme qui m’appelle, et qui a besoin de mon secours, et un fils, sans doute, qui a besoin que je secoure sa mère; et Dieu, qui sait? a peut-être la pensée de me rendre à eux, qui ont besoin de moi, et de les rendre à moi, qui ai tant besoin d’eux. – Si c’est là ton dessein, ô mon Dieu, béni soit-il? Tu sais combien je suis résigné! Quelle que soit ta volonté sur moi, qu’elle s’accomplisse, je me prosterne… Mais si je ne dois jamais les revoir, et si je dois, comme mon frère, mourir dans ce puisard, je ne te demande qu’une grâce, ô mon Dieu! de m’envoyer comme à mon frère, durant ma dernière heure, d’ineffables illusions, de m’envoyer la mort au milieu d’un délire.

Patrick, en proie aux angoisses les plus cruelles, s’attendoit de minute en minute à voir descendre un fossoyeur pour enlever le corps de son ami; mais personne ne paroissoit; et bien qu’il redoutât beaucoup l’instant de cette suprême séparation, où son compagnon s’éloigneroit sans pitié et sans retour, et le laisseroit abymé dans une morne solitude, cependant il l’appeloit de touts ses vœux. La nature a des lois de destruction et de décomposition inexorables pour le plus bel être comme pour l’objet le plus aimé; et Fitz-Harris étoit mort dans un si mauvais état, et ce puits étoit si malsain, que Patrick n’osoit plus, disons plus juste, ne pouvoit déjà plus l’embrasser, ne pouvoit déjà plus poser ses lèvres sur son front.

Après le même intervalle de temps qui s’écouloit d’ordinaire entre chaque apparition du porte-clefs, la trappe se soulevant enfin, Patrick s’avança incontinent sous l’ouverture, et s’écria avec indignation: – Monsieur le porte-clefs, ne vous ai-je pas dit que mon frère est mort? A quoi songe donc M. le lieutenant pour le Roi? Rappelez-lui, s’il vous plaît, qu’il est envers les hommes des derniers devoirs.

Mais, cette fois encore, sans daigner laisser tomber une seule parole, le porte-clefs se retira.

Abymé dans les pensées les plus amères, l’esprit brisé sous la roue de la réflexion, et le corps affaissé par une longue veille (depuis que Dieu avoit rappelé Fitz-Harris, il n’avoit pas fermé ses yeux remplis de larmes), Patrick s’assoupit enfin. Sur l’aile d’une rêverie, le sommeil l’aborda si doucement, qu’il ne put s’en défendre. Au fond de toute mélancolie il y a toujours quelques drachmes d’opium.

Ce sommeil duroit encore lorsqu’un des hommes du Donjon penché à l’ouverture de la voûte, et qui glissoit une échelle, enjoignit à Patrick de monter le corps de son ami. Ébloui par la lueur répandue dans le caveau et surpris par cette brusque arrivée, cependant Patrick se leva aussitôt et s’excusa sur cet ordre, en prétextant son état d’extrême foiblesse. Mais la même injonction ayant été répétée d’un ton plus brutal encore, et quelqu’un ayant ajouté avec un accent de raillerie: – Après tout, si monsieur ne veut pas se séparer de ce cadavre, les volontés et les goûts sont libres. Patrick, non pour obéir à cette insolence, mais pour les mânes de son ami, rassemblant toutes ses forces, chargea courageusement sur ses épaules le corps de Fitz-Harris et se mit à monter, je devrois dire à se traîner le long de l’échelle. Écrasé sous le poids, n’ayant qu’une main disponible, l’autre soutenant et retenant le cadavre, peu s’en fallut plusieurs fois qu’il ne se renversât et ne fît une horrible chute. Le plus cruel, c’est qu’il n’avoit point de chaussure; de sorte que chaque fois qu’il s’appuyoit sur un échelon, cela lui scioit la plante des pieds et lui causoit une douleur excessive. Lorsqu’il eut gagné le caveau supérieur, il apperçut à quelque distance les porte-clefs et M. le lieutenant pour le Roi au Donjon, qui touts quatre se tenoient ainsi à l’écart, pour échapper sans doute à l’air putride qu’exhaloit le trou d’extraction. Les trois valets portoient chacun un falot. Quant à M. le lieutenant, il ne portoit rien; il étoit simplement coiffé d’un serre-tête et entortillé dans les ramages d’une robe de chambre non moins spacieuse que ridicule.

Sans lui donner le temps de reprendre un peu courage, ces quatre misérables se mirent en peloton, et entraînèrent au milieu d’eux Patrick, qui ployoit sous sa sainte charge.

Après avoir monté plusieurs vis, traversé plusieurs caves, plusieurs salles, plusieurs couloirs, plusieurs galeries, ils pénétrèrent dans un jardin, le jardin du Donjon. Le long du mur un trou assez profond avoit été pratiqué dans la terre. Quand Patrick y eut été conduit, il comprit de suite que c’étoit là, et déposa tout au bord son fardeau. Sous le poids qui l’accabloit, il avoit tant employé d’efforts durant cette longue marche à travers ces sombres détours, qu’une sueur froide couloit de son front à grosses gouttes, et que ses jambes fléchissoient. L’imagination pourroit-elle concevoir un spectacle plus lugubre, une scène plus propre à glacer d’effroi? De touts côtés de grandes murailles noires emprisonnant des ténèbres et du silence; des hommes d’un sinistre aspect, avec des figures pleines d’ombre; un personnage odieux dans une robe longue, comme un homme de Palais; trois lanternes jetant quelques lueurs sourdes et n’éclairant que par-dessous le feuillage appauvri de quelques arbres; un trou en terre, puis un cadavre immobile porté par un cadavre mobile couvert de cheveux et de haillons.

Ayant posé leurs falots le long de la muraille, et s’étant saisi chacun d’une bêche, les trois porte-clefs poussèrent le corps de Fitz-Harris dans la fosse, et déjà ils avoient jeté sur lui plusieurs pelletées de terre, lorsque, à cette vue, retrouvant quelque force, Patrick se releva, et avec un geste terrible leur commanda d’arrêter. Puis, s’approchant lentement de M. le lieutenant pour le Roi, qui, les mains sur le dos et son bonnet de nuit sur la tête, regardoit faire: – Au nom du ciel! monsieur, lui dit-il avec la noblesse qui accompagnoit toujours ses moindres expressions, ce n’est pas ainsi que s’enterrent les hommes! La haine la plus cruelle s’arrête ordinairement où le néant commence; mais la vôtre, qui passe toutes bornes, à ce qu’il paroît, passe aussi le seuil de la tombe. Ce n’étoit donc pas assez, monsieur, d’avoir lâchement assassiné mon frère et de l’avoir laissé mourir sans les secours de l’art et de la religion?.. Allons, qu’on le porte à la chapelle et qu’on appelle un aumônier!..

A ce coup de hache, M. le chevalier de Rougemont répondit avec perfidie qu’il n’y avoit point au Donjon de prêtres à l’usage des religionnaires; mais Patrick lui ayant humblement représenté qu’ils étoient Irlandois et catholiques: – Assez, jeune homme, lui répliqua-t-il impudemment, je ne dois compte de ma conduite qu’à sa Majesté.

M. le chevalier savoit parfaitement que ses prisonniers n’étoient ni Anglois ni anglicans, et la raison qu’il avoit paru vouloir donner n’étoit que pour tenir lieu d’une plus véritable qu’il n’avoit pas voulu mettre en avant. M. le chevalier, qui devoit à chien et à chat, au dedans et au dehors du Donjon, à ses fournisseurs, à son boucher, à ses porte-clefs, à ses garçons de cuisine, devoit aussi au curé de la Sainte-Chapelle les honoraires de plusieurs inhumations; et ce dernier, ne pouvant arracher un sou de ce fripon, venoit, poussé à bout, de l’attaquer en justice. – Ce fut là pourquoi, ce que Patrick ignora toujours, Fitz-Harris fut enterré sans prêtre et sans obsèques, comme un chien.

Les expressions me manquent; la parole n’a pas assez de ressource et de souplesse; je ne sais que dire, je ne sais quel signe employer pour dépeindre la stupeur profonde dans laquelle Patrick retomba, lorsqu’après ces insultantes funérailles il se retrouva seul dans le puisard. Si la perte d’une âme qui nous est chère, au milieu du mouvement, des soins et du fracas du monde nous porte un coup terrible et laisse à nos côtés un vide que rien ne sauroit combler, quel vide ne doit pas faire autour du captif, de quelle mortelle horreur ne doit pas le cerner la perte de la seule âme sa compagne, de la seule âme qui partage le froid de son abyme. Si Patrick n’eût été soutenu par la pensée de Déborah, par une lointaine espérance, il auroit sans doute succombé sous sa douleur; peut-être même que cette pensée n’eût pas suffi pour défendre de la mort ce qu’il y avoit en lui de périssable, s’il fût demeuré plus long-temps dans ce cachot. Mais au bout de quelques heures, dix ou douze heures, je pense, une voix étrangère, inconnue, vint frapper tout-à-coup son oreille. La voûte s’étoit ouverte sans qu’il s’en fût apperçu, tant il étoit absorbé, et la voix disoit: – Quoi! dans ce trou, au fond de ces ténèbres, il y a un être vivant, une créature de Dieu? Lâche abomination!.. Je ne sais pas quelle a pu être la faute de cet homme qui est là dans ce gouffre; mais ce que je sais, monsieur le lieutenant, c’est qu’il ne faut pas se faire criminel envers le criminel; qu’il ne faut pas punir le crime par un châtiment pire que le crime, par un crime sans fin, surtout, et sans profit, et que ne demandent ni la loi, ni le Roi, ni mon Roi, qui est le vôtre, monsieur le lieutenant. A ces réflexions simples et austères qui rabrouoient un peu le chevalier de Rougemont, M. le chevalier, empêché dans sa confusion, sans doute, ne souffla mot. Mais la même voix, après un moment de silence, ayant ordonné qu’on plaçât une échelle, et demandé des flambeaux, qu’on l’éclairât, craignant sans doute que son prisonnier, s’il étoit visité, ne l’accusât, monsieur le lieutenant recouvra soudain son éloquence accoutumée, et se prit à dire d’un ton de candeur, le Pharisien! – De grâce, monseigneur, je vous conjure, je me mets à vos pieds, ne descendez pas dans cette loge, c’est un fou furieux, farouche, inabordable, qui l’habite; il iroit de vos jours; cet homme a des heures terribles. De grâce monseigneur!.. Mais, sans paroître faire aucun compte de cette insinuation perfide, la même personne étrangère répondit: – Bien, bien, monsieur, des flambeaux, qu’on m’éclaire! j’en jugerai par moi-même. N’oublions jamais, monsieur, que l’insensé et le méchant sont, avant tout, des malheureux dignes de notre sollicitude: nous devons à l’un nos soins, à l’autre notre pitié. Dieu ne met au monde que des hommes; c’est le monde, monsieur, qui engendre les méchants et les fous. Les méchants et les fous sont son œuvre, sont notre œuvre, monsieur le lieutenant.

Quand l’étranger eut descendu l’échelle et posé les deux pieds sur la croûte noire du sol, il porta ses yeux sur la croûte grise et luisante des murailles et de la voûte; il regarda autour de lui, il laissa tomber son regard, et l’arrêta long-temps sur Patrick, spectre aux cheveux et à la barbe sauvages, aux muscles affaissés et mal cachés sous quelques restes de haillons, qui demeuroit là dans la plus morne immobilité; et, après avoir fait bien des efforts visibles pour rallier son cœur qui se fendoit devant ce spectacle, devant tant de souffrances, de misère et d’abjection, il put enfin trouver assez de calme pour dire, avec un accent plein d’encouragement qui eût gagné la créature la plus farouche: – Ne craignez rien, prisonnier, je ne viens point pour vous faire du mal; je viens pour vous consoler, si je puis, et vous ôter à l’horreur de ce cachot. A ce geste d’une bienveillance marquée, Patrick se leva et s’inclina respectueusement. Ce charitable étranger étoit habillé de noir; une épée d’acier étinceloit à son côté. Son air de visage étoit doux et noble, sa bouche gracieuse: son front beau et pur déceloit un cœur sans limon et sans remords. La limpidité de son regard proclamoit la limpidité de son âme. Tandis que Patrick l’admiroit, il poursuivit: – Votre malheur est grand, monsieur, et me pénètre de douleur, et surpasse à coup sûr votre faute? – Mes malheurs, en effet, monsieur, sont inouis, lui répondit tristement Patrick, mais je suis sans reproches devant Dieu, devant la loi, devant ma conscience. Avoir plu et déplu à une adulteresse, voilà mon crime, qui fut celui de Joseph, et qui, comme lui, m’a fait jeter dans une prison où je suis condamné à mourir. – Il ne faut pas vous désespérer ainsi, monsieur; il n’y a de condamnés que ceux que Dieu condamne. Dieu souvent se plaît à abaisser son serviteur, pour le mieux élever. Joseph sortit de sa prison pour régner sur l’Égypte. Depuis combien d’années êtes-vous céans? – Ce fut le 2 septembre 1763 que je fus amené dans ce Donjon; et depuis le mois de septembre ou de décembre 1773 j’habite cette fosse. – Quoi! depuis vingt et un mois on vous retient dans cette abyme? O mon pauvre jeune homme! il faut vraiment que Dieu vous réserve pour quelque grande chose, que sa main vous ait soutenu, pour que, sous le faix de tant de maux, vous n’ayez pas succombé. – Je n’ai pas succombé encore, moi; mais, monsieur, j’avois un ami, un frère, un compagnon d’infortune et de captivité, qui, exténué, tué par le désespoir, a rendu l’âme sous cette voûte. Son cadavre, il y a peu d’heures, étoit encore là étendu. Oh! que n’êtes-vous descendu plus tôt dans ce puisard! C’étoit un brave et bon jeune homme. La terre l’a perdu, le ciel l’a gagné. O Fitz-Harris! ô mon ami! tout pour toi fut cruel, ta vie, ta mort, ton destin!.. L’étranger, remué jusque dans ses entrailles, prenant alors la main de Patrick, la lui serra affectueusement. Patrick, dans une émotion non moins vive, se mit à genoux, et reprit: – Ce qui se passe dans votre cœur se trahit; vos yeux sont mouillés de larmes. Je ne sais pas qui vous êtes, monsieur; mais je vois bien que vous êtes un honnête homme; souffrez que je me prosterne à vos pieds. – Non, relevez-vous, mon bon ami, lui dit l’étranger, et suivez-moi. Sortons au plus vite de cet air empoisonné; venez, vous serez libre; venez, je suis la clef qui ouvre et qui ferme la porte de la liberté. – Vous êtes, monsieur, je le vois bien, vous dis-je, reprit encore Patrick, avec une émotion toujours croissante, un messager du ciel envoyé de Dieu; j’accepte volontiers ce que vous daignez me rendre, non pour moi-même, mais à cause d’une femme, objet de tout mon culte et de tout mon amour; mais cette liberté que je perdis avec un compagnon, et que seul je vais recouvrer, sera toujours pour moi bien sombre et pleine de deuil.

Quand l’étranger fut ressorti de la citerne, il prit par la main Patrick, qui l’avoit suivi, et dit à M. de Rougemont: – Monsieur le lieutenant, je vous présente un jeune homme dont je m’honorerois d’être l’ami, plein de raison et de réserve, et d’une dignité qui m’édifie. C’est mal à vous, monsieur le lieutenant, d’avoir cherché à me tromper. Vous êtes, monsieur le lieutenant un officier cruel; tant pis! vous ne serez jamais le beau-cousin de notre jeune Roi. Faites conduire monsieur, s’il vous plaît, dans une chambre du Donjon, et que les soins les plus attentifs lui soient prodigués sur-le-champ. En achevant ces dernières paroles, l’étranger s’éloignoit avec empressement et modestie pour se soustraire aux marques d’une touchante reconnoissance que Patrick lui donnoit.

Mais quel étoit donc cet étranger à la voix douce et puissante, et que tant de respects semblent entourer? C’étoit… Eh bien, oui! cet homme, dont la main s’appliqua à détacher tant de fers, horrible destinée! vienne le temps, et lui-même à son tour sera chargé de chaînes qui ne seront pas détachées. Vienne le temps, et sa tête blanchie roulera sur l’échafaud! Cet homme… inclinons-nous; vice, égoïsme, indifférence, rentrez dans votre honte! cet homme, c’étoit la vertu, c’étoit Chrétien-Guillaume Lamoignon de Malesherbes, ministre de Paris, et plus tard – dernier conseil de Louis XVI.

Patrick avoit été conduit dans la chambre octogone, où il avoit passé tant d’années de souffrance avec Fitz-Harris, et il étoit assis tristement, essayant de se réchauffer aux rayons d’un feu énorme, quand M. d’Albert, le nouveau lieutenant-général de Police, se présenta avec affabilité et lui dit: – M. de Malesherbes n’a point voulu, monsieur, quitter le Donjon sans vous donner, par ma bouche, un dernier mot de courage. Soyez tranquille, avant peu vous serez libre. M. le ministre attend de votre déférence que vous voudrez bien lui adresser prochainement un mémoire circonstancié de votre captivité et de ses causes. En outre, à ce mémoire, il vous en prie, vous serez assez bon pour joindre une liste de la somme d’argent et des effets que vous jugerez vous être nécessaires pour reparoître convenablement dans le monde: ce sera pour M. le ministre un vrai plaisir que d’y pourvoir.

Patrick s’inclina gracieusement pour témoigner de sa gratitude, et répondit, après avoir paru réfléchir un instant: – Ce mémoire que M. le ministre daigne me demander, bien qu’il me fende le cœur de redescendre dans ma pensée et d’y remuer l’amas de mes infortunes, je le ferai selon son désir. Mais, qu’il me soit permis, monsieur, de m’abstenir d’y joindre aucune liste; je n’ai besoin de rien. La liberté me suffira. Il parut encore réfléchir quelques instants; puis il reprit: – Cependant, monsieur, tant de bonté m’encourage, que je me donnerai la hardiesse d’implorer humblement de M. de Malesherbes une chose qui, dans mon affliction, m’a bien fait faute, dont la vue m’aidera à supporter les dernières heures que je dois passer encore dans ce cachot, et qu’en sa mémoire je garderai toujours saintement – Un crucifix.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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