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Читать книгу: «Madame Putiphar, vol 1 e 2», страница 24

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Ces folies, ces visions, étoient l’œuvre de la fièvre lente qui l’emmenoit: il ne put long-temps en faire la confidence. Sa voix étoit devenue si foible que ce n’étoit plus qu’un bruit d’haleine: il avoit peine à lier deux mots. Voyant le triste état où il étoit réduit, Patrick conçut pour son ami les plus vives alarmes. L’heure d’une séparation cruelle approchoit, et jusque là il s’étoit peu appesanti sur cette idée; il n’avoit fait qu’entrevoir dans le vague, et comme chose possible, la perte de son compagnon d’infortune. Il étoit accablé. Il désiroit impatiemment faire connoître à M. le lieutenant pour le Roi, dans l’espérance que peut-être il en seroit touché, le péril où se trouvoit Fitz-Harris; mais comme il ne pouvoit le faire savoir au porte-clefs qui venoit apporter leur nourriture sans en même temps épouvanter le pauvre mourant et l’ôter à ses illusions, il gardoit tristement le silence; et, comme un nocher dont la tempête a brisé la barque, et qui de la grève où il a été rejeté se voit forcé de demeurer le spectateur immobile d’un navire qui sancit sur ses amarres, qui coule bas, il assistoit au naufrage de Fitz-Harris dont la nef disparoissoit peu à peu sous le flot envahissant de la mort. Enfin, une fois, le hasard ayant voulu que Fitz-Harris sommeillât à l’heure où vint le porte-clefs, Patrick saisit l’occasion, et, se jetant à genoux sous le trou d’extraction, sous la trappe: – Au nom du ciel, porte-clefs, je t’implore! s’écria-t-il; rappelle-toi que nous sommes des hommes, que nous sommes tes semblables, que nous sommes de chair et d’os comme toi, et songe à ce qu’on nous fait souffrir. Au nom du ciel! si tu n’es pas une pierre, si tu n’es pas sans quelque reste de pitié, va dire, fais-moi la grâce d’aller dire à ton maître, M. le lieutenant pour le Roi, que Fitz-Harris, mon frère, se meurt; qu’il est entre la vie et la mort; s’il demeure une heure de plus dans cet égoût, il est perdu! Va, sauve-le! va, implore M. le lieutenant pour le Roi à deux genoux comme je t’implore; peut-être que sa vengeance est enfin assouvie, que sa haine est repue, et qu’il ne souhaite pas ce meurtre. Mon ami, prends une échelle, un flambeau, descends dans ce lieu d’horreur, tu verras notre misère, et tu ne pourras plus y songer sans verser des larmes. Au nom du ciel! porte-clefs, sauve-le, sauve mon frère! sauve ton frère: car nous sommes des hommes! car nous sommes tes semblables! va et tu seras béni! – Mais le porte-clefs ne fit aucune réponse, et n’en rapporta point. Déposa-t-il le message aux pieds de M. le lieutenant pour le Roi, ou n’en tint-il aucun compte, je ne sais. Patrick grinça des dents d’indignation et de dépit. Honteux, il rougit en face de lui-même, comme un homme qui vient de faire une chute dans le péché, d’avoir, entraîné par son zèle pour Fitz-Harris, fait une humble prière, lui qui n’en faisoit jamais, et de l’avoir faite à un valet, et de l’avoir faite en vain.

Ce sommeil extraordinaire de Fitz-Harris se prolongea bien long-temps: ce fut sans doute une léthargie, et quand il se réveilla il avoit recouvré le sentiment et la parole. – Oh! mon Dieu! Patrick, dit-il d’une voix forte, une brèche s’est faite dans la muraille de ce caveau! Vois, comme on plonge au loin; comme la vue s’égare dans l’immensité; quel beau spectacle! Enchâssée dans l’Océan, quelle est donc cette verte émeraude? Oh! mon Dieu c’est la terre d’Irlande. Vois-tu, sur son beau rivage, notre sauvage comté de Kerry, tourné comme une fleur vers le soleil? Quel parfum m’arrive au cœur! quel baume on respire! Ce ne sont plus les miasmes d’un puisard: c’est l’air libre des montagnes, c’est l’air pur de la patrie: —Spiorad-naom! comme tout-à-coup le jour s’est voilé! comme tout-à-coup la nuit s’est faite. Spiorad-naom! où sommes-nous donc, Patrick? Ah! dans la ville endormie de Killarney. Quel silence! tout repose. Reconnois-tu Killarney, Patrick? Killarney la simple, Killarney la hautaine? Nous voici dans une de ses rues étroites et tortueuses. Qui sort de cette maison délabrée? Spiorad-naom! c’est Donald, mon bandit de frère. A sa main est un bâton qui tourne et qui siffle. Trois compagnons le suivent. Comme ils sont faits, comme ils sont débraillés! Les vois-tu, comme ils chancellent? Le bandit passera donc toujours ses nuits dans les repaires et dans les tavernes. – Dieu! voici la rue où je suis né; voici le toit où je suis né; voici la chambre où je suis né! Auprès d’un feu couvert ma pauvre vieille mère veille, son rosaire à la main. Quel calme et quelle tristesse sur sa belle figure, symbole d’une âme sans reproche! Quelle image de la vertu! Elle veille, elle attend avec anxiété la tendre femme, mon frère, son fils Donald, qui, sans pitié pour elle, trôle encore à cette heure dans les rues évitées de la ville! Elle pleure! elle pleure sur moi, sans doute. Son esprit habite dans ma prison; elle souffre ce que je souffre; mes fers sont rivés à ses pieds: elle traîne avec moi mes chaînes; elle me croit perdu sans retour. – Me voici! me voici! pauvre femme! console-toi, ma mère! Les murs de mon cachot se sont écroulés. Plus de deuil, plus de larmes! Le fils est rendu à sa mère, la mère et le fils sont ensemble! Presse-le sur ton cœur, pauvre mère, c’est bien lui, c’est bien Kildare, c’est bien ton Harris. Laisse, que je baise ta bouche de miel, tes cheveux blancs; laisse-moi m’étendre à tes pieds et reposer sur ton giron ma tête vieillie et rembrunie, comme autrefois j’y reposois ma tête rose et blonde. – Le jour renaît; Patrick, nous voici dans le chemin de Kenmare; le soleil se lève; des forges semblent s’allumer sur le sommet des montagnes, quelle splendeur! J’avois presque oublié le soleil. Que c’est beau! Gloire à toi, Dieu du monde! trois fois gloire à toi! Verse sur nous tes feux et tes rayons: réchauffe-nous; ranime-nous; reverdis-nous, toi! La tyrannie nous a pourris dans l’ombre. – Salut, roches escarpées, pitons hardus, mamelons de pierre, vallées profondes, bois épais, où se sont aventurés nos premiers pas, où tant de fois dans nos courses vagabondes nous jetâmes des cris déchirants pour faire sonner l’écho, qui se répercutoit de colline en colline. Tiens, Patrick, comme on découvre d’ici le Loug-Leane, le beau lac de Killarney! C’est la mer apportée dans des montagnes. Quelle paix! quel calme! c’est ton image, Patrick; des éléments divers qui se heurtent en son sein, des combats qui s’y livrent, rien ne transpire à la surface. Là-bas s’élèvent les hautes crêtes des Mac-Gillicuddy’s-Reeks et le Curran-Tual; mais les tours de Cockermouth-Castle sont encore cachées sous la brume matinale. Cet amas de pierres moussues, n’est-ce pas les ruines solitaires du Prieuré? et non loin, ce toit qui fume, n’est-ce pas, Patrick, la hutte de ton père? Quelle joie de revoir tout cela! Oh! mon Dieu! que la patrie est belle!.. Suis-je le jouet d’une folle illusion? Une magnificence inconnue se déploie comme un éventail et m’éblouit. Une brise rose et parfumée soulève une poussière d’or qui s’épand sur toute la nature. Vois-tu dans cette forêt magique, sur cette colline de marbre, passer Diane, la divine chasseresse, son arc en main, son croissant d’opale sur le front? trois beaux levriers blancs qu’on diroit découpés dans l’ivoire suivent ses pas rapides. Comme sa tête est majestueusement tournée sur l’épaule! Phœbé, Phœbé, ô ma déesse!.. Lève les yeux, Patrick; là-haut, là-haut, vois-tu cet ange qui traverse, comme une flèche, la voûte éthérée; ses lèvres pressent l’embouchure d’une longue trompette d’or; quelle fanfare éclatante il éparpille parmi les étoiles! Entends-tu au haut des airs ces concerts de voix et d’instruments? pluie harmonieuse qui descend des nuées, pénètre dans le cœur et le rafraîchit. Tout scintille, tout étincelle comme une escarboucle; tout est rutilant, tout chatoie, tout ondoie, tout poudroie. Cette magnificence, c’est la robe de Dieu! Ces pourpris, ce sont les pourpris célestes. Une femme noire et voilée va lentement le long d’un ruisseau de crystal; elle porte une touffe de scabieuses passées dans un anneau d’or. Il me semble que sa démarche m’est connue. La brise rose et fraîche a soulevé son voile. Grands dieux! c’est Déborah! Oh! mon Dieu! qu’elle est pâle!.. Un jeune homme la suit, un tout jeune homme, ma foi. Oh! mon Dieu! Patrick, qu’il te ressemble!.. c’est ton ombre. Sur les pierres du chemin il fait sonner une longue épée. Le voici qui lutte corps à corps avec un chêne, le frêle arbrisseau! Oh! mon Dieu! le chêne se déracine, le chêne penche, le chêne tombe, le chêne l’écrase!.. Hélas! il est tué, le pauvre enfant! – Qu’un grenadier en fleur est un bel arbre! Sous ce grenadier sauvage quelle est donc cette femme si belle? Est-ce Ève ou Vénus? Que d’abandon dans sa pose! quel feu et quelle douceur dans son regard! que d’amour sur sa bouche! comme son sein palpite et rebondit! quelle grâce dans ses contours! que de voluptés à cueillir! Oh! je mourrois si j’approchois seulement mes lèvres de son pied!.. Suis-je en rêve? Non, non, ce n’est point une folie; l’orgueil ne m’égare point. Elle m’a vu, elle me sourit, elle m’appelle!.. Un charme irrésistible m’entraîne, me précipite vers elle. L’amour renaît pour moi: bénit soit le sort! je vais encore mourir sous un baiser. Un charme mystérieux m’attire et m’entraîne, te dis-je; je le sens bien, je suis vaincu, il faut céder. Viens, Patrick, suis-moi; viens, avec la liberté on recouvre l’amour.

A ces mots, Fitz-Harris, qui depuis vingt et un mois gisoit sur sa litière, se dressa subitement sur ses pieds, et, traversant à grands pas le caveau, il se précipita contre la muraille. Là, se tenant accroché avec ses ongles aux angles des pierres: – Viens, Patrick, viens, mon frère, poursuivit-il, ne m’abandonne pas dans la félicité. Une brèche s’est faite dans le mur, te dis-je; viens, suis-moi; les fossés sont pleins de bruyères; ce n’est qu’un pas à franchir. Viens, suis-moi; viens, nous serons libres!

En achevant ces dernières paroles, comme une pierre de la voûte il tomba pesamment sur le sol; puis il se fit un profond silence. Patrick prit alors le pauvre infortuné dans ses bras; il étoit froid.

Il étoit mort!..

XVII

Mieux vaut la certitude la plus cruelle que le doute le plus léger, que l’incertitude la plus vague; rien ne ronge comme l’incertitude, rien ne creuse comme le doute; et Déborah vivoit dans l’incertitude la plus profonde à l’égard de la fin dernière de Patrick. Elle avoit bien vu le fer entrer dans son flanc, elle avoit bien entendu les cris qu’il avoit jetés et son adieu déchirant; elle avoit bien vu sa chute, elle avoit bien entendu rouler au loin le carrosse emportant sans doute le cadavre et les meurtriers; mais qui l’avoit tué? mais au nom de qui l’avoit-on tué? mais qu’avoit-on fait de ses restes? elle l’ignoroit. Aussi brûloit-elle de rentrer secrètement en France pour tâcher de lever un coin de ce voile, et pour recueillir les dépouilles mortelles de son ami, comme ces courageuses femmes de l’Antiquité qui, au temps des persécutions, se glissoient dans la nuit jusqu’aux lieux des supplices pour ensevelir les corps des martyrs et les mettre en sépulture.

Dès que ses affaires de succession, affaires toujours interminables, eurent été régularisées, laissant l’administration de touts ses biens à sir John, elle prit donc congé de lui, non sans l’accabler toutefois de nouveaux et précieux témoignages de reconnoissance. Quant à Icolm-Kill, persévérant dans sa première et noble résolution, il ne voulut mettre aucun prix à l’action qu’il avait faite, il ne voulut rien accepter; il demanda seulement à Déborah, comme grâce ou comme faveur, de s’attacher à sa fortune. Un homme habile, entendu, à toutes mains, de l’espèce d’Icolm-Kill, étoit trop rare et d’une utilité trop immédiate pour que l’adroite comtesse Déborah négligeât l’occasion si belle de l’acquérir, et d’en faire un officier de sa maison. Elle s’empressa de se rendre à son désir, et lui donna la charge de gouverneur de son fils et d’intendant.

Un navire de France appareilloit dans le port; l’âme oppressée, le cœur déchiré dans touts les sens, Déborah quitta Dublin, Déborah s’éloigna à toutes voiles de son Irlande bien-aimée; mais cette fois ce n’étoit plus pour aller renouer ses amours avec son beau Patrick au rendez-vous qu’ils s’étoient donné sur le Continent. Une urne à la main, elle partoit la sainte femme?..

Afin de mieux échapper au ressentiment de la Cour et de la Police, dans le cas où son évasion de Sainte-Marguerite auroit été ébruitée, Déborah se déguisa sous le nom irlandois de Barrymore; mais Icolm-Kill, qui, à la Forteresse, avait joué le rôle d’un prétendu lord Cunnyngham, pour se rendre parfaitement méconnoissable, n’eut simplement qu’à ôter son masque. Ce ne fut pas sans effroi que notre jeune infortunée reprit la route de Paris; cependant elle approcha ses lèvres avec courage de ce vase rempli pour elle d’amertume, et le vida à longs traits; car il y a dans la douleur une volupté mystérieuse dont le malheureux est avide; car la souffrance est savoureuse comme le bonheur. Ce ne fut pas non plus sans trouble qu’elle revit la rue de Verneuil, si placide, si gentilhomme, où, dans la solitude, elle avoit habité avec Patrick et goûté quelques moments d’une félicité bien rare. Elle ne posa le pied qu’en frémissant sur le pavé de cette rue; il lui sembloit encore couvert du sang de son ami. La scène nocturne du meurtre de Patrick, comme une sombre tapisserie, vint alors se dérouler devant ses yeux: elle entendoit distinctement le choc des épées. – Depuis son absence l’hôtel Saint-Papoul avoit été tellement défiguré à l’extérieur, que Déborah hésita long-temps avant que de le reconnoître et d’oser entrer. La maison avoit changé de maître et de destination, et le nouveau concierge lui donna pour certain que M. Goudouly, après avoir vendu tout ce qu’il possédoit à Paris, s’étoit retiré dans son pays, dans le Béarn, il y avoit déjà plusieurs années. Voilà pourquoi, sans doute, cela paroîtroit s’expliquer assez bien aujourd’hui, toutes les lettres que Patrick avoit adressées à ce brave vieillard, dans les derniers temps de la lieutenance de M. de Guyonnet, étoient toutes demeurées sans réponse, à son grand crève-cœur. Sa première démarche n’étoit pas heureuse; c’étoit un assez fâcheux pronostic; Déborah n’en prit que de trop vives alarmes. Elle avoit beaucoup espéré apprendre de M. Goudouly quelque chose sur le sort de Patrick; sinon quelque chose de bien positif, quelque chose au moins qui eût pu la mettre sur la voie et la guider dans ses douloureuses recherches. La perte des objets qui lors de son rapt étoient restés dans son appartement à la discrétion de son hôte, mais que cet hôte fidèle, comme nous l’avons vu en son lieu, avoit recueillis dans une valise et envoyés avec empressement au Donjon, lui causa aussi un grand chagrin. Aux chiffons, aux bijoux elle tenoit peu: donner une larme à ces choses-là eût été indigne d’elle; ce qu’elle regrettoit, ce qu’elle regretta amèrement, long-temps, toujours, c’étoient quelques billets de Patrick, quelques stances que, tout jeune homme, il avoit rhythmées pour elle; c’étoient quelques fadaises dont il lui avoit fait hommage; c’étoient quelques babioles qu’elle lui avoit offertes en présent; c’étoient quelques livres favoris, à lui ou à elle, excellents de soi, et excellents aussi pour les souvenirs qu’ils éveilloient, précieux comme l’or pour les ramilles, les feuilles de rose, les fleurs de violette séchées et conservées entre chaque page comme entre les pages d’un herbier. C’étoit surtout, c’étoit par-dessus tout l’épée de Patrick, cette épée qu’il avoit trempée dans le sang de ses assassins, et qui avoit été retrouvée à la porte de l’hôtel. Elle eût été si glorieuse de la voir suspendue au côté de Vengeance adulte, de la voir étinceler dans la main de Vengeance devenu homme!

L’absence de M. Goudouly laissoit Déborah dans une grande perplexité; et que faire pour sortir de cette inquiétude dont son âme étoit si lasse? Où creuser pour trouver le filon qui pourroit conduire à la mine? à quelle porte heurter? Le coup avoit été frappé dans l’ombre par des hommes aux gages de gents ayant tout pouvoir, et qui avoient dû faire disparoître jusqu’à la moindre trace de leur forfait; pas une tache de sang n’avoit dû rester empreinte sur la poussière du chemin détourné conduisant à la fosse où l’on avoit dû jeter le cadavre de Patrick. A tout hazard Icolm-Kill écrivit très-humblement à M. le lieutenant-général de police pour lui demander s’il n’avoit pas eu connoissance d’un attentat commis le 2 septembre 1763, sur la personne d’un jeune Irlandois nommé Patrick Whyte ou Fitz-Whyte, servant dans la première compagnie des mousquetaires du Roi; et dans le cas où cette affaire ne lui seroit pas inconnue, s’il ne seroit pas possible par ses soins de recouvrer le corps de cet infortuné, que sa famille souhaitoit de faire exhumer et transporter au pays de ses pères. M. le lieutenant-général de la Police du Royaume répondit à cette requête, ou plutôt fit répondre par ses Bureaux, qu’il n’avoit eu vent d’aucun fait semblable, et que c’étoit avec regret, le cafard! qu’il se voyoit dans l’impossibilité de rien faire pour la consolation d’une famille au chagrin de laquelle il prenoit sincèrement part. Cette réponse ne causa pas une grande surprise à Déborah; elle s’y attendoit ou à quelque chose de semblable; logiquement il devoit en être ainsi: les loups se sont-ils jamais dévorés entre eux?

Icolm-Kill, opiniâtre, et que rien ne démontoit, prit encore sur lui de faire une autre tentative. Il se présenta avec hardiesse chez M. de Villepastour comme un oncle de Patrick, débarqué nouvellement, et chargé par sa famille laissée dans une grande inquiétude, de s’enquérir à tout prix de son sort. M. le marquis mordit parfaitement à la grappe. Il avoua, faisant le bon prince, que Patrick étoit un charmant jeune homme qu’il avoit beaucoup aimé, mais qu’il ignoroit absolument ce qu’il étoit devenu; que depuis qu’il avoit été dans la pénible nécessité de le renvoyer de sa Compagnie, c’est-à-dire des gardes gentilshommes de sa Majesté, il n’en avoit plus eu de nouvelles, non plus que de la jeune personne irlandoise qui l’avoit suivi en France. M. de Gave, marquis de Villepastour, mentoit. M. le marquis en savoit plus long, beaucoup plus long qu’il ne cherchoit à s’en donner l’air: cela est évident pour touts ceux qui ont suivi pas à pas cette tragédie; cela n’étoit pas aussi évident pour Icolm-Kill, mais cela ne le satisfaisoit guère; volontiers il auroit souffleté le bélître; mais comme il tenoit à sonder son homme jusqu’au bout, prêtant le flanc de son mieux, il poursuivit avec candeur: – Cette jeune Irlandoise, du moins me l’a-t-on assuré, dit-il, est détenue pour quelque raison secrète dans une prison d’État; et pour ce qui est de Patrick, un bruit vague et venant on ne sait de quelle source porteroit à croire qu’il a été assassiné un soir comme il sortoit de son hôtellerie. – Assassiné! reprit M. de Villepastour, non, je ne le pense pas: ce n’est pas que j’en sache rien, ce n’est qu’un sentiment qui m’est personnel. Assassiné, dites-vous; et par qui? – De lâches spadassins salariés par de hauts personnages auxquels il avoit eu le malheur de déplaire ont fait le coup; du moins on a cette idée, monsieur le marquis. – Cette histoire, mon cher monsieur, est peu vraisemblable; en tout cas, à votre place je m’adresserois à M. le lieutenant-général de Police. Cette affaire est de son département, il lui seroit facile de vous faire donner satisfaction. M. le lieutenant-général doit connoître au fond et au clair le sort de M. votre neveu, cela est plus que présumable: voyez-le. – Icolm-Kill ne vit pas M. le lieutenant-général de Police, mais il lui fit parvenir une seconde lettre polie, flatteuse, pressante, suppliante, déchirante; et en réponse il reçut ceci: – «Monsieur, vous auriez dû vous en tenir à votre première demande, après la lettre que je m’étois donné l’honneur de vous faire; vous auriez dû sentir que toute insistance ne pouvoit qu’être fâcheuse. Que je connoisse ou non quel a pu être le sort de M. votre neveu, j’ai dit ce qu’il étoit de mon devoir de vous dire. Veuillez bien comprendre, s’il vous plaît, que ma charge est de faire exécuter les ordres du Roi, et non pas de divulguer les actes de son autorité suprême.»

Il fut parfaitement évident pour Déborah que ces deux hommes avoient dans leur main le secret qu’elle cherchoit, et qu’ils fermoient le poing; mais comme elle savoit au juste ce que valoient ces deux cœurs sans pitié et sans remords, elle comprit aussi qu’il falloit s’en tenir là. Ce n’est pas qu’elle eût perdu toute espérance d’obtenir un jour, tôt ou tard, quelque certitude; seulement elle attendit plus de l’efficacité du temps, du hazard ou de la Providence que de ses propres efforts. Elle avoit quitté l’Irlande dans l’intention de se fixer en France; l’ignorance dans laquelle elle demeuroit confinée touchant le sort de Patrick la confirma dans cette disposition; mais elle étoit dans la plus vive impatience de sortir de Paris, à qui elle gardoit une franche et profonde rancune. Elle y souffroit. Paris pesoit de tout son poids sur elle; il lui sembloit qu’on n’y respiroit que le souffle empoisonné de la convoitise et de la haine. Pas un visage qui ne lui parût une enseigne de prostitution, de bassesse et de lâcheté. Cependant elle ne pouvoit non plus s’en éloigner beaucoup: il étoit nécessaire qu’elle demeurât à portée de saisir le moindre bruit public, le moindre vent qui pourroit la conduire sur quelques traces.

Après avoir parcouru tout le territoire riche, varié, cossu et plein de hardes qui environne Paris, la grande mêlée d’hommes et de pierres; après avoir fouillé dans touts les coins les plus perdus de ce territoire, pour y surprendre quelque retraite belle, solitaire, ignorée, et visité touts les manoirs, touts les ménils, toutes les habitations un peu seigneuriales, libres, vides, délaissées ou infidèles et prêtes à se vendre au premier écu d’or reluisant, elle fit rencontre d’un assez beau pavillon ayant appartenu à un magnifique traitant dont la fortune venoit de s’ébouler, et situé très-heureusement, très-pittoresquement sur le sommet d’un coteau se mirant dans un méandre de la Seine, entre Triel et Évêquemont. Séduite par la position, la majesté, la solitude de cette demeure, Déborah ne balança pas à en faire l’importante acquisition, et elle s’y retira avec joie pour vivre dans son deuil et dans l’amour de son fils, pour se consacrer toute entière à l’éducation de Vengeance.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
501 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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