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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 25

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55. – LA LOGIQUE DE M. CUNIN-GRIDAINE

2 Mai 1847.

M. Cunin-Gridaine, parlant des deux associations qui se sont formées, l'une pour demander à rançonner le public, l'autre pour demander que le public ne fût pas rançonné, s'exprime ainsi:

«Rien ne prouve mieux l'exagération que l'exagération qui lui est opposée. C'est le meilleur moyen de montrer aux esprits calmes et désintéressés où est la vérité, qui ne se sépare jamais de la modération.»

Il est certain, selon Aristote, que la vérité se rencontre entre deux exagérations opposées. Le tout est de s'assurer si deux assertions contraires sont également exagérées; sans quoi, le jugement à intervenir, impartial en apparence, serait inique en réalité.

Pierre et Jean plaidaient devant le juge d'une bourgade.

Pierre, demandeur, concluait à bâtonner Jean tous les jours.

Jean, défendeur, concluait à n'être pas bâtonné du tout.

Le juge prononça cette sentence:

«Attendu que rien ne prouve mieux l'exagération que l'exagération qui lui est opposée, coupons le différend par le milieu, et disons que Pierre bâtonnera Jean, mais seulement les jours impairs

Jean fit appel, comme on le peut croire; mais ayant appris la logique, il se garda bien cette fois de conclure à ce que son rude adversaire fût simplement débouté.

Quand donc l'avoué de Pierre eut lu l'exploit introductif d'instance finissant par ces mots: «Plaise au tribunal admettre Pierre à faire pleuvoir une grêle de coups sur les épaules de Jean.»

L'avoué de Jean répliqua par cette demande reconventionnelle: «Plaise au tribunal permettre à Jean de prendre sa revanche sur le dos de Pierre.»

La précaution ne fut pas inutile. Pour le coup, la justice se trouvait bien placée entre deux exagérations. Elle décida que Jean ne serait plus battu par Pierre, ni Pierre par Jean. Au fond, Jean n'aspirait pas à autre chose.

Imitons cet exemple; prenons nos précautions contre la logique de M. Cunin-Gridaine.

De quoi s'agit-il? Les Pierre de la rue Hauteville86 plaident pour être admis à rançonner le public. Les Jean de la rue Choiseul plaident naïvement pour que le public ne soit pas rançonné. Sur quoi M. le ministre prononce gravement que la vérité et la modération sont au point intermédiaire entre ces deux prétentions.

Puisque le jugement doit se fonder sur la supposition que l'association du libre-échange est exagérée! ce qu'elle a de mieux à faire, c'est de l'être en effet, et de se placer à la même distance de la vérité que l'association prohibitionniste, afin que le juste milieu coïncide quelque peu avec la justice.

Donc, l'une demande un impôt sur le consommateur au profit du producteur; que l'autre, au lieu de perdre son temps à opposer une fin de non-recevoir, exige formellement un impôt sur le producteur au profit du consommateur.

Et quand le maître de forges dit: Pour chaque quintal de fer que je livre au public, j'entends qu'il me paye, en outre du prix, une prime de 20 fr.;

Que le public se hâte de répondre: Pour chaque quintal de fer que j'introduirai du dehors, en franchise, je prétends que le maître de forges français me paye une prime de 20 fr.

Alors, il serait vrai de dire que les prétentions des deux parties sont également exagérées, et M. le ministre les mettra hors de cause, disant: «Allez, et ne vous infligez pas de taxes les uns aux autres,» – si du moins il est fidèle à sa logique.

Fidèle à sa logique? Hélas! cette logique est toute dans l'exposé des motifs; elle ne reparaît plus dans les actes. Après avoir posé en fait que l'injustice et la justice sont deux exagérations, que ceux qui veulent le maintien des droits protecteurs et ceux qui en demandent la suppression sont également éloignés de la vérité, que devait faire M. le ministre pour être conséquent? Se placer au milieu, imiter le juge de village qui se prononça pour la demi-bastonnade; en un mot, réduire les droits protecteurs de moitié. – Il n'y a pas seulement touché. (V. le no 50.)

Sa dialectique, commentée par ses actes, revient donc à ceci: Pierre, vous demandez à frapper quatre coups; Jean, vous demandez à n'en recevoir aucun.

La vérité, qui ne se sépare jamais de la modération, est entre ces deux demandes. Selon ma logique, je ne devrais autoriser que deux coups; selon mon bon plaisir, j'en permets quatre, comme devant. Et, pour l'exécution de ma sentence, je mets la force publique à la disposition de Pierre, aux frais de Jean.

Mais le plus beau de l'histoire, c'est que Pierre sort de l'audience furieux de ce que le juge a osé, en paroles, comparer son exagération à celle de Jean. (Voir le Moniteur industriel.)

56. – LES HOMMES SPÉCIAUX

28 Novembre 1847.

Il y a des personnes qui s'imaginent que les hommes d'étude, ou ce qu'elles nomment avec trop de bienveillance les savants, sont incompétents pour parler du libre-échange. La liberté et la restriction, disent-elles, c'est une question qui doit être débattue par des hommes pratiques.

Ainsi le Moniteur industriel nous fait observer qu'en Angleterre la réforme commerciale a été due aux efforts des manufacturiers.

Ainsi le comité Odier se montre très-fier du procédé qu'il a adopté, et qui consiste en de prétendues enquêtes, où tout se résume à demander tour à tour à chaque industrie privilégiée si elle veut renoncer à son privilége.

Ainsi un membre du conseil général de la Seine, fabricant de drap, protégé par la prohibition absolue, disait à ses collègues, en parlant d'un de nos collaborateurs: «Je le connais; c'était un juge de paix de village; il n'entend rien à la fabrique.»

Nos amis mêmes se laissent quelquefois dominer par cette prévention. Et dernièrement la Chambre de commerce du Havre, faisant allusion à notre déclaration de principes (qui est d'une page), faisait remarquer que nous n'y parlons pas des intérêts maritimes. Puis elle ajoute: «La Chambre ne pouvait jusqu'à un certain point se plaindre de cet oubli, parce que les noms qui figurent au bas de cette déclaration lui inspirent peu de confiance pour l'étude de ces questions.»

Celui de nos collaborateurs qui est ainsi désigné deux fois commence par déclarer très-solennellement qu'il n'a nullement la prétention de connaître les procédés nautiques mieux que les armateurs, les procédés métallurgiques mieux que les maîtres de forges, les procédés agricoles mieux que les agriculteurs, les procédés de tissage mieux que les fabricants, et les procédés de nos dix mille industries mieux que ceux qui les exercent.

Mais, franchement, cela est-il nécessaire pour reconnaître qu'aucune de ces industries ne doit être mise législativement en mesure de rançonner les autres? Faut-il avoir vieilli dans une fabrique de drap et obtenu de lucratives fournitures pour juger une question de bon sens et de justice, et pour décider que le débat doit être libre entre celui qui vend et celui qui achète?

Assurément nous sommes loin de méconnaître l'importance du rôle qui est réservé aux hommes pratiques dans la lutte entre le droit commun et le privilége.

C'est par eux surtout que l'opinion publique sera délivrée de ses terreurs imaginaires. Quand un homme comme M. Bacot, de Sédan, vient dire: «Je suis fabricant de drap; et qu'on me donne les avantages de la liberté, je n'en redoute pas les risques;» quand M. Bosson, de Boulogne, dit: «Je suis filateur de lin; et si le régime restrictif, en renchérissant mes produits, ne fermait pas mes débouchés au dehors et n'appauvrissait pas ma clientèle au dedans, ma filature prospérerait davantage;» quand M. Dufrayer, agriculteur, dit: «Sous prétexte de me protéger, le système restrictif m'a placé au milieu d'une population qui ne consomme ni blé, ni laine, ni viande, en sorte que je ne puis faire que cette agriculture qui convient aux pays pauvres;» – nous savons tout l'effet que ces paroles doivent exercer sur le public.

Lorsque ensuite la question viendra devant la législature, le rôle des hommes pratiques acquerra une importance à peu près exclusive. Il ne s'agira plus alors du principe, mais de l'exécution. On sera d'accord qu'il faut détruire un état de choses injuste et artificiel pour rentrer dans une situation équitable et naturelle. Mais, par où faut-il commencer? Dans quelle mesure faut-il procéder? Pour résoudre ces questions d'exécution, il est évident que ce seront les hommes pratiques, du moins ceux qui se sont rangés au principe de la liberté, qui devront surtout être consultés.

Loin de nous donc la pensée de repousser le concours des hommes spéciaux. Il faudrait avoir perdu l'esprit pour méconnaître la valeur de ce concours.

Il n'en est pas moins vrai cependant, qu'il y a, au fond de cette lutte, des questions dominantes, primordiales, qui, pour être résolues, n'ont pas besoin de ces connaissances technologiques universelles qu'on semble exiger de nous.

«Le législateur a-t-il mission de pondérer les profits des diverses industries?

«Le peut-il sans compromettre le bien général?

«Peut-il, sans injustice, augmenter les profits des uns en diminuant les profits des autres?

«Dans cette tentative, arrivera-t-il à répartir d'une manière égale ses faveurs?

«En ce cas même, n'y aurait-il pas, pour résidu de l'opération, toute la déperdition de forces résultant d'une mauvaise direction du travail?

«Et le mal n'est-il pas plus grand encore, s'il est radicalement impossible de favoriser également tous les genres de travaux?

«En définitive, payons-nous un gouvernement pour qu'il nous aide à nous nuire les uns aux autres, ou, au contraire, pour qu'il nous en empêche?»

Pour résoudre ces questions, il n'est nullement nécessaire d'être un habile armateur, un ingénieux mécanicien; un agriculteur consommé. Il est d'autant moins nécessaire de connaître à fond les procédés de tous les arts et de tous les métiers, que ces procédés n'y font absolument rien. Dira-t-on par exemple qu'il faut bien savoir le prix de revient du drap, pour juger s'il est possible de lutter avec l'étranger à armes égales? – Oui certes, cela est nécessaire, dans l'esprit du régime protecteur, puisque ce régime a pour but de rechercher si une industrie est en perte afin de faire supporter cette perte par le public; mais cela n'est pas nécessaire dans l'esprit du libre-échange, car le libre-échange repose sur ce dilemme: Ou votre industrie gagne, et alors la protection vous est inutile; ou elle perd, et alors la protection est nuisible à la masse.

En quoi donc une enquête spéciale est-elle indispensable, puisque, quel qu'en soit le résultat, la conclusion est toujours la même?

Supposons qu'il s'agisse de l'esclavage. On accordera sans doute que la question de droit passe avant la question d'exécution. – Que pour arriver à connaître le meilleur mode d'affranchissement, on fasse une enquête, nous le concevons; mais cela suppose la question de droit résolue. Mais s'il s'agissait de débattre la question de droit devant le public, si la majorité était encore favorable au principe même de l'esclavage, serait-on bien venu de fermer la bouche à un abolitionniste en lui disant: «Vous n'êtes pas compétent; vous n'êtes pas planteur, vous n'avez pas d'esclaves.»

Pourquoi donc oppose-t-on, à ceux qui combattent les monopoles, cette fin de non-recevoir qu'ils n'ont pas de monopoles?

Les armateurs du Havre ne s'aperçoivent-ils pas que cette même fin de non-recevoir, on la tournera contre eux?

S'ils ont, avec raison, la prétention de connaître à fond la question maritime, ils n'ont pas sans doute celle de posséder des connaissances universelles. Or, d'après leur système, quiconque ose réclamer contre un monopole doit préalablement fournir la preuve qu'il connaît à fond l'industrie à laquelle ce monopole a été conféré. Ils nous disent, à nous, que nous ne sommes pas aptes à juger si la loi doit se mêler de nous faire surpayer les transports, parce que nous n'avons jamais armé de navires. Mais alors on leur dira: Avez-vous jamais dirigé un haut fourneau, une filature, une fabrique de drap ou de porcelaine, une exploitation agricole? Quel droit avez-vous de vous défendre contre les taxes que ces industries vous imposent?

La tactique des prohibitionnistes est admirable. Par elle, si le public en est dupe, ils sont toujours sûrs au moins du statu quo. Si vous n'appartenez pas à une industrie protégée, ils déclinent votre compétence. «Tu n'es que rançonné, tu n'as pas la parole.» – Si vous appartenez à une industrie protégée, ils vous permettent de parler, mais seulement de votre intérêt spécial, le seul que vous êtes censé connaître. Ainsi, le monopole ne rencontrerait jamais d'adversaire87.

57. – UN PROFIT CONTRE DEUX PERTES

9 Mai 1847.

Il y a maintenant dix-sept ans qu'un publiciste, que je ne nommerai pas, dirigea contre la protection douanière un argument, sous forme algébrique, qu'il nommait la double incidence de la perte.

Cet argument fit quelque impression. Les privilégiés se hâtèrent de le réfuter; mais il arriva que tout ce qu'ils firent dans ce but ne servit qu'à élucider la démonstration, à la rendre de plus en plus invincible, et, en outre, à la populariser; si bien qu'aujourd'hui, dans le pays où s'est passée la chose, la protection n'a plus de partisans.

On me demandera peut-être pourquoi je ne cite pas le nom de l'auteur? Parce que mon maître de philosophie m'a appris que cela met quelquefois en péril l'effet de la citation88.

Il nous dictait un cours parsemé de passages dont quelques-uns étaient empruntés à Voltaire et à Rousseau, invariablement précédés de cette formule: «Un célèbre auteur a dit, etc.» Comme il s'était glissé quelques éditions de ces malencontreux écrivains dans le collége, nous savions fort bien à quoi nous en tenir. Aussi nous ne manquions jamais, en récitant, de remplacer la formule par ces mots: Rousseau a dit, Voltaire a dit. – Mais aussitôt le pédagogue, levant les mains au ciel, s'écriait: «Ne citez pas, l'ami B…; apprenez que beaucoup de gens admireront la phrase qui la trouveraient détestable s'ils savaient d'où elle est tirée.» C'était le temps où régnait une opinion qui détermina notre grand chansonnier, je devrais dire notre grand poëte, à mettre au jour ce refrain:

 
C'est la faute de Voltaire,
C'est la faute de Rousseau.
 

Supprimant donc le nom de l'auteur et la forme algébrique, je reproduirai l'argument qui se borne à établir que toute faveur du tarif entraîne nécessairement:

1o Un profit pour une industrie;

2o Une perte égale pour une autre industrie;

3o Une perte égale pour le consommateur.

Ce sont là les effets directs et nécessaires de la protection. En bonne justice, et pour compléter le bilan, il faudrait encore lui imputer de nombreuses pertes accessoires, telles que: frais de surveillance, formalités dispendieuses, incertitudes commerciales, fluctuations des tarifs, opérations contrariées, chances de guerre multipliées, contrebande, répression, etc.

Mais je me restreins ici aux conséquences nécessaires de la protection.

Une anecdote rendra peut-être plus claire la démonstration de notre problème.

Un maître de forges avait besoin de bois pour son usine. Il avait traité avec un pauvre bûcheron, quelque peu clerc, qui, pour 40 sous, devait bûcher du matin au soir, un jour par semaine.

La chose paraîtra singulière; mais il advint qu'à force d'entendre parler protection, travail national, supériorité de l'étranger, prix de revient, etc., notre bûcheron devint économiste à la manière du Moniteur industriel: si bien qu'une pensée lumineuse se glissa dans son esprit en même temps qu'une pensée de monopole dans son cœur.

Il alla trouver le maître de forges, et lui dit:

– Maître, vous me donnez 2 francs pour un jour de travail; désormais vous me donnerez 4 francs et je travaillerai deux jours.

– L'ami, répondit le maître de forges, j'ai assez du bois que tu refends dans la journée.

– Je le sais, dit le bûcheron; aussi j'ai pris mes mesures. Voyez ma hache, comme elle est émoussée, ébréchée. Je vous assure que je mettrai deux jours pleins à hacher le bois que j'expédie maintenant en une journée.

– Je perdrai 2 francs à ce marché.

– Oui, mais je les gagnerai, moi; et, relativement au bois et à vous, je suis producteur et vous n'êtes que consommateur. Le consommateur! cela mérite-t-il aucune pitié?

– Et si je te prouvais qu'indépendamment des 40 sous qu'il me fera perdre, ce marché fera perdre aussi 40 sous à un autre producteur?

– Alors je dirais que sa perte balance mon gain, et que le résultat définitif de mon invention est pour vous, et par conséquent pour la nation en masse, une perte sèche de 2 francs. Mais quel est ce travailleur qui aura à se plaindre?

– Ce sera, par exemple, Jacques le jardinier, auquel je ne pourrai plus faire gagner comme aujourd'hui 40 sous par semaine, puisque ces 40 sous, je te les aurai donnés; et si je n'en prive pas Jacques, j'en priverai un autre.

– C'est juste, je me rends et vais aiguiser ma hache. Au fait, si par la faute de ma hache il se fait moins de besogne dans le monde pour une valeur de 2 francs, c'est une perte, et il faut bien qu'elle retombe sur quelqu'un… Mais, pardon, maître, il me vient une idée. Si vous me faites gagner ces 2 francs, je les ferai gagner au cabaretier, et ce gain compensera la perte de Jacques.

– Mon ami, tu ne ferais là que ce que Jacques fera lui-même tant que je l'emploierai, et ce qu'il ne fera plus si je le renvoie, comme tu le demandes.

– C'est vrai; je suis pris, et je vois bien qu'il n'y a pas de profit national à ébrécher les haches.

Cependant, notre bûcheron, tout en bûchant, ruminait le cas dans sa tête. Il se disait: Pourtant, j'ai cent fois entendu dire au patron qu'il était avantageux de protéger le producteur aux dépens du consommateur. Il est vrai qu'il a fait apparaître ici un autre producteur auquel je n'avais pas songé.

À quelque temps de là, il se présenta chez le maître de forges, et lui dit:

– Maître, j'ai besoin de 20 kilogrammes de fer, et voici 5 francs pour les payer.

– Mon ami, à ce prix je ne t'en puis donner que 10 kilogrammes.

– C'est fâcheux pour vous, car je sais un Anglais qui me donnera pour mes 5 francs les 20 kilogrammes dont j'ai besoin.

– C'est un coquin.

– Soit.

– Un égoïste, un perfide, un homme que l'intérêt fait agir.

– Soit.

– Un individualiste, un bourgeois, un marchand qui ne sait ce que c'est qu'abnégation, dévouement, fraternité, philanthropie.

– Soit; mais il me donne pour 5 francs 20 kilogrammes de fer, et vous, si fraternel, si dévoué, si philanthrope, vous ne m'en donnez que 10.

– C'est que ses machines sont plus perfectionnées que les miennes.

– Oh! oh! monsieur le philanthrope, vous travaillez donc avec une hache obtuse, et vous voulez que ce soit moi qui supporte la perte.

– Mon ami, tu le dois, pour que mon industrie soit favorisée. Dans ce monde, il ne faut pas toujours songer à soi et à son intérêt.

– Mais il me semble que c'est toujours votre tour d'y songer. Ces jours-ci vous n'avez pas voulu me payer pour me servir d'une mauvaise hache, et aujourd'hui vous voulez que je vous paye pour vous servir de mauvaises machines.

– Mon ami, c'est bien différent: mon industrie est nationale et d'une haute importance.

– Relativement aux 5 francs dont il s'agit, il n'est pas important que vous les gagniez si je dois les perdre.

– Et ne te souvient-il plus que lorsque tu me proposais de fendre mon bois avec une hache émoussée, je te démontrai qu'outre ma perte, il en retomberait sur le pauvre Jacques une seconde, égale à la mienne, et chacune d'elles égale à ton profit, ce qui, en définitive, constituait, pour la nation en masse, une perte sèche de 2 francs? – Pour qu'il y eût parité dans les deux cas, il te faudrait prouver que mon gain et ta perte se balançant, il y aura encore un préjudice causé à un tiers.

– Je ne vois pas que cette preuve soit très-nécessaire; car, selon vous-même, que j'achète à vous, que j'achète à l'Anglais, la nation ne doit rien perdre ni gagner. Et alors, je ne vois pas pourquoi je disposerais à votre avantage, et non au mien, du fruit de mes sueurs. Au surplus, je crois pouvoir prouver que si je vous donne 10 francs de vos 20 kilogrammes de fer, je perdrai 5 francs, et une autre personne perdra 5 francs; vous n'en gagnerez que 5, d'où résultera pour la nation entière une perte sèche de 5 francs.

– Je suis curieux de t'entendre bûcher cette démonstration.

– Et si je la refends proprement, conviendrez-vous que votre prétention est injuste?

– Je ne te promets pas d'en convenir; car, vois-tu, en fait de ces choses-là, je suis un peu comme le Joueur de la comédie, et je dis à l'économie politique:

 
Tu peux bien me convaincre, ô science ennemie,
Mais me faire avouer, morbleu, je t'en défie!
 

Cependant voyons ton argument.

– Il faut d'abord que vous sachiez une chose. L'Anglais n'a pas l'intention d'emporter dans son pays ma pièce de 100 sous. Si nous faisons marché, ( – le maître de forges, à part: j'y mettrai bon ordre, – ) il m'a chargé d'acheter pour 5 francs deux paires de gants que je lui remettrai en échange de son fer.

– Peu importe, arrive enfin à la preuve.

– Soit: maintenant calculons. – En ce qui concerne les 5 francs qui représentent le prix naturel du fer, il est clair que l'industrie française ne sera ni plus ni moins encouragée, dans son ensemble, soit que je les donne à vous pour faire le fer directement, soit que je les donne au gantier qui me fournit les gants que l'Anglais demande en échange du fer.

– Cela paraît raisonnable.

– Ne parlons donc plus de ces premiers 100 sous. Restent les autres 5 francs en litige. Vous dites que si je consens à les perdre, vous les gagnerez, et que votre industrie sera favorisée d'autant.

– Sans doute.

– Mais si je conclus avec l'Anglais, ces 100 sous me resteront. Précisément, je me trouve avoir grand besoin de chaussure, et c'est juste ce qu'il faut pour acheter des souliers. Voilà donc un troisième personnage, le cordonnier, intéressé dans la question. – Si je traite avec vous, votre industrie sera encouragée dans la mesure de 5 francs; celle du cordonnier sera découragée dans la mesure de 5 francs, ce qui fait la balance exacte. – Et, en définitive, je n'aurai pas de souliers; en sorte que ma perte sera sèche, et la nation, en ma personne, aura perdu 5 francs.

– Pas mal raisonné pour un bûcheron! mais tu perds de vue une chose, c'est que les 5 francs que tu ferais gagner au cordonnier, – si tu traitais avec l'Anglais, – je les lui ferai gagner moi-même si tu traites avec moi.

– Pardon, excuse, maître; mais vous m'avez vous-même appris, l'autre jour, à me préserver de cette confusion.

J'ai 10 francs.

Traitant avec vous, je vous les livre et vous en ferez ce que vous voudrez.

Traitant avec l'Anglais, je les livre, savoir: 5 francs au gantier, 5 francs au cordonnier, et ils en feront ce qu'ils voudront.

Les conséquences ultérieures de la circulation qui sera imprimée à ces 10 francs par vous dans un cas, par le gantier et le cordonnier dans l'autre, sont identiques et se compensent. Il ne doit pas en être question89.

Il n'y a donc en tout ceci qu'une différence. Selon le premier marché, je n'aurai pas de souliers; selon le second, j'en aurai.

Le maître de forges s'en allant: Ah! où diable l'économie politique va-t-elle se nicher? Deux bonnes lois feront cesser ce désordre: une loi de douanes qui me donnera la force, puisque aussi bien je n'ai pas la raison, – et une loi sur l'enseignement, qui envoie toute la jeunesse étudier la société à Sparte et à Rome. Il n'est pas bon que le peuple voie si clair dans ses affaires90!

86
  Les bureaux du Libre-Échange étaient rue de Choiseul, et ceux du Moniteur Industriel, rue Hauteville.
(Note de l'éditeur.)

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87
  L'auteur a signalé plus tard le danger d'une classification scientifique uniquement basée sur les phénomènes de la production. V. au tome VI les pages 346 et 347.
(Note de l'éditeur.)

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88
  Le nom que l'auteur ne cite pas est celui d'un membre éminent de la Ligue anglaise, le colonel Perronnet Thompson. V. tome III, pages 89, 218 et 282.
(Note de l'éditeur.)

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89
  V. au tome V, page 363, le chap. VII du pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)

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90
  V. tome IV, page 442, le pamphlet Baccalauréat et Socialisme.
(Note de l'éditeur.)

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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
545 стр. 9 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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