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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 24

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52. – L'ÉCONOMIE POLITIQUE DES GÉNÉRAUX

20 Juin 1847.

Lorsque, au sein du Parlement, il arrive à un financier, s'aventurant dans la science de Jomini, de faire manœuvrer des escadrons, il se peut qu'il attire le sourire sur les lèvres de MM. les généraux. Il n'est pas surprenant non plus que MM. les généraux fassent quelquefois de l'économie politique peu intelligible pour les hommes qui se sont occupés de cette branche des connaissances humaines.

Il y a cependant cette différence entre la stratégie et l'économie politique. L'une est une science spéciale; il suffit que les militaires la sachent. L'autre, comme la morale, comme l'hygiène, est une science générale, sur laquelle il est à désirer que chacun ait des idées justes. (V. tome IV, page 122.)

Le général Lamoricière, dans un discours auquel, sous d'autres rapports, nous rendrons pleinement justice, a émis une théorie des débouchés que nous ne pouvons laisser passer sans commentaires.

«Au point de vue de l'économie politique pure, a dit l'honorable général, les débouchés sont quelque chose: dans le temps qui court, on dépense de l'argent et même des hommes pour conserver ou pour conquérir des débouchés. Or, dans la situation de la France sur le marché du monde, n'est-ce donc pas quelque chose pour elle qu'un débouché de 63 millions de produits français? La France envoie en Afrique pour 17 millions de cotons tissés, 7 ou 8 millions de vins, etc.»

Il n'est que trop vrai que, dans le temps qui court, on dépense de l'argent et même des hommes pour conquérir des débouchés; mais, nous en demandons pardon au général Lamoricière, loin que ce soit au nom de l'économie politique pure, c'est au nom de la mauvaise et très-mauvaise économie politique. Un débouché, c'est-à-dire une vente au dehors, n'a de mérite qu'autant qu'elle couvre tous les frais qu'elle entraîne; et si, pour la réaliser, il faut avoir recours à l'argent des contribuables, encore que l'industrie que cette vente concerne puisse s'en féliciter, la nation en masse subit une perte quelquefois considérable, sans parler de l'immoralité du procédé et du sang plus qu'inutilement répandu.

C'est bien pis encore quand, pour nous créer de prétendus débouchés, nous envoyons au dehors et l'homme qui doit acheter nos produits, et l'argent avec lequel il doit les payer. Nous ne mettons pas en doute que les fonctionnaires algériens, français ou arabes, à qui on expédie de Paris et aux dépens des contribuables, leurs traitements mensuels, n'en consacrent une faible partie à acheter des cotons et des vins de France. Il paraît que sur 130 millions que nous dépensons en Afrique, 60 millions reçoivent cette destination. L'économie politique pure enseigne que, si les choses devaient persévérer sur ce pied, voici quel serait le résultat:

Nous arrachons un Français à des occupations utiles; nous lui donnons 130 francs pour vivre. Sur ces 130 francs il nous en rend 60 en échange de produits qui valent exactement cette somme. Total de la perte: 70 francs en argent, 60 francs en produits, et tout ce que le travail de cet homme aurait pu créer en France pendant une année.

Donc, quelque opinion que l'on se fasse de l'utilité de notre conquête en Afrique (question qui n'est pas de notre ressort), il est certain que ce n'est pas par ces débouchés illusoires qu'on peut apprécier cette utilité, mais par la prospérité future de notre colonie82.

Aussi, un autre général, M. de Trézel, ministre de la guerre, a-t-il cru devoir présenter, comme compensation à nos sacrifices, non les débouchés présents, mais les produits futurs de l'Algérie. Malheureusement, il nous est impossible de ne pas apercevoir une autre erreur économique dans l'arrière-plan du brillant tableau exhibé par M. le Ministre aux yeux de la Chambre.

Il s'est exprimé ainsi:

«Sa bonne fortune a donné l'Afrique au pays, et certainement nous ne laisserons pas échapper par légèreté, par paresse, ou par la crainte de dépenser de l'argent et des hommes même, un pays qui doit nous donner 200 lieues de côtes sur la Méditerranée, à trente-six heures de notre littoral, qui doit nous donner des productions pour lesquelles nous payons énormément d'argent aux pays voisins.

«Ainsi, sans compter les céréales qui autrefois, comme je l'ai déjà dit, ont nourri Rome, l'Afrique nous donne l'olivier qui est une production spéciale de ce pays. Elle nous donne l'huile pour laquelle nous payons 60 millions par année à l'étranger. Nous avons en Afrique le riz et la soie qui s'achètent encore hors de France, parce la France n'en produit pas. Nous avons le tabac. Calculez combien de millions nous payons pour ce produit à l'étranger. Il est certain qu'avant peu d'années, avant vingt-cinq ans peut-être, nous aurons tiré tous ces produits-là de l'Afrique, et nous pourrons considérer alors l'Afrique comme une de nos provinces.»

Ce qui domine dans ce passage, c'est l'idée que la France perd intégralement la valeur des objets qu'elle importe de l'étranger. Or, elle ne les importe que parce qu'elle trouve du profit à produire cette même valeur sous la forme des objets qu'elle donne en échange, exactement comme M. de Trézel utilise mieux son temps dans ses travaux administratifs que s'il le passait à coudre ses habits. C'est sur cette erreur qu'est fondé tout le régime restrictif.

D'un autre côté, on nous présente comme un gain national le blé, l'huile, la soie, le tabac que nous fournira, dans vingt-cinq ans, la terre d'Afrique. – Cela dépend de ce que ces choses coûteront, y compris, outre les frais de production, ceux de conquête et de défense. Il est évident que si, avec ces mêmes sommes, nous pouvions produire ces mêmes choses en France, ou, ce qui revient au même, de quoi les acheter à l'étranger, et réaliser encore une économie, ce serait une mauvaise spéculation que d'aller les produire en Barbarie. Ceci soit dit en dehors de tous les autres points de vue de l'immense question algérienne. Quelle que soit l'importance, et, si l'on veut, la supériorité des considérations tirées d'un ordre plus élevé, ce n'est pas une raison pour se tromper sous le rapport de l'économie politique pure.

53. – RECETTES PROTECTIONNISTES

27 Décembre 1846.

Depuis que nous avons publié un rapport au Roi sur le grand parti qu'on pourrait tirer d'une paralysie générale des mains droites83, comme moyen de favoriser le travail, il paraît que beaucoup de cervelles sont en quête de nouvelles recettes protectionnistes. Un de nos abonnés nous envoie, sur ce sujet, une lettre qu'il a l'intention d'adresser au conseil des ministres. Il nous semble qu'elle contient des vues dignes de fixer l'attention des hommes d'État. Nous nous empressons de la reproduire.

Messieurs les ministres,

Au moment où la protection douanière semble compromise, la nation reconnaissante voit avec confiance que vous vous occupez de la ressusciter sous une autre forme. C'est un vaste champ ouvert à l'imagination. Votre système de gaucherie a du bon; mais il ne me semble pas assez radical, et je prends la liberté de vous suggérer des moyens plus héroïques, toujours fondés sur cet axiome fondamental: l'intensité du travail, abstraction faite de ses résultats, c'est la richesse.

De quoi s'agit-il? de fournir à l'activité humaine de nouveaux aliments. C'est ce qui lui manque; et, pour cela, de faire le vide dans les moyens actuels de satisfaction, – de créer une grande demande de produits.

J'avais d'abord pensé qu'on pourrait fonder de grandes espérances sur l'incendie, – sans négliger la guerre et la peste. – Par un bon vent d'ouest mettre le feu aux quatre coins de Paris, ce serait certainement assurer à la population les deux grands bienfaits que le régime protecteur a en vue: travail et cherté– ou plutôt travail par cherté. Ne voyez-vous pas quel immense mouvement l'incendie de Paris donnerait à l'industrie nationale? En est-il une seule qui n'aurait de l'ouvrage pour vingt ans? Que de maisons à reconstruire, de meubles à refaire, d'outils, d'instruments, d'étoffes, de livres et de tableaux à remplacer! Je vois d'ici le travail gagner de proche en proche et s'accroître par lui-même comme une avalanche, car l'ouvrier occupé en occupera d'autres et ceux-ci d'autres encore. Ce n'est pas vous qui viendrez prendre ici la défense du consommateur, car vous savez trop bien que le producteur et le consommateur ne font qu'un. Qu'est-ce qui arrête la production? Évidemment les produits existants. Détruisez-les, et la production prendra une nouvelle vie. Qu'est-ce que nos richesses? ce sont nos besoins, puisque sans besoins point de richesses, sans maladies point de médecins, sans guerres point de soldats, sans procès point d'avocats et de juges. Si les vitres ne se cassaient jamais, les vitriers feraient triste mine; si les maisons ne s'écroulaient pas, si les meubles étaient indestructibles, que de métiers seraient en souffrance! Détruire, c'est se mettre dans la nécessité de rétablir. Multiplier les besoins, c'est multiplier la richesse. Répandez donc partout l'incendie, la famine, la guerre, la peste, le vice et l'ignorance, et vous verrez fleurir toutes les professions, car toutes auront un vaste champ d'activité. Ne dites-vous pas vous-mêmes que la rareté et la cherté du fer font la fortune des forges? N'empêchez-vous pas les Français d'acheter le fer à bon marché? Ne faites-vous pas en cela prédominer l'intérêt de la production sur celui de la consommation? Ne créez-vous pas, pour ainsi dire, la maladie afin de donner de la besogne au médecin? Soyez donc conséquents. Ou c'est l'intérêt du consommateur qui vous guide, et alors recevez le fer; ou c'est l'intérêt du producteur, et en ce cas, incendiez Paris. Ou vous croyez que la richesse consiste à avoir plus en travaillant moins, et alors laissez entrer le fer; ou vous pensez qu'elle consiste à avoir moins avec plus de travail, et en ce cas brûlez Paris; car de dire comme quelques-uns: Nous ne voulons pas de principes absolus, – c'est dire: Nous ne voulons ni la vérité, ni l'erreur, mais un mélange de l'une et de l'autre: erreur, quand cela nous convient, vérité quand cela nous arrange.

Cependant, Messieurs les Ministres, ce système de protection, quoique théoriquement en parfaite harmonie avec le régime prohibitif, pourrait bien être repoussé par l'opinion publique, qui n'a pas encore été suffisamment préparée et éclairée par l'expérience et les travaux du Moniteur industriel. Vous jugerez prudent d'en ajourner l'exécution à des temps meilleurs. Vous le savez, la production surabonde, il y a partout encombrement de marchandises, la faculté de consommer fait défaut à la faculté de produire, les débouchés sont trop restreints, etc., etc. Tout cela nous annonce que l'incendie sera bientôt regardé comme le remède efficace à tant de maux.

En attendant, j'ai inventé un autre mode de protection qui me semble avoir de grandes chances de succès.

Il consiste simplement à substituer un encouragement direct à un encouragement indirect.

Doublez tous les impôts; cela vous créera un excédant de recettes de 14 à 1,500 millions. Vous répartirez ensuite ce fonds de subvention entre toutes les branches de travail national pour les soutenir, les aider et les mettre en mesure de résister à la concurrence étrangère.

Voici comment les choses se passeront.

Je suppose que le fer français ne puisse se vendre qu'à 350 fr. la tonne. – Le fer belge se présente à 300 fr. – Vite vous prenez 55 fr. sur le fonds de subvention et les donnez à notre maître de forge. – Alors il livre son fer à 295 fr. Le fer belge est exclu, c'est ce que nous voulons. Le fer français reçoit son prix rémunérateur de 350 fr., c'est ce que nous voulons encore.

Le blé étranger a-t-il l'impertinence de s'offrir à 17 fr. quand le blé national exige 18 francs? Aussitôt vous donnez 1 franc 50 centimes à chaque hectolitre de notre blé qui se vend à 16 francs 50 centimes, et chasse ainsi son concurrent. Vous procéderez de même pour les draps, toiles, houilles, bestiaux, etc., etc. Ainsi le travail national sera protégé, la concurrence étrangère éloignée, le prix rémunérateur assuré, l'inondation prévenue, et tout ira pour le mieux.

«Eh! morbleu, c'est justement ce que nous faisons, me direz-vous. Entre votre projet et notre pratique, il n'y a pas un atome de différence. Même principe, même résultat. Le procédé seul est légèrement altéré. Les charges de la protection, que vous mettez sur les épaules du contribuable, nous les mettons sur celles du consommateur, ce qui, en définitive, est la même chose. Nous faisons passer directement la subvention du public au protégé. Vous, vous la faites arriver du public au protégé, par l'intermédiaire du Trésor, rouage inutile, en quoi seulement votre invention se distingue de la nôtre.»

Un moment, Messieurs les Ministres, je conviens que je ne propose rien de neuf. Mon système et le vôtre sont identiques. C'est toujours le travail de tous subventionnant le travail de chacun, – pure illusion, – ou de quelques-uns, – criante injustice.

Mais laissez-moi vous faire observer le beau côté de mon procédé. Votre protection indirecte ne protége efficacement qu'un petit nombre d'industries. Je vous offre le moyen de les protéger toutes. Chacune aura sa part à la curée. Agriculteurs, fabricants, négociants, avocats, médecins, fonctionnaires, auteurs, artistes, artisans, ouvriers, tous mettent leur obole à la tirelire de la protection; n'est-il pas bien juste que tous y puisent quelque chose?

Sans doute, cela serait juste, mais dans la pratique… – Je vous vois venir. Vous allez me dire: Comment doubler et tripler les impôts? comment arracher 150 millions à la poste, 300 millions au sel, un milliard à la contribution foncière?

– Rien de plus simple. – Et d'abord, par vos tarifs vous les arrachez bien réellement au public, et vous allez comprendre que mon procédé ne vous donnera aucun embarras, si ce n'est quelques écritures, car tout se passera sur le papier.

En effet, selon notre droit public, chacun concourt à l'impôt en proportion de sa fortune.

Selon l'équité, l'État doit à tous une égale protection.

Il résulte de là que mon système se réduira, pour M. le ministre des finances, à ouvrir à chaque citoyen un compte qui se composera invariablement de deux articles, ainsi qu'il suit:

Doit N. à la caisse des subventions 100 fr. pour sa part d'impôts.

Avoir N. par la caisse des subventions, 90 fr. pour sa part de protection.

– Mais, c'est comme si nous ne faisions rien du tout!

– C'est très-vrai. Et par la douane non plus vous ne feriez rien du tout, si vous pouviez la faire servir à protéger également tout le monde.

– Aussi ne l'appliquons-nous qu'à protéger quelques-uns.

– C'est ce que vous pouvez très-bien faire par mon procédé. Il suffit de désigner d'avance les classes qui seront exclues, quand on partagera les fonds de la tontine, pour que la part des autres soit plus grosse.

– Ce serait une horrible injustice.

– Vous la commettez bien maintenant.

– Du moins, nous ne nous en apercevons pas.

– Ni le public non plus. Voilà pourquoi elle se commet.

– Que faut-il donc faire?

– Protéger tout le monde, ou ne protéger personne.

54. – DEUX PRINCIPES

7 Février 1847.

– Je viens de lire un chef-d'œuvre sur le libre-échange.

– Qu'en pensez-vous?

– J'en penserais tout le bien possible, si je n'avais lu immédiatement après un chef-d'œuvre sur la protection.

– Vous donnez donc la préférence à ce dernier?

– Oui; si je n'avais lu le premier immédiatement avant.

– Mais enfin, lequel des deux vous a convaincu?

– Ni l'un ni l'autre, ou plutôt l'un et l'autre; car, arrivé au bout, je disais comme Henri IV sortant du plaid: Ils ont, ma foi, tous deux raison.

– En sorte que vous n'en êtes pas plus avancé?

– Heureux si je n'étais pas plus reculé! car il m'est ensuite tombé sous la main un troisième factum, intitulé: Contradictions économiques, où Liberté et Non-Liberté, Protection et Non-Protection sont arrangées de la belle manière. Vraiment, monsieur, la tête m'en tourne.

 
Vo solcando un mar crudele
Senza vele
E senza sarte.
 

Orient et Occident, Zénith et Nadir, tout se confond dans ma tête, et je n'ai pas la plus petite boussole pour me reconnaître au milieu de ce dédale. Ceci me rappelle la triste position où je me suis trouvé il y a quelques années.

– Contez-moi cela, je vous prie.

– Nous chassions, Eugène et moi, entre Bordeaux et Bayonne, dans ces vastes landes où rien, ni arbres ni clochers, n'arrête le regard. La brume était épaisse. Nous fîmes tant de tours et de détours à la poursuite d'un lièvre, qu'enfin…

– Vous le prîtes?

– Non, ce fut lui qui nous prit, car le drôle parvint à nous désorienter complétement. Le soir une route ignorée se présente à nous. À ma grande surprise, Eugène et moi nous nous tournons le dos. Où vas-tu, lui dis-je? – À Bayonne. – Mais tu prends la direction de Bordeaux. – Tu te moques, le vent est Nord et il nous glace les épaules. – C'est qu'il souffle du Sud. – Mais ce matin le soleil s'est levé là. – Non, il a paru ici. – Ne vois-tu pas devant nous les Pyrénées? – Ce sont des nuages qui bordent la mer. Bref, jamais nous ne pûmes nous entendre.

– Comment cela finit-il?

– Nous nous assîmes au bord du chemin, attendant qu'un passant nous tirât de peine. Bientôt un voyageur se présente: Monsieur, lui dis-je, voici mon ami qui prétend que Bayonne est à gauche, et je soutiens qu'il est à droite. – Mes beaux Messieurs, répondit-il, vous avez, chacun de vous, un peu tort et un peu raison. Gardez-vous des idées arrêtées et des systèmes absolus. Bonsoir! – Et il partit. J'étais tenté de lui envoyer une pierre dans le dos, quand j'aperçus un second voyageur qui venait vers nous. – Je l'accostai le plus poliment du monde, et lui dis: Brave homme, nous sommes désorientés. Dites-nous si, pour rentrer à Bayonne, il faut marcher par ici ou par là. – Ce n'est pas la question, nous dit-il: l'essentiel est de ne pas franchir la distance qui vous sépare de Bayonne, d'un seul bond et sans transition. Cela ne serait pas sage, et vous risqueriez de vous casser le nez. – Monsieur, lui dis-je, c'est vous qui n'êtes pas dans la question. Quant à notre nez, vous y prenez trop d'intérêt. Soyez sûr que nous y veillerons nous-mêmes. Cependant, avant de nous décider à marcher vite ou lentement, il faut bien que nous sachions de quel côté il faut marcher. – Mais le maroufle insistant: Marchez progressivement, nous dit-il, et ne mettez jamais un pied devant l'autre sans avoir bien réfléchi aux conséquences. Bon voyage. – Ce fut heureux pour lui qu'il y eût du plomb de loup dans mon fusil; s'il n'y eût eu que de la grenaille, franchement, j'aurais criblé au moins la croupe de sa monture.

– Pour punir le cavalier. Ô justice distributive!

– Survint un troisième voyageur. Il avait l'air grave et posé. J'en augurai bien, et lui adressai ma question: De quel côté est Bayonne? – Chasseur diligent, me dit-il, il faut distinguer entre la théorie et la pratique. Étudiez bien la configuration du sol, et si la théorie vous dit que Bayonne est vers le bas, marchez vers le haut.

– Mille bombes! m'écriai-je, avez-vous tous juré?..

– Ne jurez pas vous-même. Et dites-moi quel parti vous prîtes.

– Celui de suivre la première moitié du dernier conseil. Nous examinâmes l'écorce des bruyères, la pente des eaux. Une fleur nous mit d'accord. Vois, dis-je à Eugène, elle a coutume de se pencher vers le soleil.

Et cherche encor le regard de Phébus.

Donc, Bayonne est là. Il se soumit à ce gracieux arbitrage, et nous cheminâmes d'assez bonne intelligence. Mais, chose singulière! Eugène avait de la peine à laisser le monde tel qu'il est, et l'univers, faisant un demi-tour dans son imagination, le replaçait sans cesse sous l'empire de la même erreur.

– Ce qui est arrivé à votre ami, en géographie, vous arrivera souvent en économie politique. La carte se retourne dans le cerveau, et l'on trouve alors des donneurs d'avis de la même force.

– Que faut-il donc faire?

– Ce que vous avez fait: apprendre à s'orienter.

– Mais dans les landes de l'économie politique, trouverai-je, pour me guider, une pauvre petite fleur?

– Non, mais un principe.

– Ce n'est pas si gracieux. Et y a-t-il véritablement une idée claire, simple, qui puisse servir de fil conducteur à travers ce labyrinthe?

– Il y en a une.

– Dites-la-moi de grâce.

– Je préfère que vous la disiez vous-même. Répondez-moi. À quoi le blé est-il bon?

– Eh parbleu! à être mangé.

– Voilà un principe.

– Vous appelez cela un principe? En ce cas, j'en fais souvent, comme M. Jourdain de la prose, sans le savoir.

– C'est un principe, vous dis-je, et le plus méconnu quoique le plus vrai de tous ceux qui ont jamais figuré dans un corps de doctrine. – Et, dites-moi, le blé n'a-t-il pas encore une autre utilité?

– À quoi serait-il utile, sinon à être mangé?

– Cherchez bien.

– Ah! j'y suis: à procurer du travail au laboureur.

– Vous y êtes en effet. Voilà un autre principe.

– Diantre! je ne croyais pas qu'il fût si facile de faire des principes. J'en dis un à chaque mot.

– N'est-il pas vrai que tous les produits imaginables ont les deux genres d'utilité que vous venez d'assigner au blé?

– Que voulez-vous dire?

– À quoi sert la houille?

– À nous fournir de la chaleur, de la lumière, de la force.

– Ne sert-elle pas à autre chose?

– Elle sert encore à procurer du travail aux mineurs, aux voituriers, aux marins.

– Et le drap n'a-t-il pas deux espèces d'utilité?

– Si fait. Il garantit du froid et de la pluie. De plus, il donne du travail au berger, au fileur, au tisseur.

– Pour vous prouver que vous avez bien réellement émis deux principes, permettez-moi de les revêtir d'une forme générale. Le premier dit: Les produits sont faits pour être consommés; le second: Les produits sont faits pour être produits.

– Voilà que je recommence à comprendre un peu moins.

– Je vais donc varier le thème:

Premier principe: L'homme travaille pour consommer.

Second principe: L'homme consomme pour travailler.

Premier principe: Le blé est fait pour les estomacs.

Second principe: Les estomacs sont faits pour le blé.

Premier principe: Les moyens sont faits pour le but.

Second principe: Le but est fait pour les moyens.

Premier principe: Le laboureur laboure afin qu'on mange.

Second principe: On mange afin que le laboureur laboure.

Premier principe: Les bœufs vont devant la charrette.

Second principe: La charrette va devant les bœufs.

– Juste ciel! quand je disais: Le blé est utile parce qu'on le mange, et puis: Le blé est utile parce qu'on le cultive, j'émettais, sans m'en douter, ce torrent de principes?

Par la sambleu! Monsieur, je ne croyais pas être

Si savant que je suis.

– Tout beau! vous n'avez dit que deux principes, et moi, je les ai mis en variations.

– Mais où diable en voulez-vous venir?

– À vous faire connaître la bonne et la mauvaise boussole, au cas que vous vous égariez jamais dans le dédale économique. Chacune d'elles vous guidera, selon un orientement opposé, l'une vers le temple de la vérité, l'autre dans la région de l'erreur.

– Voulez-vous dire que les deux écoles, libérale et protectionniste, qui se partagent le domaine de l'opinion, diffèrent seulement en ceci, que l'une met les bœufs avant la charrette, et l'autre, la charrette avant les bœufs?

– Justement. Je dis que si l'on remonte au point précis qui divise ces deux écoles, on le trouve dans l'application vraie ou fausse du mot utilité. Ainsi que vous venez de le dire vous-même, chaque produit a deux espèces d'utilité: l'une est relative au consommateur, et consiste à satisfaire des besoins; l'autre a trait au producteur, et consiste à être l'occasion d'un travail. On peut donc appeler la première de ces utilités fondamentale, et la seconde occasionnelle. L'une est la boussole de la vraie science, l'autre la boussole de la fausse science. Si l'on a le malheur, comme cela est trop commun, de monter à cheval sur le second principe, c'est-à-dire de ne considérer les produits que dans leurs rapports avec les producteurs, on voyage avec une boussole retournée, on s'égare de plus en plus; on s'enfonce dans la région des priviléges, des monopoles, de l'antagonisme, des jalousies nationales, de la dissipation, de la réglementation, de la politique de restriction et d'envahissement; en un mot, on entre dans une série de conséquences subversives de l'humanité, prenant constamment le mal pour le bien, et cherchant dans des maux nouveaux le remède aux maux qu'on a fait surgir de la législation. Si, au contraire, on prend pour flambeau et pour boussole, au point de départ, l'intérêt du consommateur, ou plutôt de la consommation générale, on s'avance vers la liberté, l'égalité, la fraternité, la paix universelle, le bien-être, l'épargne, l'ordre et tous les principes progressifs du genre humain84.

– Quoi! ces deux axiomes: Le blé est fait pour être mangé; le blé est fait pour être cultivé, peuvent conduire à des résultats si opposés?

– Très-certainement. Vous savez l'histoire de ces deux navires qui voyageaient de conserve. Un orage vint à éclater. Quand il fut dissipé, il n'y avait rien de changé dans l'univers, si ce n'est qu'une des deux boussoles, par l'effet de l'électricité, se tournait vers le sud. Mais c'est assez pour qu'un navire fasse fausse route pendant l'éternité entière, du moins tant qu'il obéit à cette fausse indication.

– Je vous avoue que je suis à mille lieues de comprendre l'importance que vous attachez à ce que vous appelez deux principes (quoique j'aie eu l'honneur de les trouver), et je serais bien aise que vous me fissiez connaître toute votre pensée.

– Eh bien! écoutez-moi, je divise mon sujet en…

– Miséricorde! je n'ai pas le temps de vous écouter. Mais dimanche prochain je suis tout à vous.

– Je voudrais bien pourtant…

– Je suis pressé. Adieu.

– À présent que je vous tiens…

– Oh! vous ne me tenez pas encore. À dimanche85.

– À dimanche, soit. Dieu, que les auditeurs sont légers!

– Ciel! que les démonstrateurs sont lourds!

82
  V. au tome V, pag. 370, le chap. l'Algérie du pamphlet: Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)

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83
  V. tome IV, page 258.
(Note de l'éditeur.)

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84
  V. au tome IV, pages 15 et 251, le chap. II de la première série des Sophismes, et le chap. XV de la seconde série, puis au tome VI le chap. XI des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)

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85
  Le dimanche est le jour de la semaine où paraissait le Libre-Échange.
(Note de l'éditeur.)

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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
545 стр. 9 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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