Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 23

Шрифт:

En résumé, Messieurs, si mes vues ne sont pas celles de M. Blanc, j'ose dire que mes désirs sont les siens. Oui, je désire comme lui que notre littérature s'élève, s'épure et se moralise; je désire que la France conserve et étende de plus en plus la légitime et glorieuse suprématie de sa belle langue, qui, plus que ses baïonnettes, portera jusqu'aux extrémités de la terre le principe de notre Révolution. (Applaudissements.)

LETTRE

Mugron, le 9 Septembre 1847.

«Monsieur,

«J'apprends avec une vive satisfaction l'entrée dans le monde du journal que vous publiez dans le but de défendre la propriété intellectuelle.

«Toute ma doctrine économique est renfermée dans ces mots: Les services s'échangent contre les services, ou en termes vulgaires: Fais ceci pour moi, je ferai cela pour toi, ce qui implique la propriété intellectuelle aussi bien que matérielle.

«Je crois que les efforts des hommes, sous quelque forme que ce soit, et les résultats de ces efforts, leur appartiennent, ce qui leur donne le droit d'en disposer pour leur usage ou par l'échange. J'admire comme un autre ceux qui en font à leurs semblables le sacrifice volontaire; mais je ne puis voir aucune moralité ni aucune justice à ce que la loi leur impose systématiquement ce sacrifice. C'est sur ce principe que je défends le libre-échange, voyant sincèrement dans le régime restrictif une atteinte, sous la forme la plus onéreuse, à la propriété en général, et en particulier à la plus respectable, la plus immédiatement et la plus généralement nécessaire de toutes les propriétés, celle du travail.

«Je suis donc, en principe, partisan très-prononcé de la propriété littéraire. Dans l'application, il peut être difficile de garantir ce genre de propriété. Mais la difficulté n'est pas une fin de non-recevoir contre le droit.

«La propriété de ce qu'on a produit par le travail, par l'exercice de ses facultés, est l'essence de la société. Antérieure aux lois, loin que les lois doivent la contrarier, elles n'ont guère d'autre objet au monde que de la garantir.

«Il me semble que la plus illogique de toutes les législations est celle qui régit chez nous la propriété littéraire. Elle lui donne un règne de vingt ans après la mort de l'auteur. Pourquoi pas quinze? pourquoi pas soixante? Sur quel principe a-t-on fixé un nombre arbitraire? Sur ce malheureux principe que la loi crée la propriété, principe qui peut bouleverser le monde.

«Ce qui est juste est utile: c'est là un axiome dont l'économie politique a souvent occasion de reconnaître la justesse. Il trouve une application de plus dans la question. Lorsque la propriété littéraire n'a qu'une durée légale très-limitée, il arrive que la loi elle-même met toute l'énorme puissance de l'intérêt personnel du côté des œuvres éphémères, des romans futiles, des écrits qui flattent les passions du moment et répondent à la mode du jour. On cherche le débit dans le public actuel que la loi vous donne, et non dans le public futur dont elle vous prive. Pourquoi consumerait-on ses veilles à une œuvre durable, si l'on ne peut transmettre à ses enfants qu'une épave? Plante-t-on des chênes sur un sol communal dont on a obtenu la concession momentanée? Un auteur serait puissamment encouragé à compléter, corriger, perfectionner son œuvre, s'il pouvait dire à son fils: «Il se peut que de mon vivant ce livre ne soit pas apprécié. Mais il se fera son public par sa valeur propre. C'est le chêne qui vous couvrira, vous et vos enfants, de son ombre.»

«Je sais, Monsieur, que ces idées paraissent bien mercantiles à beaucoup de gens. C'est la mode aujourd'hui de tout fonder sur le principe du désintéressement chez les autres. Si les déclamateurs voulaient descendre un peu au fond de leur conscience, peut-être ne seraient-ils pas si prompts à proscrire dans l'écrivain le soin de son avenir et de sa famille, ou le sentiment de l'intérêt, puisqu'il faut l'appeler par son nom. – Il y a quelque temps, je passai toute une nuit à lire un petit ouvrage où l'auteur flétrit avec une grande énergie quiconque tire la moindre rémunération du travail intellectuel. Le lendemain matin, j'ouvris un journal, et, par une coïncidence assez bizarre, la première chose que j'y lus, c'est que ce même auteur venait de vendre ses œuvres pour une somme considérable. Voilà tout le désintéressement du siècle, morale que nous nous imposons les uns aux autres, sans nous y conformer nous-mêmes. En tout cas, le désintéressement, tout admirable qu'il est, ne mérite même plus son nom s'il est exigé par la loi, et la loi est bien injuste si elle ne l'exige que des ouvriers de la pensée.

«Pour moi, convaincu par une observation constante et par les actes des déclamateurs eux-mêmes, que l'intérêt est un mobile individuel indestructible et un ressort social nécessaire, je suis heureux de comprendre qu'en cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres, il coïncide dans ses effets généraux avec la justice et le plus grand bien universel: aussi je m'associe de tout cœur à votre utile entreprise.

«Votre bien dévoué.

«Frédéric Bastiat,
«Rédacteur en chef du Libre-Échange

50. – DE LA MODÉRATION

22 Mai 1847.

On nous reproche d'être absolus, exagérés, et cette imputation, soigneusement propagée par nos adversaires, a été reproduite par des hommes auxquels leurs talents et leur haute position donnent de l'autorité, par M. Charles Dupin, pair de France, et M. Cunin-Gridaine, ministre.

Et cela parce que nous avons l'audace de penser que vouloir enrichir les hommes en les entravant, et resserrer les liens sociaux en isolant les nations, c'est une vaine et folle entreprise. – Que la perception des taxes ne se puisse établir sans qu'il en résulte quelque entrave à la liberté des transactions comme à celle du travail, nous le comprenons. Alors ces restrictions incidentes sont un des inconvénients de l'impôt, et ces inconvénients peuvent être tels qu'ils fassent renoncer à l'impôt lui-même. – Mais voir dans les restrictions la source de la richesse et la cause du bien-être; sur cette donnée, les renforcer et les multiplier systématiquement, non plus pour remplir le trésor, mais aux frais du trésor; croire que les restrictions ont en elles une vertu productive, qu'il en sort un travail plus intense, mieux réparti, plus assuré de sa rémunération, plus capable d'égaliser les profits, c'est là une théorie absurde, qui ne pouvait conduire qu'à une pratique insensée. Par ce motif, nous les combattons l'une et l'autre, non avec exagération, mais avec zèle et persévérance.

Après tout, qu'est-ce que la modération?

Nous sommes convaincus que deux et un font trois, et nous nous croyons tenus de le dire nettement. Voudrait-on que nous prissions des détours? que nous dissions, par exemple: Il se peut que deux et un fassent à peu près trois. Nous en soupçonnons quelque chose, mais nous ne nous hâterons pas de l'affirmer, d'autant que certains personnages ont cru de leur intérêt de faire établir la législation du pays sur cette autre donnée qui semble contredire la nôtre: qui de trois paye un reste quatre.

Nous interdire, par l'imputation d'absolutisme, de prouver la vérité de notre thèse, c'est vouloir que le pays n'ouvre jamais les yeux. Nous ne donnerons pas dans le piége.

Oh! si l'on nous disait: «Il est bien vrai que la ligne droite est la plus courte: Mais que voulez-vous? on a cru longtemps que c'était la plus longue. La nation s'est habituée à suivre la ligne courbe. Elle y use son temps et ses forces, mais il ne faut reconquérir que peu à peu, et par gradation, ce temps et ces forces perdus,» on nous trouverait d'une modération fort louable. Car que demandons-nous? Une seule chose: que le public voie clairement ce qu'il perd à prendre la ligne courbe. Après cela, et si, sachant bien ce que la ligne courbe lui coûte en impôts, privations, vexations, vains efforts, il ne veut la quitter que lentement, ou s'il persiste même à s'y tenir, nous n'y saurions que faire. Notre mission est d'exposer la vérité. Nous ne croyons pas, comme les socialistes, que le peuple soit une masse inerte, et que le moteur soit dans celui qui décrit le phénomène, mais dans celui qui en souffre ou en profite. Peut-on être plus modéré?

D'autres nous taxent d'exagération par un autre motif. C'est, disent-ils, parce que vous attaquez toutes les protections à la fois. Pourquoi ne pas user d'artifice? pourquoi vous mettre sur les bras en même temps l'agriculture, les manufactures, la marine marchande et les classes ouvrières, sans compter les partis politiques toujours prêts à courtiser le nombre et la force?

C'est en cela, ce nous semble, que nous faisons preuve de modération et de sincérité.

Combien de fois n'a-t-on pas essayé, et sans doute à bonne intention, de nous faire abandonner le terrain des principes! On nous conseillait d'attaquer l'abus de la protection accordée à quelques fabriques.

«Vous aurez le concours de l'agriculture, nous disait-on; avec ce puissant auxiliaire, vous battrez les monopoles industriels les plus onéreux, et vous briserez d'abord un des plus solides anneaux de cette chaîne qui vous fatigue. Ensuite, vous vous retournerez contre l'intérêt agricole, sûr d'avoir cette fois l'appui de l'industrie manufacturière78

Ceux qui nous donnent ces conseils oublient une chose, c'est que nous n'aspirons pas tant à renverser le régime protecteur qu'à éclairer le public sur ce régime, ou plutôt, si la première de ces tâches est le but, la seconde nous semble le moyen indispensable.

Or, quelle force auraient eue nos arguments, si nous avions soigneusement mis hors de cause le principe même de la protection? et, en le mettant en cause, comment pouvions-nous éviter d'éveiller les susceptibilités de l'agriculture? Croit-on que les manufacturiers nous eussent laissé le choix de nos démonstrations? qu'ils ne nous eussent pas amenés à nous prononcer sur la question de principe, à dire explicitement ou implicitement que la protection est chose mauvaise par nature? Une fois le mot lâché, l'agriculture se serait tenue sur ses gardes, et nous, nous aurions, qu'on nous pardonne le mot, pataugé dans des précautions et des distinctions subtiles, au milieu desquelles notre polémique aurait perdu toute force, et notre sincérité tout crédit.

Ensuite, le conseil lui-même implique que, au moins dans l'opinion de ceux qui le donnent, et sans doute dans la nôtre, la protection est chose désirable, puisque, pour l'arracher d'une des branches de l'activité nationale, il faudrait se servir d'une autre branche, à laquelle on laisserait croire que ses priviléges seront respectés; puisqu'on parle de battre les manufactures par l'agriculture, et celle-ci par celle-là? Or, c'est ce dont nous ne voulons pas. Au contraire, nous nous sommes engagés dans la lutte parce que nous croyons la protection mauvaise pour tout le monde.

C'est ce que nous nous sommes imposé la tâche de faire comprendre et de vulgariser. – Mais alors, dira-t-on, la lutte sera bien longue. – Tant mieux qu'elle soit longue, si cela est indispensable pour que le public s'éclaire.

Supposons que la ruse qu'on nous suggère ait un plein succès (succès que nous croyons chimérique), supposons que la première année les propriétaires des deux Chambres balayent tous les priviléges industriels, et que la seconde année, pour se venger, les manufacturiers emportent tous les priviléges agricoles.

Qu'arrivera-t-il? En deux ans, la liberté commerciale sera dans nos lois, mais sera-t-elle dans nos intelligences? Ne voit-on pas qu'à la première crise, au premier désordre, à la première souffrance, le pays s'en prendrait à une réforme mal comprise, attribuerait ses maux à la concurrence étrangère, invoquerait et ferait triompher bien vite le retour de la protection douanière? Pendant combien d'années, pendant combien de siècles peut-être cette courte période de liberté, accompagnée de souffrances accidentelles, ne défrayerait-elle pas les arguments des prohibitionnistes? Ils auraient soin de raisonner sur la supposition qu'il y a une connexion nécessaire entre ces souffrances et la liberté, comme ils le font aujourd'hui à propos des traités de Méthuen et de 1786.

C'est une chose bien remarquable, qu'au milieu de la crise qui désole l'Angleterre, pas une voix ne s'élève pour l'attribuer aux réformes libérales accomplies par sir R. Peel. Au contraire, chacun sent que, sans ces mesures, l'Angleterre serait en proie à des convulsions devant lesquelles l'imagination recule d'horreur. D'où provient cette confiance en la liberté? De ce que la Ligue a travaillé pendant de longues années; de ce qu'elle a familiarisé toutes les intelligences avec les notions d'économie publique; de ce que la réforme était dans les esprits, et que les bills du parlement n'ont fait que sanctionner une volonté nationale forte et éclairée.

Enfin, nous avons repoussé ce conseil, malgré ce qu'il avait de séduisant pour l'impatience, la furia francese, par un motif de justice.

C'est notre conviction qu'en détendant la pression du régime protecteur, aussi progressivement que l'on voudra, mais selon une transition arrêtée d'avance et sur tous les points à la fois, on offre à toutes les industries des compensations qui rendent la secousse véritablement insensible. Si le prix du blé est tenu de quelque chose au-dessous de la moyenne actuelle, d'un autre côté, le prix des charrues, des vêtements, des outils et même du pain et de la viande, impose une charge moins lourde aux agriculteurs. De même, si le maître de forge voit baisser de quelques francs la tonne de fer, il a la houille, le bois, l'outillage et les aliments à de meilleures conditions. Or, il nous a paru que ces compensations qui naissent de la liberté, une fois établies, devaient accompagner uniformément la réforme elle-même pendant tout le temps de la transition, pour que celle-ci fût conforme à l'utilité générale et à la justice.

Est-ce là de l'exaltation, de l'exagération? Est-ce là un plan conçu dans des cerveaux brûlés? Et à moins qu'on ne veuille nous faire renoncer à notre principe, ce que nous ne ferons jamais tant qu'on ne nous en prouvera pas la fausseté, comment pourrait-on exiger de nous plus de modération et de prudence?

La modération ne consiste pas à dire qu'on a une demi-conviction, quand on a une conviction entière. Elle consiste à respecter les opinions contraires, à les combattre sans emportement, à ne pas attaquer les personnes, à ne pas provoquer des proscriptions ou des destitutions, à ne pas soulever les ouvriers égarés, à ne pas menacer le gouvernement de l'émeute.

N'est-ce pas ainsi que nous la pratiquons?

51. – PEUPLE ET BOURGEOISIE

22 Mai 1847.

Les hommes sont facilement dupes des systèmes, pourvu qu'un certain arrangement symétrique en rende l'intelligence facile.

Par exemple, rien n'est plus commun, de nos jours, que d'entendre parler du peuple et de la bourgeoisie comme constituant deux classes opposées, ayant entre elles les mêmes rapports hostiles qui ont armé jadis la bourgeoisie contre l'aristocratie.

«La bourgeoisie, dit-on, était faible d'abord. Elle était opprimée, foulée, exploitée, humiliée par l'aristocratie. Elle a grandi, elle s'est enrichie, elle s'est fortifiée jusqu'à ce que, par l'influence du nombre et de la fortune, elle eût vaincu son adversaire en 89.

«Alors elle est devenue elle-même l'aristocratie. Au-dessous d'elle, il y a le peuple, qui grandit, se fortifie et se prépare à vaincre, dans le second acte de la guerre sociale

Si la symétrie suffisait pour donner de la vérité aux systèmes, on ne voit pas pourquoi celui-ci n'irait pas plus loin. Ne pourrait-on pas ajouter en effet:

Quand le peuple aura triomphé de la bourgeoisie, il dominera et sera par conséquent aristocratie à l'égard des mendiants. Ceux-ci grandiront, se fortifieront à leur tour et prépareront au monde le drame de la troisième guerre sociale.

Le moindre tort de ce système, qui défraye beaucoup de journaux populaires, c'est d'être faux.

Entre une nation et son aristocratie, nous voyons bien une ligne profonde de séparation, une hostilité irrécusable d'intérêts, qui ne peut manquer d'amener tôt ou tard la lutte. L'aristocratie est venue du dehors; elle a conquis sa place par l'épée; elle domine par la force. Son but est de faire tourner à son profit le travail des vaincus. Elle s'empare des terres, commande les armées, s'arroge la puissance législative et judiciaire, et même, pour être maîtresse de tous les moyens d'influence, elle ne dédaigne pas les fonctions ou du moins les dignités ecclésiastiques. Afin de ne pas affaiblir l'esprit de corps qui est sa sauvegarde, les priviléges qu'elle a usurpés, elle les transmet de père en fils par ordre de primogéniture. Elle ne se recrute pas en dehors d'elle, ou, si elle le fait, c'est qu'elle est déjà sur la voie de sa perte.

Quelle similitude peut-on trouver entre cette constitution et celle de la bourgeoisie? Au fait, peut-on dire qu'il y ait une bourgeoisie? Qu'est-ce que ce mot représente? Appellera-t-on bourgeois quiconque, par son activité, son assiduité, ses privations, s'est mis à même de vivre sur du travail antérieur accumulé, en un mot sur un capital? Il n'y a qu'une funeste ignorance de l'économie politique qui ait pu suggérer cette pensée: que vivre sur du travail accumulé, c'est vivre sur le travail d'autrui. – Que ceux donc qui définissent ainsi la bourgeoisie commencent par nous dire ce qu'il y a, dans les loisirs laborieusement conquis, dans le développement intellectuel qui en est la suite, dans la formation des capitaux qui en est la base, de nécessairement opposé aux intérêts de l'humanité, de la communauté ou même des classes laborieuses.

Ces loisirs, s'ils ne coûtent rien à qui que ce soit, méritent-ils d'exciter la jalousie79? Ce développement intellectuel ne tourne-t-il pas au profit du progrès, dans l'ordre moral aussi bien que dans l'ordre industriel? Ces capitaux sans cesse croissants, précisément à cause des avantages qu'ils confèrent, ne sont-ils pas le fonds sur lequel vivent les classes qui ne sont pas encore affranchies du travail manuel? Et le bien-être de ces classes, toutes choses égales d'ailleurs, n'est-il pas exactement proportionnel à l'abondance de ces capitaux et, par conséquent, à la rapidité avec laquelle ils se forment, à l'activité avec laquelle ils rivalisent?

Mais, évidemment, le mot bourgeoisie aurait un sens bien restreint si on l'appliquait exclusivement aux hommes de loisir. On entend parler aussi de tous ceux qui ne sont pas salariés, qui travaillent pour leur compte, qui dirigent, à leurs risques et périls, des entreprises agricoles, manufacturières, commerciales, qui se livrent à l'étude des sciences, à l'exercice des arts, aux travaux de l'esprit.

Mais alors il est difficile de concevoir comment on trouve entre la bourgeoisie et le peuple cette opposition radicale qui autoriserait à assimiler leurs rapports à ceux de l'aristocratie et de la démocratie. Toute entreprise n'a-t-elle pas ses chances? n'est-il pas bien naturel et bien heureux que le mécanisme social permette à ceux qui peuvent perdre de les assumer80? Et d'ailleurs n'est-ce pas dans les rangs des travailleurs que se recrute constamment, à toute heure, la bourgeoisie? N'est-ce pas au sein du peuple que se forment ces capitaux, objet de tant de déclamations si insensées? Où conduit une telle doctrine? Quoi! par cela seul qu'un ouvrier aura toutes les vertus par lesquelles l'homme s'affranchit du joug des besoins immédiats, parce qu'il sera laborieux, économe, ordonné, maître de ses passions, probe; parce qu'il travaillera avec quelque succès à laisser ses enfants dans une condition meilleure que celle qu'il occupe lui-même, – en un mot à fonder une famille, – on pourra dire que cet ouvrier est dans la mauvaise voie, dans la voie qui éloigne de la cause populaire, et qui mène dans cette région de perdition, la bourgeoisie! Au contraire, il suffira qu'un homme n'ait aucune vue d'avenir, qu'il dissipe follement ses profits, qu'il ne fasse rien pour mériter la confiance de ceux qui l'occupent, qu'il ne consente à s'imposer aucun sacrifice, pour qu'il soit vrai de dire que c'est là l'homme-peuple par excellence, l'homme qui ne s'élèvera jamais au-dessus du travail le plus brut, l'homme dont les intérêts coïncideront toujours avec l'intérêt social bien entendu!

L'esprit se sent saisir d'une tristesse profonde à l'aspect des conséquences effroyables renfermées dans ces doctrines erronées, et à la propagation desquelles on travaille cependant avec tant d'ardeur. On entend parler d'une guerre sociale comme d'une chose naturelle, inévitable, forcément amenée par la prétendue hostilité radicale du peuple et de la bourgeoisie, semblable à la lutte qui a mis aux mains, dans tous les pays, l'aristocratie et la démocratie. Mais, encore une fois, la similitude est-elle exacte? Peut-on assimiler la richesse acquise par la force à la richesse acquise par le travail? Et si le peuple considère toute élévation, même l'élévation naturelle par l'industrie, l'épargne, l'exercice de toutes les vertus, comme un obstacle à renverser, – quel motif, quel stimulant, quelle raison d'être restera-t-il à l'activité et à la prévoyance humaine81?

Il est affligeant de penser qu'une erreur, grosse d'éventualités si funestes, est le fruit de la profonde ignorance dans laquelle l'éducation moderne retient les générations actuelles sur tout ce qui a rapport au mécanisme de la société.

Ne voyons donc pas deux nations dans la nation; il n'y en a qu'une. Des degrés infinis dans l'échelle des fortunes, toutes dues au même principe, ne suffisent pas pour constituer des classes différentes, encore moins des classes hostiles.

Cependant, il faut le dire, il existe dans notre législation, et principalement la législation financière, certaines dispositions qui n'y semblent maintenues que pour alimenter et, pour ainsi dire, justifier l'erreur et l'irritation populaires.

On ne peut nier que l'influence législative concentrée dans les mains du petit nombre, n'ait été quelquefois mise en œuvre avec partialité. La bourgeoisie serait bien forte devant le peuple, si elle pouvait dire: «Notre participation aux biens communs diffère par le degré, mais non par le principe. Nos intérêts sont identiques; en défendant les miens, je défends les vôtres. Voyez-en la preuve dans nos lois; elles sont fondées sur l'exacte justice. Elles garantissent également toutes les propriétés, quelle qu'en soit l'importance.»

Mais en est-il ainsi? La propriété du travail est-elle traitée par nos lois à l'égal de la propriété accumulée fixée dans le sol ou le capital? Non certes; mettant de côté la question de la répartition des taxes, on peut dire que le régime protecteur est le terrain spécial sur lequel les intérêts et les classes se livrent le combat le plus acharné, puisque ce régime a la prétention de pondérer les droits et les sacrifices de toutes les industries. Or, dans cette question, comment la classe qui fait la loi a-t-elle traité le travail? comment s'est-elle traitée elle-même? On peut affirmer qu'elle n'a rien fait et qu'elle ne peut rien faire pour le travail proprement dit, quoiqu'elle affiche la prétention d'être la gardienne fidèle du travail national. Ce qu'elle a tenté, c'est d'élever le prix de tous les produits, disant que la hausse des salaires s'ensuivrait naturellement. Or, si elle a failli, comme nous le croyons, dans son but immédiat, elle a bien moins réussi encore dans ses intentions philanthropiques. Le taux de la main-d'œuvre dépend exclusivement du rapport entre le capital disponible et le nombre des ouvriers. Or, si la protection ne peut rien changer à ce rapport, si elle ne parvient ni à augmenter la masse du capital, ni à diminuer le nombre des bras, quelque influence qu'elle exerce sur le prix des produits, elle n'en exercera aucune sur le taux des salaires.

On nous dira que nous sommes en contradiction; que, d'une part, nous arguons de ce que les intérêts de toutes les classes sont homogènes, et que nous signalons maintenant un point sur lequel la classe riche abuse de la puissance législative.

Hâtons-nous de le dire, l'oppression exercée, sous cette forme, par une classe sur une autre, n'a eu rien d'intentionnel; c'est purement une erreur économique, partagée par le peuple et par la bourgeoisie. Nous en donnerons deux preuves irrécusables: la première, c'est que la protection ne profite pas à la longue à ceux qui l'ont établie. La seconde, c'est que si elle nuit aux classes laborieuses, elles l'ignorent complétement, et à ce point qu'elles se montrent mal disposées envers les amis de la liberté.

Cependant il est dans la nature des choses que la cause d'un mal, quand une fois elle est signalée, finisse par être généralement reconnue. Quel terrible argument ne fournirait pas aux récriminations des masses l'injustice du régime protecteur! Que la classe électorale y prenne garde! Le peuple n'ira pas toujours chercher la cause de ses souffrances dans l'absence d'un phalanstère, d'une organisation du travail, d'une combinaison chimérique. Un jour il verra l'injustice là où elle est. Un jour il découvrira que l'on fait beaucoup pour les produits, qu'on ne fait rien pour les salaires, et que ce qu'on fait pour les produits est sans influence sur les salaires. Alors il se demandera: Depuis quand les choses sont-elles ainsi? Quand nos pères pouvaient approcher de l'urne électorale, était-il défendu au peuple, comme aujourd'hui, d'échanger son salaire contre du fer, des outils, du combustible, des vêtements et du pain? Il trouvera la réponse écrite dans les tarifs de 1791 et de 1795. Et qu'aurez-vous à lui répondre, industriels législateurs, s'il ajoute: «Nous voyons bien qu'une nouvelle aristocratie s'est substituée à l'ancienne? (V. no 18, page 100.)

Si donc la bourgeoisie veut éviter la guerre sociale, dont les journaux populaires font entendre les grondements lointains, qu'elle ne sépare pas ses intérêts de ceux des masses, qu'elle étudie et comprenne la solidarité qui les lie; si elle veut que le consentement universel sanctionne son influence, qu'elle la mette au service de la communauté tout entière; si elle veut qu'on ne s'inquiète pas trop du pouvoir qu'elle a de faire la loi, qu'elle la fasse juste et impartiale; qu'elle accorde à tous ou à personne la protection douanière. Il est certain que la propriété des bras et des facultés est aussi sacrée que la propriété des produits. Puisque la loi élève le prix des produits, qu'elle élève donc aussi le taux des salaires; et, si elle ne le peut pas, qu'elle les laisse librement s'échanger les uns contre les autres.

78
  V. le no 5.
(Note de l'éditeur.)

[Закрыть]
79
  V. au tome V, pages 142 à 145, et tome VI, les chap. V et VIII.
(Note de l'éditeur.)

[Закрыть]
80
  V. le chap. Salaires, des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)

[Закрыть]
81
  V. tome V, page 383, le chap. XI du pamphlet: Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, et au tome VI, la fin du chap. VI.
(Note de l'éditeur.)

[Закрыть]
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
Объем:
545 стр. 9 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают