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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2», страница 22

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Voilà le spectacle que nous offre aujourd'hui même l'aristocratie anglaise. Mais les hommes éclairés de la démocratie ont les yeux ouverts sur ces menées. Ils ne laisseront pas ce déploiement de force brutale, venant à la suite des mesures de l'année dernière, aller dans toute l'Europe décréditer et amoindrir le libre-échange. Il y a quelques mois, M. Cobden paraissait rassasié par la reconnaissance publique. Et aujourd'hui le voilà affrontant une impopularité passagère, parce qu'il réclame, avec le libre-échange, toutes les conséquences du libre-échange, c'est-à-dire un changement complet dans la politique de son pays, et le bienfait du désarmement, suivi de l'allégement des taxes publiques. Il rentre dans l'agitation; car il s'aperçoit que son œuvre est incomplète, et qu'après avoir fait triompher le libre-échange dans les lois, il lui reste à faire pénétrer l'esprit du libre échange dans les cœurs. Et je dis que quiconque ne sympathise avec ses nobles efforts n'a pas intelligence de l'avenir. (Applaudissements prolongés.) (V. tome III, pages 459 à 492.)

Mais qu'ai-je besoin de chercher des exemples au dehors? Pour montrer que notre cause est celle des masses, ne suffit-il pas de jeter un coup-d'œil sur notre histoire contemporaine? Il y en a, parmi vous, qui ont pu voir les éléments démocratique et aristocratique parvenir à leur apogée, je dirai même à leur exagération, l'un en 93, l'autre en 1822. La Convention et la Chambre du double vote, voilà les points extrêmes des deux principes. Or, qu'ont fait ces assemblées? L'une a mis toutes les restrictions à la sortie des produits, l'autre à leur entrée.

Je ne nie pas qu'il n'y eût des prohibitions à l'entrée sous la République. Elles furent établies, comme mesures de guerre, par un décret d'urgence du Comité de salut public.

Mais quant au tarif, permettez-moi de vous dire dans quel esprit il était conçu.

En 93, les législateurs étaient nommés par la foule. On peut même dire qu'ils étaient sous la dépendance immédiate, constante, ombrageuse de la foule. Aussi, à quel résultat aspire le tarif? À créer la plus grande abondance possible des aliments, des vêtements et de tous les objets de consommation générale. Pour atteindre ce but, que fait-on? On décrète que toutes les choses vraiment utiles pourront librement entrer; et afin que la masse n'en soit pas ébréchée par l'exportation, on décrète qu'elles ne pourront pas sortir.

Certes, Messieurs, je ne justifie pas cette dernière mesure. C'est une atteinte à la propriété, à la liberté, au travail; et je suis convaincu qu'elle allait contre le but qu'on avait en vue.

Mais il n'en reste pas moins que toute la préoccupation du législateur, à cette époque, était de mettre la plus grande abondance possible à la portée du peuple; et pour cela il allait jusqu'à violer la propriété.

Voici quelques articles entièrement exempts de droits à l'entrée:

Bestiaux de toutes sortes, grains de toutes sortes, beurres frais, fondu et salé, bois de toutes sortes, chair salée de toutes sortes, chanvre, même apprêté, charbon de bois, coton en rame et en laine, cuivre, fer en gueuse et ferraille (le fer en barre payait 1 franc par quintal, l'acier 1 fr. 50 c.), laines, lard frais, légumes, lin teillé ou apprêté, mâts de vaisseaux, suif, etc., et les farines de toutes sortes sauf la farine d'avoine. Et voyez, Messieurs, quelle minutieuse sollicitude se révèle jusque dans cette singulière exception. Pourquoi exclure seulement la farine d'avoine? Cela ne peut s'expliquer que par la crainte que les spéculateurs ne mêlassent à la nourriture du peuple un ingrédient grossier indigne de l'homme.

Maintenant voici quelques articles dont la sortie est entièrement prohibée:

Argent et or, bestiaux, matières résineuses, chanvre, coton en laine, cuirs, cuivre, grains et farines de toutes sortes, laines, lins, engrais, matières premières du papier, suif, etc., etc.

Messieurs, le peuple de 93 n'était pas plus profond économiste que celui de 1822; mais on le consultait alors. On lui demandait: Veux-tu qu'on taxe le froment étranger afin d'élever le prix du froment naturel? Et, avec ce bon sens que je vous ai signalé chez les Suisses, il répondit: Non. (Rire général.)

Une preuve que ce n'est pas le progrès de l'économie politique qui dirigeait le législateur en veste, c'est un article bien remarquable que je dois encore vous lire.

On voulait tout laisser entrer; on ne voulait rien laisser sortir. C'était une contradiction. Évidemment pour recevoir, il faut payer. On se condamnait donc à tout payer en or. Mais à cette époque, comme aujourd'hui, on était convaincu que la sortie de l'or est une calamité publique. Comment donc échapper à la difficulté?

On décréta qu'il serait défendu, sous des peines sévères (en harmonie avec les mœurs de l'époque), d'exporter de l'or, «à moins qu'on ne prouve, dit le décret, qu'on en fait entrer la contre-valeur en objets nécessaires à la consommation du peuple;» et à la suite on désigne toujours les mêmes objets: Bestiaux, grains, farines, lin, suifs, etc.

En sorte que, pendant que nous justifions l'exclusion des choses utiles par la peur que l'or ne sorte, les importer était le motif même pour lequel la Convention permettait la sortie de l'or.

1822 arriva, et avec lui le triomphe de la grande propriété, le principe aristocratique, la Chambre du double vote.

Et que fait-elle, cette Chambre? Précisément le contraire de ce qu'avait fait la Convention. Elle s'oppose à l'entrée des produits pour en provoquer la cherté, et, par le même motif, elle en favorise la sortie.

Se peut-il concevoir deux législations plus opposées et qui, dans leur exagération, portent plus manifestement l'empreinte de leur origine? L'une pousse la passion démocratique jusqu'à violer la propriété du riche, dans l'intérêt mal entendu du pauvre; l'autre pousse la passion aristocratique jusqu'à violer la propriété du pauvre, dans l'intérêt mal entendu du riche! (Sensation.)

Pour nous, nous disons: La justice est dans la liberté du travail et de l'échange. (Applaudissements.)

En présence de ces faits, en présence du triomphe de l'élément aristocratique qui éclate dans notre tarif, est-il rien de plus surprenant et de plus triste, Messieurs, que de voir une partie considérable du parti démocratique, en France, porter toutes ses forces et toutes ses sympathies du côté de la restriction? (V. les nos 17, 18, 19, 22 et 23.)

Comment les chefs de ce bizarre mouvement expliquent-ils ce que je puis bien appeler cette désertion de la cause du peuple?

Ils disent qu'ils se défient de notre association, parce qu'il y a dans son sein des conservateurs! Mais n'y en a-t-il pas parmi les protectionnistes?

Mais, Messieurs, quand on fonde une association dans un but spécial, a-t-on à demander aux associés leur profession de foi sur des objets étrangers au but de l'Association? Pourquoi les hommes de la démocratie ne sont-ils pas venus à nous? Ils auraient été certainement bien accueillis, à la seule condition de ne pas vouloir détourner l'Association de son but.

N'est-il pas aisé de voir d'ailleurs comment le libre-échange peut attirer les sympathies des conservateurs sincères? Je dis sincères, car celui qui n'est pas sincère n'est d'aucun parti, il n'est rien. Mettons-nous à leur point de vue; ils doivent raisonner ainsi: Ce que nous redoutons avant tout, c'est le désordre et l'anarchie. Et quel meilleur moyen de prévenir le désordre que de diminuer les souffrances du pauvre, que de mettre à sa portée la plus grande quantité possible d'objets de consommation, que de l'élever ainsi non-seulement en bien-être, mais en dignité, que d'alléger le poids de ses charges? Et comment diminuer sérieusement les impôts sans diminuer l'armée? Et comment diminuer l'armée, tant que les jalousies commerciales tiennent l'éventualité d'une guerre toujours suspendue sur nos têtes?

Les chefs de l'opposition disent encore que nous avons raison en principe (on rit), ce qui ne signifie absolument rien, si cela ne veut dire que nous avons pour nous la vérité, le droit, la justice et l'utilité générale. Mais alors pourquoi ne sont-ils pas avec nous? C'est, disent-ils, qu'avant d'adopter le libre-échange, la France a une grande mission à remplir, celle de propager et faire triompher en Europe l'idée démocratique.

Eh! Messieurs, est-ce que le libre-échange est un obstacle à cette propagande? Est-ce que notre principe n'aura pas de plus belles chances quand les étrangers pourront venir librement en France puiser des produits et des idées, quand nous pourrons librement leur porter nos idées et nos produits?

Veut-on insinuer que la France doit accomplir sa mission par les armes? Alors, je l'avoue, on a raison de repousser le libre-échange; mais il reste à prouver que l'on peut faire pénétrer la vérité dans les cœurs à la pointe de la baïonnette.

Messieurs, la propagande n'a que deux instruments efficaces et légitimes, la persuasion et l'exemple. La persuasion, la France en a le noble privilége par la supériorité de sa littérature et l'universalité de sa langue. Et, quant à l'exemple, il dépend de nous de le donner. Soyons le peuple le plus éclairé, le mieux gouverné, le mieux ordonné, le plus exempt de charges, d'entraves et d'abus, le plus heureux de la terre. Voilà la meilleure propagande.

Et c'est parce que la libre communication des peuples nous paraît un des moyens les plus efficaces d'atteindre ces résultats, que nous en appelons à vous pour nous aider à tenir haut et ferme le drapeau du Libre-Échange.

49. – DISCOURS AU CERCLE DE LA LIBRAIRIE 76

16 Décembre 1847.

Messieurs,

Un de mes amis, qui assistait dernièrement à une séance de l'Académie des sciences morales et politiques, m'a rapporté que la conversation étant tombée sur la propriété, qui, vous le savez, est fréquemment attaquée de nos jours, sous une forme ou sous une autre, un membre de cette compagnie avait résumé sa pensée sous cette forme: l'homme naît propriétaire. Ce mot, Messieurs, je le répète ici comme l'expression la plus énergique et la plus juste de ma propre pensée.

Oui, l'homme naît propriétaire, c'est-à-dire que la propriété est le résultat de son organisation.

On naît propriétaire, car on naît avec des besoins auxquels il faut absolument pourvoir pour se développer, pour se perfectionner et même pour vivre; et on naît aussi avec un ensemble de facultés coordonnées à ces besoins.

On naît donc avec la propriété de sa personne et de ses facultés. C'est donc la propriété de la personne qui entraîne la propriété des choses, et c'est la propriété des facultés qui entraîne celle de leur produit.

Il résulte de là que la propriété est aussi naturelle que l'existence même de l'homme.

Cela est-il vrai qu'on en voit les rudiments chez les animaux eux-mêmes; car, en tant qu'il y a de l'analogie entre leurs besoins et leurs facultés et les nôtres, il doit en exister dans les conséquences nécessaires de ces facultés et de ces besoins.

Quand l'hirondelle a butiné des brins de paille et de mousse, qu'elle les a cimentés avec un peu de boue et qu'elle en a construit un nid, on ne voit pas ses compagnes lui ravir le fruit de son travail.

Chez les sauvages aussi, la propriété est reconnue. Quand un homme a pris quelques branches d'arbre, quand il a façonné ces branches en arcs ou en flèches, quand il a consacré à ce travail un temps dérobé à des occupations plus immédiatement utiles, quand il s'est imposé des privations pour arriver à se munir d'armes, toute la tribu reconnaît que ces armes sont sa propriété; et le bon sens dit que, puisqu'elles doivent servir à quelqu'un et produire une utilité, il est bien naturel que ce soit à celui qui s'est donné la peine de les fabriquer. Un homme plus fort peut certainement les ravir, mais ce n'est pas sans soulever l'indignation générale, et c'est précisément pour mieux prévenir ces extorsions que les gouvernements ont été établis.

Ceci montre, Messieurs, que le droit de propriété est antérieur à la loi. Ce n'est pas la loi qui a donné lieu à la propriété, mais, au contraire, la propriété qui a donné lieu à la loi. Cette observation est importante; car il est assez commun, surtout parmi les juristes, de faire reposer la propriété sur la loi, d'où la dangereuse conséquence que le législateur peut tout bouleverser en conscience. Cette fausse idée est l'origine de tous les plans d'organisation dont nous sommes inondés. Il faut dire, au contraire, que la loi est le résultat de la propriété, et la propriété, le résultat de l'organisation humaine.

Mais le cercle de la propriété s'étend et se consolide avec la civilisation. Plus la race humaine est faible, ignorante, passionnée, violente, plus la propriété est restreinte et incertaine.

Ainsi, chez les sauvages dont je parlais tout à l'heure, quoique le droit de propriété soit reconnu, l'appropriation du sol ne l'est pas; la tribu en jouit en commun. À peine même une certaine superficie de terre est-elle reconnue comme propriété à chaque tribu par les tribus voisines. Pour constater ce phénomène, il faut rencontrer un degré plus élevé de civilisation et observer les peuples partout.

Aussi qu'arrive-t-il? c'est que, dans l'état sauvage, la terre n'étant point personnellement possédée, tous recueillent les fruits spontanés qu'elle donne, mais nul ne songe à la travailler. Dans ces contrées, la population est rare, misérable, décimée par la souffrance, la maladie et la famine.

Chez les nomades, les tribus jouissent en commun d'un espace déterminé; on peut au moins élever des troupeaux. La terre est plus productive, la population plus nombreuse, plus forte, plus avancée.

Au milieu des peuples civilisés, la propriété a franchi le dernier pas; elle est devenue individuelle. Chacun, sûr de recueillir le fruit de son travail, fait rendre au sol tout ce qu'il peut rendre. La population s'accroît en nombre, et en richesse.

Dans ces diverses conditions sociales, la loi suit les phénomènes et ne les précède pas; elle régularise les rapports, ramène à la règle ceux qui s'en écartent, mais elle ne crée pas ces rapports.

Je ne puis m'empêcher, Messieurs, de retenir un moment votre attention sur les conséquences de ce droit de propriété personnelle attaché au sol.

Au moment où l'appropriation s'opère, la population est excessivement rare comparée à l'étendue des terres; chacun peut donc clore une parcelle aussi grande qu'il la peut cultiver sans nuire à ses frères, puisqu'il y a surabondamment de la terre pour tout le monde. Non-seulement il ne nuit pas à ses frères, mais il leur est utile, et voici comment: quelque grossière que soit une culture, elle donne toujours plus de produits, en un an, que le cultivateur et sa famille n'en peuvent consommer. Une partie de la population peut donc se livrer à d'autres travaux, comme la chasse, la pêche, la confection des vêtements, des habitations, des armes, des outils, etc., et échanger avec avantage ce travail contre du travail agricole. Observez, Messieurs, que tant que la terre non encore appropriée abondera, ces deux natures de travaux se développeront parallèlement d'une manière harmonique; il sera impossible à l'un d'opprimer l'autre. Si la classe agricole mettait ses services à trop haut prix, on déserterait les autres industries pour défricher de nouvelles terres. Si, au contraire, l'industrie exigeait une rémunération exorbitante, on verrait le capital et le travail préférer l'industrie à l'agriculture, en sorte que la population pourrait progresser longtemps et l'équilibre se maintenir, avec quelques dérangements partiels, sans doute, mais d'une manière bien plus régulière que si le législateur y mettait la main.

Mais, lorsque la totalité du territoire est occupée, il se produit un phénomène qu'il faut remarquer.

La population ne laisse pas de croître. Les nouveaux venus n'ont pas le choix de leurs occupations. Il faut pourtant plus d'aliments, puisqu'il y a plus de bouches, plus de matières premières, puisqu'il y a plus d'êtres humains à vêtir, loger, chauffer, éclairer, etc.

Il me paraît incontestable que le droit de ces nouveaux venus est de travailler pour des populations étrangères, d'envoyer au dehors leurs produits pour recevoir des aliments. Que si, par la constitution politique du pays, la classe agricole a le pouvoir législatif du pays, et si elle profite de ce pouvoir pour faire une loi qui défende à toute la population de travailler pour le dehors, l'équilibre est rompu; et il n'y a pas de limite à l'intensité du travail que les propriétaires fonciers pourront exiger en retour d'une quantité donnée de subsistances.

Messieurs, d'après ce que je viens de dire de la propriété en général, il me semble difficile de ne pas reconnaître que la propriété littéraire rentre dans le droit commun. (Adhésions.) Un livre n'est-il pas le produit du travail d'un homme, de ses facultés, de ses efforts, de ses soins, de ses veilles, de l'emploi de son temps, de ses avances? Ne faut-il pas que cet homme vive pendant qu'il travaille? Pourquoi donc ne recevrait-il pas des services volontaires de ceux à qui il rend des services? Pourquoi son livre ne serait-il pas sa propriété? Le fabricant de papier, l'imprimeur, le libraire, le relieur, qui ont matériellement concouru à la formation d'un livre, sont rémunérés de leur travail. L'auteur sera-t-il seul exclu des rémunérations dont son livre est l'occasion?

Ce sera beaucoup avancer la question que de la traiter historiquement. Permettez-moi donc de vous rendre compte fort succinctement de l'état de la législation sur cette matière.

J'ai défini devant vous la propriété. J'ai dit: «Toute production appartient à celui qui l'a formée, et parce qu'il l'a formée.» Messieurs, il fut un temps où l'on était bien loin de reconnaître un principe qui nous paraît aujourd'hui si simple. Vous comprenez que ce principe ne pouvait être admis ni dans le droit romain, ni par l'aristocratie féodale, ni par les rois absolus; car il eût renversé une société fondée sur la conquête, l'usurpation et l'esclavage. Comment voulez-vous que les Romains, qui vivaient sur le travail des nations conquises ou des esclaves, que les Normands, qui vivaient sur le travail des Saxons, pussent donner pour base à leur droit public cette maxime subversive de toute spoliation organisée: «Une production appartient à celui qui l'a formée.»

À l'époque où l'imprimerie fut inventée, un autre droit existait en Europe. Le roi était le maître, le propriétaire universel des choses et des hommes. Permettre de travailler était un droit domanial et royal. La règle était que tout émanait du prince. Nul n'avait le droit d'exercer une profession. Le droit ne pouvait résulter que d'une concession royale. Le roi désignait les personnes qu'il lui plaisait de placer dans l'exception pour un genre de travail déterminé, à qui il voulait bien, par monopole, par privilége, privata lex, conférer la faculté de vivre en travaillant.

La profession d'écrivain ne pouvait échapper à cette règle. Aussi l'édit du 26 août 1686, le premier qui se soit occupé de ces matières, dispose ainsi: «Il est défendu à tous imprimeurs et libraires d'imprimer et mettre en vente un ouvrage pour lequel aucun privilége n'aura été accordé, sous peine de confiscation et de punition exemplaire.»

Et remarquez, Messieurs, que toute la théorie de la propriété, telle qu'elle est encore enseignée dans nos écoles, est puisée dans le droit romain et féodal. Et, si je ne me trompe, la définition officielle de la propriété sur les bancs de l'école est encore le jus utendi et abutendi. Il n'est donc pas surprenant que beaucoup de juristes négligent de rechercher des rapports entre la propriété et la nature de l'homme, surtout en ce qui concerne la propriété littéraire.

Il arriva que, relativement au privilégié, le monopole avait tous les effets de la propriété. Déclarer que nul, sinon l'auteur, n'aurait la faculté d'imprimer le livre, c'était faire l'auteur propriétaire, sinon de droit, du moins de fait.

La révolution de 1789 devait renverser cet ordre de choses. C'est ce qui arriva. L'Assemblée constituante reconnut à chacun la faculté d'écrire et de faire imprimer; mais elle crut avoir tout fait en reconnaissant le droit, et ne songea pas à stipuler des garanties en faveur de la propriété littéraire. Elle proclama un droit de l'homme et non une propriété. Elle détruisait ainsi cette sorte de garantie, qui, sous l'ancien régime, résultait incidemment du monopole. Aussi, pendant quatre ans, chacun put à son gré multiplier et vendre à son profit les copies des livres des auteurs vivants; c'est comme si l'Assemblée constituante avait dit: «Cultiver la terre est un droit de l'homme,» et qu'en conséquence chacun eût été libre de s'emparer du champ de son voisin.

Par une coïncidence bien singulière, et qui prouve combien les mêmes causes produisent les mêmes effets, les choses s'étaient passées exactement de même en Angleterre. Là aussi le droit de travailler avait été d'émanation royale. Là aussi la faculté n'avait été d'abord qu'une concession, un privilége. Là aussi ces monopoles avaient été détruits et le droit au travail reconnu. Là aussi on avait cru tout faire en paralysant l'action royale; et en reconnaissant que chacun aurait le droit d'écrire et d'imprimer, on avait omis de stipuler que l'œuvre appartenait à l'ouvrier. Là aussi enfin, cet interrègne de la loi dura trois à quatre années, pendant lesquelles la propriété littéraire fut mise au pillage.

En Angleterre comme en France, l'aspect de ces désordres amena la législation qui, à très-peu de chose près, régit encore les deux pays.

La Convention rendit, sur le rapport de Lackanal, un décret dont les termes méritent d'être cités. (L'orateur les commente.)

Cette dernière observation répond à une objection qu'on a souvent élevée contre la propriété littéraire. On dit: Tant que l'auteur a entre les mains son manuscrit, personne ne lui conteste la propriété de son œuvre; mais une fois qu'il l'a livré à l'impression, doit-il être propriétaire de toutes les éditions futures? chacun n'a-t-il pas le droit de multiplier et de faire vendre ces éditions?

Messieurs, la loi ne doit être ni un jeu de mots ni une surprise; il n'y a pas d'autre manière de tirer parti d'un livre que d'en multiplier les copies et de les vendre. Accorder cette faculté à ceux qui n'ont pas fait le livre ou qui n'en ont pas obtenu la cession, c'est déclarer que l'œuvre n'appartient pas à l'ouvrier, c'est nier la propriété même. C'est comme si l'on disait: Le champ sera approprié, mais les fruits seront au premier qui s'en emparera. (Applaudissements.)

Après avoir lu les considérants du décret, il est difficile de s'expliquer le décret lui-même. Il se borne à attribuer aux auteurs, comme cadeau législatif, l'usufruit de leur œuvre. En effet, de même que déclarer un homme usufruitier à perpétuité, c'est le déclarer propriétaire, – dire qu'il sera propriétaire pendant un nombre d'années déterminé, c'est dire qu'il sera usufruitier. Ce n'est pas un mot qui constitue le droit: la loi aurait beau dire que je m'appelle empereur; si elle me laisse dans la situation où je suis, elle ne fait que proclamer un mensonge.

Notre législation actuelle ne me paraît fondée sur aucun principe. Ou la propriété littéraire est un droit supérieur à la loi, et alors la loi ne doit faire autre chose que le constater, le régler et le garantir; ou l'œuvre littéraire appartient au public, et, en ce cas, on ne voit pas pourquoi l'usufruit est attribué à l'auteur.

Il me semble que cette disposition de la loi se ressent des idées dont notre ancien droit public avait imbu les esprits. La Convention s'est substituée au Roi; elle a cru faire envers les auteurs un acte de munificence qu'elle était maîtresse de régler et de limiter; elle a supposé que le fond du droit était en elle et non dans l'auteur, et alors elle en a cédé ce qu'elle a jugé à propos d'en céder. Mais, en ce cas, pourquoi cette solennelle déclaration du droit?

…Un écrivain de talent a consacré des pages éloquentes à combattre, dans son principe même, la propriété littéraire. Il se fonde sur ce qu'il y a de triste et de dégradant, selon lui, à voir le génie chercher sa récompense dans un peu d'or. Je ne puis m'empêcher de craindre qu'il n'y ait dans cette manière de juger un reste de préventions aristocratiques, et que l'auteur n'ait cédé, à son insu, à ce sentiment de mépris pour le travail, qui était le caractère distinctif des anciens possesseurs d'esclaves; et qui nous est inculqué à tous avec l'éducation universitaire. Les écrivains sont-ils d'une autre nature que les autres hommes? N'ont-ils pas des besoins à satisfaire, une famille à élever? Y a-t-il quelque chose de méprisable en soi à recourir pour cela au travail intellectuel? Les mots mercantilisme, industrialisme, individualisme, s'accumulent sous la plume de M. Blanc. Est-ce donc une chose basse, ignoble, honteuse, d'échanger librement des services, parce que l'or sert d'intermédiaire à ces échanges? Sommes-nous tous nobles par nature? descendons-nous des dieux de l'Olympe?

Après avoir flétri ce sentiment, je pourrais dire cette nécessité qui soumet les hommes à recevoir des services en échange de ceux qu'ils rendent, et, pour trancher le mot, à travailler en vue d'une rémunération, M. Blanc imagine tout un système de rémunération. Seulement il veut qu'elle soit nationale et non individuelle. Je n'examinerai pas le système de M. Blanc, qui me paraît susceptible de beaucoup d'objections. Mais est-il certain que les écrivains conserveront plus de dignité quand la brigue et les sollicitations seront le chemin des récompenses? (Rires.)

Je suis d'accord avec M. Blanc que, dans l'état actuel des choses, les livres amusants, dangereux, quelquefois corrupteurs, et toujours faits à la hâte, sont plus lucratifs que les grands et sérieux ouvrages, qui ont exigé beaucoup de travaux et de veilles. Mais pourquoi? parce que le public demande ces livres; on lui sert ce qu'il veut. Il en est ainsi de toutes les productions. Partout où les masses sont disposées à faire des sacrifices pour obtenir une chose, cette chose se fait; il se trouve toujours des gens qui la font. Ce ne sont pas des mesures législatives qui corrigeront cela, c'est le perfectionnement des mœurs. En toutes choses, il n'y a de ressource que dans le progrès de l'opinion publique77.

On dira que c'est un cercle vicieux, puisque les mauvais livres ne font que corrompre de plus en plus les masses et l'opinion; je ne le crois pas. Je suis convaincu qu'il y a des natures d'ouvrages que le temps décrédite.

Au reste, il me semble que la propriété littéraire est un obstacle à ce danger. N'est-il pas évident que plus l'usufruit est restreint, plus il y a intérêt à écrire vite, à abonder dans le sens de la vogue?

Quant au désintéressement dont M. Blanc parle en termes chaleureux, et, je puis le dire, pleins d'élévation et d'éloquence, à Dieu ne plaise que je me sépare de lui sur ce terrain. Certes, les hommes qui veulent rendre sans aucune rémunération des services à la société, dans quelque branche que ce soit, militaire, ecclésiastique, littéraire ou autre, méritent toute notre sympathie, toute notre admiration, tous nos hommages, et plus encore si, comme les grands modèles qu'il nous cite, ils travaillent dans le dénûment et la douleur. Mais quoi! serait-il généreux à la société de s'emparer du dévouement d'une classe particulière pour s'en faire un titre contre elle, pour l'imposer comme une obligation légale, et pour refuser à cette classe le droit commun de recevoir des services contre des services? (Mouvement.)

Parmi les objections que l'on fait, non sur le principe de la propriété littéraire, mais à son application, il en est une qui me paraît très-sérieuse; c'est l'état de la législation chez les peuples qui nous avoisinent. Il me semble que c'est là un de ces progrès à l'occasion desquels se manifeste le plus la solidarité des nations. À quoi servirait que la propriété littéraire fût reconnue en France, si elle ne l'était pas en Belgique, en Hollande, en Angleterre; si les imprimeurs et libraires de ces pays pouvaient impunément violer cette propriété? Tel est l'état des choses actuel, dira-t-on, et il n'empêche pas que notre législation n'ait accordé aux auteurs l'usufruit de leurs œuvres. L'inconvénient ne serait pas pire quant à la propriété.

Mais tout le monde sait dans quelle position anormale la contrefaçon place notre librairie relativement aux ouvrages des auteurs vivants. Que serait-ce donc si la propriété littéraire eût été reconnue en France? si les œuvres de Corneille, de Racine et de tous les grands hommes des siècles passés étaient encore grevées d'un droit d'auteur dont les éditeurs belges s'affranchiraient? Aujourd'hui, il y a au moins un fonds immense d'ouvrages pour la reproduction desquels notre librairie est placée sous ce rapport dans les mêmes conditions que la librairie étrangère. Sans cela, il est douteux qu'elle pût exister.

Il y en a qui pensent qu'en m'exprimant ainsi je démens ces principes de liberté commerciale que je recommande en d'autres matières, puisque je parais redouter pour notre librairie la concurrence étrangère.

Je repousse de toutes mes forces l'accusation et l'assimilation.

Si les Belges, grâce à une position naturelle ou à une supériorité personnelle, peuvent imprimer à meilleur marché que nous, je regarderais comme une injustice et une folie de prohiber les livres belges; car ce serait soutenir une industrie qui perd en mettant une taxe sur les acheteurs de livres. J'attaquerais cette protection comme toutes les autres. Mais quel rapport cela a-t-il avec la question de contrefaçon? En bonne logique, il faut que les cas soient semblables pour être assimilés. Je suppose qu'il s'établisse une fabrique de drap sur le territoire belge, et que les Belges trouvent le moyen d'aller soustraire dans les fabriques françaises de la laine et des teintures; évidemment ce ne serait pas là de la concurrence, ce serait de la spoliation. N'aurions-nous pas le droit de réclamer que la législation belge fût réformée, et que la diplomatie française, pour être bonne à quelque chose une fois dans sa vie, provoquât ce grand acte de justice internationale?

76
  Ce discours diffère de ceux qui précèdent en ce qu'il traite plus particulièrement de la propriété littéraire; mais il se rattache comme les autres au droit de propriété, qui n'a, quel qu'en soit l'objet, qu'une seule et même base. Avec la lettre dont nous le faisons suivre, ce discours représente tout ce que nous avons pu recueillir de l'auteur sur ce côté spécial du sujet.
(Note de l'éditeur.)

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77
  V. la même conclusion aux pages 140 et 141 du tome IV.
(Note de l'éditeur.)

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30 июня 2017
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