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Читать книгу: «Le père Goriot», страница 18

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– Pauvre cher homme, dit Sylvie attendrie de cette exclamation où se peignit un sentiment suprême que le plus horrible, le plus involontaire des mensonges exaltait une dernière fois.

Le dernier soupir de ce père devait être un soupir de joie. Ce soupir fut l’expression de toute sa vie, il se trompait encore. Le père Goriot fut pieusement replacé sur son grabat. À compter de ce moment, sa physionomie garda la douloureuse empreinte du combat qui se livrait entre la mort et la vie dans une machine qui n’avait plus cette espèce de conscience cérébrale d’où résulte le sentiment du plaisir et de la douleur pour l’être humain. Ce n’était plus qu’une question de temps pour la destruction.

– Il va rester ainsi quelques heures, et mourra sans que l’on s’en aperçoive, il ne râlera même pas. Le cerveau doit être complétement envahi.

En ce moment on entendit dans l’escalier un pas de jeune femme haletante.

– Elle arrive trop tard, dit Rastignac.

Ce n’était pas Delphine, mais Thérèse, sa femme de chambre.

– Monsieur Eugène, dit-elle, il s’est élevé une scène violente entre monsieur et madame, à propos de l’argent que cette pauvre madame demandait pour son père. Elle s’est évanouie, le médecin est venu, il a fallu la saigner, elle criait: – Mon père se meurt, je veux voir papa! Enfin, des cris à fendre l’âme.

– Assez, Thérèse. Elle viendrait que maintenant ce serait superflu, monsieur Goriot n’a plus de connaissance.

– Pauvre cher monsieur, est-il mal comme ça! dit Thérèse.

– Vous n’avez plus besoin de moi, faut que j’aille à mon dîner, il est quatre heures et demie, dit Sylvie qui faillit se heurter sur le haut de l’escalier avec madame de Restaud.

Ce fut une apparition grave et terrible que celle de la comtesse. Elle regarda le lit de mort, mal éclairé par une seule chandelle, et versa des pleurs en apercevant le masque de son père où palpitaient encore les derniers tressaillements de la vie. Bianchon se retira par discrétion.

– Je ne me suis pas échappée assez tôt, dit la comtesse à Rastignac.

L’étudiant fit un signe de tête affirmatif plein de tristesse. Madame de Restaud prit la main de son père, la baisa.

– Pardonnez-moi, mon père! Vous disiez que ma voix vous rappellerait de la tombe; eh! bien, revenez un moment à la vie pour bénir votre fille repentante. Entendez-moi. Ceci est affreux! votre bénédiction est la seule que je puisse recevoir ici-bas désormais. Tout le monde me hait, vous seul m’aimez. Mes enfants eux-mêmes me haïront. Emmenez-moi avec vous, je vous aimerai, je vous soignerai. Il n’entend plus, je suis folle. Elle tomba sur ses genoux, et contempla ce débris avec une expression de délire. Rien ne manque à mon malheur, dit-elle en regardant Eugène. Monsieur de Trailles est parti, laissant ici des dettes énormes, et j’ai su qu’il me trompait. Mon mari ne me pardonnera jamais, et je l’ai laissé le maître de ma fortune. J’ai perdu toutes mes illusions. Hélas! pour qui ai-je trahi le seul cœur (elle montra son père) où j’étais adorée! Je l’ai méconnu, je l’ai repoussé, je lui ai fait mille maux, infâme que je suis!

– Il le savait, dit Rastignac.

En ce moment le père Goriot ouvrit les yeux, mais par l’effet d’une convulsion. Le geste qui révélait l’espoir de la comtesse ne fut pas moins horrible à voir que l’œil du mourant.

– M’entendrait-il? cria la comtesse. Non, se dit-elle en s’asseyant auprès du lit.

Madame de Restaud ayant manifesté le désir de garder son père, Eugène descendit pour prendre un peu de nourriture. Les pensionnaires étaient déjà réunis.

– Eh! bien, lui dit le peintre, il paraît que nous allons avoir un petit mortorama là-haut?

– Charles, lui dit Eugène, il me semble que vous devriez plaisanter sur quelque sujet moins lugubre.

– Nous ne pourrons donc plus rire ici? reprit le peintre. Qu’est-ce que cela fait, puisque Bianchon dit que le bonhomme n’a plus sa connaissance?

– Eh! bien, reprit l’employé au Muséum, il sera mort comme il a vécu.

– Mon père est mort, cria la comtesse.

À ce cri terrible, Sylvie, Rastignac et Bianchon montèrent, et trouvèrent madame de Restaud évanouie. Après l’avoir fait revenir à elle, ils la transportèrent dans le fiacre qui l’attendait. Eugène la confia aux soins de Thérèse, lui ordonnant de la conduire chez madame de Nucingen.

– Oh! il est bien mort, dit Bianchon en descendant.

– Allons, messieurs, à table, dit madame Vauquer, la soupe va se refroidir.

Les deux étudiants se mirent à côté l’un de l’autre.

– Que faut-il faire maintenant? dit Eugène à Bianchon.

– Mais je lui ai fermé les yeux, et je l’ai convenablement disposé. Quand le médecin de la mairie aura constaté le décès que nous irons déclarer, on le coudra dans un linceul, et on l’enterrera. Que veux-tu qu’il devienne?

– Il ne flairera plus son pain comme ça, dit un pensionnaire en imitant la grimace du bonhomme.

– Sacrebleu, messieurs, dit le répétiteur, laissez donc le père Goriot, et ne nous en faites plus manger. On l’a mis à toute sauce depuis une heure. Un des priviléges de la bonne ville de Paris, c’est qu’on peut y naître, y vivre, y mourir sans que personne fasse attention à vous. Profitons donc des avantages de la civilisation. Il y a trois cents morts aujourd’hui, voulez-vous nous [] apitoyer sur les hécatombes parisiennes? Que le père Goriot soit crevé, tant mieux pour lui! Si vous l’adorez, allez le garder, et laissez-nous manger tranquillement, nous autres.

– Oh! oui, dit la veuve, tant mieux pour lui qu’il soit mort! Il paraît que le pauvre homme avait bien du désagrément, sa vie durant.

Ce fut toute l’oraison funèbre d’un être qui, pour Eugène, représentait toute la paternité. Les quinze pensionnaires se mirent à causer comme à l’ordinaire. Lorsque Eugène et Bianchon eurent mangé, le bruit des fourchettes et des cuillers, les rires de la conversation, les diverses expressions de ces figures gloutonnes et indifférentes, leur insouciance, tout les glaça d’horreur. Ils sortirent pour aller chercher un prêtre qui veillât et priât pendant la nuit près du mort. Il leur fallut mesurer les derniers devoirs à rendre au bonhomme sur le peu d’argent dont ils pourraient disposer. Vers neuf heures du soir, le corps fut placé sur un fond sanglé, entre deux chandelles, dans cette chambre nue, et un prêtre vint s’asseoir auprès de lui. Avant de se coucher, Rastignac, ayant demandé des renseignements à l’ecclésiastique sur le prix du service à faire et sur celui des convois, écrivit un mot au baron de Nucingen et au comte de Restaud en les priant d’envoyer leurs gens d’affaires afin de pourvoir à tous les frais de l’enterrement. Il leur dépêcha Christophe, puis il se coucha et s’endormit accablé de fatigue. Le lendemain matin Bianchon et Rastignac furent obligés d’aller déclarer eux-mêmes le décès, qui vers midi fut constaté. Deux heures après aucun des deux gendres n’avait envoyé d’argent, personne ne s’était présenté en leur nom, et Rastignac avait été forcé déjà de payer les frais du prêtre. Sylvie ayant demandé dix francs pour ensevelir le bonhomme et le coudre dans un linceul, Eugène et Bianchon calculèrent que si les parents du mort ne voulaient se mêler de rien, ils auraient à peine de quoi pourvoir aux frais. L’étudiant en médecine se chargea donc de mettre lui-même le cadavre dans une bière de pauvre qu’il fit apporter de son hôpital, où il l’eut à meilleur marché.

– Fais une farce à ces drôles-là, dit-il à Eugène. Va acheter un terrain, pour cinq ans, au Père-Lachaise, et commande un service de troisième classe à l’église et aux Pompes-Funèbres. Si les gendres et les filles se refusent à te rembourser, tu feras graver sur la tombe: «Ci-gît monsieur Goriot, père de la comtesse de Restaud et de la baronne de Nucingen, enterré aux frais de deux étudiants.»

Eugène ne suivit le conseil de son ami qu’après avoir été infructueusement chez monsieur et madame de Nucingen et chez monsieur et madame de Restaud. Il n’alla pas plus loin que la porte. Chacun des concierges avait des ordres sévères.

– Monsieur et madame, dirent-ils, ne reçoivent personne; leur père est mort, et ils sont plongés dans la plus vive douleur.

Eugène avait assez l’expérience du monde parisien pour savoir qu’il ne devait pas insister. Son cœur se serra étrangement quand il se vit dans l’impossibilité de parvenir jusqu’à Delphine.

«Vendez une parure, lui écrivit-il chez le concierge, et que votre père soit décemment conduit à sa dernière demeure.»

Il cacheta ce mot, et pria le concierge du baron de le remettre à Thérèse pour sa maîtresse, mais le concierge le remit au baron de Nucingen qui le jeta dans le feu. Après avoir fait toutes ses dispositions, Eugène revint vers trois heures à la pension bourgeoise, et ne put retenir une larme quand il aperçut à cette porte bâtarde la bière à peine couverte d’un drap noir, posée sur deux chaises dans cette rue déserte. Un mauvais goupillon, auquel personne n’avait encore touché, trempait dans un plat de cuivre argenté plein d’eau bénite. La porte n’était pas même tendue de noir. C’était la mort des pauvres, qui n’a ni faste, ni suivants, ni amis, ni parents. Bianchon, obligé d’être à son hôpital, avait écrit un mot à Rastignac pour lui rendre compte de ce qu’il avait fait avec l’église. L’interne lui mandait qu’une messe était hors de prix, qu’il fallait se contenter du service moins coûteux des vêpres, et qu’il avait envoyé Christophe avec un mot aux Pompes-Funèbres. Au moment où Eugène achevait de lire le griffonnage de Bianchon, il vit entre les mains de madame Vauquer le médaillon à cercle d’or où étaient les cheveux des deux filles.

– Comment avez-vous osé prendre ça? lui dit-il.

– Pardi! fallait-il l’enterrer avec? répondit Sylvie, c’est en or.

– Certes! reprit Eugène avec indignation, qu’il emporte au moins avec lui la seule chose qui puisse représenter ses deux filles.

Quand le corbillard vint, Eugène fit remonter la bière, la décloua, et plaça religieusement sur la poitrine du bonhomme une image qui se rapportait à un temps où Delphine et Anastasie étaient jeunes, vierges et pures, et ne raisonnaient pas, comme il l’avait dit dans ses cris d’agonisant. Rastignac et Christophe accompagnèrent seuls, avec deux croque-morts, le char qui menait le pauvre homme à Saint-Étienne-du-Mont, église peu distante de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. Arrivé là, le corps fut présenté à une petite chapelle basse et sombre, autour de laquelle l’étudiant chercha vainement les deux filles du père Goriot ou leurs maris. Il fut seul avec Christophe, qui se croyait obligé de rendre les derniers devoirs à un homme qui lui avait fait gagner quelques bons pourboires. En attendant les deux prêtres, l’enfant de chœur et le bedeau, Rastignac serra la main de Christophe, sans pouvoir prononcer une parole.

– Oui, monsieur Eugène, dit Christophe, c’était un brave et honnête homme, qui n’a jamais dit une parole plus haut que l’autre, qui ne nuisait à personne et n’a jamais fait de mal.

Les deux prêtres, l’enfant de chœur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu’on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n’est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n’y avait qu’une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de chœur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.

– Il n’y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.

Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu’au Père-La-Chaise. À six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l’un d’eux, s’adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène se fouilla, il n’avait plus rien, et fut forcé d’emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d’horrible tristesse. Le jour tombait, il n’y avait plus qu’un crépuscule qui agaçait les nerfs; il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d’un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras et contempla les nuages. Christophe le quitta. Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses: – À nous deux maintenant!

Il revint à pied rue d’Artois, et alla dîner chez madame de Nucingen.

Saché, septembre 1834.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
340 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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