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Читать книгу: «Le Montonéro», страница 8

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VIII
LE SOLITAIRE

Il nous faut maintenant retourner auprès du peintre français, que nous avons laissé enfoui pour ainsi dire au fond d'un souterrain, et prenant assez philosophiquement son parti de cette réclusion volontaire, mais que les circonstances rendaient indispensable, en attaquant vigoureusement les vivres placés devant lui.

Obligé de demeurer seul pendant un lapse de temps considérable, et ne sachant comment employer ce temps, le jeune homme prolongea son repos le plus tard possible; puis, lorsque enfin, malgré tous ses efforts il reconnut l'impossibilité matérielle dans laquelle il se trouvait d'absorber une bouchée de plus, il alluma un cigare et commença à fumer avec la béatifique résignation d'un mahométan ou d'un buveur de haschich. Après ce cigare il en fuma un autre, puis un autre, suivi immédiatement d'un quatrième, si bien que minuit arriva pour ainsi dire sans qu'il s'en aperçût, et qu'il s'étendit dans son hamac sans s'être trop ennuyé.

Cependant, Émile avait une organisation trop nerveuse pour se contenter longtemps d'un semblable genre de vie, et ce fut avec un soupir de regret qu'il ferma les yeux et s'endormit, car il ne pouvait prévoir la fin de sa prison, et la perspective de demeurer, ainsi plusieurs jours seul en face de lui-même l'effrayait avec raison.

Combien de temps demeura-t-il ainsi plongé dans le sommeil? Il n'aurait su le dire. Tout à coup il se réveilla en sursaut, se dressa dans son hamac, le front pâle et les traits contractés, en jetant autour de lui des regards effarés.

Au milieu de son sommeil, pendant qu'il se laissait bercer par ces doux songes que le tabac procure à ceux qui en abusent quand ils ne sont pas accoutumés à le fumer avec excès, soudain il lui avait semblé entendre des cris et des trépignements de chevaux mêlés à de sourdes clameurs; pendant quelque temps, ce bruit se confondit avec les événements de son rêve et semblait faire corps avec lui.

Mais bientôt, ces cris et ces trépignements acquirent une telle intensité, ils parurent tellement se rapprocher du jeune homme qu'ils le tirèrent subitement de son sommeil.

Dans le premier moment, il ne se rendit pas compte de ce qu'il entendait, croyant que ce n'était qu'un bruit existant seulement dans son imagination, dernier écho, enfin, de son rêve interrompu.

Mais lorsque, peu à peu, il fut parvenu à remettre de l'ordre dans ses idées, et qu'il eut la conscience d'être complètement éveillé, il acquit aussitôt la certitude que non seulement ce bruit était bien réel, et qu'il n'était pas la dupe d'une illusion de ses sens abusés, mais qu'il augmentait d'instant en instant, et était arrivé à une violence extrême.

On aurait dit qu'un combat acharné se livrait dans la caverne même.

Cependant, tout était calme et tranquille autour du jeune homme; la lampe, dont il avait, en se couchant, baissé la mèche pour que sa clarté trop vive ne l'empêchât pas de dormir, répandait une lueur douce et incertaine, mais cependant assez forte pour lui permettre de s'assurer d'un coup d'œil que tout était dans l'état où il l'avait laissé, en se couchant, et qu'il était toujours seul.

Il se leva en proie à une agitation extraordinaire.

La première pensée qui lui vint fut que sa retraite était découverte et qu'on voulait l'arrêter; mais bientôt il reconnut l'absurdité de cette supposition et se rassura; les gens chargés de l'arrêter seraient tout simplement entrés dans le souterrain sans avoir de combat à soutenir, et l'auraient fait prisonnier avant même qu'il eût eu le temps d'ouvrir les yeux.

Mais quelle pouvait être la cause de cet effroyable vacarme qui continuait toujours aussi fort et aussi rapproché.

Cela intriguait extrêmement le jeune homme, et éveillait au plus haut point sa curiosité.

Il consulta sa montre, elle marquait cinq heures et demie du matin.

Donc au dehors il faisait jour. Ce ne pouvait être un conciliabule de bêtes fauves, le soleil les obligeant à se retirer dans leurs antres; d'ailleurs ces bêtes n'oseraient se hasarder aussi près de la ville.

Qu'était-ce alors?

Un combat peut-être? Mais un combat ainsi au milieu de la nuit, presque aux portes de San Miguel, la capitale de la province de Tucumán, où à propos du congrès qui se préparait se réunissaient en ce moment des forces considérables? Cette supposition n'était pas admissible.

Un instant le jeune homme eut la pensée de frapper à la trappe, de la faire rouvrir et de demander des renseignements aux rancheros.

Mais il réfléchit que ces bonnes gens étaient censés ignorer sa présence chez eux; que cette démarche inconsidérée pourrait leur déplaire en leur faisant craindre d'être plus tard inquiétés à cause de lui.

Et puis, si ce bruit était véritablement celui d'un combat, il était plus que probable que dès le commencement de la lutte, les pauvres Indiens, à demi morts de frayeur, avaient abandonné leur rancho et avaient fui à travers la campagne, afin de se cacher dans quelque retraite connue d'eux seuls pour échapper à la fureur de l'un ou l'autre des deux partis, et que ce serait vainement, et en pure perte qu'il les appellerait et leur ordonnerait d'ouvrir la trappe.

Ces différentes considérations furent assez fortes pour le retenir et l'empêcher de commettre une imprudence en révélant sa retraite, si par hasard le rancho était temporairement occupé par ses ennemis.

Mais comme, ainsi que nous l'avons dit, sa curiosité était excitée au plus haut degré, et que, dans la situation précaire dans laquelle il se trouvait, il était important pour lui, du moins il se donnait cette raison pour justifier à ses propres yeux la démarche qu'il voulait tenter, il était important de connaître ce qui se passait autour de lui, afin de régler sur les événements la conduite qu'il lui faudrait tenir; il résolut d'agir sans tarder davantage et d'approfondir les causes de ce bruit extraordinaire qui l'avait si subitement troublé dans son repos et sa quiétude.

Il se leva donc, prit un sabre, passa à sa ceinture une paire de pistolets, saisit d'une main une carabine, et ainsi armé et prêt à tout événement, il alluma une lanterne et se dirigea vers le couloir de droite, côté par lequel le bruit lui semblait venir.

Ce couloir, ou plutôt cette galerie du souterrain était assez large pour que deux personnes pussent y marcher de front, les parois en étaient hautes et sèches, et le sol couvert d'un sable fin et jaune qui étouffait complètement le bruit des pas. Cette galerie, formait plusieurs détours.

Au bout d'un instant, le jeune homme arriva dans une salle intermédiaire, qui servait en ce moment d'écurie à ses trois chevaux.

Les animaux semblaient effrayés, ils couchaient les oreilles et avec force en essayant de briser les liens qui les retenaient à la mangeoire garnie d'une copieuse provende de luzerne.

Le peintre les flatta de la main, les caressa et essaya de les rassurer, puis il continua ses investigations.

Plus il s'avançait dans la galerie, plus le bruit devenait intense. Ce n'était plus seulement des cris et des trépignements qu'il entendait, mais encore des détonations d'armes et des cliquetis de sabres.

Le doute n'était plus permis: un combat furieux se livrait à quelques pas à peine de l'entrée du souterrain.

Cette certitude, loin d'arrêter le jeune homme, augmenta au contraire son désir de savoir positivement ce qui se passait; ce fut presque en courant qu'il atteignit le bout de la galerie.

Là, force lui fut de s'arrêter; une pierre énorme bouchait hermétiquement l'entrée du souterrain.

Cependant le jeune homme ne se découragea pas devant cet obstacle en apparence insurmontable.

Cette pierre devait évidemment pouvoir s'ôter facilement; mais quel moyen fallait-il employer pour obtenir ce résultat? Voilà ce qu'il ignorait.

Alors, en s'éclairant avec sa lanterne, il se mit à examiner la pierre en haut, en bas, sur les côtés, cherchant comment il parviendrait à l'enlever.

Depuis près d'une demi-heure, il se livrait à une inspection aussi consciencieuse qu'inutile et il commençait à désespérer de découvrir le secret qui existait évidemment, lorsque tout à coup il lui sembla s'apercevoir que la pierre venait de faire un léger mouvement.

Il regarda plus attentivement; en effet, il reconnut que la pierre se mouvait doucement et sortait peu à peu de son alvéole.

Émile était un garçon résolu, doué d'une bonne dose de sang-froid et d'énergie; son parti fut pris en un instant, et tout en remerciant mentalement l'individu, quel qu'il fût qui lui épargnait un travail long et fatigant qu'il ne savait comment mener à bonne fin, il se rejeta vivement en arrière, se blottit dans un angle de la galerie, posa sa lanterne à terre, auprès de lui, en ayant soin de la couvrir de son chapeau pour que la lueur ne fût pas aperçue, et, saisissant un pistolet de chaque main pour être prêt à tout événement, il attendit, les yeux fixés sur la pierre, que, grâces aux fissures nombreuses des parois de la galerie, il distinguait assez facilement, en proie à une émotion étrange qui faisait battre son cœur à briser sa poitrine et bourdonner le sang dans ses oreilles.

Son attente ne fut pas longue. A peine s'était-il caché que la pierre se détacha, roula sur le sol, et un homme, tenant en main une carabine dont le canon fumait encore, entra vivement dans le souterrain.

Cet homme se pencha au dehors, sembla écouter pendant quelques secondes, puis il se redressa en murmurant assez haut pour que le jeune homme l'entendît:

– Ils viennent, mais trop tard; maintenant le tigre a échappé.

Et s'aidant avec une dextérité extrême du canon de sa carabine en guise de levier, il eut en un instant replacé la pierre dans son état primitif.

– Cherchez, cherchez, perros malditos, reprit l'inconnu avec un ricanement ironique, je ne vous crains plus maintenant!

Et avec le plus grand sang-froid, sans se presser, il se mit en devoir de recharger son arme; mais le peintre ne lui en donna pas le temps: bondissant hors de sa cachette en enlevant le chapeau qui couvrait la lumière de la lanterne, il s'arrêta en face de l'inconnu et, le tenant en respect avec ses pistolets:

– Qui êtes-vous? Que voulez-vous? lui demanda-t-il.

L'inconnu fit un mouvement de surprise et d'effroi, recula d'un pas et, laissant tomber son arme:

– Eh! Qu'est ceci? s'écria-t-il, suis-je donc trahi?

– Trahi? répéta le Français en posant prudemment le pied sur la carabine, l'expression me parait au moins singulière dans votre bouche señor, surtout après la façon dont vous vous êtes introduit ici.

Mais il n'avait fallu qu'une minute à l'inconnu pour reprendre son sang-froid et redevenir, complètement maître de lui-même.

– Replacez vos pistolets à votre ceinture, señor, dit-il, ils vous sont inutiles, vous n'avez rien à redouter de moi.

– Je me plais à le croire, répondit le peintre, mais quelle certitude m'en donnez-vous?

– Ma foi de gentilhomme, répondit-il avec dignité.

Bien qu'il n'y eut que quelques mois que le peintre fût en Amérique, cependant il avait été plusieurs fois assez à même d'étudier le caractère des habitants de ce pays, pour savoir quel fonds il devait faire sur cette parole si fièrement donnée. Aussi, après avoir baissé affirmativement la tête.

– Je l'accepte, dit-il en désarmant ses pistolets et les passant à sa ceinture.

L'inconnu ramassa son arme.

Au dehors le bruit continuait toujours, mais il avait changé de signification; ce n'était plus celui d'un combat qu'on entendait, mais des heurtements de fer et des cris d'appel; on cherchait le fugitif.

– Venez, suivez-moi, reprit le jeune homme, vous ne devez pas demeurer plus longtemps ici.

L'inconnu sourit d'un air railleur.

– Ils ne me trouveront pas, dit-il, laissez-les chercher.

– Comme il vous plaira. Alors, causons.

– Causons, soit.

– Qui êtes-vous?

– Vous le voyez, un proscrit.

– C'est juste; mais il y a de nombreuses variétés de proscrits.

– Je suis de la pire espèce, fit l'autre en souriant.

– Hein! s'écria le jeune homme, que voulez-vous dire?

– Ce que je dis, pas autre chose. A la suite d'un combat acharné, livré par moi à mes ennemis, que j'avais fait tomber dans une embuscade, j'ai été vaincu ainsi que cela arrive souvent, juste au moment où je me croyais vainqueur, et, après avoir vu tous mes compagnons tomber autour de moi, j'ai été contraint de fuir.

– C'est le sort de la guerre, dit philosophiquement le jeune homme, mais vous connaissiez donc cette retraite?

– Apparemment, puisque vous voyez que je m'y suis réfugié.

– C'est vrai, vous ne craignez pas qu'on vous y découvre.

– C'est impossible, tout le monde ignore son existence.

– Moi, cependant, je la connais.

– Oui; mais vous, vous êtes proscrit comme moi.

– Qu'en savez-vous?

– Je le suppose; sans cela vous n'y seriez pas.

– C'est possible, mais puisque je la connais, d'autres aussi peuvent la connaître; d'autant plus que je ne l'ai pas découverte seul.

– Oui, mais celui qui vous l'a enseignée et qui vous y a conduit, a voulu sans doute vous placer dans un endroit où vous ne courriez pas le risque de tomber entre les mains de ceux qui vous cherchent; il doit être maître de son secret.

– Allons, je renonce à discuter plus longtemps avec vous, car vous avez à tout des réponses d'une logique foudroyante; à mon tour, je vous donne ma parole d'honneur de Français que vous n'avez rien à redouter de moi et que je vous servirai en tout ce qui me sera possible.

– Merci, répondit laconiquement l'inconnu en lui tendant la main, je n'attendais pas moins de vous.

– Le bruit semble s'éloigner, vos persécuteurs renoncent sans doute à vous chercher plus longtemps; suivez-moi, je suis, je le crois, en mesure de vous offrir une hospitalité plus large que vous ne pensez.

– En ce moment, je n'ai besoin que de deux choses.

– Lesquelles?

– De la nourriture et deux heures de sommeil.

– Et ensuite?

– Ensuite, malheureusement cela ne dépend plus de vous.

– Qu'est-ce donc?

– Un bon cheval pour m'éloigner au plus vite et rejoindre les compagnons que j'ai laissés à une vingtaine de lieues d'ici.

– Très bien; vous mangerez d'abord, puis vous dormirez; lorsque vous vous croirez assez reposé, vous choisirez celui de mes chevaux qui vous conviendra le mieux, et vous partirez.

– Ferez-vous cela, en effet? s'écria l'inconnu avec un tressaillement de joie.

– Pourquoi ne le ferais-je pas, puisque je vous le promets?

– Vous avez raison. Pardonnez-moi, je ne savais ce que je disais.

– Venez donc, alors.

– Allons, soit.

Ils quittèrent le bout de la galerie, où jusque-là ils étaient restés et revinrent vers la salle.

– Voilà les chevaux, dit le jeune homme en traversant l'écurie.

– Bon! fit simplement l'autre.

Lorsqu'ils furent dans le souterrain, l'inconnu promena autour de lui un regard émerveillé:

– Que signifie cela? dit-il; vous habitez donc réellement ici?

– Provisoirement, oui. N'avez-vous pas deviné que, comme vous, j'étais proscrit?

– Comment! Vous, un Français?

– La nationalité ne fait rien à l'affaire, dit en riant le jeune homme. Asseyez-vous et mangez.

Et, après lui avoir approché un siège, il plaça des vivres sur la table.

– Et vous, ne mangerez-vous pas aussi? demanda l'inconnu.

– Pardon, je compte vous tenir compagnie.

Tous deux prirent place et commencèrent leur repas.

– Tenez, dit au bout d'un instant l'inconnu, je veux vous donner une marque véritable de la confiance entière que j'ai en vous.

– Vous me faites honneur.

– Voulez-vous gagner quinze mille piastres?

– Peuh! fit le jeune homme en avançant les lèvres.

– Vous n'aimez pas l'argent? fit avec étonnement l'inconnu.

– Ma foi, non! Il ne vaut pas la peine qu'on prend à le gagner.

– Mais il vous est facile, sans la moindre peine, de gagner cet argent.

– Ceci est une autre affaire: voyons votre combinaison.

– Elle est fort simple.

– Tant mieux.

– Avez-vous entendu parler des quatre frères Pincheyras?

– Souvent.

– En bien ou en mal?

– En bien et en mal, mais surtout en mal.

– Bon! Il y a tant de mauvaises langues.

– C'est vrai; continuez.

– Vous savez que leur tête est à prix?

– Ah! Tiens, tiens, tiens!

– Vous l'ignoriez?

– Pourquoi le saurais-je? Cela ne me regarde pas, je suppose?

– Plus que vous ne pensez, je suis un Pincheyra, fit-il en le regardant fixement.

– Ah bah! s'écria le jeune homme en faisant légèrement pivoter son siège afin d'examiner son hôte plus à son aise, voilà une singulière rencontre.

– N'est-ce pas? Je suis celui qu'on nomme don Santiago Pincheyra, le second des quatre frères.

– Très bien, enchanté d'avoir fait votre connaissance.

– Ma tête vaut quinze mille piastres.

– C'est une jolie somme; je doute que la mienne, à laquelle je tiens cependant extraordinairement, ait une aussi grande valeur.

– Vous ne comprenez pas ce que je veux vous dire?

– Ma foi, non! Pas le moins du monde.

– Livrez-moi; on vous comptera la somme, et de plus; on vous fera grâce.

Le Français fronça les sourcils; un éclair jaillit de ses yeux, tandis qu'une pâleur livide couvrait son visage.

– Vive Dieu! s'écria-t-il, en frappant du poing sur la table et en se levant; savez-vous que vous m'insultez, caballero?

Don Santiago était demeuré immobile et souriant; il tendit la main au jeune homme, et l'invitant du geste à reprendre la place qu'il avait si subitement quittée:

– Au contraire, dit-il, je vous donne une preuve de la confiance que j'ai en votre loyauté, puisque, sans vous avoir demandé qui vous êtes, je vous ai dit qui je suis, et que, me sachant complètement en votre pouvoir, je vais m'étendre dans votre hamac, où je dormirai sous votre garde aussi tranquille que si je me trouvais au milieu de mes amis.

– Soit, monsieur, répondit le jeune homme avec un reste de ressentiment; j'admets votre explication; seulement vous auriez dû, s'il vous plaisait de vous faire connaître à moi, le faire d'une autre façon qu'en attaquant ainsi mon honneur.

– Je confesse que j'ai eu tort, et je vous en demande encore une fois pardon, señor; c'est plus qu'un homme comme moi est habitué à faire. Ainsi, donnez-moi votre main loyale et oublions cela.

Le jeune homme accepta la main que lui tendait le Pincheyra, et reprit sa place à table à côté de lui.

Ils continuèrent à manger sans nouvel incident désagréable.

Le Pincheyra était tellement accablé de fatigue, que, vers la fin du repas, il s'endormait en causant.

Le peintre comprit la violence que se faisait le montonero, et mit un terme à sa souffrance en lui frappant sur l'épaule.

L'autre se redressa vivement.

– Que voulez-vous? demanda-t-il.

– Vous dire simplement que maintenant que vous avez satisfait votre appétit, vous avez un autre besoin plus impérieux encore à satisfaire; il est temps que vous vous livriez au sommeil, afin d'être promptement en état de rejoindre vos amis.

– C'est vrai, fit en riant don Santiago, je dors tout debout, je ne sais réellement comment m'excuser envers vous de ce manque d'usage.

– Pardieu, en vous couchant, c'est je crois la seule chose que vous ayez à faire en ce moment.

– Vous avez ma foi raison, je n'y mets pas de coquetterie, et puisque vous êtes si bon compagnon je vais, sans plus tarder, profiter de votre conseil.

En parlant ainsi, il se leva avec une certaine difficulté, tant l'accablait la fatigue, et aidé par le jeune homme, il s'étendit dans le hamac, où il ne tarda pas à s'endormir.

Libre de nouveau de se livrer à ses pensées, le jeune homme alluma un cigare, s'installa commodément dans une butaca et, tout en digérant son déjeuner, il se prit à réfléchir sur ce nouvel épisode de sa vie errante qui venait si à l'improviste se greffer sur les autres et peut-être compliquer encore les difficultés sans nombre de la position dans laquelle il se trouvait.

– Pour cette fois, dit-il, je puis hardiment convenir que je ne suis pour rien dans ce qui m'arrive et que cet homme est bien, réellement venu me trouver, lorsque je ne le cherchais nullement, puisqu'il connaissait avant moi ce souterrain. Comment tout cela finira-t-il? Pourvu que Tyro n'arrive pas maintenant? Diable, tout dévoué que me soit ce brave garçon, je doute que l'appât de quinze mille piastres, – une fort belle somme pour celui qui sait la gagner honnêtement, – ne le pousse pas à livrer mon hôte et moi, par ricochet, ce qui serait excessivement désagréable.

Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi, pendant lesquelles le chef montonero dormait, suivant l'expression espagnole, a pierna suelta. Le Français veillait religieusement sur son sommeil, tout en faisant des réflexions qui, d'instants en instants, prenaient une teinte plus sombre.

Enfin, vers une heure de l'après-midi, Émile jugea que le montonero avait assez, dormi; il s'approcha de lui et lui toucha légèrement l'épaule pour l'éveiller.

Celui-ci ouvrit instantanément les yeux et bondit comme un coyote hors du hamac.

– Que se passe-t-il? demanda-t-il à voix basse.

– Rien, que je sache, répondit le premier.

– Alors, pourquoi me réveiller? Lorsque je dormais si bien, fit-il en bâillant.

– Parce que vous avez assez dormi.

– Ah! fit l'autre.

– Oui, et il est temps de partir.

– Temps de partir! Déjà, diable! Vous êtes avare de votre hospitalité, mon maître; c'est bien, n'en parlons plus. Je ferai ce que vous voudrez, ajouta-t-il d'un ton piqué, je ne veux pas vous embarrasser plus longtemps de ma présence.

– Vous ne m'embarrassez pas, señor, répondit le jeune homme, si cela ne dépendait que de moi, vous resteriez ici autant que cela vous plairait. Vous ne sauriez me compromettre plus que je ne le suis, que diable!

– Peut-être; mais de qui cela dépend-il donc alors?

– Du serviteur indien qui m'a caché ici et qui probablement ne tardera pas à m'y venir visiter. Voyez s'il vous convient d'être vu par lui.

– Cáspita! Pas le moins du monde; me fier à un Indien, je serais perdu sans rémission. Et vous dites qu'il va venir bientôt?

– Je ne sais pas précisément quand il viendra, mais je l'attends d'un moment à l'autre.

– Peste! Avec votre permission, je ne l'attendrai pas, moi; si vous me le permettez, je partirai tout de suite.

– Venez choisir votre cheval.

Le montonero saisit sa carabine, qu'il chargea tout en marchant, et ils s'enfoncèrent dans la galerie.

Le choix ne fut pas long à faire, les trois chevaux étaient également jeunes, pleins de sang, de feu et de vitesse; le montonero, fin connaisseur, le reconnut au premier coup d'œil, et prit au hasard.

– Ce qu'il y a de malheureux pour moi, dans tout cela, dit-il, tout en sellant activement le cheval, c'est que je suis contraint de partir par où je suis venu, et que je risque de tomber dans une embuscade; il y avait anciennement une seconde galerie à ce souterrain, mais elle a été bouchée depuis longtemps déjà, je crois.

– Non, du tout; cette galerie est toujours libre, il vous est facile de la prendre pour partir.

– S'il en est ainsi, je suis sauvé! s'écria avec joie le montonero.

– Silence! fit à voix basse le jeune homme en lui mettant vivement la main sur la bouche, j'entends marcher.

Le Pincheyra prêta l'oreille, un bruit de pas assez rapproché arriva jusqu'à lui.

– Oh! fit-il avec un geste de désespoir.

– Demeurez ici, laissez-moi faire, je réponds de tout, dit rapidement le jeune homme à son oreille.

Et il s'élança vivement dans le souterrain; il était temps qu'il arrivât, Tyro allait s'engager à sa recherche dans la galerie.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
330 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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