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Читать книгу: «Le Montonéro», страница 9

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IX
LE GUARANIS

Ainsi que nous l'avons dit à la fin du précédent chapitre, au moment où le peintre déboucha de la galerie dans le souterrain, il se trouva face à face avec Tyro qui, entré par la galerie opposée et ne le trouvant pas dans la salle, se disposait à aller à sa rencontre, jusqu'à l'écurie, où il supposait qu'il devait être en ce moment.

Les deux hommes demeurèrent un instant immobiles et muets l'un devant l'autre, s'examinant avec soin et assez empêchés pour entamer la conversation.

Cependant la situation, déjà fort embarrassante, menaçait, si elle se prolongeait plus longtemps, de devenir critique. Le Français comprit qu'il fallait à tout prix en sortir, et il résolut de brusquer les choses, persuadé que c'était encore le meilleur moyen de se tirer d'embarras.

– Enfin vous voilà, Tyro! s'écria-t-il en feignant une grande joie, je commençais à me sentir inquiet de cette réclusion à laquelle je ne saurais m'accoutumer.

– Il m'a été impossible de venir plus tôt vous voir, maître, répondit l'Indien en laissant filtrer un regard sournoisement interrogateur entre ses paupières à demi-closes; vous avez, je le suppose, trouvé tout en ordre ici?

– Parfaitement; je dois convenir que j'ai passé une excellente nuit.

– Ah! fit le Guaranis, vous n'avez rien entendu? Nul bruit insolite n'est venu troubler votre sommeil?

– Ma foi, non; j'ai dormi tout d'une traite la nuit entière; je suis éveillé depuis une demi-heure à peine.

– Tant mieux, maître, je suis charmé de ce que vous m'annoncez. Si vous ne me le disiez pas aussi péremptoirement, je vous avoue franchement que j'aurais peine à le croire.

– Pourquoi donc? demanda-t-il avec un feint étonnement.

– Parce que, maître, la nuit a été rien moins que tranquille.

– Ah! Bah! s'écria-t-il de l'air le plus naïf qu'il put prendre; que s'est-il donc passé? Vous comprenez que, enterré au fond de ce trou, j'ignore tout, moi.

– Un combat acharné s'est livré, tout près d'ici, entre les Espagnols et les patriotes.

– Diable! C'est sérieux, alors. Et ce combat est terminé?

– Sans cela, serais-je ici, maître?

– C'est juste, mon ami. Et qui a eu le dessus?

– Les patriotes.

– Ah! Ah!

– Oui, et j'en suis même, pour certaines raisons, peiné pour vous.

– Pour moi, dis-tu, Tyro? Que diable ai-je à voir dans tout cela?

– N'êtes-vous pas proscrit par les patriotes?

– En effet, tu m'y fais songer; mais que me fait cela?

– Dame! En ce moment, les Espagnols sont ou du moins passent pour être vos amis.

– C'est juste; mais, vainqueurs ou vaincus, je n'aurais pu réclamer leur aide.

L'Indien demeura un instant silencieux; puis, il fit un pas en arrière et, s'inclinant devant le jeune homme:

– Maître, lui dit-il d'une voix triste, comment ai-je démérité de votre confiance? Qu'ai-je fait pour que vous veuilliez à présent conserver des secrets pour moi?

– Émile se sentit rougir; cependant, il répondit:

– Je ne comprends pas ce reproche que tu m'adresses, mon brave ami; explique-toi plus clairement.

Le Guaranis hocha la tête d'un air sombre.

– A quoi bon, reprit-il, puisque vous vous méfiez de moi?

– Je me méfie de toi! s'écria le jeune homme, qui intérieurement se sentait coupable, mais qui ne se croyait pas autorisé à livrer un secret qui ne lui appartenait pas.

– Certes, maître. Voyez ces deux verres et ces deux tranchoirs; voyez, de plus, ces restes de cigares.

– Eh bien?

– Eh bien, croyez-vous donc que si je ne le savais déjà, ces indices ne suffiraient pas pour me dénoncer ici la présence d'une autre personne que vous?

– Comment? Que sais-tu?

– Je sais, maître, qu'un homme, dont au besoin il me serait facile de vous dire le nom, est entré ce matin dans le souterrain, que vous lui avez accordé l'hospitalité et qu'en ce moment où je vous parle, il est encore ici, caché là, tenez, ajouta-t-il en étendant le bras, dans cette galerie.

– Mais alors, s'écria le jeune homme avec violence, puisque tu es si bien informé, tu m'as donc trahi?

– Ainsi, il est ici réellement, fit l'Indien avec un mouvement de joie.

– Ne viens-tu pas de me le dire toi-même?

– C'est vrai, maître, mais je craignais qu'il ne fût parti déjà.

– Ah çà! Mais qu'est-ce que tout cela signifie? Je n'y suis plus du tout, moi!

– C'est cependant bien simple, maître; appelez cet homme; tout s'expliquera en quelques mots.

– Ma foi, s'écria le jeune homme d'un ton de mauvaise humeur, appelle-le toi-même, puisque tu le connais si bien.

– Vous m'en voulez, maître, vous avez tort, car dans tout ce qui arrive, je n'agis que pour vous et dans votre intérêt.

– C'est possible, pourtant je suis blessé de la position qui m'est constamment faite par le hasard et du rôle absurde qu'il me condamne à jouer.

– Oh! Maître; ne vous plaignez pas, car cette fois, je vous le certifie, le hasard, ainsi que vous le nommez, a été d'une intelligence rare; bientôt vous en aurez la preuve.

– Je ne demande pas mieux.

– Vous permettez, maître?

– N'es-tu pas chez toi; fais ce que tu voudras, pardieu! Je m'en lave les mains.

Après avoir répondu par cette boutade, le jeune homme s'étendit dans une butaca, alluma un cigare de l'air le plus insouciant qu'il put affecter, bien qu'en réalité il se sentît intérieurement froissé de la situation dans laquelle il croyait se trouver.

L'Indien le regarda un instant avec une expression indéfinissable, puis, lui prenant la main et la baisant respectueusement:

– Oh! Maître, dit-il d'une voix douce et légèrement émue, ne soyez pas injuste envers un serviteur fidèle.

Puis il se dirigea à grands pas vers la galerie.

– Venez, don Santiago, cria-t-il d'une voix forte en s'arrêtant à l'entrée, vous pouvez vous montrer, il n'y a ici que des amis.

Le bruit d'une marche précipitée se fit entendre; le montonero parut presque aussitôt.

Après avoir jeté un regard autour de lui, il s'avança vivement vers le Guaranis, et, lui serrant fortement la main:

– ¡Vive Dios! s'écria-t-il, mon brave ami, je suis heureux de vous voir ici.

– Moi de même, señor, répondit respectueusement l'Indien; mais avant tout permettez-moi de vous adresser une prière.

– Laquelle, mon ami?

– En retour du service que je vous ai rendu, rendez m'en un autre.

– Si cela dépend de moi, je ne demande pas mieux.

– Veuillez être assez bon pour expliquer à ce señor, qui est mon maître, ce qui s'est passé il y a deux jours entre vous et moi.

– Eh! fit avec surprise l'Espagnol, ce caballero est votre maître, mon ami; la rencontre est singulière.

– Peut-être l'avais-je préparée ou du moins essayé de la ménager, répondit l'Indien.

– C'est possible, après tout, fit l'Espagnol.

– Vous savez que je ne comprends pas un mot à ce que vous dites, interrompit le Français avec une impatience contenue.

– Parlez, don Santiago, je vous en prie.

– Voici ce qui s'est passé, reprit le montonero; pour certaines raisons trop longues à vous dire, et qui, d'ailleurs, ne vous intéresseraient que fort médiocrement, j'en suis convaincu, je suis l'ami de ce brave Indien auquel je ne puis et je ne veux rien refuser; il y a deux jours donc, il m'est venu trouver à un de mes rendez-vous habituels qu'il connaît de longue date, et m'a fait promettre de me rendre ici avec quelques-uns des hommes de ma cuadrilla, afin de protéger la fuite de plusieurs personnes auxquelles il porte le plus vif intérêt, et que les patriotes, pour je ne sais quels motifs, ont proscrites.

– Hein! s'écria le jeune homme en se levant vivement et en jetant son cigare; continuez, continuez, señor, cela devient pour moi fort intéressant.

– Tant mieux; seulement vous avez eu tort de jeter votre cigare pour cela. Donc je suis venu. Malheureusement, malgré toutes les précautions prises par moi, j'ai été découvert, et vous savez le reste.

– Oui, mais vous ne le savez pas, vous, señor, et je vais vous le dire, répondit l'Indien.

– Je ne demande pas mieux.

– Un instant, s'écria le peintre en tendant la main au Guaranis, je vous dois une réparation, Tyro, pour mes injustes soupçons; je vous la fais du fond du cœur, vous savez combien je dois être aigri par tout ce qui m'arrive depuis quelques jours, je suis convaincu que vous m'excuserez.

– Oh! C'est trop, maître; vos bontés me confondent, répondit avec émotion le Guaranis, je tenais à vous prouver seulement que toujours je vous suis demeuré fidèle.

– Il ne me reste pas le moindre doute à cet égard, mon ami.

– Merci, maître.

– Oui, oui, murmura l'Espagnol, croyez-moi, señor, ces peaux-rouges sont meilleurs qu'on ne le suppose généralement, et lorsqu'ils se donnent une fois, on peut à tout jamais compter sur eux; maintenant, mon brave ami, ajouta-t-il en s'adressant à Tyro, racontez-moi cette fin que j'ignore, selon vous.

– Cette fin, la voici, señor: vous avez été trahi.

– ¡Vive Dios! Je m'en étais douté; vous connaissez le traître?

– Je le connais.

– Bon! fit-il en se frottant joyeusement les mains, vous allez me dire son nom, sans doute.

– C'est inutile, señor, je me charge de la châtier moi-même.

– Comme il vous plaira, j'aurais cependant bien désiré me donner ce plaisir.

– Croyez-moi, señor, vous ou moi, il n'y perdra rien, reprit l'Indien, avec un accent de haine impossible à rendre.

– Je ne veux pas chicaner plus longtemps avec vous là-dessus; revenons à notre affaire, je suis assez empêché, moi, en ce moment.

L'Indien sourit.

– Ne me connaissez-vous donc pas, don Santiago? dit-il; le mal a été réparé autant que cela était possible.

– Bon, c'est-à-dire?

– C'est-à-dire que j'ai moi-même porté la nouvelle de votre défaite à vos amis, qu'à la tombée de la nuit vingt-cinq cavaliers arriveront ici, où nous les cacherons, tandis que cinquante autres attendront votre retour au Vado del Nendus, embusqués dans les rochers.

– Parfaitement arrangé tout cela, parfaitement, mon maître, fit l'Espagnol d'un ton joyeux. Mais pourquoi n'irai-je pas, moi, tout bonnement au-devant de mes amis? Cela simplifierait extraordinairement les choses, il me semble; je ne tiens pas à être une seconde fois frotté comme je l'ai été cette nuit; je n'y mets pas d'amour-propre, moi, vous savez, d'autant plus que j'espère bien prendre un jour ou l'autre ma revanche.

– Tout cela est juste, don Santiago, répondit l'Indien, mais vous oubliez que je vous ai prié de me rendre un service.

– C'est pardieu vrai! Je ne sais où j'ai la tête en ce moment; excusez-moi, je vous prie, et soyez convaincu que je demeure tout à votre disposition.

– Je vous remercie. Maintenant, maître, ajouta-t-il en se retournant vers le jeune homme, il faut qu'aujourd'hui même les dames que vous savez aient quitté San Miguel; demain il serait trop tard. Vous allez à l'instant reprendre votre déguisement et vous rendre au couvent. Il n'y a d'ici à la ville que deux lieues à peine; vous arriverez juste au coucher du soleil, seulement il faut vous hâter.

– Diable, murmura le jeune homme, mais comment ferai-je pour conduire ces dames ici?

– Que cela ne vous inquiète pas, maître, à la porte même du couvent un guide vous attendra, qui vous amènera en sûreté ici.

– Et ce guide?

– Ce sera moi, maître.

– Oh! Alors tout est pour le mieux, dit le jeune homme.

– Vous n'avez pas un instant à perdre.

– Puis-je reprendre mon somme? demanda l'Espagnol.

– Parfaitement, rien ne vous en empêche, d'autant plus que je serai de retour à temps pour introduire vos compagnons dans le souterrain.

– Fort bien. Bonne chance, alors.

Et il s'étendit commodément dans le hamac, tandis que Tyro aidait son maître à compléter sa métamorphose, ce qui, du reste, ne fut pas long.

Les deux hommes quittèrent alors le souterrain par la galerie qui avait livré passage à Tyro, laissant l'Espagnol plongé déjà dans un profond sommeil.

La galerie par laquelle sortirent le maître et le serviteur débouchait sur le bord même de la rivière et se trouvait si complètement masquée, qu'à moins de la connaître avec certitude, il était impossible de la soupçonner.

Une pirogue, échouée sur le sable à quelques pas de là, semblait les attendre.

Tyro se dirigea effectivement vers elle; il la mit à flot, y fit entrer son maître, y entra à son tour, puis, prenant les pagayes, il la lança dans le courant.

– Nous arriverons plus vite ainsi, dit-il: par ce moyen, je vous déposerai à quelques pas seulement de l'endroit où vous vous rendez.

Le peintre fit un signe d'assentiment et ils continuèrent leur route.

L'idée de l'Indien était excellente, en ce sens que, non seulement ce moyen de locomotion, fort rapide, raccourcissait extrêmement le trajet qu'il fallait faire, mais il avait en outre l'avantage de supprimer l'espionnage, toujours à redouter, en entrant dans la ville et en traversant des rues remplies de monde.

Bientôt l'avant de la pirogue cria sur le sable de la rive; ils étaient arrivés. Le Français descendit à terre.

– Bonne chance! murmura Tyro en reprenant le large.

Malgré lui, en se trouvant de nouveau au milieu d'une ville où il se savait poursuivi comme un criminel et traqué presque comme une bête fauve, le jeune homme éprouva une légère émotion et sentit battre son cœur plus fort que de coutume.

Il comprit qu'il jouait sa tête sur un coup de dé, dans une entreprise que bien d'autres à sa place eussent considérée comme insensée, surtout dans la situation critique dans laquelle il se trouvait lui-même placé.

Mais Émile avait un cœur dévoué et intrépide, il avait promis aux deux dames de tout tenter pour leur venir en aide, et, malgré la juste appréhension qu'il éprouvait sur le résultat probable de son expédition, il n'eut pas un instant la pensée de manquer à sa parole.

D'ailleurs, qu'avait-il à redouter de plus que la mort? Rien. En butte déjà à la haine des patriotes, au cas d'une surprise, il lui restait la chance de vendre chèrement sa vie. Sous son déguisement il était bien armé, et puis le sort en était jeté maintenant: le rubicond était passé, il n'y avait plus à reculer; il jeta un regard investigateur autour de lui, s'assura que les environs étaient déserts, et après avoir une dernière fois touché les pistolets, placés sous son poncho, à sa ceinture, il entra résolument dans la rue.

Comme le bord de la rivière, la rue était déserte.

Le jeune homme, tout en affectant le pas un peu traînant d'un vieillard et regardant avec soin autour de lui, prit le côté de la rue opposé à celui où se trouvait le couvent. Puis, arrivé devant les fenêtres, il répéta à deux reprises le signal dont il était précédemment convenu avec la marquise.

– Pourvu, murmura-t-il à voix basse, qu'elles aient placé quelqu'un en vedette et que mon signal ait été aperçu.

Puis, après un instant employé sans doute à s'affermir encore dans sa résolution, il traversa la rue et s'approcha de la porte.

Au moment où il se préparait à frapper, cette porte s'ouvrit.

Il entra, la porte se referma immédiatement derrière lui.

– Ouf! fit-il, me voici dans la souricière; que va-t-il se passer maintenant?

Une religieuse, autre que celle qui, la première fois, lui avait ouvert, se tenait devant lui. Sans prononcer une parole, elle lui fit signe de la suivre et se mit aussitôt en marche.

Ils traversèrent ainsi silencieusement et d'un pas rapide, les longs corridors, les cloîtres, et atteignirent enfin la cellule de la supérieure. La porte était ouverte.

La conductrice du jeune homme s'effaça pour lui livrer passage et, lorsqu'il fut entré, referma la porte derrière lui, tout en demeurant elle-même au dehors.

Une seule personne se trouvait dans la cellule, cette personne était la supérieure.

Le jeune homme la salua respectueusement.

– Eh bien, lui demanda-t-elle en s'approchant vivement de lui, que se passe-t-il? Parlez sans crainte, nul ne nous peut entendre.

– Il se passe, madame, répondit-il, que si ces dames sont toujours dans l'intention de fuir, tout est prêt.

– Dieu soit loué! s'écria la supérieure avec joie, et quand fuiront-elles?

– A l'instant, si elles sont disposées; demain, d'après ce qu'on m'a assuré, il serait trop tard pour elles.

– Il n'est que trop vrai, hélas! fit-elle avec un soupir; ainsi vous répondez de leur sûreté?

– Je réponds, madame, de me faire tuer pour les défendre: un galant homme ne peut s'engager à davantage.

– Vous avez raison, caballero, c'est, en effet, plus que nous ne sommes en droit d'exiger de vous.

– Maintenant, soyez, je vous prie, madame, assez bonne pour faire, le plus tôt possible, prévenir ces dames; je n'ose vous répéter que les instants sont précieux.

– Elles sont prévenues déjà: elles terminent leurs préparatifs; dans un instant elles seront ici.

– Tant mieux, car j'ai hâte de me trouver en rase campagne; j'avoue que j'étouffe entre ces murs épais. Vous savez, madame, que vous m'avez offert de vous faciliter les moyens de quitter cette maison; je ne saurais, moi, me charger de cette tâche dans laquelle j'échouerais.

– Soyez tranquille, ce que j'ai dit je le ferai.

– Mille fois merci, madame; permettez-moi une dernière observation.

– Parlez, caballero.

– Lorsque je suis entré ici pour la première fois, j'ai cru remarquer, peut-être me suis-je trompé, que la personne qui m'a servi de guide ne possédait pas toute votre confiance.

– En effet, señor, vous ne vous êtes pas trompé; mais, ajouta-t-elle avec un sourire d'une expression cruelle, aujourd'hui vous n'aurez pas à redouter les indiscrétions de cette religieuse, son poste est occupé par une personne sûre; quant à elle je lui ai donné une autre place.

Le jeune homme s'inclina.

Au même instant, une porte intérieure s'ouvrit et deux personnes entrèrent.

L'obscurité qui commençait à envahir la cellule empêcha le Français de reconnaître au premier moment ces deux personnes enveloppées d'épais manteaux et la tête recouverte de chapeaux dont les larges ailes, rabattues sur le visage, ne laissaient pas distinguer les traits.

– Nous sommes perdus, murmura-t-il, en faisant un pas en arrière et en portant instinctivement la main à ses pistolets.

– Arrêtez! s'écria vivement un des deux inconnus; en laissant tomber le pan de son manteau, ne voyez-vous donc pas qui nous sommes?

– Oh! s'écria le Français en reconnaissant la marquise.

– J'ai pensé, reprit-elle, que pour la hasardeuse aventure dans laquelle nous nous jetons mieux valait ce costume que le nôtre.

– Et vous avez eu cent fois raison, madame. Oh! Maintenant, à moins de complications imprévues, je crois presque pouvoir répondre au succès de votre fuite.

La jeune fille se cachait honteuse et frémissante derrière sa mère.

– Nous partirons quand il vous plaira, madame, reprit le jeune homme, seulement je crois que le plus tôt sera le mieux.

– Tout de suite! Tout de suite! s'écria la marquise.

– Soit, fit la supérieure, suivez-moi.

Ils quittèrent la cellule.

La marquise et sa fille portaient chacune une légère valise sous le bras.

De plus la marquise, sans doute pour ajouter à la réalité de son costume masculin, avait une paire de pistolets à la ceinture, un sabre au côté et un long coutelas dans la polena droite.

Les cloîtres étaient déserts, un silence de mort régnait dans le couvent.

– Avancez sans crainte, dit la supérieure, personne ne vous surveille.

– Où sont les chevaux? demanda la marquise.

– A quelques pas d'ici, répondit Émile; il aurait été imprudent de les amener jusqu'au couvent.

– C'est juste, répondit la marquise.

Ils continuèrent à avancer.

Le peintre était fort inquiet. La dernière question de la marquise à propos des chevaux lui rappelait un peu tardivement qu'il n'avait nullement songé à se munir de montures; entraîné par la rapidité avec laquelle les événements s'étaient précipités depuis l'arrivée de Tyro dans le souterrain, il s'était complètement laissé diriger par le Guaranis, sans penser un instant à ce détail, cependant si important, pour la réussite de son projet de fuite.

– Diable, murmura-t-il à demi-voix, pourvu que Tyro ait eu plus de mémoire que moi; je ne pouvais cependant pas avouer cet impardonnable oubli; d'ailleurs, le principal est de sortir d'ici.

Les quatre personnes traversèrent rapidement les corridors, elles ne tardèrent pas à atteindre la porte du couvent. La supérieure, après avoir jeté un regard investigateur à travers le guichet afin de s'assurer que la rue était déserte, prit une clef à un trousseau pendu à sa ceinture et ouvrit la porte.

– Adieu, et que le Seigneur vous protège, dit-elle, j'ai loyalement tenu ma promesse.

– Adieu et merci, répondit la marquise. Quant à la jeune fille elle se jeta dans les bras de la religieuse et l'embrassa en pleurant.

– Partez, partez! s'écria vivement la supérieure; et, les poussant doucement, elle referma la porte derrière eux.

Les deux dames jetèrent un dernier et triste regard sur le couvent et, s'enveloppant avec soin dans leurs manteaux, elles se préparèrent à suivre leur protecteur.

– Quel chemin prenons-nous? demanda la marquise.

– Celui-ci, répondit Émile, en tournant à droite, c'est-à-dire en se dirigeant du côté de la rivière.

Était-ce hasard ou intuition qui le poussait dans cette direction? Un peu de l'un, un peu de l'autre.

Une barque assez grande, montée par quatre hommes, attendait échouée sur la rive.

– Eh! fit un des hommes, dans lequel Émile reconnut aussitôt Tyro, voilà le patron, ce n'est pas malheureux.

Celui-ci, sans répondre, fit entrer ses compagnes dans la barque et y entra aussitôt après elles.

Sur un signe de l'Indien, les pagayes furent bordées et la barque s'éloigna rapidement.

Les dames poussèrent un soupir de soulagement.

Tyro avait pensé que mieux valait, pour partir, reprendre le même chemin, surtout à cause des dames, qui, malgré toutes leurs précautions, couraient le risque d'être reconnues facilement; seulement, comme lui non plus n'avait pas songé à faire part de son intention à son maître, il craignait que celui-ci ne s'engageât à travers les rues; aussi, dès qu'il avait eu frété la barque, s'était-il posté de façon à apercevoir son maître à la sortie du couvent, et s'il l'avait vu tourner du côté opposé à celui que le hasard lui avait fait choisir, il se serait mis à sa poursuite, afin de lui faire rebrousser chemin.

Nous avons vu comment, cette fois, le hasard, sans doute fatigué de toujours persécuter le jeune homme, avait consenti à le protéger en le lançant dans la bonne voie.

Grâce à l'obscurité, car le soleil était couché et déjà les ténèbres étaient épaisses, et surtout à la largeur de la rivière dont la barque tenait le milieu, les fugitifs ne couraient que très peu de risques d'être reconnus.

Ils accomplirent leur trajet en fort peu de temps, et pendant tout leur voyage ne rencontrèrent aucune autre embarcation que la leur, excepté une pirogue indienne montée par un seul homme qui les croisa à la sortie de la ville.

Mais cette pirogue passa trop loin de la barque et sa course était trop rapide pour qu'on supposât que l'homme qui se trouvait dedans eût essayé de jeter les yeux sur eux.

Ils arrivèrent enfin à l'entrée du souterrain.

Nous avons dit que la barque était montée par quatre hommes.

De ces quatre hommes, deux étaient des Gauchos engagés par Tyro, et comme le Guaranis les avait bien payés. Il avait le droit de compter sur leur fidélité; ajoutons que pour plus de sûreté l'Indien ne leur avait rien confié du but de l'expédition; le troisième était un domestique du peintre, un Indien que celui-ci avait laissé à San Miguel, sans autrement s'en occuper, lorsqu'il avait pris la fuite; le quatrième était Tyro lui-même.

Lorsque la barque toucha le bord, le Guaranis aida respectueusement les deux dames à descendre à terre, puis leur montrant l'entrée du souterrain:

– Veuillez, señoras, leur dit-il, entrer dans cette caverne où nous vous rejoindrons dans un instant.

Les dames obéirent.

– Et nous? demanda le peintre.

– Nous avons encore quelque chose à faire, maître, répondit l'Indien.

L'accent singulier dont ces paroles furent prononcées étonna Émile, mais il ne fit pas d'observation, convaincu que le Guaranis devait avoir de sérieux motifs pour lui répondre d'une façon aussi péremptoire.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
330 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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