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VII.
A TRAVERS CHAMPS

– C'est le marquis Tiberino de Montefiori, dit Léonce; un fidèle ami que j'étais bien sûr de rencontrer, cherchant des fleurs pour son magnifique herbier des Alpes, et un aimable compagnon de route que la Providence nous envoie, si vous daignez l'agréer, et lui faire l'honneur d'être admis dans votre cortège.

La belle figure et la bonne grâce du marquis Tiberino chassèrent l'humeur qui obscurcissait le front de lady G…

– Je suis bien forcée de vous obéir en tout, dit-elle tout bas à Léonce, puisque vous êtes mon docteur et mon maître aujourd'hui; et il faut que j'accepte vos prescriptions sans y regarder de trop près.

– Vous n'aurez pas beaucoup de mérite cette fois, dit Léonce, et bientôt j'en appellerai à vous-même. Marquis, offre ton bras à milady; je vais tâcher de repêcher notre curé et ses truites.

Le curé avait fait merveille, et, acharné à ses nombreuses conquêtes, il oubliait l'heure et ses paroissiens, et son office, et sa gouvernante. Il ne fallait plus lui parler de tout cela. En voyant frétiller sur l'herbe le ventre d'argent semé de rubis de ses belles truites, il bondissait lui-même comme une grenouille, et l'on voyait briller dans ses gros yeux ronds la joie innocente de l'homme d'église, qui porte une passion fougueuse dans les amusements permis. Léonce l'aida à faire une caque de joncs et d'osier pour emporter ses poissons, et ainsi emprisonnés, on les replaça vivants dans l'eau, après avoir assujetti le filet verdoyant avec de grosses pierres.

– Je vous invite à souper ce soir à mon presbytère, s'écriait le curé; elles seront délicieuses, surtout s'il vous reste encore de ce bon vin de tantôt pour les arroser.

– J'ai encore bien mieux, dit Léonce; j'ai aperçu, dans un taillis de chênes, de superbes oronges, des chanterelles succulentes, des ceps énormes, et je venais vous chercher pour m'aider à les cueillir.

– Ah! Monsieur! reprit le curé, rouge d'enthousiasme, courons-y avant que les pâtres descendent chercher leurs vaches. Les ignorants écraseraient sous leurs pieds ces mirifiques champignons dont il faut nous emparer absolument. Vous avez bien fait de m'attendre; je connais toutes les espèces alimentaires, et le bollet surtout exige une grande délicatesse d'observations, à cause de la quantité de cousins-germains qu'il possède dans la classe des vénéneux.

– Que Panurge s'en tire comme il pourra! se dit Léonce en voyant Teverino assis avec Sabina sur un groupe de rochers à quelque distance. S'il dit quelque sottise, je ne veux pas en avoir la honte, et j'aime mieux subir les résultats de l'épreuve que de les affronter.

Il emmena le curé et Madeleine, qui parut pourtant ne les suivre qu'à regret, sous prétexte que tous les champignons étaient empoisonnés et ne pouvaient servir qu'à tuer les mouches.

– C'est le préjugé de beaucoup de paysans, dit le curé, même dans les régions où la connaissance des espèces comestibles pourrait leur fournir une nourriture saine et succulente.

Léonce passa assez près de Sabina pour qu'elle pût le rappeler si le tête-à-tête lui déplaisait. Elle ne le fit point, et ne parut même pas le voir. Quant au curé, il faisait bon marché de toutes choses, lorsqu'il avait en tête quelque amusement champêtre, ou l'attrait de quelque friandise.

Perdu dans le taillis de chênes, Léonce se trouva bientôt séparé du curé, que l'ardeur de la découverte emportait parmi les broussailles, et dont la présence ne se trahissait plus que de loin en loin, par des exclamations d'enthousiasme, lorsqu'un nouveau groupe de champignons s'offrait à sa vue. Madeleine avait docilement suivi le jeune homme et lui présentait son grand chapeau de paille en guise de panier; mais Léonce n'y mettait que des fleurs de gentiane et des feuilles de baume. L'oiselière, était préoccupée, et, un instant, il crut voir des larmes furtives briller dans ses paupières blondes.

– Qu'as-tu, ma chère enfant? lui dit-il en prenant son bras qu'il passa sous le sien; quelque souci intérieur te persécute?

– Ne faites pas attention, mon bon seigneur, répondit la jeune fille; c'est une folie qui me passe par l'esprit.

– Quoi donc? dit Léonce en pressant son petit bras contre sa poitrine.

– C'est que, voyez-vous, reprit-elle ingénument, mon bon ami est parti ce matin avant le jour pour la frontière.

– Il te quitte?

– Oh! Dieu veuille que non! je ne crois pas cela. Il s'est chargé d'aller reconnaître un passage qu'il a aperçu et que mon frère prétend impraticable. Lui assure, au contraire, que ce serait mieux pour faire passer la contrebande, et comme il ne veut pas nous être à charge, comme le métier le tente, et qu'il prétend aider mon frère à faire quelque beau coup, il a promis de revenir ce soir et de rapporter une bonne nouvelle; mais moi j'ai peur qu'il ne revienne point, et je ne fais que prier Dieu tout bas. C'est ce qui me donne envie de pleurer.

– Ce passage est dangereux, sans doute, et tu crains qu'il ne s'expose trop?

– Ce n'est pas cela. Ce passage est dangereux, puisque mon frère le regarde comme impossible; mais mon ami est si adroit et si prudent qu'il s'en tirera.

– Que crains-tu donc?

– Que sais-je? Ne me le demandez pas, je ne peux pas vous le dire.

– Je te le dirai, moi. Tu crains qu'il ne t'aime plus. Qu'as-tu fait de ta confiance de ce matin?

– J'ai tort, n'est-ce pas?

– Je ne sais. Mais ne pourrais-tu te consoler, pauvrette?

– Je ne sais pas, Monsieur, répondit Madeleine d'un ton et avec un regard vers le ciel, qui n'exprimaient pas le doute de l'inconstance provocante, mais l'effroi de l'inexpérience en face de la douleur.

– Tu ne le sais pas, en effet, reprit Léonce, attentif à sa physionomie, et tu sens que si c'était possible, ce serait du moins bien difficile.

– Cela ne me parait pas possible du tout. Mais Dieu seul connaît les miracles qu'il peut faire, et on dit que, quand on le prie de tout son coeur, il ne vous refuse rien.

– Ton premier mouvement serait donc de le prier pour qu'il te délivrât de ton amour? Et c'est là sans doute ce que tu fais maintenant?

– Non, Monsieur, je ne le ferais que si j'étais sûre de n'être plus aimée; car si je demandais maintenant de devenir méchante pour quelqu'un qui m'est bon, je demanderais quelque chose que Dieu ne pourrait m'accorder quand même il le voudrait.

– Tu penses que c'est un devoir d'aimer qui nous aime?

– Oui. Quand Dieu nous a permis de l'aimer, il ne veut pas qu'on cesse par caprice, et je crois même que cela le lâche beaucoup.

– Mais par raison, ce serait différent?

– Alors, ce serait le devoir. Aimer quelqu'un qui ne vous aime plus, c'est l'offenser et le contrarier. Dieu ne veut pas qu'on tourmente son prochain, surtout pour le bien qu'il vous a fait.

– Tu es un grand philosophe, Madeleine!

– Philosophe, Monsieur? Je ne connais pas cela.

– Mais quelquefois on aime malgré soi, bien qu'on s'abstienne de le dire, et de faire souffrir celui qui vous quitte?

– Oui, et cela doit faire beaucoup de mal! dit Madeleine, dont les vives couleurs s'effacèrent à cette idée.

– Mais on prie, mon enfant, et Dieu vous délivre. N'est-ce pas là ce que tu disais?

– On a bien de la peine à prier, je suis sûre; on doit toujours penser à demander autre chose que ce qu'on voudrait obtenir.

– C'est-à-dire qu'en demandant de guérir, on désire, malgré soi, d'être aimée comme on l'était?

– Je crois bien que c'est cela. Monsieur. Mais enfin, il ne faut pas désespérer de la miséricorde de Dieu!

– Dieu quelquefois permet alors qu'un autre vous aime et qu'on l'écoute?

– Je ne sais pas. Quand on n'est pas belle et qu'on pense à un autre, il ne doit pas être aisé de plaire à quelqu'un.

– Mais les miracles de la Providence! Si ta figure semblait belle à quelque autre que ton ami, et si ton amour et ta douleur, au lieu de lui déplaire, te rendaient plus belle à ses yeux?

– Vous parlez avec beaucoup de douceur et de bonté, mon cher Monsieur; on voit bien que vous croyez en Dieu et que vous connaissez sa miséricorde mieux que M. le curé. Mais vous voulez aussi me consoler en me montrant les choses comme cela, et moi je suis si triste que je ne peux pas encore les voir de même. Je pense toujours à ce que je souffrirais si mon bon ami ne m'aimait plus, et si je ne craignais d'être impie, je me figurerais que j'en dois mourir.

– Songe que si tu en mourais et qu'il le sût, il serait éternellement malheureux.

– Et peut-être que le bon Dieu le punirait d'avoir causé ma mort? Oh! non, je ne veux pas mourir en ce cas!

– Tu es bonne et généreuse, Madeleine; eh bien, je te prédis que tu ne seras pas malheureuse sans ressources, et que Dieu n'abandonnera pas un coeur comme le tien.

– Ce que vous dites là me fait du bien, Monsieur, et je voudrais que vous fussiez mon confesseur à la place de M. le curé. Je sens que vous trouveriez pour moi des consolations, et je croirais en vous comme en Dieu.

– Eh bien, Madeleine, prends-moi du moins pour ton conseil et ton ami. S'il t'arrive malheur, confie-toi à moi; je pourrai quelque chose pour toi, peut-être, ne fût-ce que de te parler religion et de te donner du courage.

– Hélas! vous avez bien raison; mais vous êtes de ces gens qui passent dans notre pays et qui n'y restent pas. Dans trois jours peut-être vous serez à plus de mille lieues d'ici.

– Prends ce petit portefeuille, et ne le perds pas. Sais-tu lire?

– Oui, Monsieur, et un peu écrire aussi, grâce à mon frère qui m'a enseigné ce qu'il savait.

– Eh bien! tu trouveras là une adresse et des papiers qui te serviront à me faire revenir, ou à te conduire vers moi, en quelque lieu que je me trouve.

– Merci, Monsieur, grand merci, dit Madeleine en mettant le portefeuille dans sa poche; je ne vous oublierai jamais, car je vois que vous avez beaucoup de savoir en religion, et que votre coeur est bon pour ceux qui sont dans le chagrin; je vois ce que je ferai. Si mon bon ami est ingrat pour moi, je l'enverrai vers vous, et je suis sûre que vous lui parlerez si saintement qu'il ne voudra plus m'affliger.

– Tu te sens de la confiance et de l'amitié pour moi?

– Oh! beaucoup, dit l'oiselière en pressant naïvement le bras de Léonce contre son coeur.

– Oui-da! dit le curé en sortant du fourré, si chargé de champignons qu'il pouvait à peine se porter; vous voici bras dessus bras dessous comme compère et compagnon! Doucement, Madeleine, doucement, vous êtes une tête sans cervelle, ma fille; tout ceci tournera mal pour vous!

– Ne la grondez pas, monsieur le curé, répondit Léonce; elle tournera toujours bien si vous ne vous en mêlez pas.

– Hum! hum! reprit le curé en hochant la tête; vous ne me rassurez guère, vous, avec vos airs de vertu; vous vous êtes peut-être beaucoup moqué de moi aujourd'hui! Allons, laissez le bras de cette petite, et venez voir ma récolte.

– Allons la déposer aux pieds de lady G… dit Léonce.

– Et où donc est la vôtre? Quoi! des fleurs, de mauvaises herbes! A quoi cela peut-il servir? Ce n'est pas même bon pour du vulnéraire!

– Cela servira à l'herbier du marquis, reprit Léonce. Et à propos de marquis, pensa-t-il, je suis curieux de savoir si le Frontin n'a pas montré le bout de l'oreille.

Ils retrouvèrent Teverino et Sabina au même endroit où il les avait laissés; mais la négresse et le jockey étaient fort loin, et le marquis était si près de lady G… il avait un tel air de confiance et de satisfaction, et, de son côté, elle avait l'oeil si brillant et les joues si animées, qu'ils ne paraissaient ni l'un ni l'autre mécontents de leur conversation.

– Qu'est-ce que cela? dit lady G… en voyant le curé étaler fastueusement ses cryptogames sur la mousse. Ah! les belles pommes d'or, les charmantes découpures d'ambre, les énormes chapeaux de prêtre! Voila des plantes bizarres et magnifiques.

– Magnifiques? bizarres? dit le curé scandalisé. Dites exquises, Madame; dites parfumées, fraîches, succulentes! Dieu ne les a point faites pour l'amusement des yeux, mais bien pour les délices de l'estomac de l'homme.

– Ah! pardon, monsieur le curé, dit Teverino en jetant loin de lui un individu suspect; voici une fausse orange.

– Peut-être, peut-être! dit le curé. Dans la précipitation de butiner, on peut se tromper.

– Vous vous connaissez donc en toutes choses? dit Sabina en adressant un doux regard au marquis. Que ne savez-vous pas?

– Eh bien, comment le trouvez-vous, mon marquis? lui demanda Léonce en l'attirant à l'écart.

– Puis-je ne pas le trouver charmant? Y aurait-il deux opinions sur son compte? S'il n'était pas ce qu'il paraît, vous seriez très-imprudent, cher docteur, de m'avoir présenté un homme qui a tant de séductions.

Sabina parlait d'un ton railleur; mais elle avait, en dépit d'elle-même, comme une sorte de voile humide sur les yeux qui trahissait un secret enivrement.

– Grands dieux! qu'aurais-je fait? pensa Léonce consterné; et il allait se hâter de lui avouer de quelle mauvaise plaisanterie elle était dupe, lorsqu'un regard inquiet et pénétrant de Teverino, qu'il rencontra, lui ferma la bouche et lui rappela son serment.

– Non, c'est impossible, se dit-il; cette femme froide et fière né pourrait se tromper si grossièrement! elle ne s'éprendrait pas ainsi à la première vue, d'un marquis de ma façon. Et pourtant, ajoutait il en examinant Teverino (alors au plus brillant de son rôle), si on ne regarde que la beauté merveilleuse de ce bohémien, l'aisance de ses manières, cet air incroyablement distingué; si on écoute cette voix harmonieuse, ce langage pétillant d'esprit et de poésie, qui possédera plus de charme? qui attirera plus de sympathie? N'est-ce point là un marquis italien, qui n'a peut-être point son égal dans toute l'aristocratie de l'univers? Est-il une seule femme assez aveugle pour n'en être pas éblouie?

Léonce devint soucieux, et Sabina fut forcée de le secouer pour le tirer de ses rêveries. Le soleil baissait, le temps était propice pour s'en retourner; le curé, plus impatient encore de faire cuire ses truites et ses champignons que de calmer les inquiétudes de sa gouvernante et de son sacristain, invitait ses convives à revenir avec lui au presbytère. Madeleine, assise à l'écart, et complètement muette, semblait indifférente à tout ce qui se passait autour d'elle.

– Seigneur Léontio, dit le vagabond en italien à Léonce, au moment où ils allaient remonter en voiture, êtes-vous amoureux de lady Sabina?

– Vous êtes bien curieux, Signor marchese! répondit Léonce aven une sécheresse ironique.

– Non! mais je suis votre ami, un royal ami, et je dois connaître vos sentiments, afin de ne pas les contrarier.

– Vous êtes un fat, mon cher!

– Vous avez déjà du dépit? Eh bien, que vous disais-je, que vingt-quatre heures entre nous seraient le bout du monde? Allons, j'ai deviné votre secret, et je n'ai pas besoin d'insister. Léonce, vous reconnaîtrez que Teverino est un galant homme!

Et s'élançant sur le siège: – C'est moi qui suis le cocher, dit-il à haute voix. Dame Érèbe, dit-il à la négresse, vous irez dans la voiture et je conduirai les chevaux. J'ai la passion des chevaux!

– Ceci n'est pas aimable, observa lady G… évidemment contrariée de cet arrangement. Notre société n'a guère d'attraits pour vous, Marquis!

– Et puis vous ne connaissez pas le pays, objectais le curé. Nous nous sommes déjà égarés; n'allez pas nous faire souper de la rosée du soir et coucher à la belle étoile, au moins!

– Laissez donc faire le marquis, dit Léonce, et si vous parlez d'étoile, fiez-vous à la sienne! Sais-tu conduire? demanda-t-il à Teverino.

– Peut-être! répondit celui-ci, quoique je n'aie jamais essayé.

– Grand merci! s'écria le bourru. Vous allez nous verser, nous rompre les os! Il n'y a pas à plaisanter avec les précipices et les chemins étroits. Monsieur! Monsieur! laissez les rênes à ce jeune garçon, qui s'en sert fort bien.

– Ne fais pas de folies, dit tout bas Léonce à Teverino; si tu n'as pas été cocher, ne t'en mêle pas.

– Tout s'improvise, répondit le marquis, et je me sens si inspiré que je conduirais les chevaux du Soleil.

Là-dessus il fouetta les chevaux de Léonce qui partirent au grand galop.

– Pas par ici, pas par ici! cria le curé, jurant malgré lui. Où diable allez-vous? Sainte-Apollinaire est sur la gauche.

– Vous vous trompez, l'abbé, répondit le phaéton; je connais mieux les montagnes que vous.

Et se penchant vers Léonce, assis immédiatement derrière lui: – Où faut-il aller? lui demanda-t-il à l'oreille.

– Partout, nulle part, au diable, si bon te semble! répondit Léonce du même ton.

– En ce cas, à tous les diables! reprit Teverino, et, fouettant de nouveau, il laissa maugréer le curé que la peur rendit bientôt pâle et muet.

Une telle épouvante n'était pas trop mal fondée. Teverino était plus adroit qu'expérimenté. Naturellement téméraire, et doué d'une présence d'esprit, d'une agilité et d'une force de corps supérieures à celles de la plupart des hommes, il méprisait le danger, et ne connaissait pas d'obstacles moraux ou matériels qu'il ne pût tourner ou franchir. Dans cette persuasion, ravi de l'énergie et de la finesse des chevaux de Léonce, il les lança au bord des abîmes, dédaignant de les ralentir quand le chemin devenait d'une étroitesse effrayante, effleurant les troncs d'arbres, les blocs de rochers, gravissant des pentes abruptes, les descendant à fond de train, et enlevant une roue brûlante sur l'extrême limite du ravin à pic au fond duquel grondait le torrent. D'abord, Sabina eut peur aussi, sérieusement peur; et trouvant la plaisanterie de fort mauvais goût, elle commença à craindre que ce marquis italien ne fût comme les gens mal élevés, qui se font un sot plaisir des souffrances d'une femme timide. Pourtant, elle ne laissa paraître ni son angoisse ni son mécontentement; elle savait que la seule vengeance permise au faible, en pareil cas, c'est de ne point réjouir l'audace brutale par le spectacle de ses tourments. Sabina était assez fière pour affronter la mort plutôt que de sourciller. Elle s'efforça donc de rire et de railler le curé, bien qu'au fond de l'âme elle fût encore moins rassurée que lui.

Mais bientôt la peur fit place en elle à une sorte de courage exalté; car elle vit que Léonce était quelque peu jaloux de l'incroyable adresse du marquis, et comme, après tout, le danger était vaincu à chaque instant, elle y trouva une nouvelle occasion d'admirer Teverino, qui se retournait souvent vers elle, comme pour puiser de nouvelles forces dans son approbation.

– Il va comme un fou! disait Léonce en mesurant l'abîme, et nous allons bien, pourvu que nous allions longtemps ainsi. N'avez-vous point peur, Milady, et voulez-vous que j'essaie de le calmer?

– De quoi voulez-vous que j'aie peur? répondait-elle en regardant l'abîme à son tour, avec une superbe indifférence, votre ami n'est-il pas magicien? Nous sommes portés par le miracle, et nous pourrions le suivre sur les eaux, si nous avions tous la foi que j'ai en lui.

– C'est du fanatisme, Madame, que vous avez pour le marquis!

– Vous n'en avez pas moins, puisque vous lui avez confié vos destinées et les nôtres!

– Je vous avoue qu'il va en toutes choses beaucoup plus vite que je ne pouvais le prévoir et qu'il est comme ivre du plaisir furibond que lui cause tant de succès.

– C'est une nature énergique, un courage de lion, dit Sabina piquée de ce reproche. Ce danger me passionne, et, de tout ce que vous avez inventé aujourd'hui, voilà ce qui m'a le plus amusé.

– En ce cas, redoublons la dose! Marche donc, Marquis! tu t'endors!

Teverino donna un tel élan, que le curé se renversa au fond de la voiture, aux trois quarts évanoui de peur, et ne songea plus qu'à dire son In manus.

Sabina fit un éclat de rire, la négresse un signe de croix. Quant à Madeleine, elle était véritablement la seule vraiment brave et complètement indifférente au danger. Elle regardait les nuages d'or du couchant où passaient et repassaient les vautours, agités par l'approche du soir.

VIII.
ITALIAM! ITALIAM!

Cependant les chevaux s'étant un apaisés dans une montée, le curé reprit l'usage de ses sens. Le précipice avait disparu, et la voiture suivait une tranchée étroite, assez mal entretenue, mais où une chute ne pouvait plus avoir de suites aussi graves que le long de la rampe.

– Où sommes-nous donc à présent? dit le saint homme un peu soulagé. Je ne connais plus rien au pays; la vue est bornée de toutes parts. Mais, autant que je puis m'orienter, nous ne marchons guère du côté de mon clocher.

– Soyez tranquille, l'abbé! dit Teverino; tout chemin conduit à Rome, et en suivant cette traverse un peu cahoteuse, nous évitons un long circuit de la rampe.

– Si nous pouvons passer le torrent, objecta Madeleine avec tranquillité.

– Qui parle de torrent? s'écria le marquis. Est-ce toi petite?

– C'est moi, reprit la jeune fille. Si les eaux sont basses, nous le traverserons. Sinon…

– Sinon, nous passerons sur le pont.

– Un pont pour les piétons, un pont à escalier?

– Nous y passerons; je le jure par Mahomet!

– Je le veux bien, moi! dit l'insouciante Madeleine.

– Et moi, je jure par le Christ que je mettrai pied à terre, et que je passerai le dernier, pensa le curé.

Le torrent ne paraissait pas très-gonflé, et Teverino allait y lancer la voiture, lorsque Madeleine, qui s'était penchée en avant avec une prévoyance calme, l'arrêta vigoureusement.

– L'eau n'est pas claire, dit-elle; une forte avalanche de neige a dû y tomber, il n'y a pas plus de deux heures. Vous n'y passerez pas.

– Milady, voulez-vous vous fier à moi? dit Teverino. Nous passerons, je vous en réponds. Que ceux qui ont peur descendent.

– Je demande à descendre! s'écria le curé en s'élançant sur le marchepied.

La négresse le suivit, et le jockey, partagé entre le point d'honneur et la crainte de se noyer, se plaça devant les chevaux en attendant qu'on eût pris un parti.

– Sabina, dit Léonce d'un ton d autorité, descendez.

– Je ne descendrai pas, répondit-elle; c'est la première fois que je sens le plaisir qu'on peut trouver dans le péril. Je veux me donner cette émotion.

– Je ne le souffrirai pas, reprit Léonce en lui saisissant le bras avec force. C'est un acte de démence.

– Vous n'avez point de droits sur ma vie, Léonce, et le marquis, d'ailleurs, en répond.

– Le marquis est un sot! s'écria Léonce, exaspéré de voir la subite passion de lady G… se trahir si follement.

Le marquis se retourna et regarda Léonce avec des yeux flamboyants.

– Vous voulez dire que vous êtes deux fous, dit Sabina, essayant de cacher l'effroi que lui causait cette querelle. Je cède à votre sollicitude, Léonce; marquis, vous descendrez aussi. Le jockey, qui nage comme un poisson, peut se risquer seul à faire passer la voiture.

– Je nage mieux que tous les jockeys et que tous les poissons du monde, reprit Teverino, et je ne vois d'ailleurs pas pourquoi la vie de cet enfant serait exposée plutôt que la mienne. Dans mon opinion, Madame, un homme en vaut un autre, et si j'ai voulu risquer le passage, c'est à moi d'en subir seul les conséquences. Combien valent vos chevaux, Léonce? ajouta-t-il d'un air d'opulence fanfaronne.

– Je t'en fais présent, dit Léonce, noie-les si tu veux. Mais je te dirai deux mots sur l'autre rive, ajouta-t-il à voix basse.

– Vous ne me direz rien du tout; mais demain à deux heures de l'après-midi, c'est moi qui vous parlerai, répondit Teverino. Vous êtes l'agresseur, j'ai le droit de choisir le moment, et, en échange, je vous laisse le choix des armes. En attendant, par respect pour vous-même qui m'avez présenté à cette dame, affectez pour moi une étroite amitié qui explique vos paroles grossières.

– Un duel? un duel avec vous? Eh bien! soit, répondit Léonce, et il ajouta tout haut: Si nous ne nous battons pas ensemble, marquis, après avoir échangé de telles douceurs, c'est qu'on ne peut nous accuser d'être deux poltrons, et, pour le prouver, nous allons passer l'eau ensemble. Eh bien! que fais-tu là? dit-il à Madeleine, qui avait grimpé lestement sur le siège auprès du marquis.

– Bah! il n'y a pas de danger pour moi, dit-elle, et je vous suis nécessaire pour vous diriger. A droite, monsieur le marquis, et puis, à gauche, marchez!

Ce ne fut pas sans une stupeur profonde que les autres voyageurs, arrivés en haut du pont, s'arrêtèrent pour voir s'effectuer ce passage périlleux. Au milieu de l'eau, la violence du courant souleva la voiture, qui se mit à flotter comme une nacelle, entraînant les chevaux vers les arches aiguës du petit pont ogival.

– Cedex au courant, et reprenez! dit Madeleine froidement attentive, comme s'il se fût agi d'une chose facile.

Les chevaux, énergiquement stimulés, et assez forts, heureusement, pour n'être pas emportés par cette voiture légère, firent quelques bonds, perdirent pied, se mirent à la nage, retrouvèrent pied sur un roc, trébuchèrent, et se relevant sous la puissante main de l'aventurier, gagnèrent, sans aucun accident fâcheux, un endroit moins profond, d'où ils atteignirent facilement la rive, sans qu'un seul trait eût été rompu, et sans que leurs conducteurs fussent mouillés autrement que par quelques éclaboussures.

– Vous voyez, Signora, que vous eussiez pu passer! dit Teverino à lady G… qui accourait pour le féliciter de sa victoire.

– Non pas! dit le curé, tout ému du danger qu'il aurait pu courir; vous eussiez été emportés si la voiture eût été plus chargée. Moi, justement, qui ne suis pas mince, je vous aurais exposés en m'exposant moi-même. Je sentais bien cela.

On remonta en voiture; le jockey prit le siège de derrière et l'oiselière resta sur celui du cocher, à côté de Teverino, qui parut s'entretenir avec elle tout le reste du trajet, d'une manière fort animée. Mais ils parlaient bas, en se penchant l'un vers l'autre, et Sabina fit, d'un air léger, la remarque que le bon ami de Madeleine pourrait bien être supplanté ce soir-là, si elle n'y prenait garde.

– Il n'y a pas de danger que cela arrive, dit Madeleine, qui avait l'ouïe fine comme celle d'un oiseau, et qui, sans avoir l'air d'écouter, n'avait rien perdu des paroles de Sabina. Ce n'est pas moi qui changerai la première.

– Ce n'est pas lui, j'en jurerais sur mon salut éternel, s'écria gaiement le marquis; car tu es une si bonne et si aimable fille, que je ne comprendrai jamais qu'on puisse te trahir!

– Voilà, dit le curé, comment tous ces beaux messieurs, avec leurs compliments, feront tourner la tête à cette petite fille. L'un lui donne le bras à la promenade, comme il ferait pour une belle dame; l'autre lui dit qu'elle est aimable, et elle est assez sotte pour ne pas s'apercevoir qu'on se moque d'elle.

– C'est donc vous qui lui donnez le bras, Léonce? dit Sabina d'un ton moqueur.

– Pourquoi non? N'avez-vous pas pris son bras pour l'emmener, vous aussi, Madame? Du moment que nous l'enlevons pour en faire notre compagne et notre convive, ne devons-nous pas la traiter comme notre égale? Pourquoi M. le curé nous blâmerait-il de pratiquer la loi de fraternité? C'est une des joies innocentes et romanesques de notre journée.

– Je n'aime pas les choses romanesques, dit le bourru. Cela dure trop peu, et ne gît que dans la cervelle. Vous autres jeunes gens de qualité, vous vous amusez un instant de la simplicité d'autrui; et puis, quand vous avez payé, vous n'y songez plus. Que Madeleine vous écoute, Messieurs, et nous verrons qui lui restera, ou du grand seigneur qui lui refusera un souvenir, ou du vieux prêtre qui, après l'avoir gourmandée comme elle le mérite, l'amènera au repentir et fera sa paix avec Dieu!

– Ce bon curé m'effraie, dit lady Sabina en s'adressant à Léonce. J'espère, ami, que cette pauvre Madeleine n'est pas ici sur le chemin de la perdition?

– Je puis répondre de moi-même, répliqua Léonce.

– Mais non pas du marquis?

– Je vous confesse que je ne réponds nullement du marquis. Il est beau, éloquent, passionné, toutes les femmes lui plaisent et il plaît à toutes les femmes. N'est-ce pas votre avis, Sabina?

– Qu'en sais-je? Nous ferions peut-être bien de faire rentrer la petite dans la voiture.

– D'autant plus, dit le curé, que le chemin redevient fort mauvais, que bientôt le jour va tomber, et que si M. le marquis a des distractions, nous ne sommes pas en sûreté. Donnons-lui pour compagne la négresse en échange de l'oiselière.

– Je ne réponds pas qu'il n'ait pas autant de distraction avec la noire qu'avec la blonde, reprit Léonce. Le plus sûr serait de le mettre en tête-à-tête avec vous, curé!

Cet avis prévalut, et Madeleine rentra dans la voiture, sans marquer ni humeur, ni bonté, ni regret. Sa mélancolie était complètement dissipée, le reflet du soleil couchant répandait sur ses joues animées une lueur étincelante de jeunesse et de vie. – Voyez donc comme cette petite laide est redevenue belle! dit Léonce en anglais à lady G… le souffle embrasé de Teverino l'a transfigurée.

Sabina essaya de plaisanter sur le même ton; mais une tristesse mortelle pesait sur son regard; la jalousie s'allumait dans son coeur sous forme de dédain, et tout ce que Léonce insinuait sur les bonnes fortunes du marquis lui causait une honte douloureuse. Elle s'efforça donc de se persuader à elle-même qu'elle n'avait pas senti, comme Madeleine, le souffle embrasé de Teverino passer sur sa tête comme une nuée d'orage.

Il lui fallut bien une demi-heure pour chasser ce remords et retrouver le calme de son orgueil. Enfin, elle commençait à se sentir victorieuse, et le charme lui semblait ne pouvoir plus agir sur elle. Teverino, pour distraire le curé, qui se flattant toujours d'être en route pour son village, s'étonnait un peu de ne pas reconnaître le pays, avait entamé avec lui une grave discussion sur des matières théologiques. Il s'était frotté à toutes gens et à toutes choses dans sa vie d'aventures. Il avait vu de près quelques prélats, quelques moines instruits, et il était de ces esprits qui entendent, comprennent et se souviennent sans faire le moindre effort. Il avait dans la mémoire une certaine quantité de lambeaux de citations, de commentaires et d'objections qu'il avait entendu débattre, peut-être en passant des plats sur une table de gourmets apostoliques, ou en époussetant les stalles d'un chapitre de théologiens réguliers. Il était loin de l'instruction du bon curé, mais il pouvait paraître, à l'occasion, beaucoup plus fort en ergotage métaphysique. Le curé était à la fois émerveillé et scandalisé de ce mélange de subtilité et d'ignorance, et le bohémien, plus habile en ceci que le Médecin malgré lui de Molière, vu qu'il avait affaire à plus forte partie, réussissait à l'éblouir en éludant les questions positives et en l'accablant de demandes pédantesquement oiseuses; si bien que le bourru se demandait de bonne foi si c'était un rude hérétique armé de toutes pièces, ou un ignorant facétieux qui riait de lui dans sa barbe.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
200 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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